efrain & jonah

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Qu'est-ce qu'il attendait pour s'en aller ? Bonne question, en effet. Il pourrait s'assurer de sauver sa peau, jouer l'indifférence et s'enfuir sans jeter un œil derrière lui et pourtant. Pourtant il était toujours là, accroupit près du grillage à se demander d'ailleurs pourquoi il ne parvenait pas à le laisser là. Il ne voulait pas songer à l'abandonner, du moins pas ici, pas comme ça. C'est vrai, il lui était arrivé de prier tous les dieux pour qu'il lui arrive une crasse aussi inavouablement douloureuse à traverser que ce qu'il avait pu endurer, il lui avait souhaité bien des malheurs et alors qu'il avait l'occasion de le planter là, tout seul, de partir le premier, il décidait de rester. Par chance, Efrain se bougeait enfin pour passer à son tour de l'autre côté, ce qui lui permettait de l'extirper des pensées qu'il préférait nettement ne pas avoir. Aussitôt sur ses deux pieds, son vis à vis saisissait son bras à la volée et le traînait avec lui dans une course rapide ; c'était déjà préférable à l'idée de passer la nuit et certainement les prochains mois derrière les barreaux. Jonah ferait un piètre prisonnier, c'était une certitude, il se ferait probablement égorgé par son codétenu quarante-huit heure après son incarcération, ça ne faisait aucun doute. Quoi qu'il en soit, ses poumons lui faisaient savoir que ce petit excès d'effort n'était véritablement pas une bonne idée, il avait beau exercer la danse, courir une à deux fois par semaine, le sport restait inenvisageable pour sa santé fragile. Malheureusement, il n'avait pas d'autre choix et devait se résoudre à donner de sa personne pour ne pas ralentir Efrain qui s'était presque sacrifié ce soir pour lui sauver la mise, c'était pas le moment de flancher. Il était fatigué, ses jambes ne tiendraient plus le choc très longtemps et ne parlons pas de son système respiratoire dysfonctionnel qui envoyait des signaux de détresse alarmant, cependant Jonah savait se taire et gardait la difficulté pour lui-même. C'est après avoir couru un long moment, assez pour que ça lui paraisse une éternité et s'être épuisé à rester en vie, que le parc apparaissait tel une issue de secours. Un soupir de soulagement émanait de ses lèvres entrouvertes alors qu'il partait sans le moindre mot se cacher derrière le premier buisson imposant à sa portée ; il ne pouvait de toute façon plus faire un seul pas. Il s'asseyait dans l'herbe, vidant l'intégralité de ses poches pour y trouver son bonheur ; « Merci pour tout à l'heure », sa voix hachurée par le manque d'oxygène ne l'empêchait pas de lui jeter un regard appuyé, du moins jusqu'à ce qu'il ne mette la main sur son inhalateur qu'il portait finalement à sa bouche pour s'envoyer deux bouffées de ventoline qui calmerait sa crise d'asthme inévitable. « Tu crois qu'on les a semé ? ».

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Dans l’urgence, pris aux tripes par une dose d’adrénaline inhabituelle pour un mec aussi posé et confiant que moi, j’ai bien du mal à réaliser qu’il est là. Jonah n’a pas moufté alors qu’il aurait pu prendre la fuite mille fois en me laissant là. Lui en aurais-je voulu si tel avait été le cas ? Pas le moins du monde puisqu’il prend d’énormes risques en ne devançant pas les flics qui ont décidé de faire une descente à cette soirée. Je ne risque pas grand-chose à être attrapé ici, je n’ai pas la moindre substance illicite sur moi, je n’ai probablement même pas dépassé le taux maximal d’alcoolémie autorisé pour prendre le volant… Non, je suis le gentil stéréotype du sportif qui évite ce genre d’excès artificiels et qui préfère conserver les cheat calories pour avaler un bon gros burger avec des tonnes de frites sur un lit de mayonnaise. A chacun ses priorités et ses pêchés mignons. Attendre gentiment les autorités me parait néanmoins impossible, j’ai besoin de savoir Jonah en sécurité. Impossible de le laisser s’échapper tout seul, parce qu’il pourrait lui arriver des tas de merdes sur la route. Non, quitte à prendre des risques, autant les prendre tous les deux, comme avant. Avant… Pas le temps de s’offrir un trip nostalgique, l’heure est à la course, il est trop tard pour regarder en arrière. Je le prends par le bras pour l’obliger à se caler sur mon rythme, je sais