1er avril 2010
Cher reste de ma vie,

18 ans déjà.
Aujourd’hui est le premier jour du reste de ma vie, comme indiqué plus haut. Mais que vais-je faire de ce temps qui m’est imparti ? Commencer un stupide journal ? Raconter ma vie comme une gamine narcissique ? Toi, cher lecteur, tu penses sérieusement que ma vie est palpitante au point que je te la raconte ? Désolée de te décevoir, mais non. Ma vie est tout ce qu’il y a de plus banal. Merdique, même. Si mes parents lisaient ces mots, ils ne me reconnaîtraient pas. Moi, la gentille fille toute sage, polie, timide, réservée et dans son coin. Et bien j’ai l’occasion de me lâcher et je ne vais pas me gêner ! Accroche ta ceinture et mets ton casque car ce que tu t’apprêtes à lire restera à jamais gravé dans ta mémoire.

Je m’appelle Olivia Amélia Scott. C’est la première et la dernière fois que j’écrirai mon nom en entier. Pourquoi ? Tout simplement parce que je hais mon prénom. Olivia, beurk ! Je vais donc rectifier cela : je m’appelle Liv A. Scott et j’ai 18 ans. Je vis le jour le 1er avril 1992 à Vernon, petite ville de la Colombie-Britannique. C’est quoi, la Colombie-Britannique ? Ouvre donc un Atlas, petit malin ! Bon, je vais être sympa pour cette fois. Pour résumer, je suis Canadienne et je suis née à environ cinq heures de voiture de Vancouver. Tu te situes ? Parfait. Ne va surtout pas croire que j’ai vécu de grandes et belles aventures là-bas, bien au contraire ! Cette ville est petite, banale (un peu comme moi) mais ses habitants sont vraiment chaleureux, accueillants et gentils. Pour couronner le tout, je ne vivais même pas dans la ville même de Vernon mais un peu plus loin, au bord du lac Kalamalka. Le quartier où j’habitais était cossu et les maisons magnifiques. Je passais mes étés au bord du lac à faire du kayak avec mes amis ou tout simplement à nager et bronzer comme n’importe quel enfant ou adolescent. L’hiver était moins drôle, par contre. Nous passions de longues heures près de la cheminée à discuter, jouer ou lire. Une saison bien calme que je n’aimais pas particulièrement. Mais laisse-moi te présenter ma famille.

Mes parents sont des gens simples, malgré leur statut social. Ma mère est infirmière-cheffe des services de pédiatrie au Vernon Jubilee Hospital et mon père médecin-chef du service d’oncologie adulte. Je ne vous ai pas dit qu’ils étaient de grosses têtes ? Oops, désolée ! Passons. J’ai un frère jumeau, Nathanaël (ou Nathan, ou Nate) avec lequel je partage tout. Mais absolument tout. Depuis que nous sommes sortis du ventre de notre mère, nous sommes inséparables. Et même quand nous étions bien au chaud dans son petit bidon. Nous aurions voulu avoir un petit frère ou une petite sœur mais mes parents estimaient que deux enfants, c’était bien assez. Vu leur métier respectif, ils préférèrent s’arrêter à deux enfants. Et je leur en remercie aujourd’hui !

Revenons à un petit détail. Mon prénom entier que je déteste. Pourquoi ? Olivia, c’est le nom d’une pétasse que mon frère a aimé. Et cette garce a tout fait pour m’évincer. Elle a réussi à monter Nate contre moi et nous sommes même arrivés à un point où nous nous détestions. Quand enfin il a ouvert les yeux (je n’étais pas la seule à lui rabâchait qu’il était aveugle), il l’a dégagée vite fait et tout est plus ou moins redevenu comme avant. Donc ne m’appelez pas Olivia, à moins que vous ne vouliez vous recevoir un pain en pleine face. Donc moi, c’est Liv, Amélia étant le prénom de ma défunte grand-mère maternelle. Mais ne nous perdons pas en détails inutiles.

