Tu vois dans son regard qu’elle déteste toujours autant que tu l’appelles Michelle. Tant mieux, tu jubiles. Pas le temps de discuter formalités, t’avais un objectif à atteindre si tu voulais toucher quelques dollars de plus et toi t’étais un gars à 50 dollars près. T’avais plus que ce salaire là qui rentrait, le garage ne marchait pas fort, Levi n’était jamais là et même si t’étais pas trop mauvais en mécanique, t’étais hyper mauvais en relation client et toute la gestion du bordel. Alors tu n’étais pas revenu, t’façon elle t’avais pas payé ton premier mois, la conne. Et tu me les mets dans un petit panier avec le ticket de caisse c'est ça ? Un petit caddy ? C’était pas ton problème toi la façon dont elle rentrerait avec ses douze sapins, tu veux juste qu’elle fasse fumer sa p’tite carte dorée là. Ouais, on peut toujours essayer. réponds-tu en haussant les épaules. Pari tenu que les douze petits sapins rentrent dans un p’tit chariot de supermarché d’en face s’ils sont bien emmaillotés. Michelle salut Mike qui vous regarde comme s’il n’en croyait pas ses oreilles que t’ai réussi à vendre autant de sapins d’un coup. T’es sur le coup, t’inquiète Mike, c’est comme ci c’était fait. Puis du coup je comptais filer ma thune aux enfants malades plutôt qu'à Mike. T’arpentes une première allée à la recherche d’un sapin, le plus p’tit possible. Non, tu ne lâcheras pas l’affaire, t’es comme ça. Tu peux faire les deux. Douze sapins ça va t’couter quoi, hein ? Rien du tout à côté d’ça. dis-tu en désignant sa poche dans laquelle était rangé son dernier smartphone. Pense un peu aux enfants qui seront heureux d’avoir un sapin sous lequel trouver des cadeaux. L’esprit de Noël, tout ça.. T’es pas le Grinch, quand même ? dis-tu en sortant un petit sapin de son rang pour le montrer à Michelle. Il perd pas ses épines, il garde sa joli couleur verte très longtemps à condition qu’on l’humidifie de temps en temps si la température intérieur dépasse les 22 degrés. Et c’est bonne odeur de Noël garanti dans toute la maison. dis-tu en récitant un p’tit discours que t’avais appris à connaître par cœur, un grand sourire aux lèvres.

"Ouais, on peut toujours essayer." Roh c'est de la mauvaise foi qu'il nous fait, même avec beaucoup d'espoir et des mini-sapins, je les acheminerai pas jusque chez moi ses douze sapins ! Je secoue la tête en soufflant puis salue le patron. Le tee-shirt de la sapinière, pas franchement sexy. Yann se met à arpenter l'allée, j'le vois qui fouille. Non mais il déconne pas ? Peut-être que c'est le moment de m'enfuir en courant. "Tu peux faire les deux. Douze sapins ça va t’couter quoi, hein ? Rien du tout à côté d’ça." L'iPhone dans ma poche. Il marque un point. "Pense un peu aux enfants qui seront heureux d’avoir un sapin sous lequel trouver des cadeaux. L’esprit de Noël, tout ça.. T’es pas le Grinch, quand même ?" Mais c'est qu'il joue avec mes sentiments, le con. Etre comparée au Grinch, ouais ça me ferait presque changer d'avis. Il sort un sapin emballoté, un tout petit, riquiqui. Je hausse un sourcil, il est quand même vachement dégarni son arbre, je remarque toutes les épines qui jonchent le sol. "Il perd pas ses épines, il garde sa joli couleur verte très longtemps à condition qu’on l’humidifie de temps en temps si la température intérieure dépasse les 22 degrés. Et c’est bonne odeur de Noël garantie dans toute la maison." Je hausse un sourcil en riant, je secoue la tête, fait voler mes cheveux devant mes yeux. "Tu les achemines jusque chez moi, j'les prends." C'est bon, c'est bon, son beau discours m'a convaincue. Pas assez pour que j'traîne douze sapins dans le bus. "Appelle moi Mère Theresa."