que j’y vais très fort, qu’il aura du mal à me suivre mais mollir maintenant, c’est s’assurer de finir derrière les barreaux avant la fin de la nuit. S’il venait à faillir, je n’aurais aucun scrupule à le prendre sur mes épaules comme un sac à patates et à puiser dans mes réserves les plus éloignées, à faire appel à mon mental pour le trainer jusqu’à notre objectif : un parc qui pourra nous abriter le temps que les choses se tassent. Cinq, peut-être dix minutes sont nécessaires, un effort d’une telle intensité me laisserait presque sur le carreau moi aussi, j’ai pourtant l’habitude de courir, de malmener mon palpitant. Je ne peux qu’imaginer l’état de Jonah que je laisse s’asseoir derrière ce buisson pendant que je reprends mon souffle discrètement. « Je vais te trouver quelque chose à boire ! » Il lui faut de l’eau, quelque chose de sucré serait encore mieux. « Attends-moi là, je vais nous trouver un distributeur automatique ! » Il y en a à l’entrée du parc, si je suis assez rapide, j’aurais le temps de faire l’aller-retour avant que les flics ne parviennent aux barrières – closes à cette heure-là – du parc. Avant de vaquer à cette nouvelle mission des plus essentielles, je m’arrête une seconde pour pouvoir m’agenouiller à côté de lui et m’assurer que la Ventoline fasse bien effet. « Je pense qu’ils n’auront pas idée de venir nous chercher là… Il va falloir attendre un petit peu, juste pour en avoir la certitude mais j’pense qu’on est sortis d’affaire. » Je pose ma main contre son poignet pour pouvoir exercer une légère pression sur ses veines, à la recherche de son pouls. « Ca va aller Jonah ? »  

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Son cœur battait vite, trop sûrement. Son sang pulsait à toute allure dans ses artères et ses poumons se tordaient de douleur, lacérant chaque pauvre nerfs fatigués de son corps malade. Il avait mal mais ça l'amusait, la situation n'aurait pas pu être plus satisfaisante qu'elle ne l'était actuellement. L'adrénaline c'était son délire, son truc, son crack, sa coke, son amphétamine – mais le vivre auprès d'une compagnie qu'il n'aurait jamais estimé possible à nouveau, ça lui donnait profondément envie de rire, effet secondaire d'une délicieuse pression qui retombait, certainement. Malgré ça, il n'était pas en état de se taper le fou rire du siècle alors il se contentait simplement de se mordre la lèvre, attentif aux réponses que Efrain lui apportait. Il voulait déjà s'évader de son champ de vision et ça, il n'en était pas question. Alors oui, d'accord, il avait passé deux années entières à l'éviter, à changer de couloir dès qu'il l'apercevait au loin, à essayer d'oublier son nom, son prénom, sa voix, mais là, ce soir, après avoir dû suivre son rythme durant plusieurs longues minutes, il en était persuadé ; il ne voulait pas le voir s'éloigner, pas encore. Ce qu'ils venaient de vivre s'ajouterait à la liste des choses qu'ils avaient déjà vécu ensembles et une fois le soleil levé, il n'en resterait qu'un souvenir, que des poussières, des cendres, comme tous les autres. « Je.. », mais sa voix s'éteignait, impuissante et épuisée. Les yeux rivés sur son visage, il hochait seulement la tête pour montrer qu'il avait saisit le sens de ses mots, ce qui au final était déjà une réussite particulière. Ses iris tombaient sur ses doigts qui prenaient son pouls et voilà que c'était reparti ; ce muscle qui lui servait de cœur n'obéissait qu'à ses propres règles et se mettait ainsi à battre à une allure étouffante. Jonah aurait volontiers éclaté de rire tant il se trouvait sincèrement pathétique, cependant ça n'était ni l'endroit, ni le moment – il attendrait patiemment d'être rentré chez lui en un seul morceau pour se moquer de son propre comportement. Il ne désirait pas qu'il sache combien ses sentiments étaient toujours présents, combien ils avaient du mal à s'effacer alors il se retirait de son emprise en espérant que son pouls n'avaient pas eut le temps de le trahir. « Je suis pas en sucre », rétorquait-il en soupirant avant de finalement relever la tête pour empoigner vivement le col d'Efrain, percutant son regard du sien ; « si tu te fais chopper, compte sur moi pour te le faire payer », c'était sa façon à lui de dire fais attention à toi, ne pars pas trop loin et surtout, oui surtout, reviens vite.