Après cette sommaire présentation de mon environnement et de ma famille, on va rentrer dans le vif du sujet. Dans quatre mois, je partirai loin de mon Canada natal. Loin de Vernon et de son lac. Dans quatre mois, les portes de la prestigieuse université d’Harvard s’ouvriront à moi. Et vive la liberté !

1er avril 2012
Cher reste de ma vie (bis),

Voilà déjà deux ans que je t’ai écrit. J’ai relu ma première lettre (et les autres qui ont suivi) et j’ai bien ri ! Et vive la liberté ! Ouais, c’est ça. Mon entrée à Harvard ne s’est pas faite comme je me l’imaginais. Je vais vous raconter. C’est là qu’il faut remettre votre casque et votre ceinture.

La semaine qui a précédé mon entrée à Harvard, j’ai découvert une chose incroyable mais vraie : j’étais atteinte d’un cancer, d’une leucémie plus précisément. Mais oui, vous connaissez, c’est ce maudit cancer du sang dont souffrent quelques fois les enfants. J’ai réussi à le choper à 18 ans, la vache ! Comment a-t-on découvert ça ? Tout simplement parce que j’ai attrapé un maudit rhume alors qu’il faisait presque 40°C dehors, que j’étais trop pâle selon mes parents et que j’avais des bleus partout. Tu parles qu’ils suspectaient quelque chose ! Alors ils m’ont emmenée à l’hôpital où j’ai fait toute une batterie de tests. Et bam ! Leucémie dans ta face ! Cette connerie a failli retarder mon entrée à Harvard d’une année. Bien entendu, mes parents voulaient que je suive mon traitement à Vernon mais j’ai lutté pour quand même me rendre aux Etats-Unis. Ils savent traiter le cancer là-bas, non ? Mais quelle année de merde ! Entre les chimio, la « chauvitude », ma maigreur à faire peur et mes nausées et vomissements, j’étais servie ! Mais j’ai vaincu cette saloperie de cancer ! Mais pas toute seule. Cette même année, j’ai fait la rencontre d’un être exceptionnel, qui a toujours été présent quand j’en avais besoin (c’est-à-dire tout le temps). Chad Miller. Mon meilleur ami, celui qui veille sur moi sans que je m’en rende toujours compte. Une personne que je ne compte pas perdre de sitôt.

Les lettres s’arrêtent ici.

Liv a vécu de nombreuses aventures depuis sa dernière lettre. Comme elle le racontait plus haut, elle a vaincu sa leucémie et a fait la rencontre de Chad Miller. Mais elle a oublié de mentionner ce qu’elle étudiait à Harvard. La médecine, tout naturellement. Elle partait du principe que si on avait pu la sauver alors elle pourrait en faire de même. A présent, elle est en 6ème année et s’en sort plutôt bien. Et, nouveauté dans sa vie, elle sort avec Chad depuis trois ans maintenant. Les choses se sont faites naturellement : ça devait être la suite logique des choses. Mais il fallait bien que quelque chose vienne perturber le cours tranquille de sa vie, de leur vie.

« Enceinte et malade. »

Ces mots résonnent encore dans son esprit embrumé. Depuis quelques jours, Liv ne se sentait pas très bien : entre son estomac barbouillé et sa perte de poids, elle s’était dit qu’il lui fallait consulter. Là, elle eut droit aux examens habituels de ses nombreux check-up : prises de sang, prélèvements en tout genre et j’en passe. Jusqu’à ce que son médecin lui annonce ces deux nouvelles déroutantes, contradictoires, contre-nature. Elle était enceinte et son cancer était revenu. La jeune femme savait qu’elle allait devoir choisir : elle ou l’enfant. Si elle décidait de garder son enfant, elle mettait sa vie en danger. Si elle décidait de se traiter, elle devait interrompre sa grossesse. Sous le choc, elle avait rassemblé ses affaires et était sortie de la salle d’examen sans un mot. Elle allait devoir parler à Chad. Mais elle ignorait comment le faire, ni les mots qu’elle allait utiliser. Complètement perdue, elle se dit que le reste de sa vie allait peut-être s’écourter. Comme il y a quelques années.