Avec la fin de maladie, les hordes étudiantes revenaient sur le campus de Harvard. Faut admettre que la vague de malades avait créer une atmosphère tranquille à Cambridge, qui faisait changement de l'ambiance habituelle. Déjà, la bibliothèque était plus remplie. Installé à une table de la Widener, Alejandro préparait une sorte de plaidoirie dans un de ses cours de droit, un manifeste en faveur du droit d'accès à l'information au gouvernement. Il y avait deux ou trois livres d'empilés, un autre d'ouvert, un cartable d'ouvert aussi et il semblait prendre des notes. L'Espagnol était des plus sérieux au travail donc.

Du coin de l’œil, il aperçut une blonde qu'il apercevait souvent aussi à la bibliothèque. Au-delà d'un petit signe de tête, il ne lui avait pas parlé et c'était encore le cas cette fois-ci. Replongé dans ses études, il se concentra assez facilement dans ses études, mais il se sentait un brin observé à l'occasion. Par moment, il jetait de nouveau regard vers Bambi, qui semblait occupée elle aussi de son côté. Vêtu assez simplement, il avait du mal à se faire à l'hiver, il doit avouer. Son manteau de cuir était resté sur la chaise et il arborait un gilet de laine. À sa table, il y avait un gobelet de starbuck avec un café, produit vital pour étudier!

Spoiler:

Bambi ou comment observer autrui en étant ultra flag. Ce n’était pas sa faute, elle ne se trouvait jamais en position idéale pour cela. La belle blonde n’aimait pas être entourée, elle n’aimait pas les grandes envolées sentimentales et encore moins les embrassades. Mais ce avec quoi elle peinait encore plus… c’était le sérieux des autres. En guise de spécimen parfait, elle avait ce jeune homme qui attirait généralement son regard à la bibliothèque sans qu’elle ne lui ait pourtant parlé jusqu’à lors. Il fallait dire que ses propres études lui prenaient la tête quelque chose de formidable et qu’elle rêvait de hurler en pleine bibliothèque en brûlant sur son passage tous les livres ayant ne serait-ce qu’un tout petit lien avec l’archéologie. Mais quelle idée avait-elle eue d’accepter de poursuivre des études semblables à celles de son père ? Ce qui la bottait, c’était l’illusion, les tours de magie, pas des personnes décédées depuis des milliards d’années dont personne n’avait plus que foutre. « Tu devrais un brin débrayer sinon ton cervelet va chauffer » entra-t-elle en matière non sans tirer la chaise à côté de ce parfait inconnu dont elle ignorait jusqu’au nom. « Je peux m’asseoir ? Désolée, mais ce que je fais est trop barbant et j’ai besoin de me sociabiliser trente secondes pour éviter de péter une durite. » Clair, net, précis et sans bavure. Du Bambi tout craché.

Alejandro est un jeune homme posé, à sa place, sérieux dans ses études. L'important pour lui, le plus important en tout cas, est de réussir et d'honorer sa famille, de se montrer à sa hauteur. Les individus meurent, mais la famille demeure et se perpétue. C'est ce que lui a enseigné son grand-père et c'est une philosophie qu'il enseignera sans doute à ses enfants lorsqu'il en aura.

Tout cela pour dire qu'il étudiait, ne dérangeait personne et ne s'attendait pas à être dérangé non plus. Bien cette fois, la blonde non loin qu'il croisait régulièrement décidait de venir à sa rencontre et brisait en quelques secondes toutes les conventions sociales qu'on avait pu lui apprendre au cours de sa vie. Il observait la jeune femme, silencieux, avec un léger sourire sur les lèvres.

Tourné sur sa chaise, il étalait un peu son bras sur le dossier de celle-ci et gardait la tête levée vers Bambi, qui baissa lorsqu'elle vint s'asseoir. Toujours silencieux, quand elle demandait si elle pouvait s'asseoir, alors qu'elle était déjà assise, avec un petit regard, Alejandro désignait la chaise à côté de sa main. L'Espagnol attendit qu'elle eut fini de parler pour parler à son tour.