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Je ne m’attendais pas à terminer la nuit de la sorte. J’ai toujours très mauvais goût en matière de soirées de toute manière. Loin de cette baraque, des flics qui espéraient coffrer un maximum de petits étudiants pour consommation et possession de produits illicites et de tout ce qui pourrait nous incriminer, il ne nous reste plus qu’à prendre notre mal en patience pour espérer pouvoir rentrer chez nous et prétendre que nous n’étions pas là en premier lieu. Du temps, c’est tout ce que je demande à partager avec Jonah… Parce qu’il n’y a peut-être que dans ces conditions où il acceptera de rester avec moi plus que quelques minutes, davantage que pour me balancer quelques pics pour mieux prendre la fuite. Fuir n’est pas une option, elle n’en sera une que d’ici vingt, peut-être trente minutes. Suis-je un sacré fils de pute de laisser cette petite voix dans ma tête se féliciter de la situation cocasse dans laquelle nous sommes ? Je n’y peux rien, près de lui, tout est différent. Ce n’est pas d’aujourd’hui, ça ne date pas d’hier non plus… Ca a toujours été le cas, une évidence. Son palpitant revient à des battements plus réguliers avec les minutes et je remercie mes études de médecine qui, pour une fois, me servent concrètement à quelque chose. Il me repousse, évidemment, monsieur n’est pas en sucre et je n’irais jamais contre cette affirmation, Jonah est un sacré bonhomme, un survivant. Il n’a jamais eu besoin de personne pour s’en sortir. Peut-être que s’il avait eu besoin de toi Efrain… Peut-être que les choses auraient été différentes à l’époque. « En sucre ou pas, prends de grandes inspirations et expire lentement pour aider ton cœur à se réguler, okay ? » Je le toise longuement du regard, comme pour y rechercher la promesse qu’il suivra mes conseils le temps que je revienne avec de quoi se désaltérer. Il m’attrape par le col et nous impose une proximité qui n’est pas sans me rappeler nos meilleurs moments. Avant, il ne m’attrapait pas par le col pour me menacer, oh que non, ses désirs étaient tout autres. Tais-toi Efrain, cesse d’y penser. J’acquiesce, et mes émotions me trahissent en laissant naitre un léger sourire surpris… Il tient toujours à moi. « Je compte sur toi ! » Je glisse mes doigts contre les siens, les effleurant pour pouvoir me soustraire à son emprise et me redresser. « Ne bouge pas ! » J’ai peur, peur qu’il en profite pour s’enfuir, peur qu’il m’abandonne… Douce ironie, quand j’ai été le premier à battre en retraite, quelques années plus tôt. Sans perdre une seconde, je m’élance au pas de course. Ce parc, je le fréquente deux fois par semaine au gré de mes séances de cardio, je le connais par cœur, je sais où trouver les fameux distributeurs automatiques. Quelques minutes me sont nécessaires pour récupérer une bouteille d’eau et une canette de coca. Pas le meilleur sucre au monde, mais de quoi l’aider à se remettre de ses émotions quand même. Bientôt arrivé à notre buisson… Le notre… J’ai un mouvement d’hésitation, à l’image de mes pulsations soudainement irrégulières. Pourvu qu’il soit là. Je prends en courage à deux mains et ce putain de sourire de traitre réapparait immédiatement sur mes lèvres lorsque je l’aperçois. « Tiens, prends ça ! » Je lui tends la canette de coca. « Ca rode pas mal à côté du parc. » Je marque une pause et lui tends la main. « Donne moi ce que tu transportais ce soir… Toute cette merde… Si on nous surprend ici, il vaut mieux que ce soit moi qui plonge. » On sait tous les deux que je m’en sortirais, casier judiciaire vierge, jamais le moindre sursaut comportemental, sportif de haut niveau, dossier scolaire impeccable, avenir tout tracé en chirurgie pédiatrique… Le parfait avocat en renfort et rien de tout ceci n’aura d’impact sur ma vie. Difficile d’en dire autant pour Jonah, on sait tous les deux qu’il en paiera le prix fort s’il est arrêté cette nuit avec de la drogue sur lui.

