Il n'y a pas de doute à avoir, des tempêtes, lui et moi, on en a essuyé. Et pour ce que j'en sais, nous en sommes toujours sortis plus forts, ou plus unis. Les disputes et querelles nous amoindrissent et nous rendent à la fin meilleurs. De toutes les prises de tête que l'on a pu avoir, il y a une chose qui est toujours restée ancrée en moi comme la plus simple des vérités. C'est à ses côtés, que je me vois avancer. Et bien que les doutes me rongent parfois, sur mes capacités à ne pas être la mère rêvée, je sais que sans lui, je n'aurai pas eu le dixième de courage pour tenter d'avoir un enfant. Et bien que notre relation comporte des hauts et des bas, il n'en reste pas moins que je l'aime, que de lui, je suis complètement dingue et que rien ne pourra un jour changer cela.

Évidemment, j'ai eu du mal a avaler le fait qu'il n'ait pas encore informé ses parents sur le fait que nous même nous nous apprêtons à le devenir. Ce n'est pas comme si c'était un point des plus important, et même s'il a su les quitter durant un temps, je sais que dans son éducation, normalement, la famille c'est une chose avec laquelle on ne rigole pas, il n'y a qu'à s'attarder sur sa relation avec Cléa. Mais ne les ayant vu qu'une seule fois, ses géniteurs s'entend, lors d'un mois de décembre où l'impression qu'il ne voulait que les toucher au plus profond – et ma présence aidant à cette torture – je me suis un peu calmée à ce propos, sachant que ça provoque chez lui quelques maux, mais aussi et surtout pour faire oublier, pardonner, l'aparté chez ma tante qu'il a eu du mal à digérer, bien que je sois des plus innocentes à ce sujet. Je voulais un temps pour me dire que je n'étais pas guettée par l'hérésie. Le pire, c'est que la bas, j'étais malheureuse comme un chien d'être loin de lui, et loin de tout ça. Des nos handicaps sentimentaux que j'ai foutrement dans la peau. Alors guidée par son avis, j'ai finalement opté pour une tenue sobre, une robe forcément un tantinet serrée autour de mon ventre bientôt prêt à exploser, ainsi qu'une veste que je suis présentement incapable de fermer. « Tu sais, ils vont le deviner au premier regard. » Que je suis pleine à craquer, et j'ai du mal à camoufler le stress qui fait légèrement trembler ma voix. C'est une putain de première fois …

On ne m'a, pour ainsi dire, jamais présentée à qui que ce soit, enfin … en tant que petite amie, que compagne, que partenaire, femme ? Merde non, pas ça. Et par habitude, je vais chercher deux trois épingles dans la salle de bain afin de lier mes cheveux, négligemment, en un chignon presque tombant. Une seconde, je m'observe dans le miroir, les traits tirés, d'une fatigue que je n'ai que très peu souvent connues et rêve à un café, lequel je tente de réduire ma consommation, en vain. Tout en attrapant mon rouge à lèvre dans le vanity qui a trouvé sa place attitrée plus rapidement que moi dans l'appartement, je redessine mes lèvres consciencieusement ... Accusant la position de notre fils en mon intérieur, douloureuse, petite piqûre de rappel de ma condition. « Mhm. » Heurts différents de ceux que j'ai déjà pu avoir, mais qu'importe, je tente de me concentrer sur ce qui m'attends, sans vraiment savoir comment jauger des appréhensions qu'ils ont à mon égard. « Je ne connais même pas leurs prénoms ! » Je réalise alors que je m'observe toujours, et sors de la pièce rectangulaire pour le rejoindre dans le salon, lui aussi, bien apprêté, ça m'arrache un sourire et tend à m'apaiser. « Je suis prête. » Pour la grande représentation, bien que j'en perds un peu la raison.

« Today is a good day to die. »
ft. ANNALYNNE & CLAY

Nous y sommes au week-end tant redouté et il n'en aurait tenu qu'à moi, j'aurais préféré l'éviter ou le retarder d'avantage histoire d'amener progressivement le sujet.  Avec huit mois de retard, rien de très alarmant, surtout que j'en connais un très peu porté sur le changement. Alors bien évidemment, se faire appeler grand-père ne l'enchantera pas les premiers temps. « Tu sais, ils vont le deviner au premier regard. » La réplique n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd et plus affairé sur mon col de chemise que sur les faits, je lui soumets gentiment une idée pour dédramatiser un peu: " Si tu restes de face, avec un peu de chance qui sait..." Le soucis est que même dans cette position, ce petit - qui ne l'est plus tant - détail leur sautera indubitablement aux yeux et je ne le comprends que maintenant, une fois que mes doigts se détachent du dernier bouton et qu'elle regagne toute mon attention.  Et puis merde, après tout nous verrons bien qu'est-ce que cela donnera puisqu'ils n'auront pas d'autre choix que de l'accepter une fois mis sur le fait accomplit.