-Bien, mon cervelet se porte au mieux, mais tu n'as peut-être pas tord. Une pause ne me ferait pas plus de mal qu'à toi.

Lorsqu'il parlait anglais, Alejandro avait un accent espagnol léger. Pas assez pour massacrer son anglais, mais juste assez pour le colorer et faire deviner ses origines. Ceci dit, il y a de plus en plus latinos-américains. Habituellement, il vouvoie les gens qu'il ne connait pas, mais puisqu'elle le tutoyait d'emblée. Cette manière fracassante d'être était un brin déstabilisante, mais il se retrouvait à s'en amuser plus qu'autre chose.

-Tu bosses sur quoi de ton côté?

Le sourire de Bambi s’agrandit d’autant lorsqu’il répondit par la positive à sa proposition. Elle n’aurait pas parié sur la chose avant d’entendre ses propos et cela lui fit plaisir : d’ordinaire, la belle blonde avait un tel mal avec les relations sociales que s’exprimer face à lui avant autant d’aisance et même de proximité demeurait un challenge des plus trapus… mais elle aimait s’imposer des défis, et ce constamment. Cela entretenait son tempérament mais également son goût pour les joutes verbales, bien qu’elle doutait fortement que ce presque parfait inconnu lui donne énormément de fil à retordre : elle ne l’imaginait pas s’énerver facilement ou même aimer provoquer… il avait plus l’air d’être un amoureux des bouquins que des relations sulfureuses, à vrai dire. « Que serait le boulot sans une bonne pause ! Mais je suis happy que tu n’aies pas besoin d’une révision… je ne suis pas experte ès cervelet » avoua-t-elle non sans hausser légèrement les épaules d’un ton taquin. Bambi n’était pas forcément extrêmement expressive au niveau de son visage, mais sa gestuelle parlait souvent énormément à sa place. « Archéologie, et plus principalement tout ce qui touche aux Francs-Maçons. Ne cherche pas, c’est barbant au possible… et toi ? Au fait, moi c’est Bambi » reprit-elle, imperturbable, se moquant éperdument que son accent monténégrin, mélange de croate et de serbe, lui offrant justement une petite touche exotique que personne d’autre ne possédait ici. « Espagnol ? »

Cette blonde semblait un sacrée numéro, le genre de fille plutôt spontanée tandis que de son côté, il calcule le moindre de ses gestes et de ses paroles. Oh, il ne prétend pas être faux pour autant, mais il fait attention quoi. Lorsqu'il a été nommé président du conseil étudiant de son collège, tout le monde ou presque l'aimait et le peu d'ennemis qu'il avait était les ennemis de tout le monde.

D'accord avec elle sur les bienfaits d'une pause, il continuait de regarder la jeune femme, tentant de déceler un accent à son oreille, après tout, Alejandro parle bien des langues. Aussi, il observait la jeune femme, sa tenue, comment elle se tient, si ses yeux fuient les siens ou bien si elle les ancre dans ceux de l'Espagnol sans problème.

-Moi non plus, mais je sais ce que c'est. S'il chauffait, je pense que je m'en rendrais compte.

Et non, il ne révisait pas, pas en ce moment du moins. Il préparait plutôt une présentation en classe. Interrompue maintenant, grâce à Bambi, qui étudiait l'archéologie et plus spécifiquement les Francs-Maçons. On se croirait dans Da Vinci Code, mais les yeux d'Alejandro durent donner l'impression de s'éclairer brièvement.

-Les Francs-Maçons, oui, c'est intéressant. Faudrait que tu visites Washington D.C., il y a beaucoup de symboles francs-maçons là-bas. Alejandro, et enchanté Bambi. Bambi... comme le cerf dans Disney?

C'était carrément impossible de ne pas poser la question, il doit l'admettre. Qui ne connait pas Bambi après tout. La jeune femme ne tardait pas à découvrir la nature de son accent. Il aurait pu être Mexicain quand même, mais Alejandro vous dira que ce n'est pas le même accent. En tout cas, il était découvert comme on dit.

