J’ai passé la pire nuit de ma vie. De loin. Une couverture sur les épaules, les mains tremblantes, je m’efforce de ne pas écouter le tonnerre dehors alors que j’attends dans la salle d’examen de l’hôpital. Mes parents sont avec Kaya, dont l’état est pire encore que le mien à cause de sa maladie. Je les ai rassuré, leur ai dit que j’allais bien, pour qu’ils puissent prendre soin de mon aînée. J’ai eu des brûlures superficielles, et eu le droit à une assistance respiratoire sur le trajet de l’hôpital. Mes vêtements sont en partie déchirés, mais j’ai refusé de mettre la tenue de l’hôpital en sortant de ma douche.  Et le pompon, c’est que mon téléphone est foutu. Au bout de ce qui m’a semblé être une éternité, le médecin est venu me « libérer ». Pour aller où ? Chez moi ? Hors de question, j’ai trop peur de sortir seule avec l’orage, et je suis pratiquement sûre que mes parents vont passer la nuit ici. Epuisée, je finis par demander s’ils avaient une salle de repos, mais celle-ci était saturée d’étudiants. Qu’importe, je vais errer dans l’hôpital jusqu’à ce que je trouve une occupation, ou jusqu’à ce que je tombe de fatigue sur une chaise. C’est au bout de dix minutes que je reconnais une silhouette. Sa silhouette. « Adriel ? » Quand il se retourne, mon cœur lâche, littéralement. Je réfléchis pas, je lâche la couverture sur mes épaules, et je cours jusque ses bras. J’ai envie de pleurer, mais je me tiens, je l’inspecte, je vois son bras. « Qu’est ce qui t’es arrivé ? Y a eu le feu aussi en ville ? » A ma connaissance, seules trois maisons d’Harvard avaient pris feu. Les trois plus proches, la Winthrop, la Eliot… Et la mienne.

J'avais l'impression que cela faisait une éternité que j'étais allongé dans ce lit. Une éternité que je fixais mon bras, me demandant comment tout cela allait finir. Est-ce que j'allais avoir une cicatrice ? Est-ce qu'il allait me faire souffrir à vie ? Est-ce qu'au final ce n'était pas si grave et dans quelques semaines il n'y aurait plus de traces ? Tant de questions sans réponses. Les étudiants blessés, eux, continuaient d'arriver. Il y en avait de plus en plus, mais aucun visage connus. Emilia et son amie étaient partis se faire soigner, Lara était partie téléphoner à ses amis pour savoir si tout le monde allait bien et mon jumeau était parti s'occuper d'autres personnes après m'avoir appliqué une crème. Crème m'ayant fait horriblement souffrir, mais ça avait l'air d'aller mieux. Je m'estimais chanceux quand je voyais l'état de certaines personnes. Mais je me demandais comment aller les étudiants, dans ces maisons en feu. J'espérais que personne ne soit gravement blessé. Mais une voix me sortait de mes pensées, alors que je tournais la tête. « Margot ! » lâchais-je alors qu'elle courrait vers moi. Putain, elle était vivante et elle avait l'air d'aller bien. Elle était en vie. J'arrivais pas à y croire. « Non, j'étais sur le campus, j'ai vu les maisons brûlés.. La lowell.. J'ai voulu aller voir.. T'aider.. Putain je suis tellement rassuré de te voir entière ! » disais-je en serrant sa main dans la mienne. Finalement, même si j'avais été un idiot à me prendre pour un pompier expérimenté, ce n'était pas grave. Elle était ici, elle était vivante et elle n'avait pas l'air blessé. Qu'est-ce que je pouvais demander de mieux ?

Le centre de soin était saturé, la tempête empêchait l’utilisation d’une partie du matériel. Autrement dit, c’est la guerre, ici, et je ne reconnaissais aucun visage, jusqu’à ce que je reconnaisse Adriel. Il ne m’a pas fallu réfléchir bien longtemps, courant pour le rejoindre. J’en oublie mes brûlures, mes coupures, ma gorge qui me brûle, cette sensation d’être encore là-bas, perdue avec les autres Lowells. Non, là, tout ce qui m’inquiète, c’est lui, c’est de savoir comment il va. Quand il m’explique ce qu’il a voulu faire, ma gorge se serre, les larmes remontent. Il s’est mis en danger pour moi ? Du moins… Pour la maison. Je pince les lèvres, je m’efforce de retenir mes larmes, émotive que je suis. « Tu n’aurais rien pu faire… Le temps qu’on réalise ce qui se passe les flammes avaient gagné trop de terrain. » J’inspire, portant une main à ma gorge comme si l’air pouvait me manquer à nouveau comme dans les couloirs saturés de fumée. « Je vais bien.. Des blessures superficielles, j’ai eu de la chance… » Ca, je le réalise encore. J’aurais pu tomber maintes fois, et si Anna ne m’avait pas tiré de cet escalier, je serais peut-être gravement blessée, ou pire encore. Je serre sa main dans la mienne, la caressant du bout du pouce. « J’ai eu peur pour toi… Je savais pas ce qu’il se passait dehors, je.. » Arrête, Margot. Je passe une main sur mon visage, m’efforçant de rester calme, et c’est d’une voix étranglée que je fini par dire : « J’ai été coincée aux étages. Je.. J’ai eu peur de pas m’en sortir. » Moi qui suis d’ordinaire toujours optimiste, là, j’étais passée du troisième étage au quatrième sous-sol.