De mon coté, alors qu'elle enfile sa veste, je vais chercher les clefs de la voiture laissées près de l'entrée et m'arrête devant l'incrémentation qui vient de s'effectuer. A la tocante numérique de sa cafetière, unique rescapée de tout son électroménager, les 19h00 d'affichées sonnent le glas funeste d'un départ imminent. Il faut se hâter car père n'est pas des plus patients et mère des accueillantes si son plat - qu'elle aura passé toute la journée à préparer - a le malheur de refroidir. Si je n'ai parlé de l'enfant, il est cependant certain que j'ai spécifié être accompagné par la femme qui partage depuis " quelques temps " mon toit et végétarienne de surcroit. Une précision qui l'avait faite aussitôt rire pour me demander ce qui siérait à leur invitée surprise. J'étais alors resté pantois au bout du fil avant d'annoncer la couleur, aux souvenirs d'un repas pris en tête à tête dans un resto de Floride, ne pouvant m'empêcher de sourire en la voyant éparpiller une à une les crevettes autour du riz.

Mais voilà que j'aperçois sa silhouette qui émerge de la chambre et se...faufile jusqu'à la salle de bains, probablement pour se faire plus belle qu'elle ne l'est déjà au naturel. Pas bien loin dans la pièce d'à coté alors que je termine de me préparer également, endimanché pour l'occasion bien qu'en restant décontracté, je l'entends paniquer: « Je ne connais même pas leurs prénoms ! » Un oubli fâcheux à 20min de ce rendez-vous, au point de venir me retrouver, moi, qui tire, déplisse d'un geste franc la manche de ma veste et bougonne: " Daniel et June. " A peine ai-je terminé qu'elle me coupe et s'annonce fin prête pour les hostilités. Appréhendant un maquillage trop sophistiqué, mes yeux se déposent tout de même sur ses traits pour, à mon grand soulagement, ne rien voir d'extravagant. C'est un spectacle que je ne pourrais me lasser de contempler: une Annalynne qui n'a plus rien de Malcolm sauf sa véritable authenticité, son caractère bien trempé toujours présent sous un voile de légèreté, accueillant en son sein un bien plus précieux que toutes les richesses que son père aurait pu lui donner. Cette distraction visuelle passée, je reprends mes esprits et change aussitôt d'attitude, me fais plus réfléchi en l'invitant à prendre la sortie." On n'est pas en avance. Je te ferais un topo dans la voiture. " Même si cette méthode la dernière fois ne nous a pas vraiment été d'un grand secours.

« Today is a good day to die. »
ft. ANNALYNNE & CLAY

" Si tu restes de face, avec un peu de chance qui sait..." Ah ah et de mes doigts je désigne mon ventre muettement pour appuyer ses dires de manière ironique. Et la protubérance, là, tu la vois ? J'en ai presque soudainement envie de rire. Totalement stupide. Éreintée par avance j'en relève les yeux au ciel face à sa nonchalance. Je sais bien que ce n'est pas comme si nous avions quinze ans et que nous ne sommes pas deux adultes consentants, sauf que c'est une rencontre avec ses parents. Enfin, plutôt une seconde fois, vu le fiasco de la première lorsqu'il a voulu leur annoncer à Noël son grand retour d'entre les morts, et par la même occasion ce qui a engendré entre nous une relation. Puisque toutes les vérités étaient à l'époque révélées. C'était sans penser qu'avec ses parents il continuait à jouer à des jeux mensongers. Il faut croire que sur ce point on se ressemble … Aliénés, au moment où il faut se confesser. En retard sur les bons timings à avoir.

