Recevoir des messages tous les matins d’Adriel me disant que je suis adorable ? Ça serait étrange. Je fronce le nez à la phrase d’Adriel, et secoue la tête. « Je préfère quand tu me le dis en face, quand tu le pense sincèrement. Pas que tu te force. » Parce que finalement, les mots perdraient leur valeur, et s’ils perdent leur valeur, y a plus d’intérêt, ça devient machinal, sans profondeur, et j’aime ce sourire qu’il arbore quand il me dit qu’il me trouve adorable. Ca booste un peu mon égo. Plutôt que de m’intimider seulement, maintenant… Ca me donne confiance. Confiance à tel point que c’est moi qui vient l’embrasser, moi qui vient me poser à ses côtés, allongée, profitant de cette proximité que j’ai eu peur de ne plus pouvoir ressentir quand j’étais coincée dans cette maison en flammes. J’en oublie la pluie, le vent, l’orage dehors, il éclipse tout et mine de rien, ça me perturbe. Si bien que, mes lèvres encore proches des siennes, la question sort. Qu’est ce qu’il me fait ? J’attends pas tellement de réponse, je crois que c’était une certaine manière de rendre l’interrogation concrète, de lui faire comprendre qu’il est loin de me laisser indifférente. Enfin ça c’est une évidence, mais dans le sens plus profond que la simple attirance. Comme si il arrivait à devenir mon centre gravitationnel en un clin d’œil. Mes lèvres encore proches des siennes, il répond néanmoins, et je fixe Adriel calmement. « T’as pas besoin d’essayer, tu sais. » Je m’empourpre à ces mots, baissant les yeux en serrant ma prise contre son épaule. J’ai plutôt peur de finir par être une fille parmi les autres, qu’il trouve plus intéressante, plus à même de lui convenir. On est tellement différents… Un soupir m’échappe à cette pensée, et je secoue la tête comme pour revenir sur Terre. « J’ai aucune envie de t’abandonner. » Pas ce soir, pas demain. Ni même dans un futur proche. Mais ça, j’suis pas prête à l’avouer.

Il fallait avouer que je trouverais ça amusant de lui envoyer un message chaque matin. Mais elle avait raison, c'était quand même mieux en face. « Je ne me force pas, je ne me forcerais jamais à te dire ce genre de choses. » Jamais de la vie. Mais je ne le ferais pas, parce que je préférais le dire naturellement quand j'en avais envie. Mais là, j'étais heureux qu'elle soit près de moi. Elle s'allongeait à côté de moi, j'avais l'impression qu'elle se laissait totalement aller et qu'elle arrêtait totalement de réfléchir. Elle faisait ce qu'elle avait envie de faire et ça me faisait un bien fou. Puis sentir ses lèvres contre les miennes, c'était magique. Jusqu'à cette question à laquelle je ne m'attendais pas. Sur le coup, je restais con à l'observer alors que son visage était encore tout près du mien. Qu'est-ce que je devais répondre à ça, sérieusement ? Est-ce que c'était une vraie question ? Mais les mots étaient venus tout seuls, ma peur de l'abandon étant plus forte que tout le reste ses derniers temps. Je souriais en la voyant rougir, elle était adorable. Encore, putain, il fallait que j'arrête avec ça. Mais c'était pas ma faute, elle était vraiment. Et mon sourire s'allongeait à la suite de ses paroles. Je savais que je n'oublierais jamais ses mots, que je n'oublierais jamais cette conversation et que je n'oublierais jamais les moments passaient avec elle. Quoiqu'il arrive, ça allait rester gravé dans ma mémoire. « Moi non plus, tu sais. » répondais-je simplement en serrant sa main dans la mienne. Vu de loin, on ressemblait à un petit couple. Mais en réalité, je ne savais pas ce qu'on était et je ne savais pas comment tout ça allait finir.

