Alejandro avait eu la gentillesse de me mener jusqu’au drugstore. J’en connaissais d’autre qui, après avoir craché l’information contre récompense, m’auraient laissé tomber. Enfin apparemment ce n’était pas son cas. J’aimais bien son prénom qui reflétait ses origines. Mais j’avais sorti ma phrase trop vite pour mon piètre cerveau. Je pensais à la chanson de Lady Gaga au titre éponyme et au chanteur de la Tortura avec Shakira, du coup j’avais involontairement fait un mix en « la chanson de Shakira ». Nullissime… Mais bon, il ne semblait pas avoir relevé ma faute.

-Le voyage n'est pas terminé et bientôt, tu seras sous un meilleur jour.

En attendant, j’étais sexuellement frustrée… J’étais malade et à côté d’un superbe mec… Dans d’autres circonstances, je lui aurais sauté dessus. Enfin plus ou moins. J’aurais d’abord obtenu son consentement.

Je maintenais un semblant de discussion, ça me faisait du bien de parler. Je lui avais reproché de me fuir parce que, à coup sûr, j’étais verte. Ce à quoi il me répondit :

-Je ne fuis pas! Je prends mes précautions, c'est tout...

-Ahah ! C’est ce qu’ils disent tous pour se faire pardonner !

Je souris à nouveau, en essayant de retenir mon rire. Pour combler le vide, je lançai la conversation sur lui. Il était bien bavard, j’aimais bien ça !

-Si c'était le cas, je ne crois pas que j'aurais quitté l'Espagne... J'étudie en droit. Pourquoi la guitare? Tu imagines que les Espagnols sont tous des guitaristes ?

-Euh non, pas du tout, quoi qu’il y a pire comme préjugé ! D’abord, c’est parce que j’ai lancé le thème de la chanson sur ton prénom. Ensuite c’est… Euh… Tes mains, fis-je avec un petit signe de tête vers celles-ci. Tes doigts sont longs et fins. Tu devrais essayer, je suis sûre que tu ne serais pas mauvais.

J’étais guitariste. Mais les cours à Harvard ne se passaient pas au mieux. On ne touchait jamais à ce type d’instrument. On avait seulement un piano, mais entre les cordes frappées de l’instrument et celles pincées de la guitare, le vide était immense. Je préférais encore les airs mélancoliques des cordes frottées des violons. Mais je l’avais emmenée, ma guitare ! Je pourrais peut-être lui montrer !

-Si tu veux, on pourra aller dans ma chambre quand ça ira mieux, j’ai la mienne de guitare. Une acoustique, chuchotai-je

Ca faisait sans doute un peu méthode de drague vaseuse, quoi que j’avais sorti à Dante pour l’attirer dans ma chambre qu’il y avait un sèche-cheveux. Du coup, je l’avais nommé Barnabé ! Seulement après il répondit à ma question sur sa vie dans la Eliot House.

-Ma vie à la Eliot se passe très bien, je suis content d'avoir rejoint cette maison plutôt qu'une autre. En même temps, c'est la plus prestigieuse. Et toi? Satisfaite de ton choix jusqu'ici?

-Eh bien… Disons que j’ai dû quitter l’école pendant un certain temps l’an dernier, alors je ne connais que peu de monde… Mais sinon, c’est une maison sympathique ! Je suis heureuse d’être là.

Je pris une grande inspiration et annonçais très rapidement avec une voix de petite souris :

-Et je suis contente de t’avoir rencontré. Merci pour ton aide.

J’espérais qu’il ne m’avait pas entendue. Je gardais les yeux fixés sur le sol.

Pauvre Evanna, elle devait trouver la croisière bien peu agréable jusqu'ici. Trop fière pour demander de l'aide, elle avait finalement attendu de tomber sur Alejandro pour avoir ce coup de main dont elle avait besoin. Le jeune homme ne s'est pas trop si un tel comportement tient de l'orgueil ou de la stupidité, néanmoins, il ne la jugeait pas à outrance. Par contre, se faire vomir dessus, no gracias! Alejandro eut un léger rire devant le scepticisme de sa camarade eliot. Puis, faisant mine d'être prétentieux, il ajouta:

-Oh mais je ne suis pas "tout le monde".