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L'espace d'un brève instant, Jonah semblait avoir oublié ce passé tumultueux, ce présent difficile et tout ce qui constituait cette haine d'acier qu'il éprouvait à l'égard d'Efrain ; il s'inquiétait pour lui, comme il l'aurait été des années en arrière. Il ignorait si ça lui faisait plaisir ou si ça avait le don de l'énerver d'autant plus. Cette vague de colère revenait s'abattre sur son moral instable et d'un automatisme certain, les traits de son visage s'étiraient davantage dans une grimace fermée. « Joue pas au docteur avec moi tu veux, j'en ai déjà un », rétorquait l'étudiant, le ton désagréable. C'était d'ailleurs amusant de voir combien après l'événement, Jonah s'était mit à détester le corps médical et tout ce qui s'y rattachait ; le faire entrer dans un hôpital défiait toutes les lois, c'était l'horreur lorsqu'il avait des examens à faire et c'est à peine si son père se devait de le traîner par les cheveux – un véritable sketch. Quoi qu'il en soit, il lui adressait simplement un signe de tête pour confirmer qu'il ne bougerait pas d'ici, pour aller où de toute façon ? Les flics du coin connaissait bien son visage désormais et il ne faisait aucun doute qu'il se ferait attraper facilement, il avait la tête du gosse qui avait des choses à cacher ; il devait faire avec. Ceci dit, il l'observait s'éloigner, inquiet à l'idée qu'il se fasse prendre par sa faute – disons qu'il culpabiliserait et il n'avait vraiment pas envie d'éprouver ce genre de sentiment envers lui parce que ça voudrait forcément dire que ce qu'il ressentait n'était définitivement pas achevé et il était hors de question qu'il soit mit face aux faits, il préférait nettement se voiler la face, s'il en avait été capable jusque là, pourquoi ne pourrait-il pas continuer sur cette lancée ? Seul dans l'obscurité, un frisson d'effroi parcourait son échine alors pour passer le temps et contrôler un minimum les émotions étouffantes qui le percutaient de plein fouet, il passait ses doigts dans l'herbe humide pour en arracher brusquement les brins, jusqu'à ce que finalement la voix d'Efrain lui apparaisse comme la lumière dont il avait irrémédiablement besoin. « Merci », lançait-il en saisissant la canette, toujours un peu essoufflé. Alors qu'il s’affairait à l'ouvrir, ses dires venaient le secouer pour le plonger dans de profondes pensées. C'est vrai qu'il pourrait s'en sortir mieux que lui mais il n'était pas question qu'il le laisse salir quelque peu son image. Efrain aurait un bel avenir, c'était quelqu'un de bien, il avait les mains propres et pas de casier et ça devait impérativement rester le cas. Jonah savait prendre ses responsabilités, replonger dans ce milieu avait été son choix et si ce soir il s'était mit dans de beaux draps c'était uniquement sa faute et il refusait catégoriquement qu'on plonge pour lui. « Non, ce sont mes conneries t'as pas à prendre à ma place, il est pas question que je te file ma conso »,  rétorquait l'étudiant d'un ton ferme avant de finalement reprendre d'une voix qui se voulait déjà plus agréable ; « c'est gentil hein mais j'ai pas envie de t'être redevable, puis si tu te fais chopper avec ça tu vas prendre cher alors je préfère assumer seul », parce qu'au final c'était mieux ainsi ; Jonah n'avait pas d'avenir tout tracé, juste des rêves qu'il ne verrait certainement jamais se réaliser, il était donc sage de garder ça sûr lui. « D'ailleurs, depuis quand ça te branche ce genre de soirées ? ».