On sera passés par tous les stades, décidément. Adriel m'a inspiré tellement d'émotions différentes depuis deux ans que je le connais: La nervosité, la timidité en premier lieu, l'amusement, la tentation, le désir ensuite. Et là, j'ai l'impression qu'y a autre chose, je sais juste pas mettre de mots dessus. J'ai du mal à croire que le type qui me draguait sans le moindre tact à ma première année est également l'homme qui est en train de me jurer qu'il ne se forcerait jamais à me complimenter. Pour toute réponse, je lui souris, et me redresse le temps d'embrasser son front. Des gestes que j'aurais jamais eu avec lui y a quelques semaines encore, voir même quelques heures, par pure crainte de ses réactions. Sauf que je veux plus perdre de temps à me poser mille questions sans avoir de réponse. Je veux pas baisser les bras, avant même d'avoir pu mettre un mot sur ce "nous" que j'arrive pas encore à situer. Et jamais j'pourrais t'abandonner, Adriel, c'est ça que tu comprends pas. Chaque minute passée avec lui me rend un peu plus accrochée à lui, et ça non plus, il n'a pas l'air de le comprendre. Quand il me dit en retour qu'il ne veut pas m'abandonner, serrant ma main dans la sienne, j'esquisse un sourire sincère. « Dans ce cas le sujet est clos. » Sans relâcher mon sourire, je me penche à nouveau pour venir l'embrasser tendrement. Puis, je lorsque je recule mes lèvres, je soupire, me redresse un peu. J'rassemble mon courage à deux mains, avant de me jeter à l'eau. « Ok, je sais pas trop comment formuler ça, j'suis vraiment pas douée avec les garçons, mais.. » Je pince les lèvres, je réfléchis, expirant, consternée par moi-même. Puis au final, je balance directement ce que je pense. « Je veux apprendre à te connaître, Adriel. Je sais pas où on va avec ça, et je veux plus prendre le risque de passer à côté des choses comme j'ai pu le faire aujourd'hui. J'veux plus me contenter de te croiser dans les couloirs d'Harvard pour te lancer un défi. » Parce que merde, sans cette histoire de souhait... Ou est ce qu'on en serait, aujourd'hui?

Dans ses bras, je me sentais bien, je me sentais détendu. Je ne voulais pas être ailleurs ce soir, parce que je savais que personne ne pourrait être mieux qu'elle pour me faire oublier mes blessures, autant physiques que mentales. Alors je restais là, à la garder contre moi, fermant presque les yeux pour profiter et oublier tout le bruit autour de nous. Je souriais quand elle disait que le sujet était clos, c'était mieux comme ça. Je ne voulais pas trop parler de tout ça ce soir, j'étais trop faible. Sauf que d'un coup, elle se relevait légèrement et je fronçais les sourcils en entendant ses paroles. Elle me faisait peur, j'avais peur de ce qu'elle allait me dire mais je ne disais rien. Je la regardais seulement, attendant qu'elle parle, qu'elle s'explique. Et.. Je restais comme un con. J'en avais envie aussi, d'apprendre à la connaître, de profiter, parce que ce soir nous avait prouvé une nouvelle fois que la vie ne tenait qu'à un fil. Mais apprendre à me connaître, ça voulait dire connaître mon passé. Puis, elle allait finir par apprendre pour Lara et moi et je ne savais pas comment elle réagirait. Mais je savais que je ne voulais pas la faire souffrir, et tout ça, ça la ferait souffrir. « J'ai envie d'apprendre à te connaître moi aussi mais.. » Je soupirais, je ne savais pas quoi dire, je ne savais pas ce qu'il fallait dire, ce qu'il fallait faire. « Margot, je suis un aimant à problèmes. J'attire les emmerdes et je finis toujours par faire souffrir mes proches, parce que c'est plus fort que moi, parce que je suis qu'un con au final. Je ne veux pas te faire souffrir et tu vas souffrir avec moi, je le sais. J'aimerais te dire que je pourrais te rendre heureuse, qu'on peut apprendre à se connaître et vivre au jour le jour mais.. Putain, je tiens à toi et j'ai peur parce que je ne veux pas te briser, ça, je peux te le promettre. » Ouais, je pouvais lui promettre. Mais ça ne voulait pas dire que je ne le ferais pas pour autant.