Alors en achevant ma préparation, je réalise un détail qui m'importune vraiment dans cette situation, l'ignorance de leurs appellations. La réponse ne se fait que très peu attendre ; " Daniel et June. " me confie sa voix, je me les répètes alors plusieurs fois, comme un refrain que je me dois de retenir par coeur, comme si je ne pouvais pas avoir le droit à l'erreur.
Mes pas me ramènent finalement vers lui, et quand je me dis prête, je profite de ces secondes où son regard m'éternise à sa manière … Si j'ai pu douter de lui, je me demande encore comment j'ai pu le faire. On ne soupçonne pas d'adultère un homme qui nous regarde comme ça. Avant que le moment ne trépasse et qu'il ne reprenne les directives de nos mouvements. " On n'est pas en avance. Je te ferais un topo dans la voiture. " Pas de retard envisageable, et pas du tout de pression face à ce futur « topo » non, non, vraiment, je veux dire, je suis détendu à mon maximum.

Bien que, je cite, nous ne sommes pas en avance, je me refuse à partir dans cet état, je le jure ça fout le bordel à l'intérieur de moi. Et même micro-teub a horreur de ça, je le promets, c'est en mon intérieur qu'il est en train de compresser. Sans plus hésiter, alors, j'approche de lui, avant toute autre chose, replace de façon délicate son col, qui n'avait sûrement pas besoin de l'être, mais c'était juste pour souligner combien j'aime aussi le voir bien apprêté. Cela va de soi, il me plaît tous les jours, et plus encore … Mes doigts restés accrochés au tissu, je soupire ; pour par la suite aller chercher sur ses lèvres une dose de courage que je peine à trouver, baiser furtif enclin à la tendresse, et ma paume sur sa joue laisse une caresse. Une esquisse de sourire, avant de me retourner pour emprunter la porte d'entrée qu'il va assurément, à ma suite, fermer.
C'est avec une main posée sur mon ventre que je commence à descendre les escaliers, l'autre bel et bien cramponner à la rampe, de peur de tomber. Essoufflée, par si peu d'effort, je le questionne dès à présent, sur un point qu'il me faut tout de même désembué. « Ce sera que Daniel, June et nous ? » Parce que j'en sais rien moi, on dit bien qu'ils ont l'hospitalité facile les chrétiens. Manquerait plus qu'ils aient invité tous les présents de la paroisse du matin.

« Today is a good day to die. »
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Un peu plus et ses gestes pourraient m'inciter à rester, à trouver une excuse bidon pour justifier de ce faux bond. Ses phalanges accrochent le textile qu'elle rectifie, y laissant glisser ses doigts sans la moindre hésitation et s'approche, démultiplie les sensations charnelles d'un désir brut lorsqu'elle s'abandonne quelques secondes à mes lèvres. Caresse d'une paume qui cèle nos précédents échanges et la voilà qui s'en va en direction de l'échafaud. Pas de temps à perdre même si d'un succinct coup d'œil par dessus l'épaule je revisualise une dernière fois tout ce qui pourrait n'avoir été éteint. La flotte est coupée, l'arrivée de la machine à laver fermée, les lumières des pièces une à une vérifiées et la plaque électrique isolée à même le tableau de sécurité qui se trouve dans l'entrée. Je ne sais d'où vient ce nouveau toc, sans doute l'effet du stresse que soulève ce repas pas des plus banals et le désir malgré tout de retarder l'inévitable. A mon grand damne tout est prêt et sur le palier lentement la clef trouve son point d'encrage dans le barillet.

Alors cote à cote, tandis qu'elle s'accroche au balustre des escaliers, nous descendons dans la cage jusqu'au rez de chaussé où elle s'inquiète encore des détails de l'affaire qui nous attend. « Ce sera que Daniel, June et nous? » Je la regarde subitement, hébété par son manque d'assurance flagrant, parfait reflet du miens que je tente malgré tout de dissimuler. Bien sûr qu'il n'y aura qu'eux puisque ma sœur a déserté le pays il y a de çà presque un an, sans plus nous donner de nouvelle depuis. Quant aux cousins... Ils n'ont jamais redonné signe de vie depuis mon départ de Cambridge." Pour un début c'est déjà bien, crois-moi.  " Et amplement suffisant connaissant le coté conservateur de mon père. Ma mère acceptera la nouvelle avec bien plus de recul que lui puisqu'elle avait été beaucoup plus affectée par ma disparition à peine sorti de l'université. La crainte de me perde définitivement la fera d'autant plus réfléchir à ses paroles. Daniel, lui, la jugera pour ce qu'elle est: une étrangère engrossée sans s'être engagée, hors des traditions païennes et sacrements qui font, à ses yeux, foi et loi.