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En sucre ou pas, docteur ou non, je ne peux m’empêcher d’éprouver une forte inquiétude vis-à-vis de l’état de santé de Jonah. A l’époque où nous étions ensemble, il m’a énormément parlé de la maladie qui touche de ses poumons et je n’ai eu de cesse de garder cette putain de saloperie dans un coin de ma tête depuis. Il est mon challenge personnel, loin de savoir que je garde un œil sur les dernières avancées, sur les tests effectués en rapport plus ou moins direct avec les pathologies liées aux poumons. La médecine avance, lentement, beaucoup trop lentement mais elle continue à évoluer dans le bon sens. Peut-être qu’un jour j’aurais l’occasion de trouver la solution à son problème, putain ce que j’aimerais arriver à lui apporter un traitement stable, une chirurgie révolutionnaire pour lui sauver la vie… Je ne me destine peut-être pas à cette spécialité chirurgicale en particulier, étant plutôt intéressé par la chirurgie pédiatrique, mais je n’arrêterais jamais de me renseigner dans l’ombre, prêt à investir autant d’argent et d’énergie qu’il le faudra au service d’une cause que je me refuse à envisager perdue d’avance. Jonah, il ignore tout de mes recherches, et c’est tant mieux. Je préférerais m’étouffer avec ma propre fierté plutôt que de le lui admettre. J’ai beaucoup trop peur d’admettre ma défaite, aussi momentanée soit-elle. « Tais-toi et écoute moi, bon sang ! » Je serre les dents et me montre plus incisif. Aucun concours de celui qui pisse le plus loin ou de celui qui a la plus grosse bite entre les cuisses – on connait déjà tous les deux la réponse à cette question, de toute manière – la seule chose qui importe, c’est qu’il fasse le nécessaire pour reprendre son souffle et ne pas risquer une crise d’angoisse. Je fonce tête baissée, pas le moins du monde inquiet à l’idée d’être interpelé en route et parvient à revenir sans être grillé par les policiers errant non loin d’ici. Nous serons en sécurité, la soirée devrait bien se terminer. Il attrape la canette de coca que je lui tends et j’en profite pour taper généreusement dans la bouteille d’eau fraiche que j’ai entre les doigts. Ça fait un bien fou. Jonah refuse ma proposition, il ne veut pas m’être redevable, et encore moins prendre le risque que j’ai des ennuis. De telles remarques font s’étirer mes lèvres bien malgré moi en un sourire touché. Il aura beau dire tout ce qu’il veut, il tient encore à moi lui aussi… On ne peut juste pas aller contre certaines choses, peu importe les efforts fournis et la volonté de fer qu’il y a derrière. « Faisons en sorte de ne pas avoir à envisager un tel scénario, ce sera encore mieux… Pour nous deux. » Personne ne devrait finir au poste de police, pas ce soir en tout cas. J’aimerais lui faire la morale, lui souffler dans les bronches parce qu’il a repris des mauvaises habitudes que j’étais majoritairement parvenu à lui faire oublier mais bon… Suis-je réellement en position de le faire ? Pas vraiment. « Depuis… Non… A vrai dire j’avais besoin de faire quelque chose de plus fou que d’habitude, je sors de mes examens, je viens de terminer mon stage… Bref, j’avais besoin de souffler. » Et Dieu sait s’il est rare que je ressente un trop plein, moi qui en demande toujours plus, qui aime aller plus loin quitte à me noyer dans le travail. Mon corps a dit stop et j’ai su l’écouter, pour une fois. « Depuis quand as-tu retrouvé… Tes vieilles habitudes ? » Je demande timidement, conscient qu’il risque de m’envoyer sur les roses.    

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Jonah avait toujours particulièrement détesté le mettre en colère ou le contrarier, c'était un fait, alors lorsqu'il l'avait entendu utiliser un ton aussi ferme, il n'avait plus rien dit, c'était mieux ainsi. Même cette voix là, celle qui lui rappelait pourtant les conflits qu'ils avaient pu avoir, lui faisait se souvenir qu'ils n'avaient pas été si mauvais que ça si on prenait en considération les douces et brûlantes réconciliations qui les succédait. Un brève soupir passait la barrière de ses lèvres, nostalgique de cette période de sa vie durant laquelle il pouvait affirmer qu'il était heureux, qu'il parvenait enfin à toucher le bonheur, à le frôler, l'effleurer, le charmer. Désormais, tout ça n'était plus que derrière eux et tout ce qu'il tirait de cette relation c'était cette canette de coca, caché derrière un buisson parce qu'ils s'étaient retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Jonah hochait positivement la tête ; en effet, il serait préférable d'éviter de se faire prendre, il n'avait pas la moindre envie de causer