J'suis pas douée avec les garçons, c'est un fait. J'ai jamais été le genre de fille qui va voir un garçon et va lui dire qu'il lui plait, et là, je prend sur moi comme jamais pour dire à Adriel que je veux sincèrement apprendre à le connaître, arrêter d'apprendre au fur et à mesure des détails sur sa vie, pendant qu'à côté, notre relation... Physique, dirons nous, prend un sacré tournant. J'veux pas en faire un jouet. J'dis pas que je veux l'épouser non plus, mais avant d'en venir là, faudrait déjà que je sache vraiment qui il est, que je le découvre à mon rythme, à notre rythme à tous les deux. Mais dès que j'ouvre la bouche, je regrette d'avoir parlé devant l'expression d'Adriel. Il s'y attendait visiblement pas - à juste titre - et à l'instant même ou le "mais" franchit ses lèvres, je mord ma lèvre inférieure, m'attendant au pire. Et les mots tombent. Aimant à problèmes. Il est con. Il va me briser. Je vais souffrir. Je mord l'intérieur de ma joue en inspirant à chacun de ses mots. Qu'est ce que je suis censée dire à ça ? « J'voudrais pouvoir te dire que t'as raison. Que tu vas me briser. Que t'es qu'un con et que ça sert à rien d'y voir plus loin. » Pensive, je regarde le matelas où est appuyée ma main, incapable de regarder Adriel dans les yeux. Je fronce les sourcils, et je reprend alors : « Peut-être que t'as raison. Peut-être que t'as tort, aussi. Et ça, j'suis la seule à pouvoir le juger. Et pour pouvoir le juger, j'dois apprendre à te connaître. » Alors qu'est ce que je fais ? Je le force à apprendre à me connaître ? Je lui dit que je me fous de sa façon de voir les choses ? Non, j'peux pas faire ça. Doucement, je me recule, mes pieds retrouvent le sol. « Alors voilà le deal. Si t'estime vraiment que t'es bon qu'à me détruire, j'vais sortir de cette pièce, et ... Je sais pas. J'vais rentrer chez moi, et advienne que pourra. » Cette option me plait pas, et il doit l'entendre dans le ton de ma voix. A contre coeur, je relâche sa main. « Et à côté, j'vais te demander de penser à tous les moments qu'on a passé tous les deux depuis qu'on se connaît, et de te poser une question : Est-ce qu'à un moment ou à un autre t'as joué au con avec moi. Est-ce que t'as agi pour me faire du mal. Et si les réponses s'avèrent être non.. Tu sauras où me trouver. » Je relève les yeux vers lui, la gorge nouée. Putain, j'voudrais le prendre dans mes bras, l'embrasser, lui dire de se taire et de me croire quand je dis qu'il peut pas me faire de mal. La vérité, c'est que j'en sais rien, y a que lui qui peut savoir. « Maintenant.. je vais aller chercher le médecin pour te l'envoyer, et peut-être prendre un taxi pour rentrer. » J'ai dit ce que j'avais à dire. Finalement, je m'écarte du lit où il est, pour aller vers la sortie. Exactement comme je lui ai dit.

Je m'attendais pas à ça, je m'attendais pas à cette discussion. J'étais pas prêt. Je savais pas quoi penser bordel. Je me sentais mal, je me sentais tellement con. Parce que j'aurais pu mentir, j'aurais pu lui dire tout ce qu'elle voulait entendre et elle serait restée là, près de moi, toute la nuit. Mais non, je n'avais pas pu m'empêcher d'ouvrir ma bouche, comme toujours. Et j'avais l'impression que je venais de tout détruire à sa tête. Alors je décidais de me taire un peu, et je l'écoutais. Elle avait raison, si ça se trouvait, tout irait bien. Mais là, elle s'éloignait. Elle se relever et je sentais mon coeur ralentir, se briser légèrement. Mais pourquoi j'avais dit tout ça bordel. Pourtant, là, je pourrais parler. Je pourrais tout effacer, lui dire de rester, que j'veux pas qu'elle parte, que c'était une erreur, qu'on devait essayer. Mais... Non. J'arrivais pas à parler, j'arrivais même pas à la regarder. En sentant sa main se retirer, je me mordais légèrement la lèvre inférieur, relevant enfin les yeux vers elle. Elle avait l'air mal, je réussissais déjà à la briser au fond, non ? J'arrivais déjà à lui faire du mal. C'était pas possible, ça pouvait pas se finir comme