Je suis gentil, j’te réveille en douceur. Ouais, j’aurais pu allumer la lumière, te sauter dessus, parler à voix haute, j’en sais rien quoi mais pleins de trucs où tu m’aurais tué. Et comme j’savais déjà que t’allais me tuer par la suite, j’préférais épargner le réveil. Tu bougonnes — ouais, je sais, il est tôt. 7h30, c’est pas ton heure habituelle. Mais comme promis tu m’acceptes, tu m’ouvres même les bras en guise d’invitation et j’esquisse un petit sourire discret malgré moi. Je retire mes chaussures et me faufile sous la couette, t’attirant contre moi pour t’offrir un câlin de retrouvailles. « Désolé de te réveiller, j’suis venu direct de l’hôpital… » En réalité, c’était plus une phrase dite comme ça histoire de briser le silence, histoire de dire quelque chose. Parce que j’savais pas comment lancer tout ça, tout ce qui avait besoin d’être dit.

J’ai à nouveau les yeux clos et je pourrais très facilement me rendormir. Heureusement, tu sais comment me garder éveiller et il suffit que je sente la chaleur de ton corps contre le miens pour esquisser un sourire, mes bras posés sur les tiens. « Désolé de te réveiller, j’suis venu direct de l’hôpital… » Je secoue négativement la tête pour te signifier qu’il n’y a pas de soucis et te serre un peu plus contre moi, mon corps se blottissant au maximum contre le tient. Je n’ai pas encore le cerveau très bien éveillé et ne cherche donc pas à démarrer la discussion. Pourtant, je sais qu’on devra bien aborder les sujets importants d’un moment à l’autre, t’es pas venu pour faire la sieste. « On risque de s’engueuler? Parce que si oui, je préférerais qu’on baise d’abord. » dis-je de ma voix enrouée, un sourire stupide scotché aux lèvres.

Je viens donc m'allonger tout contre toi, passant un bras sous ta tête et l'autre par-dessus toi histoire que tu te cales confortablement contre moi. J'ai l'impression que y'a tout un monde entre toi et moi là, t'es encore loin, plongée dans tes songes alors que moi j'suis bien trop réveillé et alerte. Je pince les lèvres à ta remarque, retenant un petit sourire malgré moi. C'est tout toi, ça. Nous. Soit on s'engueule, soit on baise. A croire qu'on sait pas faire sans l'un ou l'autre. Je secoue doucement la tête. "J'suis pas trop d'humeur bébé..." J'ai vraiment pas la tête à ça. J'suis stressé, j'ai l'estomac noué et j'appréhende. Pour Cléo, pour notre discussion, pour le retour à la réalité après mes jours de paradis dans le sud, à la maison. J'me suis pas encore réajusté à tout ça. J'préfère qu'on s'engueule direct et qu'on en finisse avec tous ces états-d'âme, tous ces secrets et ces mensonges à deux balles. Jouer cartes sur table, pour une fois. Arrêter de prétendre. Laisser tomber les masques.

Un léger silence plane, un silence bourré de non-dit et de sentiment dont on n’a pas l’habitude tous les deux. "J'suis pas trop d'humeur bébé..." L’heure est grave si tu refuses même de me baiser. Alors j’inspire un grand coup et me tortille pour prendre une gomme dans mon premier tiroir de table de chevet –j’voudrais pas te tuer avec mon haleine du matin. Je me retourne ensuite, toujours dans tes bras, pour te faire face. J’suis complètement éveillé maintenant et, même si ma voix est toujours rocailleuse, j’suis prête à t’écouter. « Qu’est-ce qui s’passe bae..? » J’suis inquiète, c’est vrai. J’ai pas l’habitude de te voir comme ça.

Non, j'suis pas dans le mood pour ça. J'ai trop de trucs en tête. Alors ouais, ça serait sûrement ce que tu me conseillerais : une bonne baise pour me vider la tête. Mais j'en ai pas envie. Aussi surprenant que ça puisse te sembler. Tu te retournes finalement pour me faire face et me poses la question fatale. Qu'est-ce qu'il se passe? Tellement de choses. "Tu sais déjà tout... J'suis là parce que t'as dit que tu voulais parler de mon texto à mon retour donc je t'écoute." C'était quoi tout ça? C'était pas toi qui devait me poser des questions sur ce que j'avais pu dire ou ne pas dire? J'étais sûr que t'en avais quarante mille en tête. Mais un "qu'est-ce qu'il se passe?", non Serah, j'pouvais pas répondre à ça. Je savais pas le faire. C'était bien trop général pour que j'ai une réponse passablement crédible à te donner. A toi à voir les sujets que t'allais aborder ou non...

