The beginning....

Les feuilles d’automne s’envolaient avec l’air naissant qui rafraîchissait les allées. Londres s’éveillait, majestueusement, les volets s’ouvraient, les rues se remplissaient et, bientôt, un parfum d’anxiété s’éleva dans le quartier de Nothing Hill, derrière cette grille de fer forgé aux allures impétueuses et cette immense porte barrant la demeure des Harper. Lise-Ann, alors mariée à Rick Harper retenait son souffle, l’heure était venue, mon heure, notre heure. Nous étions deux, les doigts d’une même main, deux âmes pour un cœur, nous étions, Joanne et moi, les premiers enfants de notre famille, fierté des Harper. Et, même si elle est arrivée la première, je me considère comme sa protectrice, à jamais sa dévouée jumelle. Les miens ont toujours été aimants, nous ne manquions de rien, de grandes fêtes étaient organisées tout au long de l’année et mes parents fréquentaient de nobles personnes. Nous avons toujours été élevées avec des convictions, une éducation qui se voulait stricte mais qui nous apporta les bases d’un avenir certain. Eminent avocat spécialisé dans le droit commercial, mon père ne comptait plus les heures qu’il arpentait dans son bureau tandis que ma mère confectionnait des robes de mariage et tenait une boutique qui fonctionnait plutôt bien. Joanne se passionnait pour son art pendant que moi, je préférais jouer à l’aventurière dans le parc environnant. Notre proximité du centre ville nous offrait un regard sur tout Londres et ses différentes attractions.Notre enfance fut bucolique et édulcorée, nous étions choyées et je ne pouvais rêver meilleure confidente que ma sœur. Néanmoins, pendant qu’elle cherchait de nouvelles idées, souvent novatrices avec ma mère en bas, je me plaçai dans le jardin, sur la terrasse et observais ce monde qui me fascinait, celui visible à l’œil mais intangible à l’esprit, qu’on ne parvient à quantifier et qui fait tant rêver : le ciel.

The story of Annalynn
Annalynn, deux parties d’un tout. Joanne avait hérité d’Anna et moi de Lynn en seconds patronymes. Notre grand-mère était un rayon de soleil permanent, elle irradiait partout où elle passait et le temps semblait n’avoir aucune emprise sur elle. Pourtant, les années ne peuvent se figer et emportent même les meilleurs d’entre nous…aidés par de vils personnages qui ne respectent rien. L’alcool, ce fléau démoniaque qui emplit le cœur des gens et les poussent aux plus honteuses de bassesses. Ce chauffard n’aurait pas dû prendre le volant ce soir-là car il brisa notre famille. Nous sortions d’un dîner dans un restaurant huppé du centre de Londres, je tenais ma grand-mère au bras, Joanne de l’autre côté, nous conversions sur ce serveur qui n’avait arrêté de distraire notre discussion pour nous emmener tantôt de l’eau, tantôt du champagne, tantôt un peu plus de pain cherchant probablement à arrondir son pourboire tandis que le passage piéton trônait devant nous. Nous regardâmes correctement, l’indicateur passant au vert, l’écharpe de la dame s’envolant, elle s’avançant pour la rattraper précédée de nous deux, la voiture percuta le corps déjà fatigué de la délicate Annalynn. Les séquelles laissées par l’impact furent nombreuses, se comptant par dizaine, le pronostic vital était engagé et, pendant des jours puis des semaines ce fut un respirateur qui continua à alimenter ses forces vitales. Je savais qu’elle se serait battue si elle avait pu mais, hélas, elle n’était plus parmi nous. Je le sentais mais j’avais interdiction de penser en ce sens. Joanne était effondrée, j’étais au bord de la crise moi aussi mais je tentais de garder la tête hors de l’eau afin que le navire ne coule pas à flot. Mes larmes ne perlaient pas, retenues par la rage que j’éprouvais envers ce conducteur qui s’en sortit par une modeste peine. Je rejetai la loi, mes convictions et je trouvais refuge au planétarium. Cette décision, nous en avions parlé maintes fois, elle était désormais devenue notre fardeau à Joanne et moi. Continuer les frais ou offrir la rédemption. Nos points de vue divergeaient pour la première fois et je perdais pied sans ma jumelle. Pourtant, je ne me démontais pas. Alors que les mois avaient passé et que Joanne s’était absentée, du haut de mes dix-huit ans, je choisis de mettre un terme à cette tragédie. J’enfonçai ce couteau dont personne ne tenait le manche. Ainsi, je parlai à mon père entre quatre yeux annonçant que nous avions tranché, que Joanne n’était pas là car sa peine était immense et que nous allions débrancher Annalynn afin de lui offrir un repos bien mérité, à force de voir son corps meurtri par les fonctions vitales artificielles qui lui étaient attribuées, je n’osais plus la regarder, coupable de ce massacre, si nous avions attendu, si j’avais attaché plus fortement son écharpe autour de son cou ce soir-là et si…l’heure n’y était plus car, dans l’après-midi, nous annonçâmes l’heure de son décès. Joanne, revenue de son périple m’offrit le regard le plus obscur qu’il m’ait été donné de lire dans ses yeux, alors que je baissai les miens.