ça. Et je la regardais s'éloigner, je restais la bouche légèrement ouverte, je ne savais pas quoi dire. Mais d'un coup, je me levais. « Margot attend ! » criais-je en allant aussi vite que je le pouvais vers elle mais putain, la douleur à mon bras revenait maintenant que j'étais debout et que je marchais. Si mon frère me voit, il me tue. Il m'avait dit de ne pas me lever, mais bon. J'étais têtu. « Je préfère rien te promettre, je préfère ne pas te mentir, d'accord ? Au final, oui, je ne sais pas si je vais te faire souffrir. Mais.. T'es une personne exceptionnelle et je ne sais pas si je suis prêt à prendre le risque.. » avouais-je en soupirant. Putain, mais qu'est-ce que je faisais. « Rentre chez toi, repose-toi, je vais aller chercher un médecin tout seul t'inquiètes pas. » Non non non, reste. Reste avec moi. Rentre avec moi. C'était ça que je voulais dire, au fond. Mais non, je préférais me faire souffrir. « Fais attention à toi. » rajoutais-je simplement en m'approchant d'elle pour déposer un baiser sur son front. J'espérais que ce ne soit pas le dernier contact que j'aurais avec elle, mais au fond, j'en savais rien. Je ne savais plus, j'étais perdu. La soirée avait prit un tournant inattendu. Alors je tournais les talons et je partais à la recherche d'un médecin. J'avais besoin de rentrer chez moi, j'avais besoin d'être seul.

A chaque centimètre qui m'éloigne de lui, ça m'fait mal. Au final, il veut pas apprendre à me connaître pour pas me blesser, et c'est dans l'autre sens que ça se produit, sauf que je me fais du mal toute seule, il y est pour rien. Il est dans son droit d'estimer qu'il ne peut pas m'apporter quoique ce soit. J'suis personne, j'suis juste une fille qui vient de revenir de Corée, qu'a mangé avec lui un soir. Voilà ce que je m'enfonce dans le crâne, alors que je relâche sa main, et qu'au passage, je redescend sur Terre. Mes mots ont un goût d'ultimatum sans que je le veuille vraiment. Mais soyons réalistes: Je peux pas être celle qui décide, dans cette équation. Ma seule solution, c'est la fuite. J'arrivais au milieu du couloir quand la voix d'Adriel me tire de l'état léthargique dans lequel je m'étais déjà plongée. Je pivote pour finalement découvrir qu'il est descendu de son lit, qu'il vient vers moi. Aussitôt je fronce les sourcils, je secoue la tête. « Ton bras Adriel, faut que tu t'repose. » Mais il s'en fiche, ignore mes mots, balance les siens. Les derniers ont l'effet d'une lame de rasoir, j'entends que ce que j'ai envie d'entendre. "Je sais pas si je suis prêt à prendre ce risque." Je ferme les yeux, pince les lèvres, mon coeur va s'arracher hors de ma poitrine, ça fait plus mal que prévu, y a pas de préparation psychologique pour ça. Mais j'suppose qu'au moins, j'ai ma réponse plus tôt que prévue. « Je vois. » C'est tout ce que j'arrive à dire, la gorge saturée par des sanglots qui ne viennent même plus. J'ai juste la voix triste. J'ai tellement pleuré ce soir que j'dois être à sec. La pression de ses lèvres sur mon front est probablement pire que tout le reste. Je garde les bras ballants, alors que j'ai envie de le prendre dans mes bras, de sentir son parfum, de lui demander de rester avec moi en lui avouant en riant que j'ai peur des éclairs dehors. Sauf que j'dis rien, j'ai rien à dire, et il s'éloigne dans le couloir. Je pars dans la direction opposée. L'air plus morte que jamais intérieurement. Un passage devant la chambre de Kaya, et je la vois endormie avec mes parents. Je laisse un mot, explique que je suis rentrée en taxi. Je croise le médecin, lui indique malgré tout la chambre d'Adriel en lui demandant la faveur d'aller s'occuper de lui. Si c'est la dernière chose que j'peux faire, autant qu'elle lui soit positive. Puis je sors sous la pluie, j'ai froid, j'ai envie de chialer, de hurler aussi. Au lieu de quoi, je monte dans le taxi, en espérant réussir à trouver le sommeil une fois chez moi. En espérant sortir de mon esprit que cette nuit m'aura définitivement trop pris.