Tranquillement allongé, à attendre que le temps passe, Margot débarquait enfin. Je m'étais posé pleins de questions sur elle, me demandant si elle allait bien, si elle était à la Lowell, si elle était au milieu des flammes. Mais maintenant, elle était là, près de moi et j'étais rassuré. Même si elle avait l'air d'avoir quelques blessures, elle marchait, elle parlait, alors ça ne devait pas être grave non ? Elle m'expliquait alors rapidement ce qu'il s'était passé. Mon dieu, j'arrivais pas à croire qu'un truc comme ça puisse arriver. « Tu as eu beaucoup de chance et j'espère que personne de la Lowell est gravement blessé ? » demandais-je en l'observant. Si ce n'était que superficielle, ça allait. Mais j'avais vu les flammes, j'avais vu les maisons prendre feu et j'espérais que tout le monde ait pu sortir sans avoir trop de soucis. Mais actuellement, Margot était ma seule préoccupation. Physiquement, elle allait plutôt bien. Mais mentalement, elle avait l'air.. détruite. Ce qui était plutôt logique vu ce qu'elle venait de dire, mais ça ne lui ressemblait pas. « Mais tu es vivante. Tu es là et tu n'as rien. Il faut que tu arrêtes de penser à tout ça, tu dois te vider l'esprit. » Bon, c'était clairement plus facile à dire qu'à faire. Les images des flammes autour d'elle allait sûrement la hanter pendant plusieurs semaines. Mais peu importait, j'allais l'aider du mieux que je le pourrais pour qu'elle s'en remette le plus vite possible. « Tes soeurs vont biens ? » demandais-je calmement, en espérant ne pas faire de bêtises. Mais je savais que l'une de ses soeurs étaient à la Lowell, elles avaient dû se retrouver bloqués toutes les deux.

C’est fini, je bouge plus d’où je suis. Adriel est la première tête connue que je trouve par ici. Dans d’autres conditions, j’aurais eu honte de ma dégaine : En pyjama, les vêtements déchirés au niveau de l’endroit où j’étais tombée, mes cheveux roux en bataille… En somme, rien de fameux ni de glamour. Après, me direz-vous, il m’a vue en pyjama combi. Je m’assois finalement à ses côtés, sans lâcher sa main. Lorsqu’il me demande si quelqu’un a été gravement blessé, je secoue la tête. « Pas à ma connaissance… Mais je n’ai pas pu voir tout le monde, on a été séparés quand les escaliers ont lâché. » Séparée de ma sœur, surtout. J’avais vécu ça comme une déchirure, angoissant dans la crainte qu’il lui arrive quelque chose avec sa santé fragile. J’arrive pas à me défaire de ces images, je broie du noir. Chaque fois que je ferme les yeux, j’ai l’impression de sentir à nouveau la chaleur et l’odeur de fumée autour de moi. Adriel me ramena à la réalité, essayant de me convaincre de cesser d’y penser. Je hoche la tête, sourcils froncés. « Je sais… J’essaie. » Mais c’est dur, c’est encore trop récent, trop surprenant, aussi. Dehors, la tempête continuait, et à l’entente d’un éclair, je ferme les yeux, lèvres pincées. Je déteste cette nuit. Enfin, nuit… le matin n’allait plus tarder. Les paupières closes, je soupire en entendant Adriel et sa question. « Milli va bien je crois. Kaya… A cause de sa maladie, elle a été placée sous assistance respiratoire, ses poumons ont pris un coup. » Je rouvre les yeux pour regarder le jeune homme, précisant sans me souvenir si je lui ai dit : « Elle a la mucoviscidose. Alors la fumée... »