des ennuis à Efrain ni moins encore d'avoir à justifier le contenu de ses poches auprès de ses parents furieux et d'un avocat qui lui, serait assurément désespéré d'être toujours appelé pour les mêmes raisons. Il restait silencieux et buvait quelques gorgées de ce nectar sucré, restant tout de même attentif aux dires de son vis à vis. « Pour faire quelque chose de fou, tu t'es pas raté », il aurait voulu se montrer moqueur et presque mauvais, seulement s'il n'avait pas été là, il se serait sûrement déjà fait attraper alors il se contentait juste d'être froid, se montrer distant était impératif pour le bon fonctionnement de ce cœur qui faisait des siennes. « Toi qui voulais souffler, je crois que tu peux faire une croix dessus », rajoutait-il en abaissant le regard sur sa canette, chassant doucement les pensées qui souhaitaient s'immiscer dans son esprit pour l'accabler d'un amas de souvenirs et c'était vraiment pas le moment. Sa question avait au moins eu l'effet de balayer tout ça en un temps record ; le mensonge il ne l'utilisait jamais, il le détestait, lui qui brisait bien trop de monde sur terre et il savait que ce soir, même s'il aurait adoré mentir, il en était incapable. «  Allez, arrête ça, fais pas comme si c'était ton problème », soufflait-il sèchement, toujours sur la défensive, parce qu'il avait évidemment touché la corde sensible. Jonah posait sa boisson près de lui alors qu'il laissait son dos rencontrer l'herbe, les yeux rivés sur la voie lactée et après un soupir, il osait confier ; « Plusieurs mois, cinq, six peut-être ?  Depuis que j'ai commencé à me sentir très seul finalement », concluait l'étudiant, la vérité s'était éteinte sur sa bouche et il ne pourrait jamais plus effacer les paroles qu'il venait d'exposer dans ce silence nocturne. « Quitte à rester coincer là tous les deux, autant parler d'un truc sympa, alors si t'as une proposition je t'écoute docteur », et voilà comment en un claquement de doigts, son ton inévitablement désagréable faisait de nouveau surface.

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Je hausse le ton, m’impose comme j’étais si bien habitué à le faire quelques années en arrière. Je n’ai jamais été l’un de ces petits-amis castrateurs, qui ont besoin d’avoir le dernier mot en permanence. J’espère ne jamais m’être montré toxique ou envahissant en forçant à quoique ce soit, en revanche, pour ceux que j’aime, j’ai tendance à montrer les crocs assez facilement et à faire le nécessaire pour que ma voix soit entendue. Nous savons tous les deux que j’agis pour son propre bien, parce qu’il doit faire attention à lui et que son rythme de vie n’aide en rien son état de santé à s’améliorer. Au contraire, je ne serais pas surpris d’apprendre que toutes ces merdes qu’il refourgue et consomme ne font qu’empirer les effets les plus nocifs de sa maladie. Pas besoin d’être un médecin pour le savoir, pas besoin d’être le mec qu’il déteste le plus au monde pour avoir préféré la médecine à sa relation de couple… Jonah, je le connais pas cœur, il doit mourir d’envie de surenchérir, de me contredire et de m’envoyer sur les roses sauf que… Sauf qu’il sait au fond de lui que j’ai raison. Jonah, il est parfois très enfantin dans ses réactions, mais il a le mérite de ne jamais s’entêter à défendre une opinion qu’il sait bancale. Il est formidablement intelligent… Si seulement il utilisait ses facilités et sa culture pour s’élever. Il a un potentiel fou et frustrant pour les gars comme moi qui sont obligés de se déchirer pour obtenir des résultats satisfaisants. Mes yeux s’arrêtent bien trop longtemps sur son visage alors que mes pensées ne cessent de me faire divaguer, Jonah, pour toujours et à jamais complexe. N’est-ce pas ce qui t’as fait craquer en premier lieu, Efrain ? Il attrape cette canette de coca que je viens de lui rapporter de mon escapade dans le parc et ne se fait pas prier pour en avaler le contenu, il trouve le temps de me questionner sur les raisons de ma présence à une telle soirée. Lui aussi, il me connait sur le bout des doigts… Il sait que j’évite généralement de me rendre à ce style de fêtes bien trop destroy à mon goût. « J’aurais le loisir de souffler à outrance quand je serais mort… Le répit c’est so’ 2017… » Je relativise sur mon besoin d’oxygénation, cette folle parenthèse aura au moins le mérite de me changer les idées et de me faire voir autre chose. Je n’ai pas l’habitude d’être confronté à de l’adrénaline sous cette forme, la sensation que cela me procure est étrangement plaisante. Le danger a quelque chose d’attirant, je le reconnais. Ma question me met dans une sale position, je m’y attendais