La célèbre phrase "il n'y a personne comme moi, il n'y a que moi" lui irait bien, non? Puis, Evanna disait qu'il était guitariste et Alejandro était curieux de savoir pourquoi. Tout de suite il imaginait qu'elle pensait que tous les Espagnols jouent de la guitare, ce qui n'est pas le cas, enfin, pas plus qu'ailleurs. Au début, la belle blonde pédalait un peu, mais elle se reprit en moins de deux. Quand elle parlait de ses mains, il les observait un brin, avant de reporter son regard sur elle, tout en faisant attention à sa marche, pas envie de frapper quelqu'un ou pire, un mur.

-En fait, j'ai déjà essayé, la guitare, le violon et le piano, mais aujourd'hui, je ne joue que du piano.

Voilà qui expliquait peut-être pour ses doigts. De fil en aiguille, Evanna lui proposait alors de jouer de la guitare dans sa cabine. Le fait qu'elle le chuchotait suscitait sa curiosité. Qu'y avait-il de secret à cette invitation? Le jeune homme la détailla du regard un brin, avant de sourire et de répondre:

-Je serais ravis de t'entendre. Par contre, moi aussi avant, faudra que je passe prenne une douche et me changer.

Il ne comptait pas rester en tenue sport tout le temps non plus. Puis, à son tour, il se montrait curieux d'en savoir un peu plus sur Evanna et sa vie parmi les Eliots. Puis, elle le remerciait pour son aide, avec une hésitation toute mignonne. Sourire en coin, Alejandro se rapprocha pour déposer un baiser sur la joue de la demoiselle.

-Mais je t'en pris... Ne me remercie pas trop de te priver d'alcool ceci dit.

Puis, peu avant qu'ils arrivent au drugstore pour obtenir les fameuses patchs, il demandait:

-Et qu'est-ce qui t'as permis de rejoindre la Eliot House?

Car n'entre pas qui veut au sein de la maison Eliot, il faut être de l'élite, élite sociale, élite intellectuelle, look, c'est un tout quoi.

Apparemment, c’était un bon point pour moi, il ne fuyait pas, il « prenait ses précautions ». Mais devant mon scepticisme, il se sentit obligé d’ajouter :

-Oh mais je ne suis pas "tout le monde".

A nouveau je souris. Tout en lui lançant un léger coup de coude qui me secoua un peu trop l’estomac à mon goût, je lançais :

-Vantard va ! ♥

Même quand il parlait de lui comme d’un être différent et, en l’occurrence, supérieur, il était adorable. C’était presque inhumain. Je voulais en savoir un peu plus sur lui et ce qu’il faisait en général. Manque de bol, j’avais visé des études dans la musique, et il était en droit. C’était presque la même branche, sauf qu’au lieu de jouer des percussions, il fallait faire des joutes verbales. Ca l’avait étonné que je dise guitariste, il pensais que j’étais tombée dans le préjugé des « espagnols musikos ». Mais non, je disais ça par rapport à ses mains, et il me fournit l’explication attendue.

-En fait, j'ai déjà essayé, la guitare, le violon et le piano, mais aujourd'hui, je ne joue que du piano.

Oh, ceci expliquait tout. Un pianiste. J’aurais dû m’en apercevoir. Je comprenais pourquoi je n’avais pas ma place en cours de musique, j’étais trop focalisé sur mon instrument, et pas assez ouverte aux autres. Je lui proposais alors de venir dans ma chambre essayer ma guitare, mais j’étais un peu timide. Pourquoi ? Parce que j’étais une bien piètre guitariste moi-même et que j’avais peur qu’il me surpassât. Je surpris le regard d’Alejandro posé sur moi, puis ses lèvres s’étirèrent sur un sourire. Il m’avoua qu’il serait ravi de m’écouter, mais qu’il faudrait avant qu’il aille prendre une douche dans sa propre cabine et se changer.