J'étais tellement heureux de la voir. Je me disais que finalement, cette soirée n'était pas si merdique que ça. Elle allait bien, Lara allait bien, Emilia allait bien, mon frère allait bien. Il ne me manquait qu'à prendre des nouvelles de Veïa, mais ça, ce serait pour plus tard, j'étais encore trop fragile avec elle malgré ce que j'en disais. Un frisson parcourait mon corps en entendant les paroles de Margot. C'était dangereux, elle aurait vraiment pu y passer. « On en sera plus quand les pompiers auront évacués tout le monde, j'espère que ça ira.. » répondais-je doucement. J'attrapais sa main, je ne voulais plus la lâcher. J'avais peur qu'elle s'évapore, ce n'était pas la même peur que notre dernière nuit ensemble. Non, là j'avais peur que ce soit une illusion, une hallucination et qu'en réalité, elle soit encore bloquée dans cette Lowell en feu. Evidemment, elle avait du mal à oublier. Et ça allait prendre du temps. Ce n'était pas le genre de choses que l'on pouvait oublier du jour au lendemain. Surtout que c'était bien trop récent. Mais je serais là pour elle, ça, c'était une évidence. Puis, je décidais de prendre des nouvelles de ses soeurs et.. sujet sensible. Je ne savais pas pour la maladie de sa soeur, sinon, je n'en aurais jamais parlé, je n'aurais jamais osé. Mais maintenant, c'était fait. « Je suis désolée je savais pas.. » avouais-je doucement, avant de lâcher sa main pour aller caresser sa joue avec mon bras intact. « Elle est entre de bonnes mains maintenant qu'elle est à l'hôpital, les médecins vont prendre soin d'elle et tout ira bien. » rajoutais-je avec un léger sourire. Il n'y avait pas de raisons pour que ça se passe mal, hein ?

Revenir d'Harvard, pour vivre ça au bout d'un mois. Je dois avouer que j'ai été tentée de dire à mes parents que je voulais déjà repartir d'ici, en toute honnêteté. Mais la vérité, c'est que je peux pas leur faire ça. Et pire encore, ce ne sont pas eux qui ont besoin de moi, mais moi qui ai besoin d'eux, de ma famille comme de mes proches, je m'en rend compte alors que la main d'Adriel serre la mienne, que je m'y accroche comme si c'était mon unique lien avec la réalité. « On ne peut qu'attendre. Savoir les circonstances de tout ce bazar, aussi.. » Comment était parti ce feu, était-ce lié à l'orage, à autre chose ? Maintenant que j'étais en lieu sûr, les questions commencent à venir. J'arrive pas à oublier, j'ai du mal à sortir mon esprit de la Lowell, quand bien même n'y suis-je plus corporellement parlant. Quand j'aborde finalement le sujet de la santé de ma soeur, je sens Adriel se tendre, comme s'il regrettait d'avoir abordé le sujet. Heureusement, sa main vient simplement caresser ma joue, et mon premier réflexe fut de venir coller d'avantage celle-ci contre sa paume, profitant de ce contact que j'ai eu peur, je dois l'avouer, de ne plus sentir. « Tu pouvais pas savoir. Ne t'en fais pas. » Ma main vient effleurer son avant bras qui n'est pas blessé, tandis que du bout des lèvres, je viens embrasser sa paume cette fois. « Ils l'ont stabilisée, ça devrait aller oui... » Je lui retourne son sourire, comme pour le rassurer à mon tour. Je ne lui en veut pas de m'avoir parlé de Kaya, au contraire. Il fait attention à moi. « Du coup, ils te gardent coincé ici combien de temps? »

Elle avait raison, il fallait juste attendre. Et l'attente, c'était le plus long. Mais j'espérais que demain, on aurait des réponses, dans la journée. Qu'on saura exactement ce qu'il s'est produit pour que tout cela arrive, car ce n'était quand même pas normal. Tout cela me rappelait le tremblement de terre, les bombes, les prises d'otages.. Il fallait quand même avouer qu'on avait pas de chance à Harvard, on été maudits. Je ne disais rien, préférant enchaîner sur ses soeurs pour évidemment parler du sujet sensible. Mais bon, heureusement elle allait bien, donc ce n'était qu'une bêtise à moitié, non ? Je caressais sa joue, ne pouvant m'empêcher de sourire quand elle déposait un baiser sur la paume de celle-ci. J'étais bien heureux de retrouver ce contact avec elle, même si j'aurais préféré que ce soit dans d'autres circonstances. « Tant mieux, je suis rassuré. » disais-je en souriant. Elle devait l'être aussi, et sa famille aussi. A sa question, je me rendais compte que je n'avais pas fait attention. Presque habitué à être là, étant donné que j'y étais depuis le début, j'avais été l'un des premiers arrivants ici. « Quand un médecin pourra s'occuper de moi. Il y a beaucoup de mondes et des blessés plus graves.. » disais-je en soupirant. Je devais avouer que j'aimerais bien pouvoir rentrer chez moi. Mais ça allait finir par se calmer et on s'occuperait enfin de moi. « Mon frère vient de temps en temps me faire des soins, ça permet de limiter les dégâts j'imagine ! » rajoutais-je en souriant, essayant de paraître optimiste. Est-ce qu'elle savait que j'avais un frère ? Jumeau en plus ? Je n'en avais pas la moindre idée, il fallait avouer que je ne parlais jamais de lui et que ça faisait des mois que je n'allais pas vu avant ce soir. Comme quoi, les catastrophes, ça rapproche.