T’es un requin, tu lâcheras rien. Tu sais que tu les aurais pas vendu tes sapins alors tu tentes le tout pour le tout avec Michelle et l’fait qu’elle hésite, qu’elle sache pas quoi dire, tu t’dis que c’est pas perdu. Tu les achemines jusque chez moi, j'les prends. Oh putain, jackpot. Tu jubiles, t’es le meilleur, aucuns doutes. Boss, souviens toi d’ça pour ma prime putain, t’as intérêt. T’hausses un sourcil, ton éternel sourire au coin des lèvres. Vendu. Et avant qu’elle change d’avis, t’attrapes deux sapins et les emmènes jusqu’à la petite tente où se tient la caisse. Mike, aide moi à charger douze sapins d’cette taille dans la camionnette s’te plait. demandes-tu à ton collègue en faisant glisser les sapins un par un dans la machine qui permettait de les emmailloter. Appelle moi Mère Theresa. Theresa, Michelle, que des prénoms d’vieille. Tu feras le bonheur de pleins d’petit morveux, t’es merveilleuse Michelle. que tu souris en tapotant sur ta calculatrice. Ca ferait 336 dollars s’te plait. dis-tu en lui tendant le petit ticket de caisse. On prends les espèces, la carte bleue et les chèques. Un grand sourire commercial aux lèvres tandis que Mike s’occupe d’emmailloter le reste des sapins et de les mettre dans la camionnette. Une fois fait, tu récupères tes affaires et grimpes dans la camionnette après avoir salué le reste des collègues. Allez grimpe Michmich, t’habites où ? lui demandes-tu en bouclant ta ceinture.

"Vendu." Mamma mia, quelle connerie je viens de faire au juste ? Trop tard, j'le suis jusqu'à la caisse, pas impatiente de dégainer ma carte bleue. "Mike, aide moi à charger douze sapins d’cette taille dans la camionnette s’te plait." Bon, allez, sont pas bien gros ces arbres, ça va m'coûter quoi cette histoire ? Pas grand chose, espérons. M'enfin douze mine de rien, ça fait beaucoup. "Tu feras le bonheur de pleins d’petit morveux, t’es merveilleuse Michelle. Ca fera 336 dollars s’te plait." 336 dollars. Pfiou, le bonheur des morveux ça coûte un bras dis donc. M'enfin, j'me suis engagée alors je tends ma carte. Faut que j'épuise la fortune des Ford-N'Sawit avant d'me faire déshériter si je fais un jour mon coming out. Je fais un peu la moue en voyant les sapins se faire charger dans la camionnette, surtout quand le blondinet esquisse ce petit sourire de con que j'commence à bien lui connaître. La cargaison est chargée, en voiture Simone. "Allez grimpe Michmich, t’habites où ?" Je monte dans la camionnette, gelée. Y a pas de chauffage dans ce tacot ou quoi ? Je me frotte les mains, souffle dessus en claquant des dents. "D'abord on passe livrer ça à toutes les maisons de charité du coin, tu veux ?" Il veut, il veus pas, de toute façon la cliente est reine. Puis ses arbres ils logeront pas à la Cabot. "Tu conduis prudemment hein ?" J'sais pas si je lui fais confiance, il va pas se la jouer Fast and Furious avec son petit sourire ?

T’enclenche la marche arrière. D'abord on passe livrer ça à toutes les maisons de charité du coin, tu veux ? Tu t’arrêtes. QUOI ? Tu tournes la tête et vois ses p’tites mains se frictionner entre elles. T’allumes les boutons du chauffage et le met à fond. C’était pas c’qui était prévu. J’t’emmène chez toi et tu t’débrouilles avec. Et puis t’étais plus en service là, faut pas déconner. Ton adresse ? reprends-tu comme si tu balayais ce qu’elle venait de dire. Manquait plus que ça, putain. Tu conduis prudemment hein ? Tu lèves les yeux au ciel avant de sortir de l’emplacement et prendre la route sur l’avenue principale jusqu’à un feu rouge. J’promets rien, j’vais faire c’que j’peux. lui glisses-tu en coin avant de klaxonner nerveusement le type devant toi alors que le feu est toujours rouge. Et tu tournes la tête vers Michelle. C’est bon, j’déconne. Putain t’es toujours chiante comme meuf où ça t’arrive d’être cool ? soupires-tu en tournant à droite.