-Je pensais qu’un grand sportif vivait avec et pour ses habits ! Que c’était sa marque de fabrique, et qu’il y tenait comme à la prunelle de ses yeux !

Bon, je me moquais un peu, mais c’était pour me distraire du fait qu’il acceptait de venir dans ma chambre pour m’écouter jouer… J’étais mortifiée, mais je le cachais tant bien que mal. Du coup, alors qu’un blanc s’installai, il voulut en savoir d’avantage sur moi, et je lui répondis honnêtement (ou presque). De plus, je le remerciai mais je n’étais vraiment pas douée pour ce genre de chose. Alors lorsqu’il m’embrassa la joue, je rougis violemment.

-Mais je t'en prie... Ne me remercie pas trop de te priver d'alcool ceci dit.

-Je n’ai pas besoin d’alcool, je suis déjà au Para… Ne me dis pas que je viens de penser tout haut, Alejandro ? Je ne viens quand même pas de me ridiculiser encore une fois ?

Je n’avais pas besoin de sa réponse pour savoir que si. En revanche, sa réaction m’inquiétait. Comment allait-il réagir ? Je l’avais presque provoqué, là…

Il ne nous restait plus beaucoup de chemin à parcourir, mais Alejandro avait encore une question.

-Et qu'est-ce qui t'as permis de rejoindre la Eliot House?

Là, j’étais dans le pétrin… Je ne voulais pas tellement parler de ma famille, surtout du côté maternel de la branche. J’improvisais un peu en ne lui donnant qu’une demi-vérité.

-Hum… Eh bien… Mon père est chef d’une entreprise qui fabrique des pièces détachées d’avion qui était... qui est relativement florissante et disons que j’ai obtenu un titre de noblesse anglaise, je suis duchesse héritière du plus vieux duché d’Angleterre. Et toi je suppose que tu n’es pas un espagnol ordinaire ?

En vérité, son entreprise coulait parce que ma mère voulait la lui voler, alors qu’il lui avait tout enseigné. Mes parents vivaient séparément, et le titre appartenait avant tout à ma mère. C’était elle la « riche » dans l’histoire. Moi j’étais encore une petite fille trimballée entre ses deux parents. Mais ça, Alejandro ne devait pas le savoir, c’était l’un de mes secrets inavouables…

Evanna prit plutôt bien sa petite vantardise, même si après, elle le reprenait un brin. Une Anglaise avec le sens de l'humour? Voilà qui n'est pas si commun. Comme elle le traitait de vantard, il fit son sourire le plus charmeur, avant de rire légèrement et la discussion reprit sur autre chose cette fois.

Il fut question de musique d'abord, puis après de sport, ou plutôt, de tenue sportive. Evanna lançait que les sportifs ne devaient jamais se changer. Alejandro eut une réponse plutôt philosophique, parlant tout en regardant droit devant lui, un petit sourire en coin.

-Peut-être bien... Mais un homme avec une seule facette est un homme bien limité. Ceux qui se décrivent en plus d'un mot, ce sont eux les hommes d'avenir.

Selon lui, si une personne se limite à être seulement belle, intelligente ou sportive, si elle n'est pas une somme de qualités, alors elle ne vaut pas grand chose. Un esprit sain dans un corps sain et l'atteinte de la perfection, tenter au moins, devrait être le but de tous.

Puis, comme ils arrivaient au drugstore, Evanna le remerciait et en la voyant toute gênée, le beau brun décida d'en rajouter une couche, usant de sa chaleur toute espagnole, ce qui fit rougir la belle Anglaise en moins de deux. Une femme qui rougie, c'est une vue toujours mignonne. Du coup, elle se disait au para...dis! Ce qui le fit légèrement rire, avant d'arrêter. Marchant à travers une allée du drugstore, il ramassait une boîte de ses patchs et la tendait à Evanna.