Pour l'instant, l'heure était aux soins, et demain viendraient les questions. Mon esprit journaliste est au repos, là, et les questions, je les enterre, je les met de côté, j'essaie de faire abstraction de tout pour me focaliser uniquement sur les grands yeux gris d'Adriel, posés sur moi. Il est rassuré, et je lui souris. Pour la première fois depuis des heures, j'ai l'impression d'être calme. Finalement, je me décide à me focaliser sur lui, à demander combien de temps il est coincé ici. Et finalement, à sa réponse, une grimace m'échappe. « Si j'avais su que t'étais là, j'aurais demandé au médecin qui s'est occupé de Kaya, c'est un ami de la famille. » au lieu de quoi, le pauvre se retrouve coincé là, au milieu du centre de soin, avec des gens qui passent sans arrêt dans les couloirs. Je m'efforce d'ailleurs de leur tourner le dos. Sans arrêter de passer le bout de mon pouce contre son avant bras, je fus surprise de l'entendre me parler de son frère. « Je savais pas que tu as un frère.. » Je fronce le nez à cette pensée, bien vite rejointe par une autre constatation: « Faut dire que de façon globale, je sais pas grand chose de toi... » Pas assez, même, mais je me garde de dire ce paramètre à voix haute, encore trop timide pour révéler ce genre de chose à Adriel. Puis je me risque à demander, en pinçant les lèvres: « Si tu veux, je peux rester jusqu'à ce qu'un médecin arrive ? Sauf si t'attendais quelqu'un... » On ne sait jamais.

Je souriais à ses paroles, elle était adorable. Il fallait avouer que je n'aurais pas dit non à ce qu'un médecin vienne s'occuper de moi directement. Mais je savais qu'il y avait des cas plus graves, je savais que je devais juste faire preuve de patience même si ça, ce n'était pas mon fort. « C'est gentil, mais ça devrait plus tarder, j'en suis sûr. » Quand même, ça faisait des heures que j'étais là, il allait bien finir par y avoir un médecin pour venir s'occuper de moi, non ? Et là, je comprenais que je ne lui avais jamais parlé de mon frère. Même s'il fallait avouer que ça ne me surprenait pas, il y avait tellement peu de personnes au courant de cela. Et elle avait raison, elle ne savait pas grand-chose de moi. Mais est-ce qu'elle devait vraiment savoir ? Est-ce qu'elle devait savoir que je m'étais fait passer pour mort ? Est-ce qu'elle devait savoir que j'avais passé deux ans de ma vie en cavale ? Je n'étais pas sûr d'avoir envie qu'elle découvre cette partie-là de moi. « Vrai. Mais si tu veux tout savoir, j'ai un frère jumeau. Même si je suis quand même le plus beau de nous deux. » disais-je en riant légèrement, avant de vite reprendre. « On a été séparé à la naissance, je n'étais pas au courant de son existence pendant bien longtemps. Puis ma soeur, oui j'avais une soeur aussi, est morte il y a quelques mois alors j'ai voulu me rapprocher de lui étant donné que c'est ma seule famille mais on se détruit plus qu'autre chose. Alors je ne parle jamais de lui. » avouais-je en baissant le regard. J'avais encore du mal à dire à voix haute que Cora était morte, parce que je n'avais toujours pas fait le deuil, malheureusement. Mais je relevais les yeux vers elle à ses paroles, un sourire revenant immédiatement à mon visage. « Je serais content que tu restes, mes amis sont parties se faire soigner. Oh d'ailleurs, Lara est quelque part dans l'hôpital. J'ai appris ce soir que vous vous connaissiez alors tu seras peut-être contente de savoir qu'elle est là.. » rajoutais-je en l'observant. Mais en réalité, il ne valait mieux pas que je parle d'elle. Au fond, même si je ne le savais pas encore, ce n'était pas une bonne idée.