Un bonnet de Noël sur la tête, une paire de lunettes en demi-lune sur le nez, une longue barbe blanche accrochée à ton menton, un long manteau rouge fermé par une ceinture noire. Grimé en ce célèbre bonhomme rouge, aka Père-Noël, tu secoues une petite clochette en tonnant ici et là quelques « Ho ho ho ! » convainquant pour inviter les passants à rentrer dans la petite ferme de sapins et en ressortir avec leur arbre à décorer. Tu détestais ton boss, putain. C’était pas le deal quand t’avais accepté ce taff, il avait jamais été question de te faire porter ce déguisement, passer pour un con dans la rue et prendre quelques photos avec des gamins qui n’arrêtaient pas de te dire combien ils avaient été sage cette année. PUTAIN ! Ho ho ho, ho ho ho ! Allez courage Yann, plus qu’un quart d’heure et t’en aurait fini avec ça.

Je vais être en retaaaard. Une amie m'a trouvé THE stage, dans un cabinet d'avocats, après les cours, horaires parfaits. Et je suis descendue à la mauvaise station de bus. Bravo Numa. Je trottine, mon portable devant les yeux, Google Maps comme guide. Je marche, je cours et bam. Je rebondis contre une bedaine en mousse, je regardais pas devant moi, les yeux rivés sur l'écran de mon iPhone. "Pardon, pardon je suis désolée." Je dis en ramassant les lunettes du... Père Noël ! Ah bah tiens, je viens de bousculer le king de la Laponie, mes plus plates excuses. Je les rends au gus, payé pour appâter les passants. "Hum... Vous ne sauriez pas où elle est, la Martin Luther King Alley à tout hasard ?" Juste au cas où. Parce que je capte pas bien et après tout, mon petit bijou m'a fait sortir au mauvais arrêt alors pas sûre qu'il soit un allié de confiance pour m'orienter. Puis c'est le Père Noël, gentil papy prêt à aider les enfants sages. J'ai été irréprochable.

Un choc, une altercation à laquelle tu ne t’attends pas. C’est pas comme si t’étais invisible, merde, t’étais une boule rouge ambulante qui tinte ! Pardon, pardon je suis désolée. Ouais, c’est ça. Tu grognes en attrapant les petites lunettes qui t’étaient tombé du nez et les repose sur ton visage. Le détail qui tue, pas vrai ? C’est bon. que tu baragouines en replaçant ton faux ventre correctement dans ton manteau. Ridicule, tout ceci était ri-di-cule putain ! Tu poses les yeux sur la nana qui t’étais rentré dedans et.. oh, tient. Hum... Vous ne sauriez pas où elle est, la Martin Luther King Alley à tout hasard ? Tu regardes le téléphone dernière génération qu’elle a entre les mains, la Michelle. J’suis le Père-Noël, pas un gps. dis-tu en levant les yeux au ciel. Si ton boss était là, il t’en flanquerait une, fallait que tu sois courtois et agréable. Toi. La blague. Et puis t’façon t’en savais rien, t’étais là que depuis trois mois et tu ne t’amusais pas à t’imprimer le plan de la ville dans la tête. Il fait pas l’affaire ton truc dernier cri là, Michelle ? pouffes-tu en désignant son smartphone. Agréable, comme toujours, Yann.

Je crois que c'est un art de foncer dans le truc le plus voyant du trottoir, large trottoir qui plus est ! "C’est bon." Mrgjdh. Son charabia se perd dans sa barbe de Père Noël, alors qu'il replace les lunettes sur le bout de son nez, oupsie, je crois qu'il est ronchon. Je sais pas pourquoi je me dis que je pourrais trouver de l'aide auprès de ce type chafouin mais je tente quand même, vous savez, j'veux pas être la génération déconnectée, toujours sur son téléphone, qui abhorre le contact humain... "J’suis le Père-Noël, pas un gps." Ok, ça a le mérite d'être clair. Je replonge sur mon écran, et le cercle de la mort apparaît, ce cercle qui tourne, tourne. Pas de réseau. Putain, on est au coeur de la mégalopole américaine et je capte pas ! "Il fait pas l’affaire ton truc dernier cri là, Michelle ?" Je relève la tête, écarquille les yeux. "Comment vous conn..." Ooooh. Mais je le reconnais ce sourire con, même sous cette barbe en plastoc ! Sans ça, j'avais pas reconnu sa voix moqueuse, son ton narquois. Je viens tirer sur les fils blancs, déccroche l'élastique derrière ses oreilles. Je le dérange peut-être pendant qu'il travaille, merde, oups, désolée, je suis Numa, je fais pas gaffe. "Ça te gratte pas ce truc ?" Je ris en agitant la fausse barbe sous mes yeux. Je regarde mon portable avec une petite moue dépitée, je secoue la tête. Aaah, je repense à mon vieux téléphone volé, il avait une certaine valeur sentimentale.