-Mais non, tu es juste... une Anglaise, c'est tout.

Les Espagnoles sont des femmes difficiles à impressionner. Les Anglaises? C'est différent. Bien sûr, c'était une petite taquinerie. Puis, le jeune homme se montrait curieux de savoir comment elle avait pu rejoindre les Eliots. Personne dans cette maison n'est un lambda, ils sont tous de grands héritiers ou même déjà riches. Le plus vieux duché d'Angleterre? Le mariage classique entre le bourgeois et la noble donc... Le nombre de nobles anglais à Harvard commence à inquiéter par contre. Ils ne devraient pas être à Oxford?

-Le plus vieux duché d'Angleterre? Celui de York, Lancaster?

Alejandro aussi avait des amis dans la noblesse, un monde qu'il méprise un peu tout de même. Les nobles n'ont pas travaillé pour atteindre leur rang, c'est uniquement une question de rang. Evanna était les deux à la fois, le monde idéal sans doute. Alejandro de son côté n'a aucun lien avec la famille royale d'Espagne et pourtant, le roi d'Espagne est venu passer des vacances chez son grand-père...

-Pas vraiment. Tu connais la marque Zara? Pull and Bear? Stradivarius? Mon grand-père, Amancio Ortega, est le fondateur de Zara et a dirigé un consortium qui possédait toutes ses marques. Aujourd'hui, il a pris sa retraite, enfin, en quelque sorte, mais il reste propriétaire et actionnaire principal de beaucoup de ses franchises.

Et son grand-père attend d'avoir quelqu'un a qui passé le flambeau et ce ne sera pas le père d'Alejandro, mais plutôt lui, pour toutes sortes de bonnes et de moins bonnes raisons. En tout cas, à ce niveau, il ne jouait pas les modestes. Au contraire, son grand-père a bâti un empire imposant à partir de rien, mais alors là, rien du tout.

-Tu vas pouvoir aller payer? Je n'ai pas mon portefeuille avec moi.

Il était agréable de converser avec Alejandro. Il aimait bavarder, ça se voyait (peut-être un prochain Razzie ?). Nous abordions des sujets complètement différents avec animation, je ne pouvais pas m’empêcher de le taquiner. Lorsqu’on aborda le thème du sport, sa réponse m’étonna. Un homme pouvant être décrit en un mot ne valait rien… Et les femmes alors espèce de misogyne ?! Je retins ma boutade pour lui répondre sur le même terrain.

-Aucune personne ne peut avoir qu’une seule facette. Nous sommes tous un ying et un yang, cet équilibre qui nous permet de vivre. Il y a du bon et du mauvais en chacun de nous. On a donc obligatoirement une qualité principale et celles moindres entourée de défauts. C’est un peu comme le système solaire, si tu veux une image.

D’accord, il pouvait être sérieux et philosopher. Mais je n’étais pas en reste ici non plus. J’aimais parler des vices humains, comme j’adorai étudier les personnalités des personnes qui m’entouraient.

On arrivait au Drugstore, mais on n’arrêtait pas de discuter pour autant. Du moins, je ne pouvais m’empêcher de le remercier pour tout ce qu’il avait fait. Sans lui, j’aurais je pense détester la croisière et je ne serai plus jamais monté sur u bateau de ma vie. Quoi que je n’avais pas encore utilisé ces fameux patchs. En guise de réponse à mon remerciement, il m’accorda un baiser sur la joue. Je réagis en m’empourprant violemment. Il rit, et marchant à travers les allées du drugstore, il prit un paquet de patchs et me le tendais. Comment ça j’étais juste une Anglaise ? Le vilain petit canard ! Mais je ne pus que sourire face à sa gentille boutade.