Une fois arrivés en bas et puisqu'elle semble déjà haletante, c'est à mon tour de la soutenir subtilement d'un bras proposé, sans heurter son amour propre faute de ses pulsions émotionnelles cela va de soi. Je la guide donc jusqu'à la voiture, ne me faisant pas prier pour lui glisser à l'oreille, manquant presque d'en rire: " On peut dire aussi que t'es légèrement laissée aller ces derniers mois. " Très légèrement... La moquerie était d'un niveau très médiocre mais si facile. La portière lui est ouverte et sans attendre sa petite mais cinglante répartie que je lui connais, fais déjà le tour de la voiture, pas peu fier de ma connerie, pour prendre place derrière mon volant. Allons... Nous sommes déjà en retard pour leur dévoiler ce que notre histoire a pu engendrer...

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La question me paraissait pourtant justifiée, après tout même si je ne connais pas tout à fait tous les membres de sa famille pour en avoir entendu que très rarement parlés, chez moi il est de coutume d'invité tout le monde à chaque fois. Famille et amis, connaissances d'autrui. Chose destinée à démontrer à leurs yeux hébétés toutes les richesses que le domaine Malcolm peut déceler. Et puis, qu'est-ce que j'en sais de comment cela marche chez les catholiques, ce n'est pas un dimanche chacun ? Après tout, c'est ce qu'on voit dans toutes les séries télévisées puritaines à souhait. Le genre Sept à la maison, et Petite maison dans la prairie, qui me font vomir à chaque fois que j'ai le malheur de tomber dessus, dans mon dos il me donne enfin sa réponse ; " Pour un début c'est déjà bien, crois-moi.  " Dans le fond, je ne vais pas me plaindre, et disons que ça me va, une étape à la fois, même si je n'ai jamais été présente de cette manière. Même si l'appellation beaux-parents semble me hanter légèrement. Alors à défaut de continuer sur cette pente glissante dans mes songes torturés, je me concentre sur ma tache actuelle, la descente des escaliers, ne pas tomber.

Et arrivée enfin en bas des marches, il vient se placer à côté de fois, essoufflée, je ne me fais pas prier pour déposer ma main sur le bras qu'il me tend. Cet enfant me donne du fil a retordre, de plus en plus difficile à gérer, j'en viens souvent à me demander comment je vais pouvoir survivre aux prochaines semaines bien qu'elles soient beaucoup moins longues à compter. La voiture face à nous tout en m'ouvrant la portière, il précise ; " On peut dire aussi que tu t'es légèrement laissée aller ces derniers mois. " C'est un regard noir qu'il reçoit puisqu'il fuit de l'autre côté, c'est bien pour cette raison que je me contente de cracher un « Petit con. » Avant de me poser dans la voiture. Mes doigts tapotant sur mon ventre, machinalement, avec un certain agacement, en plus de mon utérus qui  bat un rythme distendu, tiraillée par des douleurs tandis que je demande mentalement à Micro teub de se calmer, ce n'est pas le moment et finalement, mes pensées s'effilochent en faveur de ce qui nous attend. Jamais ça ne pourra être pire que les deux seules fois où il a vu ma famille, je m'en persuade, intimement. Il démarre, et donc j'attends  … « Le topo ? » Que je sache ce que j'ai le droit de dire ou pas face à ses parents.

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Tout aujourd'hui a le don de me préoccuper: que ce soit les derniers détails avant de quitter notre appartement juste pour la soirée, le jeu que mes doigts viennent de redécouvrir dans le barillet au moment de mettre le contact, le doute d'avoir pris la bouteille de vin achetée la vieille chez ce caviste et qui devrait apaiser les tensions d'une telle annonce. D'un coup d'œil vers la banquette arrière, j'aperçois dans le clair-obscur du plafonnier le sac estampillé du nom du sommelier et soulagé, je tourne enfin la clef lorsqu'elle me fait subtilement remarquer que je n'ai encore éclairci ce sujet. « Le topo ? » Oui c'est vrai, c'est maintenant ou jamais puisqu'il ne nous faudra que quelques minutes pour rejoindre la cité où j'ai vécu mes dernières années avant de m'émanciper.