Comment vous conn... Connaissez mon prénom ? Ouais, tu devines la fin de sa phrase qui reste pourtant en suspens. J’suis le Père-Noël, bébé. dis-tu d’une grosse voix qui ne t’appartenait pas. Et d’un coup, plop, elle tire sur ta longue et magnifique barbe blanche qui se décroche et qu’elle agite dans ses petites mains métisses. Ca te gratte pas ce truc ? Tu souris bizarrement au petit garçon qui passe et qui te regarde avec deux grands yeux ronds comme ça. Tu viens de détruire l’enfance de ce p’tit bout, bien joué. réponds-tu en ignorant totalement sa question, attrapant ta fausse barbe des doigts de Michelle. Un sapin ? dis-tu en agitant la clochette et en montrant la sapinière derrière toi. Allez, on s’en fou d’ta rue là, si t’as des thunes pour t’acheter un iphone, tu peux bien acheter un sapin, Michelle.

"J’suis le Père-Noël, bébé." A la bonne heure ! Je pouffe de rire en tirant sur sa barbe. "Tu viens de détruire l’enfance de ce p’tit bout, bien joué." Il me glisse avec des gros yeux. J'me retourne, face à face à un petit bout de chou qui en aurait presque la larme à l'oeil. Boh le pauvre. "C'est pas le vrai Père Noël, le vrai il est occupé à faire tes cadeaux en ce moment !" Je lance à l'adresse du petit qui est vite emmené loin par son père pressé. Yann récupère la fausse barbe que je triture entre mes doigts et avec son sourire le plus vendeur : "Un sapin ?" Je regarde par dessus son épaule, des arbres de toutes les tailles attendent un salon pour les fêtes. Je souris avec un petit haussement d'épaules. "Faudrait que je puisse le ramener jusque chez moi le sapin, puis pas sûre que ça rentre dans la chambre étudiante." Je ris en imaginant les filles de la colloc me voir débarquer avec mon arbre de Noël. Je checke mon téléphone. Un message. Mon maître de stage a chopé la grippe. J'ai un petit regard pour l'heure, dieu merci, j'aurais eu plus d'un quart d'heure de retard, faute impardonnable. Je relève les yeux vers Yann. "J'peux t'aider avec quelque chose ?" Parce que mes plans viennent de tomber à l'eau et puis je suis de bonne humeur, il m'avait peut-être manqué ce sourire de con après tout. Puis l'odeur de la sapinière, les décorations scintillantes partout, ça me donne bonne mine.

Michelle tente tant bien que mal de se rattraper au près de ce petit garçon tandis que toi t’aurais été capable de gueuler haut et fort que le Père-Noël n’existait pas. Laisse tomber, c’est mort pour lui. T’as brisé sa vie. feins-tu en posant une main contre ton cœur, mimant une attaque, avant de rire doucement. Tu proposes un sapin à la jeune fille, n’en n’oubliant pas le sens des affaires. Faudrait que je puisse le ramener jusque chez moi le sapin, puis pas sûre que ça rentre dans la chambre étudiante. Ah ouais c’est vrai, l’étudiante, la gamine. On en a des tous petits. T’avais réponse à tout, cherche pas Michmich. Elle regarde rapidement son téléphone et tu t’dis que l’entrevue en restera là, qu’elle partira à la recherche de sa p’tite impasse inconnue là. Et finalement.. J'peux t'aider avec quelque chose ? T’arques un sourcil. Sérieux, quelle genre de nana elle était pour proposer un coup de main à un mec qui travaillait ? M’acheter douze sapins ? C’est c’qu’il me manque pour atteindre mon objectif. Ca m’aiderait beauuucoup. réponds-tu en insistant sur ce mot. Tu retires ton bonnet qui te fait suer du front, en râlant. Rah, et puis j’en ai marre de ce costume ridicule. Allez viens, t’as des sapins à acheter Michelle. Tu l’attrapes par le bras et l’entraîne à l’intérieur de la petite vente.