The two parts of a soul
Les cris ont fusé, nos cœurs se sont brisés et le mien n’a jamais pu être réparé. Elle a claqué la porte, jugeant mon père d’incapable, de traître, notre famille de monstres et elle s’en est allée. Dès lors, nous ne l’avons jamais revue et, chaque soir, je regarde ce ciel en espérant qu’elle en fait de même. Je n’avais pas besoin d’un amoureux, ni d’un chien ni d’un nouveau téléphone, j’avais besoin de ma sœur, elle me manquait, elle me manqua rien qu’en passant cette porte. Désormais, j’étais incomplète.

Choose your life
Pas de remède à mes maux, ce sourire factice que j’offrais au plus méritant faisait souffrir ma mâchoire, mon cœur, mon âme. Pourtant, il fallut vivre avec cette absence, apprendre à se passer de cette autre partie de moi. Mon père devint froid et fonda beaucoup d’espoirs en moi. Il désirait que je lui succède et que, à son image, j’embrasse une carrière d’avocate. Ce monde de requins remplis de mafieux et controversés personnages ne m’attirait en rien. Je ne suis guère fille qui ment et j’ai usé de tous les stratagèmes pour le lui faire comprendre. Alors, s’il ne fut pas bâtisseur de mon projet, il en fut au moins le garant, répondant à mes désirs pour ne pas perdre sa seconde fille. Je décidai de m’expatrier en France, ville de toutes les luxures où je pensais trouver ce qui manquait à ma vie. Hélas, si mon année là-bas fut riche en rencontres, émotions mais aussi désillusions, elle ne répondit pas à mes interrogations premières mais me permit de replacer les choses dans l’ordre, je devais construire un avenir qui me conviendrait. Alors, je m’inscrivis à Cambridge où mes facultés elles furent reconnues. J’étais un ovni, perdue au milieu des amoureux des sciences, je ramenai souvent ma fraise en cours afin de comprendre telle ou telle chose et parfois, il faut bien bien, j’apportais des réponses. Au fil du temps, cela devint plus que des études, un besoin de comprendre, de savoir. A côté de cela, et ce durant mon année en France, je développai un goût insoupçonné pour les arts, guère de dessin ou sculpture, je ne suis pas à l’aise de mes mains mais je sais tenir un appareil et prendre des clichés potables.

Harvard
Les années passèrent lorsque cette terrible nouvelle me prit à la gorge et je crus ne jamais en réchapper. Joanne n’était plus. Mon être se figea, mon esprit se brouilla et c’est comme si les flammes avaient également lacérées mon corps. Je ne pus me rendre à son chevet, me repentir sur cette tombe qui était désormais à son effigie. J’avais mal, je lui en voulais de ne pas être revenue vers moi, de ne pas avoir essayé et je m’en voulais d’être restée sur mes positions. Nous étions semblables sur ce point. Mes yeux s’étaient clos et pour la première fois, les larmes avaient perlé. Douces, salvatrices, ennemies de ce manque et tempête qui n’emporta hélas pas mon chagrin. Je n’ai pas cherché bien longtemps, j’avais besoin d’elle et si ce n’était physiquement, ce serait au moins en pensées. Je pliai ma valise et m’envolai pour les Etats-Unis, pensant facilement être admisse à Harvard…à tort. Le dossier d’admission et ce qui s’ensuivit fut un réel casse-tête. J’étais dans les majors de ma promotion et, malgré les différends qui m’opposaient à mon père, il voulut bien à nouveau financer cette fantasque entreprise. Je désirai intégrer la faculté des arts et des sciences, drôle de coïncidence mêlant mes deux passions. Une fois le dossier complété avec toutes les pièces exigées, je dus me cantonner à ce fameux examen, les yeux embués, le café à la main, j’enchainais mais je m’en sortis puisque j’obtins une note approximative de 2200. Le sujet de mon essai fut rapidement trouvé et, je dissertais sur elle, Joanne et ce qui aurait pu être autrement si nous nous étions trouvées à Harvard, au même moment. Guère de projets d’avenir mais simplement un projet qui ne pourrait se concrétiser puisque j’étais seule désormais. S’ensuivit cet entretien où je faillis fondre en larmes à l’évocation de ma rédaction. Je tentai de répondre du mieux que je le pus en montrant ma réelle personnalité, cette fille drôle qui ne se laisse pas démonter, du moins en apparence. J’avais à offrir et Harvard semblait représenter, pour l’instant du moins, le seul endroit où je pouvais reconstruire ce foyer que je ne trouvais plus. Je n’étais point sans famille et pourtant, je me sentais seule, sans attache. J’attends beaucoup d’eux comme ils attendent beaucoup de moi.

To be continued
Aujourd’hui, je cherche encore mes marques, présente ici depuis seulement quelques semaines. Je ne sais de quoi demain sera fait mais quelque chose m’attache encore plus à la vie américaine…ce garçon. Je n’ai jamais été du genre à m’amouracher d’un inconnu ni à éprouver des sentiments si forts que mon cœur palpite. Brisée, personne n’a pu remplacer cet amour fraternel en amitié et aucun homme n’a conquis mon cœur. Pourtant, je n’ai pas rêvé, j’ai lu quelque chose dans ses yeux, quelque chose qui m’obsède désormais.