C'est quoi ces yeux de merlan frit ? Je lui fais une fleur en lui prenant ses sapins à 300 balles, qu'il l'oublie pas trop vite. "Ton adresse ?" -"Le centre des petits enfants leucémiques." Je hausse un sourcil, un petit sourire en coin. Alleeeez, j'suis souriante en plus, je vais mettre un peu d'ambiance dans cette camionnette. L'après-midi à parcourir les hospices de la ville, tu vas pas la voir passer coco ! On sort de l'emplacement, je crois que je l'ai vexé, note pour moi-même : jamais douter de la conduite d'un mec, c'qu'ils peuvent être susceptibles ! "J’promets rien, j’vais faire c’que j’peux." Bah me voilà rassurée. Le feu est même pas passé au vert qu'il klaxonne la voiture devant nous comme un enragé. "C’est bon, j’déconne. Putain t’es toujours chiante comme meuf où ça t’arrive d’être cool ?" Il soupire, je ris. "Toi ça t'arrive d'être aimable ? Si j'étais pas venue sauver ton aprem tu serais encore en train de jouer au Père Noël sur le trottoir !" Je viens appuyer sur le bouton de l'auto-radio, histoire de nous le détendre un peu le Yann. Mariah Carey pulse à fond dans la camionnette, "All I want for Christmas is you", c'était prévisible. Je sens que le conducteur désapprouve, tant mieux. Je lui lance un petit sourire de chipie : "T'as gardé le costume dans ton coffre ? Imagine le bonheur des enfants !"

Le centre des petits enfants leucémiques. Et putain, pour la première fois tu sens que c’est pas toi qu’aura le dernier mot. Sans son adresse, t’es sans rien. La chieuse. Tu sais que j’pourrais te laisser sur l’bord du trottoir avec tes douzes sapins, en pleine nuit ? que-tu lui souris de toute tes dents. Parce que oui, c’est une soirée et pas un après-midi. Putain, t’en serais carrément capable mais t’as pas envie d’avoir ses soucis si jamais elle s’faisait enlever et que t’étais le dernier témoin quoi. Purement personnel. Ok, centre des gamins leucémiques. que tu grognes en prenant la route, klaxonnant pour emmerder Michelle plus que le pauvre chauffard devant. Toi ça t'arrive d'être aimable ? Si j'étais pas venue sauver ton aprem tu serais encore en train de jouer au Père Noël sur le trottoir ! Sauver, carrément ? Eh beh, redescend un peu Michelle hein, t’étais plus à un quart d’heure près. T’as envie d’lui lancer une remarque cinglante mais au moment où t’ouvres la bouche, la Mariah rempli l’habitacle. Quelle horreur. T'as gardé le costume dans ton coffre ? Imagine le bonheur des enfants ! Tu tournes la tête, le regard noir, avant d’appuyer sur le bouton pour éteindre la radio. N’y compte même pas, Michmich. Il est hors de question que j’refoute un pied dans cette merde là. Tu tournes à gauche, puis à droite et rentre dans un parking pour immobiliser le véhicule près de l’entrée, place livraison. C’était un peu l’cas, non ? Tu coupes le moteur et descend, attrapes un sapin et le colle dans les bras de la Michelle avant de t’adosser à la camionnette et sortir une clope que tu glisses entre tes lèvres.

"Tu sais que j’pourrais te laisser sur l’bord du trottoir avec tes douzes sapins, en pleine nuit ?" J'me retourne vers lui, un peu alerte. "T'es pas siii méchant que ça, au fond du fond, t'as un petit coeur." Sinon pourquoi il serait venu me sauver de ce club échangiste glauquissime ? Il a beau jouer au caïd avec son petit sourire de con, il oserait pas. "Ok, centre des gamins leucémiques." Victoiiire, je sautille sur mon siège, triomphante. Je tente de réchauffer un peu l'ambiance en lançant les sons de Noël mais non. Pas son truc l'esprit des fêtes à ce que je vois. "N’y compte même pas, Michmich. Il est hors de question que j’refoute un pied dans cette merde là." J'le reprends pas sur le surnom ridicule, je commence à m'y faire. Je me contente de hausser les épaules. Si j'suis Mère Theresa, lui c'est pas la Pape François. J'le sens ronchon, les enfants malades ça le fout en rogne, c'est ça ? On arrive sur le parking de l'hosto en un rien de temps. On sort de la camionnette, brrrr, fait froid. Je tremblotte, me frotte les mains sur les épaules avant que Yann ne me colle un sapin dans les bras. "Gentleman..." Je râle pour moi-même. C'est que ça pèse son poids un petit sapin. J'le vois poser ses fesses contre la carrosserie et se griller une cigarette. "Tu vas quand même pas fumer juste devant des gens qu'ont un cancer du poumon !" Je m'égosille, je voudrais faire des grands moulinets avec mes bras mais j'ai le sapin dans les mains. "Puis, j'sais pas moi, j'me disais que tu viendrais le tirer jusque là-bas avec moi ?" C'est quoi cette demi-livraison ? La porte d'entrée du centre est bien à dix mètres là, j'le traîne comment ton arbre jusqu'au comptoir de l'accueil ?