Après, il voulut en connaître d’avantage sur moi. Je lui racontais mon histoire dans les grandes lignes dans une demi-vérité. Ça ne me faisait pas vraiment plaisir d’évoquer la branche maternelle de ma famille, aussi lorsque qu’il me demanda quel était ce plus vieux duché dont je parlais, ce fut avec une certaine gêne que je répondis :

-Ma mère est duchesse héritière de Norfolk. Ce titre a été créé trois fois dans la prairie d’Angleterre, et le premier date de… 1397 si ma mémoire est bonne, avec Thomas Mowbray à sa tête, le premier compte de Nottingham. Actuellement, c’est le plus ancien titre de duc subsistant dans les prairies britanniques.

Mais je n’avais pas sincèrement envie de m’étendre sur le sujet, aussi je lui demandais ce que lui avait pour avoir accéder à la Eliot House. C’était apparemment par son grand-père, Amancio Ortega, qui était le créateur de grandes marques que je connaissais.

-Waouh ! Tu dois avoir plein de réductions ! me moquai-je gentiment.

Mais le mal de mer me gagnait à nouveau, il fallait vraiment que j’aille au comptoir, que je puisse enfin me détendre sur ce maudit bateau. Lorsqu’Alejandro me posa la question, je répondis par une grimace. Je pris ma tête de poupée, surement nullement embellie par mon teint verdâtre, et battait des cils.

-Tu viens avec moi ? dis-je avec une note de charme dans la voix. J’ai peur toute seule.

Je me dirigeais vers le comptoir. Heureusement, à cette heure, il n’y avait pas de queue. Je payai rapidement et nous sortîmes du magasin. J’ouvrai la boîte et demandai à Ale :

-Hum hum… C’est ma minute « je suis une tarte »… Ça se met où en fait ?

Et puis quitte à enfoncer le clou un peu plus loin, j’ajoutai :

-Tu veux bien m’aider à le mettre ?

Alejandro est un bavard, c'est vrai! Il faut bien cadrer un peu dans les stéréotypes de son pays, non? Parler de choses et d'autres ne le dérange pas le moins du monde et il aime les gens avec de la répartie, ce qui semblait être le cas d'Evanna, qui lui énonçait à son tour son concept de l'être humain. Si l'Espagnol est plutôt existentialiste à sa manière, refusant toute définition, la jeune femme se faisait plus proche de Confucius si on veut. Elle pensait que l'être humain est une sorte d'équilibre. C'est bien de le penser, mais il ne croit pas que ce soit la réalité pure et simple.

-Ah, tu crois?

Apparemment si, mais c'était sa façon un peu de passer à un autre sujet sans se lancer dans un éternel débat. Discuter de l'existence avec une fille sur le point de vomir, c'est sans doute le sommet des paradoxes! Sur ses origines et cette histoire de noblesse, Evanna ne tarda pas à lui sortir la page wikipédia de son titre, ce qui fit sourire le jeune homme.

-Norfolk... Je crois qu'il y en a quelques uns qui ont perdu des têtes sur le lot, fais attention!

Puis, ce fut son tour de dire d'où il venait au juste et au tour d'Evanna de lâcher une petite phrase qui se voulait une blague. C'est certain qu'avoir son grand-père à la tête d'un empire textile a ses avantages! Le beau brun eut un léger rire, mais ne répondit ni un oui, ni un non.

Peu après, fallait voir l'Anglaise user de la tactique du chat botté dans Shrek, ou plutôt, user d'une tactique toute féminine que le chat a copié. En tout cas, il fit un petit sourire, mais Alejandro ne se voyait pas vraiment refusé et puis, tant qu'à être ici...

-Bien sûr, je vais t'accompagner.

Tout se passa bien pour Evanna, elle put acheter sa petite boîte comme une grande fille. Un peu plus et l'Espagnol avait envie d'applaudir l'Anglaise, mais fallait faire attention quand même à ne pas atteindre la fierté de miss Norfolk. Après quoi, comme ils sortaient du drugstore, la blonde demandait où se met la patch. Lire les instructions ne lui apparaissent pas être une bonne idée?

-Normalement, c'est derrière l'oreille. Tu ferais peut-être mieux de vérifier...