Au son rythmé du clignotant enclenché, je me perds dans l'image que le rétro me renvoie de mon coté de l'asphalte pour embrayer et entamer le trajet. " Le topo... " Par où commencer pour faire en sorte d'être le plus succin sur ma propre lignée... " Daniel est comme tu le sais l'agent immobilier qui a fait en sorte que la communauté puisse racheter la chapelle sur Garden St... " Et ce n'était pas d'ailleurs la seule puisqu'en parfaite brebis, il a su de main de maitre s'attirer les faveurs de la paroisse en leur offrant sur un plateau deux autres lieux de recueillement promis à de juteux rachats. " Aide ton prochain n'est pas vraiment sa devise " et c'est pourquoi il n'a jamais, malgré ses croyances, tendu la main à plus démuni que lui. C'est ce coté de sa personnalité, un tantinet raciste, que je pense jouer contre nous ce soir lorsqu'il apercevra l'irisé de ses traits. Jamais il ne lui serait venu à l'idée de côtoyer un autre peuple que les siens, encore moins de les inviter à sa table. " Et ma mère..." Nerveux sur ce dernier détail, mes doigts se crispent sur la croute du cuir pour finalement lui jeter un œil via le rétroviseur central. Il est d'ailleurs étrange qu'elle ne m'ait jamais posé la question concernant ma phobie pour les canidés. "... Elle est vétérinaire, " jongle entre les sédatifs pour chevaux et les castrations en tous genres, saurait recoudre les yeux bandés une plaie de ses doigts diaphanes sans une seconde hésiter. Un métier valorisant et dont j'étais fier jusqu'au soir où elle ramena chez nous ce bâtard écorché...    

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ft. ANNALYNNE & CLAY

Une, deux secondes, et d'autres s'en suivent jusqu'à ce que la voiture ne se déplace sur le côté pour prendre la route et que sa voix reprenne " Le topo... " Oui, il le faut. Parce qu'il est une chose que nous avons en commun lui et moi, nous ne posons que très peu de questions sur cela. Nous préférons de beaucoup nous retrouver devant le fait accomplit, faut croire que c'est mieux. Ce n'est pas comme si ça ne nous avait pas porté préjudice jusqu'ici. Ressentez l'ironie. Il va falloir qu'on remette en cause la communication dans notre couple … Vraiment, on est face à un problème vu qu'après un an je ne sais rien ou presque au sujet de ses parents. " Daniel est comme tu le sais l'agent immobilier qui a fait en sorte que la communauté puisse racheter la chapelle sur Garden St... " Oui … Comme j'étais censée le savoir plutôt, mais ça me dit quelque chose, c'est vrai. " Aide ton prochain n'est pas vraiment sa devise " Se faire passer pour quelqu'un de bien tout en ayant aucune honte ou réticence à écraser le reste du monde sur son passage. Je vois, étrangement, rapidement quelqu'un avec qui ça aurait pu coller, mon père ce … héros. Mais au moins je sais que je vais prendre des pincettes avec son géniteur, c'est noté. « Parfait chrétien. »

Etrangement, je redoute plus sa mère, et je ne saurai totalement dire pour quoi. Peut-être parce que c'est elle qui est comme on dit « la première femme de sa vie », bien que je ne prétende pas l'être tout court, quoi que ça coule de source, même si rien est officiel aux yeux de la loi, que rien ne trône à mon doigt, enfin qu'est ce que j'en sais, il n'est pas le moment de se prendre la tête à ce sujet. Je divague sans me contrôler. " Et ma mère..." Quoi ? Ce foutu suspense ne fait qu'accentuer le fait que cette inconnue va m'impressionner alors que personne encore ne l'avait fait. "... Elle est vétérinaire, " Tout en inclinant le visage vers lui, je renferme mon expression pour tenter de sonder la sienne, parce que je ne comprends pas ce qui peut clocher avec le fait qu'elle soit vétérinaire. « Ca n'a pas l'air de te plaire ? » C'est pourtant un métier correct, non ? Il est vrai que des animaux, je n'en ai eu que peu, et n'en suis pas forcément fanatique, ne l'étant que de ma jument, mais notre lien s'est tissé avec le temps. Sauf que sa mère, elle a du en rendre heureux des gens. Les rues s'accumulent quand j'accuse à nouveau des maux de ventre … « Micro teub non plus n'a pas envie. » De se sentir rejeté, il en a eu bien assez au début, avec moi.    