"Tu sais déjà tout... J'suis là parce que t'as dit que tu voulais parler de mon texto à mon retour donc je t'écoute." C’est pas totalement faux, mais c’est pas non plus totalement vrai. C’est toi qui m’a dit que tu passerais ce matin parce qu’on devait parler. Et pour moi, ça sous-entendait que t’avais un truc un peu plus précis en tête. Que tu devais me parler de quelque chose et pas simplement que tu me rendais service en venant me voir pour qu’on discute. Mais soit, si je dois te tirer les vers du nez, je le ferai. La question, c’était par quoi commencer? « Depuis quand t’écoute c’que les gens racontent? Depuis quand l’avis de tout un chacun importe quand il est question de la façon dont tu décides de vivre ta vie? » Je fais référence à ce que tu m’as dit par sms, que tout le monde te disait apparemment qu’à ton âge, il serait temps que tu penses à te poser et patati et patata. Personnellement, je crois qu’il vaut mieux que tu profites de ta jeunesse parce que c’est pas à cinquante ans que ce sera une bonne idée de plaquer ta femme et tes enfants pour te trouver une minette qui fait la moitié de ton âge avec qui tu pourras fêter comme si t’étais à nouveau à l’université et laquelle tu baladeras dans ta nouvelle décapotable qui va parfaitement avec tes chemises hawaïennes déboutonnées jusqu’au milieu du torse. Je frisonne à y penser, revoyant trop de vieux en Californie qui traverse cette phase.

C'est pas à moi de parler. Je l'ai déjà suffisamment fait par texto avant mon départ. J'ai amorcé la conversation, qu'on a ignoré pendant dix jours, mais là, c'est le moment. J'veux plus reculer devant cette discussion à la con, parce que j'ai peur que ça crée un fossé entre nous au fil du temps si les mots restent non-dits. Alors j't'invite à parler, à me poser les questions qui te brûlent les lèvres. Et oui, on va sûrement s'engueuler, peut-être se foutre sur la gueule, mais c'est nécessaire si on veut avancer. « Depuis quand t’écoute c’que les gens racontent? Depuis quand l’avis de tout un chacun importe quand il est question de la façon dont tu décides de vivre ta vie? » Je me redresse sur un coude, comme si j'me préparais un peu mieux à répondre à tes questions. "Depuis toujours." Elle était là, la triste vérité. "J'ai toujours vécu en fonction des autres, Serah, c'est pas nouveau." J'veux qu'on m'apprécie, qu'on dise que j'suis un bon gars. C'est pour ça que j'me bats contre les rumeurs. Parce qu'on me voit souvent comme celui que je ne suis pas, comme un connard de première qui baise toutes celles qui passent et qui est un peu trop égoïste et vain. Mais c'est pas moi ça. Certes, mes proches le savent. Mais ça me suffit pas. Parce que ouais, j'accorde trop d'importance aux regards extérieurs, même si j'en ai pas l'air. Pourquoi j'me suis jamais posé de question sur mon avenir jusqu'à maintenant? Parce qu'il était tout tracé par mon père. Va à Harvard en relations internationales, reprends le business. Et c'était ce qu'on voulait de moi, alors me voilà. Sauf que le crash a eu le don de remettre les choses en perspective et j'ai eu assez de cran pour m'affirmer. Mais sans le crash? Ouais, j'serais toujours à la merci de mon paternel.

"Depuis toujours" Je fronce les sourcils. Je savais que l’opinion de tes proches était importante… mais celle de tout le monde? Je n’savais pas, honnêtement pas. "J'ai toujours vécu en fonction des autres, Serah, c'est pas nouveau." J’hoche lentement la tête en t’observant. Bien que je te connaisse déjà depuis un moment, chaque fois que j’apprends quelque chose de nouveau à ton sujet Elliot j’ai l’impression de me découvrir un peu plus moi-même en toi. On est tellement pareil, ça fait presque peur. « Alors comment tu comptes tenir tête à ton père pour son entreprise? ....me dis pas que tu vas le laisser t’obliger à quoi que ce soit encore et encore bébé? » Oui parce qu’en fait, ça m’inquiète de te savoir aussi mal. Certes, je n’suis pas bien placé pour parler, si je suis ici, c’est uniquement pour faire plaisir à Edward Bushnell. Mais ça n’empêche pas qu’au moins, il ne me force pas à reprendre l’affaire familiale, on serait bien dans la merde.