et je mérite entièrement la tempête qu’il pourrait choisir de faire s’abattre sur mes épaules avec la froideur qu’il maitrise à la perfection. J’ai beaucoup de mal à rester de marbre face à sa neutralité, ce désintérêt qu’il m’impose à chaque fois qu’il prend la parole. Le Jonah que j’ai laissé sur le bord de la route me manque et j’en suis l’unique fautif. « Je le mérite… » Je reconnais en serrant les dents, fuyant son regard pour aller chercher une sorte de sécurité là, à même le sol. J’aurais peut-être préféré qu’il se contente de m’envoyer sur les roses finalement… Ses confidences font se serrer mon cœur dans ma poitrine, sa souffrance me touche toujours autant… Je ne sais quoi répondre à tout cela et opte pour un silence de mort qui m’exposera surement moins à sa torpeur que si j’opte pour une réaction quelconque. Le silence ne me protège finalement pas puisqu’il m’assaille à nouveau. La lame que constitue ses paroles est affutée et ses entailles de plus en plus précises. « Je ne sais pas… » Je me laisse glisser en arrière pour pouvoir m’allonger dans l’herbe à mon tour. Elle est humide, mais cette fraicheur a le mérite de m’apaiser. « Punis-moi… Frappe-moi… Hurle moi dessus… Fais ce qui te semblera le plus justifié pour exorciser ta colère. » J’incline légèrement la tête pour pouvoir le toiser du regard, à la recherche d’une quelconque réaction. « Tout ce que je voulais, c’est que tu aies une chance d’être heureux avec quelqu’un qui ne te négligerais pas comme je l’aurais fait. » Et pourtant Dieu seul sait à quel point je l’aimais… A en crever. Une partie de mon être est morte avec notre relation ce jour-là.     

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Plus aucun mot ne sortait de sa bouche, terré dans un silence qui lui appartenait, emprisonné dans ses songes qui au gré de leurs flots, l'emmenait vers de vagues horizons. Il avait du mal à gérer ses excès de colère alors il préférait rester muet et causer le moins de dégâts possible. Il était en colère, il lui en voulait terriblement, mais avant d'être remonté contre Efrain, il était d'abord furieux contre lui-même ; il aurait voulu pouvoir être assez, assez pour qu'il le retienne et dans une étreinte, qu'il lui dise de ne finalement pas s'en aller. Cependant il s'en voulait aussi de ne pas avoir insisté, de ne pas l'avoir assez rassuré quant au fait qu'il était heureux à ses côtés – au final, cette situation n'était pas seulement la conséquence des actes de son vis à vis, lui aussi avait sa part de responsabilité et le plus difficile c'était probablement de se dire qu'ils auraient pu faire quelque chose pour sauver leur histoire, mais ils n'ont rien fait et aujourd'hui c'est les miettes de leurs cœurs qu'on ramasse à la petite cuillère. Jonah ne s'attendait pas à ce qu'il réponde, c'était de toute façon mieux comme ça. Seulement sa voix s'élevait, rompant ce silence dans lequel il commençait presque à se complaire. Il faisait de son mieux pour rester impassible, les iris rivés sur les étoiles alors que ses doigts resserraient leur emprise sur l'herbe humide. Il voulait seulement que ça s'arrête, ne plus entendre ce fichu muscle battre si fort qu'il faisait écho dans sa tête. Il en avait assez d'être à la merci d'un sentiment, d'une émotion, du regard d'une seule et même personne. « Stop, tais-toi », soufflait-il, ne pouvant plus supporter l'impact de ses mots sur ce cœur qui ne demandait qu'à être guéri. « Je me fichais d'être avec quelqu'un me négligerait pas, t'étais la seule personne capable de me rendre heureux et tant pis si on se voyait moins, si t'étais occupé, au moins t'étais là », il lui fallait reprendre sa respiration parce que rester calme en balançant de telles phrases, ça relevait d'un véritable défi ; « tu peux pas quitter quelqu'un et lui demander d'être heureux avec une autre personne quand la seule personne dont il ait besoin, c'est toi », avait-il dit en tournant la tête dans sa direction pour l'observer un instant - « j'aurai préféré que tu me regardes dans les yeux et que tu me dises bon, Jo, mes études sont importantes, j'ai pas envie de foirer mon semestre alors tu vas passer au second plan un moment, je suis désolé mais je me rattraperais plus tard, tu vois, là je t'aurai dis que c'était rien, que je pouvais comprendre et je serai rester », mais ça n'était pas ce qu'il s'était passer et il était malheureusement impossible de réécrire le passé - « Tu vois, tu m'as quitté pour rien finalement, parce que j'ai jamais été avec qui que ce soit d'autre depuis », juste quelques conquêtes, pas d'attache, surtout pas ; il ne voulait plus reproduire les mêmes fautes.