Toi, un p’tit cœur ? Ouais, quelque part caché dans la forteresse que t’avais construite autour. Système d’auto défense, il parait. On arrête pas de t’dire aussi que tu finiras par baisser les armes le jour où.. le jour où quoi ? Putain, ça faisait 4 ans, t’espérais plus rien en fait. T’avançais comme ça dans la vie et c’était déjà pas mal. Vous arrivez devant le centre des gamins cancéreux et tu t’grilles une clope. Tu vas quand même pas fumer juste devant des gens qu'ont un cancer du poumon ! Tu hausses les épaules devant son air outré. Chacun ses problèmes, Michelle. Ca, c’était méchant. Mais tu regrettes pas, tu t’en fous, ça t’touche pas. Surement que le jour où ça te touchera personnellement, ton discours changera. Mais c’est pas l’cas. Puis, j'sais pas moi, j'me disais que tu viendrais le tirer jusque là-bas avec moi ? Tu lèves les yeux au ciel et frottes ta clope au sol pour l’éteindre. T’es trop gentille Michelle, tu t’feras écraser un jour. Puis tu récupères le sapin et l’fou sur ton épaule avant d’avancer vers le bâtiment. Les portes s’ouvrent et tu laisses la Michelle se présenter et annoncer votre présence ici. Tu souris, un peu faussement. T’aimerais être partout ailleurs sauf ici, t’imagines. Et de bonnes fêtes de fin d’année, hein ! Tu lâches le sapin dans l’entrée, le pose sur sa buche. Il est minuscule, c’est ridicule. Tu retournes à la voiture, une Michelle sur les talons, et rallumes ta clope pour la terminer. Quoi ? Tu t’attendais quand même pas à c’que j’aille faire la bise à tous les gnomes qui sont ici ? dis-tu en laissant un nuage de fumée sortir de tes narines. Ensuite, capitaine ? demandes-tu ironiquement, un sourire las sur le visage.

"Chacun ses problèmes, Michelle." Doit y avoir quelque chose, un coupable pour son cynisme ambulant. Je penche ma tête, les sourcils arqués, la bouche tordue. C'est bon, il me saoûle, je vais le traîner toute seule ce sapin. Hé non ! Il éteint sa clope sous sa pompe dans un soupir en décollant son derrière de la camionnette. "T’es trop gentille Michelle, tu t’feras écraser un jour." Moi j'crois au contraire que c'est à l'aide de mon sourire niais et de ma tête de chien battu que j'arriverai toujours à mes fins. La preuve en est que Yann se courbe et achemine l'arbre à ma place avec un grognement. J'arrive à l'accueil, le réceptionniste nous voit arriver comme des fleurs, il tire une de ces têtes ! Je nous présente, grand sourire, politesse surjouée. Banco, ils le prennent notre sapin ! "Joyeuses fêtes à vous ! Meilleurs voeux de bonheur !" Yann lâche le mini-sapin sur une bûche à l'accueil. Il est décidément pas bien gros notre arbre. C'est pas terrible, plutôt moche même. Mais ma conscience est satisfaite d'être venue à la rescousse de petits enfants. Et d'passer ma soirée à embêter un blondinet au sourire de con. Puis Yann se casse, je le rattrappe, trottinant pour suivre ses longues enjambées. "T'as un train à prendre ou qu-" -"Quoi ? Tu t’attendais quand même pas à c’que j’aille faire la bise à tous les gnomes qui sont ici ?" Il perd pas de temps, sa clope déjà grillée, la fumée qu'il souffle par le nez. Je ris. "Ok, ok, j'ai compris. Toi tu livres les sapins, point." Je cherche dans la poche de mon manteau pour attraper mon paquet aussi. C'est con hein, mais maintenant que j'ai pris l'habitude, j'me sens les mains vides face à un fumeur. Je l'ouvre. Vide. "Je vais devoir passer au tabac..." Je marmonne, surtout pour qu'il me propose plutôt de tirer sur sa clope à lui. J'suis pauvre maintenant que j'ai dépensé tout mon argent dans douze sapins. "Ensuite, capitaine ?" Je sais pas trop, quelles sont les autres âmes en peine dans le coin ? "Des vieux ? On peut faire un petit tour des maisons de retraite." Des heures de fun en perspective. Allez, on remonte dans la camionnette, je boucle ma ceinture. Je suis déjà plus sereine maintenant que je sais que c'est pas un taré du volant. "Tu fais quoi après Noël ? Vendeur de galettes à la frangipane ?"