Tant qu'à faire, il pouvait bien le mettre, oui. Esquissant un sourire patient, il tendit la main pour qu'elle lui donne une patch. Après quoi, il ouvrait le petit sachet, venait à se placer derrière la blonde, écartait un pan de ses cheveux, puis, venait coller le petit truc derrière son oreille droite. Voilà, ni vu ni connu.

-Voilà! Ça devrait faire effet bientôt, le temps que le produit s'épande. C'est transdermique qu'ils appellent.

On n'arrête pas le progrès!

Dur dur d’opposer des points de vue différents sur de la philosophie. Ce n’était pas une science exacte et si quelqu’un répondaient à une description, d’autres entraient dans une autre catégorie. C’était la grande différence avec les maths : dans la première matière, un même chemin pouvait déboucher sur de multiples résultats alors que dans la seconde, plusieurs chemins menaient au même objet. Nous exposâmes chacun une théorie différente, et quand j’eus fini, Alejandro me demanda si je croyais vraiment ce que je disais, ce à quoi je répondis avec un sourire en plantant mon regard dans le sien :

-Qui sait vraiment, au fond ? L’être humain peut être si particulier et intéressant à observer.

Puis s’ensuivit une discussion qui n’était pas tout à fait à mon goût sur mes origines. Bien sûr, lorsque ma mère m’avait annoncé d’où elle venait, je m’étais empressée de remonter plus haut dans notre lignage, et à ce titre, oui, vive wikipédia ! Lorsque j’énonçai dans les grandes lignes ce que je savais, un sourire naquit sur les lèvres du bel espagnol. Il me mit en garde contre le fait que « des têtes étaient tombée ».

-Nous ne sommes plus des barbares assoiffés de sang. Il aura fallu du temps pour que les guerres sanguinaires cessent, mais maintenant, c’est chose faite. Alors je pense que, malheureusement pour toi, ma tête restera vissée sur mes épaules jusqu’à ma mort, et même encore après ! Pas de bol pour toi, hein ? Tu vas devoir me supporter !

Puis la discussion embraya sur sa vie à lui, et sur son grand-père plus particulièrement. L’impudent ! Je voulais une réponse moi, s’il avait bien des réductions ou pas. Mais il ne me répondit même pas. Mais je n’en étais pas vexée pour autant, je voulais bien lui pardonner cette faute gravissime ! J’étais dans un jour de bonté, et puis il m’avait aidé !

On était dans le magasin, il m’avait passé la boîte et m’avait demandé si je pouvais aller payer. Je lui avais répondu que je ne voulais pas y aller seule. Bien entendu, comme toute fille digne de ce nom, j’avais tenté de faire la tête à laquelle on ne peut pas dire non (hum hum… Je n’avais pas eu recours à de telles ruses depuis un certain temps !). Et ça marchait ! Enfin lui aussi devait être dans de bonnes dispositions.

Du coup, je pus acheter les patchs, et lorsque nous ressortîmes, j’éprouvais la patience du beau brin en lui demandant où se mettait le patch et s’il pouvait me le mettre. Il me répondit avec gentillesse, je vérifiai et il avait raison. Il passa dans mon dos, écarta ma tignasse blonde et le colla derrière mon oreille droite. Ses doigts sur mon coup firent naître un courant électrique délicieux dans mes veines. Il me parla mais je ne l’écoutais même plus. Un blanc s’installa et lorsque je m’en rendis compte, j’essayais de le combler.

-Alors c’est ici que nos chemins se séparent ou tu veux venir dans ma chambre ? Tu te souviens, pour la guitare… Mais si tu veux finir ton jogging, on peut voir pour un autre jour ! Je ne veux pas abuser de ta compagnie. Je te dois déjà beaucoup ! Alors… Euh… A toi de voir !

Je n’avais pas envie de finir ma journée seule, mais bon, je ne pouvais pas le monopoliser non plus. Il devait certainement avoir donné rendez-vous à ses amis ou que savais-je d’autre. Je lui offrais donc une porte de sortie pour se soustraire à ma compagnie dérangeante.