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Déjà cinq pâtés de maisons dépassés lorsque ce vieux souvenir refait surface et ébranle le peu d'assurance que j'avais jusque là. C'est un rappel à la réalité sur la nature des forces qui régissent ce monde, une connerie faite sur fond de gentillesse qui ne m'a valu que des complexes. Une honte jusqu'à ce que je devienne un adepte des transformations physiques, accro aux aiguilles.  « Ca n'a pas l'air de te plaire ? » Concentré sur les bandes luminescentes qui défilent et disparaissent sous le pare-choc à vive allure, je ne me permets que cette petite inadvertance d'aller chercher sa main pour la serrer, détaillant celui que je suis dans le rétro, évolution imparfaite de ce qui a été.  " Il n'y a pas que des noms sous mes tatouages " mais aussi des histoires qu'il vaut mieux oublier et le ton emprunté le laisse clairement suggérer. Le tribal sur mon bras fut mon tout premier, ancré à l'âge de 18 ans pour mieux faciliter mon intégration et effacer cette plaie de  nos mémoires. Leur faire accepter l'idée n'avait pas été une mince à faire mais après plusieurs semaines, ils l'avaient finalement admis.

« Micro teub non plus n'a pas envie. » Et juste le fait de parler d'autre chose, de lui plus particulièrement, me redonne un semblant de sourire. Mes doigts retrouvent de leur dextérité et malaxent cette main à laquelle je tiens mais qui n'a jamais été demandée, détail qui me sera sans doute un peu plus tard reproché. " Tu lui communiques ton stress " comme si elle était la seule à en éprouver d'ailleurs. Et soudainement mes phares éclairent à un embranchement le panneau signalétique de la rue portant le nom de Packard Avenue. A mesure des maisons croisées redéfilent les années, celles où justement je suivais à la lettre les préceptes que jamais je ne le forcerais à accepter. Un peu sur notre droite baigne dans la pénombre la maison des Ternaw, laquelle avait fait les frais de nos exploits ouvriers, à Jimmy et à moi, durant un été. Et pour contempler le résultat de notre ouvrage qui sans doute depuis le temps souffert, j’ai levé le pied et me suis abaissé. C’est un quartier tranquille et huppé qu’Anna aimerait certainement plus tard habiter : de part et d’autre de la rue flottent au gré de la brise les drapeaux patriotiques, les haies soigneusement taillées, les berlines haute gamme rangées au centimètre près dans chaque allée. Et un peu plus loin l’un des rideaux drapant la lumière d’un salon vient de bouger… Ma mère qui certainement nous attend déjà.

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ft. ANNALYNNE & CLAY

La tension semble être palpable, je ne croyais pas qu'une simple question pour assombrir à ce point le visage de l'homme de mon quotidien. C'est à cet instant précis que je comprends qu'il y a encore beaucoup trop de zones d'ombres entre nous, des non-dits bien qu'on s'est toujours promit de ne pas se faire de secret. Le passé reste tellement compliqué. Je ne conçois que l'importance de la chose qu'au moment où il vient chercher ma main de la sienne, geste d'affection, de manière de s'accrocher et à la fois me rassurer par avance. " Il n'y a pas que des noms sous mes tatouages " Me confie sa voix, et je le contemple alors d'une façon différente, je pense à la fois à ses tatouages que j'ai tant de fois redessiner, dont je me vante de la connaissance sans faille, et réalise que j'en ignore les moindres vérités. Mais à défaut de lui répondre directement, je change de sujet, parce que j'ai l'intime impression que ce gamin est en train de me torturer. Je suis certaine que c'est un signe à ne pas mettre de côté. Sur le visage de mon amant se glisse un faible sourire et je me dis que c'est déjà ça de gagner, parce que je lui offre un des miens, une pression de plus sur sa main. " Tu lui communiques ton stress " Peut-être oui, mais c'est incontrôlé, je devrai peut-être essayer de le faire, de me détendre, vider mon esprit et comme on me l'a apprit, respirer. Compter à chaque fois, expire ; un, deux, trois. Inspire ; un, deux, trois. Lorsque je me maîtrise, je remarque que la voiture ralentit, qu'il regarde autour de nous, et donc je le fais aussi, par mimétisme. Je reconnais, bien que je ne l'ai vu qu'une fois, le côté solennel de son quartier. C'est une banlieue clichée. Je n'ai pas le temps de vraiment laisser mon imagination voguer sur les vagues de son enfance étant donné qu'il coupe le contact. Et je crache un soupir, dont je ne pourrais définir la signification. Rien au monde ne m'a jamais résisté, mais c'est une montagne que je ne me sens pas capable de gravir. J'ai pas ce qu'il faut. J'ai pas les tripes. Pourtant, dans un automatisme je détache sa ceinture pour faire de même avec la mienne à la suite. J'ai quinze ans, et c'est comme si j'avais fait une foutue connerie. Lorsque mes phalanges se posent sur la portière afin de l'ouvrir, je précise … « Toutes tes cicatrices m'intéressent. » Je me sens stupide, lésée … égoïste, de ne pas avoir assez pensé à lui, de ne pas le placer toujours en premier, sauf qu'à chaque fois que l'on vient à parler de ce passé chaotique, je deviens totalement psychotique. Des femmes et du reste, il est des choses dont jamais je ne me déleste. Et dans mes songes, je lui présente mes excuses. C'est Clay dans son entièreté, et si pour l'avoir plus légitimement, je dois me frotter à ses catholiques parents. Sans plus hésiter, j'ouvre la porte, à la volée. Prête à être jugée.