"Laisse tomber, c’est mort pour lui. T’as brisé sa vie." J'veux me racheter, j'propose mon aide, c'est le début du chemin vers le rédemption non ? Puis j'ai beau avoir mes entraînements de foot, j'me sens molle, faut que je bouge. Déplacer des sapins, faire un peu de ménage dans la jardinerie. Remplir mes mains et vider mon esprit. Allez dis moi Père Noël, j'peux faire quoi pour toi ? "M’acheter douze sapins ? C’est c’qu’il me manque pour atteindre mon objectif. Ca m’aiderait beauuucoup." Je pouffe de rire en secouant la tête. Il ôte son bonnet, dévoilant ses cheveux blonds en pagaille. "Fais chaud là dessous ?" Je remarque en riant. Mais pas le temps de niaiser ma petite. "Rah, et puis j’en ai marre de ce costume ridicule. Allez viens, t’as des sapins à acheter Michelle." Il attrape mon poignet et me tire à l'intérieur de la sapinière. L'odeur hivernale me fait sourire, l'esprit de Noël. "T'as conscience que tes douze sapins, même s'ils sont touuus petits, j'les prendrai pas." Les arbres sont enroulés dans des mailles de fer, les uns contre les autres formant des allées entre lesquelles je me promène. Un petit virage dans lequel je disparais, Yann sur mes talons. Je plie les genoux, veille à ce que ma tête ne dépasse pas, retiens mon souffle. Et quand il déboule, je sors de derrière mon sapin, avec un petit bond : "BOUH !" Je ris, alleeez, c'est bon enfant. Puis de toute façon, j'ai intégré le fait qu'il ne me parlerait jamais comme à une adulte alors autant se la jouer gamine à fond. "T'as eu peur."

Fais chaud là dessous ? Y’a que ta capuche que t’arrivais à supporter, tu détestais l’reste. Alors ouais, ce bonnet te rendait dingue. T’attrapes finalement Michelle par le bras et l’entraîne dans la forêt de sapins improvisée sur ce parking de magasin, un petit chapiteau vous servant de caisse. T'as conscience que tes douze sapins, même s'ils sont touuus petits, j'les prendrai pas. Tu marches jusqu’au fameux chapiteau. J’sais être persuasif, Michelle. Le retour du sourire sur tes lèvres. T’avances et une fois arrivé, tu troques ton costume de Père-Noël contre un sweet à capuche et une veste en cuir, ta préférée. T’as perdu la métisse de vue, tu lèves les yeux au ciel en revenant sur tes pas. BOUH ! Son rire qui inonde toute la forêt, tu paries qu’il s’entends à l’autre bout d’la petite entreprise. T’as eu peur. Tu restes impassible, il se peut même que t’ai soupiré, tu t’rends pas bien compte. Ah, trop. réponds-tu le visage fermé à toute expression. Ta tête de con. Allez, j’ai dix minutes pour boucler ma journée et te vendre ces putains de sapins. T’es gentille, tu vas les prendre. Tu tournes la tête vers ton patron. Eh, Mike ! La cliente ici prends douze sapins, note ça hein ! Et ton regard qui revient sur la métisse aux cheveux ondulés. T’aura qu’à les refiler à des foyers, des associations d’enfants malades, ce genre de trucs. J’suis sûre que t’es de ce genre là.

"J’sais être persuasif, Michelle." Oh, j'te jure que si tu laisses pas tomber le prénom de mamie, tu me persuaderas de rien du tout. C'est pas compliqué Numa, non ? Je déambule entre les sapins, j'me planque, j'le surprends. Je jurerais qu'il a tremblé (un peu) ! "Ah, trop." Ooooh le rabat-joie ! N'empêche que j'ai ce petit sourire, fière de mon coup malgré tout. "Allez, j’ai dix minutes pour boucler ma journée et te vendre ces putains de sapins. T’es gentille, tu vas les prendre." -"Tu veux me les faire manger tes sapins ou qu..." Pas l'temps de faire de la résistance, Yann me tourne le dos, cause avec le boss. "Eh, Mike ! La cliente ici prends douze sapins, note ça hein !" Son regard, insolent, joueur, vient se reposer sur moi. "T’auras qu’à les refiler à des foyers, des associations d’enfants malades, ce genre de trucs. J’suis sûre que t’es de ce genre là." Je suis ce genre là quand toute la presse est réunie, la doyenne, mes parents. Qu'on me prend en photo pour le journal local. "Et tu me les mets dans un petit panier avec le ticket de caisse c'est ça ? Un petit caddy ?" Non parce que je veux bien, hein, douze sapins mais je peux même pas les sortir de ta sapinière coco. "Puis du coup je comptais filer ma thune aux enfants malades plutôt qu'à Mike." Je lui glisse en faisant un pas de côté, un grand sourire et un signe de la main au patron que j'aperçois.