La blonde jouait peut-être un peu les... comment dire... blonde par moment, mais elle avait bel et bien une tête pour autant. C'est un point qu'elle marquait tandis qu'elle fixait son regard sur le sien, qui ne déviait pas et qu'elle lui disait que l'être humain et intéressant et tout ça. Sans doute! Léger sourire en coin, la marche continua et un nouveau sujet ne tarda pas à remplir le peu de silence qui s'était créé. Faut dire que les sujets ne manquaient pas!

Parmi ceux-ci, le rang de noblesse d'Evanna, dont la mère est la duchesse héritière de Norfolk. Pour peu, on se croirait presque dans Game of Thrones! L'Anglaise lui fit alors une leçon, qu'il apprécia plus ou moins, mais garda un air poli tout de même, sur le fait que les décapitations n'avaient plus lieu depuis longtemps. Oui bon, il avait fait une blague aussi... Rigolant un brin, il n'ajoutait rien de plus. Assez parlé de royauté à son goût pour l'heure.

On sait ce qui arrive ensuite. Leur quête arrive à sa fin, les patchs achetées, il ne restait plus qu'à les mettre. Princesse Xander demandait alors un dernier service à Don Ortega, qui se fit un certain plaisir à le lui rendre, ce ne serait pas faux de le dire. D'ailleurs, après sa remarque, Evanna mit un certain temps à se retourner et à reprendre contenance. Alejandro la détaillait alors des yeux, surtout son visage et sentait qu'il ne la laissait sans doute pas tout à fait indifférente. En même temps, elle ne serait pas la première fois qu'il ne laisse pas de marbre. Personnellement, il était célibataire, officiellement du moins, charmer, flirter ne le gênait pas le moins du monde. Puis, faire rougir une Anglaise à répétition, cela a du bon!

-Je vais rentrer à ma cabine en joggant, ça le fera pour le sport. Je n'ai rien de prévu aujourd'hui vraiment, sinon quelques heures d'études en après-midi, alors si tu veux, je rentre à ma cabine, je me change et je te rejoins à la tienne?

C'était sa proposition et il se doutait qu'elle accepterait, sinon, bien ce sera à la prochaine fois! En tout cas, à la fin, il lui faisait un dernier bisou sur la joue, avant de faire un sourire en coin et de filer à la course vers sa cabine.

Nous avions pas mal discuté de tout et de rien. J’en ressortais sincèrement contente d’avoir un nouvel ami, si on pouvait bien parler en ces termes pour le moins à la hauteur de ma blondeur naturelle. Alejandro était bavard, et me sortir de la tête la phrase « Je vais rendre mon repas » qui clignotait en rouge avec plein de petites diodes dans ma tête avait apaisé mon estomac. Est-ce que mon mal de mer avait aussi une cause psychologique ? Probablement, du moins je n’écartais plus cette hypothèse.

Pour en revenir à Alejandro, j’espérais juste ne pas l’avoir trop… agacé avec tous mes propos. Il avait souri et ri de nombreuses fois, mais je savais que mon humour était plaisant mais à toute petite dose, j’avais tendance à devenir plus lourde au fur et à mesure, et en général, ce n’était pas pour plaire à mon auditoire. Soit il était doué d’énormément de patience, soit il cachait bien son jeu. Toujours était-il que nous rejoignîmes top vite le drugstore. J’achetai les patchs, Alejandro toujours à mes côtés et nous sortîmes.

La princesse que j’étais avait une flemme innommable de lire la notice explicative, alors j’avais demandé au brave Don Ortega à ses côtés s’il pouvait faire la corvée. Ce dernier, en bon valet au service de Sa Majestée, avait exécuté l’ingrate tâche sans rechigner, et Princesse Xander s’en trouva comblée ! Mais je ne m’attendais pas à ce que ses doigts sur ma peau me fassent un choc pareil. SI j’avais su, je l’aurais fait moi-même. Il y avait eu un instant de flottement pendant lequel je gravais dans ma mémoire la sensation de ses doigts. Heureusement, je lui tournai le dos, sinon… Sinon…

Je me retournai brusquement. Je l’avais de nouveau invité dans ma cabine, avec le peu de contenance que j’avais réussi à remobiliser. Il opina du chef. Il rentrait dans sa cabine et venait jusqu’à la mienne ensuite. J’avais envie de sauter sur place comme une petite fille mais ne le fit pas, de peur de vraiment le faire fuir cette fois.

