La vie de Freya, déjà, elle était mal partie. C’était pas une enfant désirée. Ses parents, c’était deux ados qui trainaient les rues, qui vivaient dans les quartiers retranchés de Malmö. Pourtant Malmö, c’est une ville assez touristique, assez réputée en Suède. Mais c’est comme Paris, c’est comme New-York, c’est comme toutes les grandes villes. Y’a les suburbs, la face cachée, les rues peu fréquentables, les quartiers mal famés. Freya, elle vient de là. De l’union irresponsables de deux ados fauchés et rebelles qui n’avaient pas les moyens d’avorter. Alors elle est née, mais a très vite été délaissée.




Heureusement pour elle que sa grand-mère était là. Une vieille dame avec beaucoup de valeurs, de respect, d’amour à revendre. L’amour que la mère de la blonde n’a jamais accepté, n’a jamais voulu. Trop fière, trop indépendante, trop stupide surtout. Alors c’est sa grand-mère, sa ‘mommo’ comme elle l’appelait en suédois, qui l’a élevée. Et elle l’a fait grandir avec de beaux idéaux qui étaient voués à être brisés. Elle passait son temps dans les bouquins, les romans à l’eau de rose qui lui vendaient de belles histoires d’amour à la Disney, une fille paumée qui rencontre un beau prince et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Freya, c’est comme ça qu’elle imaginait sa vie. Elle avait les capacités et la volonté pour être une enfant brillante.
Mais parfois, dans les contes de fées, le crapaud censé se transformer en prince charmant ne se transforme pas. Il reste un sale crapaud dont on n’arrive pas à se débarrasser.




Freya, elle a fini par rencontrer son crapaud. Ah, elle l’aimait. Putain ce qu’elle l’aimait. Mais l’amour rend aveugle. Freya, elle se retrouve bien vite enfermée, emprisonnée dans une relation toxique. Il est possessif, il la tient en laisse, il est parano et un peu psychopathe sur les bords. Ouais, non, il est totalement barjo en fait. Mais il l’aime, sa blonde. C’est sa raison de vivre. Sans elle, sans son regard, il n’est rien. Mais ça en devient flippant. Étouffant. Freya, elle est trop influençable, elle est trop naïve. Alors elle se laisse embarquer dans ses magouilles, dans ses combines. Elle le couvre face aux flics, elle lui invente des alibis pour ses crimes. Jusqu’à ce qu’elle devienne complice. Elle l’assiste, elle l’aide dans ses petits cambriolages. C’est une relation à la Bonnie et Clyde, mais Freya, elle a le chic pour idéaliser ce genre d’amour maudit et malsain. Et une chose en entraine une autre, et elle se retrouve dans la banque de Malmö, pour un braquage armé. Elle, elle touche pas aux flingues, c’est le cerveau, c’est la couverture. Mais son crapaud, il n’est pas comme ça. Il est un peu trop paniqué, un peu trop impulsif. Un peu trop taré. Et il tire. Pan. Une seule fois. Mais c’est tout ce qu’il fallait pour massacrer ce pauvre témoin qui n’a rien demandé. Et Freya, elle crie, elle hurle de toutes ses forces, mais il la prend dans ses bras, il lui dit que c’est pas grave, que tout va bien se passer. Et il l’entraine dehors, ils s’enfuient. Mais la blonde, elle reste tétanisée. Elle le regarde plus comme avant, elle a enfin ouvert les yeux. Et elle le quitte. Mais lui n’a pas dit son dernier mot. Oh ça non. Lui, il ne la laisse pas partir. Elle est sienne, pour le meilleur et pour le pire. Et surtout pour le pire. C’est la descente aux Enfers, c’est la chute brutale du haut d’un bel immeuble. Il est abusif, il refuse de la laisser vivre sa vie. Il menace de se tuer si elle le quitte. Et parfois, c’est elle qu’il menace de tuer. Tantôt lui, tantôt elle, selon ses humeurs, selon ses envies. C’est une putain de girouette et Freya, elle a peur. Alors elle se tait. Il ne l’emmène plus dans ses plains foireux, il a peur qu’elle gâche tout. C’est déjà ça de gagné. Et elle reste là, dans une ville maudite, avec des parents qui ne l’aiment pas et ne l’ont jamais aimée, avec un petit-ami qui devrait être derrière des barreaux et qui lui laisse des bleus sur le corps de l’attraper trop fort.




Jusqu’à ce que sa mommo s’efface. Elle est là quand elle s’en va, elle est sur son lit de mort. Elle est triste, elle se rend compte qu’elle n’a jamais fait preuve de reconnaissance. Qu’elle ne lui a jamais dit merci. Que depuis qu’elle a rencontré son méchant crapaud, elle a tout effacé, tout oublié du reste de sa pauvre vie. Et sa grand-mère utilise ses derniers souffles pour faire basculer son avenir. Elle lui laisse un gros héritage. Pas de quoi en faire une riche, non, Freya, elle part de trop loin. Mais assez pour vivre confortablement. Et elle lui fait promettre d’utiliser cet argent pour faire une grande école. Faire de belles études, se donner une chance d’avoir un futur qui vaut la peine d’être vécu. Ne pas finir comme ses parents. La voilà, la faille qu’elle attendait. Son échappatoire.




Elle va faire une grande école. Quelle grande école? Harvard. Quoi de mieux qu’Harvard? Ça, ça rendrait sa mommo fière. Elle le sait. Elle saute dans un avion pour Boston, elle se dit que son taré de copain ne la suivrait pas, de toute façon, il n’en aurait pas les moyens. Elle espère, du moins. Elle change son prénom aussi, elle adopte son second prénom, qui sonne plus anglais. Freya devient Skye. Et elle s’installe dans une petite piaule tout en haut d’un immeuble à Cambridge. Pour l’instant, elle ne peut pas encore rentrer à Harvard. Ça a toujours été une tête mine de rien. Alors elle va étudier pour passer les examens nécessaires pour tenter d’y accéder à la prochaine rentrée, en septembre.




En attendant, Skye, elle reste à Cambridge. Elle a réussi à décrocher un contrat au Nirvana. Elle danse, elle s’est construite une carapace, une image de séductrice, telle une charmeuse de serpents. Elle a une belle gueule aussi, donc parfois elle pose pour des photographes amateurs. Ça lui rapporte pas beaucoup, mais c’est déjà ça de pris. Et puis elle est présente sur le web aussi. Elle traine sur les sites de plan cam à la con. Elle reste anonyme par contre, parce qu’autant que la danse, elle l’assume, mais pas sa présence en ligne sur ce genre de trucs dégradants. Mais elle se dit que c’est de l’argent facile, que son identité reste cachée et que ça fait gonfler les fins de mois.




Le truc c’est que Skye, c’est une fille totalement paradoxale. Elle a grandi dans les désillusions, elle s’est forgé une armure de métal pour ne plus se laisser atteindre, mais en réalité, dans le fond, elle reste cette même petite fille qui rêvait au prince charmant et à son conte de fées. Cette petite fille désespérément en manque d’attention, d’affection. Cette affection qu’elle n’a jamais eu.