efrain & jonah

the night we met

Je n’arrive plus à être en paix avec tous ces événements. Je n’ai jamais tenté de remettre de l’ordre à nos histoires, le fait qu’il me déteste me paraissait être le moyen le plus efficace pour ne pas éprouver le moindre regret, ne plus me questionner sur notre histoire et ce qui aurait pu se passer ou non si nous étions restés ensemble. La vérité, c’est que j’ai préféré jouer l’autruche et me plonger à corps perdu dans mes études plutôt que de prendre le moindre risque en me retournant pour établir un premier état des lieux de tous les sacrifices commis au nom de ma réussite scolaire. J’ai réussi à vivre avec tout ceci, suffisamment nostalgique pour tirer des leçons de mes erreurs mais jamais enclin à revenir sur tous ces bons souvenirs pour ne pas en récolter la souffrance et la solitude qu’il me reste à présent pour combler le silence et le vide laissé par son départ. Ne pas croiser Jonah depuis notre séparation, c’est probablement ce qui m’a le plus permis de tenir le coup. Loin des yeux loin du cœur, près des yeux et tout devient soudainement plus compliqué. Toute cette colère que je perçois dans ses yeux, la confiance qui ne semble plus exister, la haine… Je ne sais pas dans quel monde je pensais évoluer, mais il s’agissait probablement d’un Disney, là où même les histoires les plus horribles se terminent bien. Ici, c’est loin d’être le cas. Puis-je lui en vouloir de nourrir une rancœur indéfinie à mon égard ? Oh que non, j’ai mérité chacune de ses réactions les plus virulentes, j’en mérite bien plus encore. Suis-je néanmoins autorisé à en souffrir et à vouloir trouver une solution alternative pour combler toute cette peine ? Définitivement que oui. Alors j’hésite, le silence installé pendant de trop longues secondes me donne la force nécessaire pour oser mettre un grand coup de pied dans la fourmilière. Je prends mon courage à deux mains et je parle, lettre après lettre, syllabe après syllabe, mot après mot… Je ne le laisse pas m’interrompre, il ne parvient pas à me faire dévier de ma trajectoire malgré toutes ses tentatives. Il doit l’entendre, il doit m’écouter, qu’il le veuille ou non. « Je ne pouvais pas te faire ça ! » Avec le recul, de nombreuses décisions auraient été prises différemment, mais à l’époque je ne disposais pas des éléments dont je dispose maintenant, de l’expérience et de toutes ces choses que j’ai pu comprendre en traçant ma route comme je l’ai fait. « Je t’ai aimé de tout mon cœur, de toute mon âme… Je n’aurais jamais pu me regarder en face en te remisant au second plan, parce qu’il était inconcevable pour moi de ne pas te chérir quotidiennement, de ne pas t’avoir près de moi à chaque instant pour partager mes doutes, mes peines et mes joies… » J’envoie lourdement valser ma pudeur dans le décor et ose effectuer un pas en avant, lui qui n’a jamais entendu le moindre de ces mots sortir de ma bouche. Je ne lui ai jamais dit que je l’aimais, beaucoup trop timide pour avouer ce genre de choses… Pour donner un tel symbolisme à tout ce qui faisait battre ce putain de cœur à l’agonie. « Je ne me rendais pas compte… J’aurais aimé avoir le recul nécessaire, me rendre compte qu’il n’était question que d’une année, d’un cap difficile à traverser avec une lumière au bout du tunnel… Mais j’ai paniqué, j’ai laissé mes angoisses prendre le dessus et j’ai pris ce qui me semblait être la décision la plus sage pour nous deux. » J’ai mal au cœur de l’admettre, mais putain ce qu’il me manque.