-Avec plaisir ! Ma chambre c’est le numéro 214, il me semble, fis-je avec une moue hésitante. Enfin non, j’en suis sûre, c’est la 214 !

Bon, c’était définitif, j’étais ridicule. Mais malgré ça, il me donna un deuxième baiser sur la joue, il sourit et fila. Je m’assurai qu’il soit assez loin avant de m’accorder une danse de la victoire bien méritée ! Alors que je me trémoussais sans retenue, je me rendis compte que plusieurs personnes me regardaient. J’étais rouge de son deuxième baiser, de mon effort et de honte aussi. Autant dire qu’aucun maquillage quel qu’il soit ne pouvait cacher ça.

Je me précipitais dans ma chambre en courant, j’ouvris la porte à la volée et, prise par mon élan, manquait m’aplatir de tout mon long sur mon lit encore jamais ouvert. Je me jetai littéralement sur mes affaires dans le placard et ouvris l’étui de ma guitare. Je pris le tabouret qui était dans coin et posait le pied sur un barreau pour légèrement surélever mon genou gauche, celui sur lequel reposait ma guitare. En attendant Alejandro, j’accordai l’instrument et m’échauffai les doigts sur quelques accords et gammes divers et variés. Princesse Xander hâte que son preux chevalier revienne !

Evanna acceptait avec un plaisir qu'elle disait et qu'elle dissimulait mal. Il la voyait bien, cette petite lueur dans le bleu clair de ses yeux, ce sourire presque ébahi. Bien il était heureux de faire au moins une heureuse! Cette histoire ne se terminait donc pas simplement avec Evanna qui réglait son mal de mer, elle allait se prolonger encore un tout petit peu.

Cabine 214 donc, il leva le pouce en l'air, pour faire signe que c'était parfait et reprit sa course là où il l'avait laissé en quelque sorte. Quelques passants lui jetaient de drôle de regards, car courir dans ce secteur n'était sans doute pas tout à fait convenable, mais e n'est pas Alejandro qui allait s'arrêter pour leur raconter toute l'histoire. Il finit par rejoindre sa cabine à lui où il prit le loisir de prendre une douche bien mérité, pour ensuite se coiffer, tout ça, avant de changer de tenue, histoire qu'Evanna le voit sous un autre jour que celui du "Alejandro sportif". Il enfilait une chemise rose et une jolie paire de pantalon qui allait parfaitement avec, ainsi que les souliers et la ceinture. Bien sûr, les premiers boutons de sa chemise n'étaient pas boutonnés, inutile de trop en faire.

Habitué aux navires, il rejoint à nouveau la cabine 214, qui n'était sans doute pas si loin de la sienne dans les faits, on imagine que les Eliots sont sûrement tous ou à peu près dans le même secteur. Ou pas, mais en tout cas, Alejandro parvient presque toujours à ses fins et cette fois ne fait pas exception. Arrivé devant la porte, il entendait déjà la guitare, ce qui le fit sourire. Était-ce des accords? On dirait bien en tout cas. Après ce court instant, où curieux, il ne faisait qu'écouter le peu qu'il entendait, il cogna doucement à la porte, avant de se reculer un brin. L'Espagnol avait un beau sourire sur les lèvres lorsque la blonde lui ouvrit.

-Bueos dia Evanna. Puis-je entrer?

Avec l'accord de la demoiselle, il entrait donc à nouveau et jetait un œil à la guitare, qu'il se contentait d'examiner des yeux pour le moment. Il finit par se retourner vers la blonde.

-J'ai cru entendre une pratique de guitare depuis le corridor.