« Today is a good day to die. »
ft. ANNALYNNE & CLAY

Les feux sont éteints avant même que la voiture ne trouve son total arrêt, en roues libres sur les derniers mètres comme si j’espérais encore les prendre au dépourvu alors que je sais déjà cette tentative vaine et stérile. Ce n’était pas une hallucination puisqu’une ombre vient une nouvelle fois de traverser le salon et se présente derrière la porte d’entrée ornée de vitraux en son amont pour laisser, même de loin, présumer bien trop aisément de l’identité de celle qui derrière s’impatiente.

C’est Anna la première qui s’élance et me pousse dans les retranchements, déclipsant avant le sien mon système de sécurité. Libéré de la contrainte de la ceinture dont j'appréciais le maintien, c’est un tout autre sentiment d’insécurité qui s'immisce progressivement : celui de ne savoir où je fous les pieds alors qu’il s’agit pourtant de mes propres parents. Elle sort, plus pressée que moi on dirait d'affronter l'inconnu, elle qui n'aimait pourtant sortir des sentiers battus, et me glisse au passage une autre phrase visant à revenir sur ce souvenir défendu. " Toutes tes cicatrices m'intéressent ". Peut-être te raconterais-je cette mésaventure, mais une autre fois. Pour l'instant, nulle autre priorité ne compte que celle de leur exposer le fruit de notre union qui risque au mieux de les enchanter, au pire d'être renié par les miens comme elle l'a également été. Même pas le temps de lui répondre, même si je n'en avais guère l'intention, qu'elle clôt le sujet, reclaque la portière et faute de cette fraicheur nocturne qui s'est installée depuis quelques temps, je m'empresse pour ne la faire trop attendre. En quelques enjambées la voiture est contournée, marquant un temps d'arrêt lorsqu'une deuxième silhouette, cette fois plus imposante, sillonne l'éclairage d'une autre pièce. C'est à sa vision et à la pensée d'un accueil mitigé que l'image de la bouteille me revient. D'une main glissante sur la hanche d'Anna, j'happe de l'autre le sac présent sur la banquette arrière et referme, prêt à braver en sa compagnie ce que deux parfaites âmes pieuses penseront de notre histoire incestueuse. Évidemment que la réponse à la question du comment vous-êtes vous rencontrés devra être un peu plus détaillée que lorsque nous nous étions présentés à Noël dernier. Nous étions restés assez évasifs sur le sujet, le travail d'Anna légèrement ouaté de sérieux: barmaid, mais sans préciser la nature de l'univers dans lequel elle évoluait.

Un dernier regard vers la villa au bout de l'allée sur laquelle nous sommes et commence alors notre chemin de croix, cote à cote. A chaque martèlement léger de ses talons nous nous rapprochons et à quelques mètres même pas, la porte s'ouvre déjà, laissant fuir un halo doré d'entre deux ombres se dressant dans la clarté. " Tu vas voir. Des gens charmants. "  Dernier petit encouragement lorsque nous parvenons finalement sur le perron.