-Exactamente. Je viens de la Galicie, au nord du Portugal. Et  toi? Ah attends, laisses-moi deviner. Tu as un accent qui me rappelle quand j'ai été à Zaghreb, mais pas tout à fait. Ah, je donnes ma langue au chat.

Pour les nuls en géographie, Zaghreb se trouve en Croatie. En tout cas, il était curieux de savoir dans quel pays il était "normal" d'appeler son enfant du nom d'un personnage de Disney. Oui, intérieurement, il se moquait un brin, mais il restait avec son sourire poli et fermait d'ailleurs son livre et son cartable, histoire de consacrer toute son attention à la blonde.

« J’ai déjà visité Washington à de très nombreuses reprises mais tu sais les francs-maçons étaient vraiment partout » avoua-t-elle sans forcément éprouver l’envie de lui décrire l’intégralité de ses connaissances sur la question. Bambi avait suivi son père tout autour du globe, pour des fouilles, des conférences, des recherches dans des bibliothèques inaccessibles au commun des mortels… en bref, elle était très, très bien renseignée sur bon nombre de sujets et s’avérait bien moins gourde qu’on ne pouvait le penser. « Tu as mis le doigt dessus » reprit-elle avec un tantinet plus de froideur lorsqu’il s’exprima sur son prénom. Sa mère était magicienne et, très accessoirement, fan inconditionnelle de Disney. Cette dernière n’avait donc pas laissé le choix à son mari et avait nommé leur fille ainsi, se moquant bien des éventuelles phrases bâtardes comme celle de l’espagnol qui peuplaient la vie de la belle blonde depuis des lustres et des lustres. « Tu as raison et tort en même temps. Je viens du Monténégro en vérité, mais ma langue maternelle est un mélange de croate et de serbe, deux langues que je parle aussi donc tu n’étais pas très loin. Mais tu n’aurais pas trouvé, je dois être la seule originaire de ce pays dans le coin. »

Alejandro se considérait comme un être avec un minimum de culture. Certains s'étonneraient sans doute de savoir les livres qu'il a lu. Néanmoins, il sentait bien que l'étudiante venue à sa rencontre ne souhaitait entrer dans les détails de ce qui formait pour elle, sans doute, son travail quotidien. Elle était là pour prendre une pause et non pas se replonger une fois de plus dans ses histoires de Francs-Maçons. Ah, va-t-elle enfin résoudre le mystère de la coupole du Congrès américain? se disait-il avec un certain sarcasme à l'esprit. L'archéologie... l'ère des grandes découvertes archéologiques est passées, tout le monde sait cela. Aujourd'hui, on s'enthousiasme d'un crâne trouvé ici et là. Il n'y a plus de tombes à la Toutankhamon.

L'Espagnol avait donc hoché de la tête avec un sourire intrigué, sans plus insister. De toutes manières, la blonde se présentait et celle-ci avait un bien drôle de prénom. Bambi... et c'était bien en rapport avec le cerf de Disney. Amusant ça, mais franchement, il la plaignait d'avoir un prénom pareil. Sur les cvs, quand elle se présentera, peu importe, les gens ne retiendront qu'une chose: un petit cerf apeuré et tremblotant qui cherche sa mère.

-C'est original.

Dit-il par politesse et pour ne pas vexer d'avantage son interlocutrice. Il avait bien senti le petit ton distant, plus froid qu'elle avait eu, comme lasse de répondre à cette perpétuelle question. Peu après, ils parlaient de leurs origines, d'abord celles d'Alejandro, qui était fier d'être Espagnol et ensuite de Bambi, une demoiselle du Monténégro, un bien jeune pays ça, plus jeune en fait que Bambi probablement. Si sa mémoire ne le trompe pas, le pays est devenu indépendant au milieu des années 2000.

-Oui, surtout que c'est un pays très jeune, probablement le plus jeune après le Soudan du Sud. Malheureusement, je ne parle pas ni serbe, ni croate. En tout cas, tu as un joli accent.

Ensuite, il tapotait ses livres avec ses doigts, y jetant un petit regard. Il pourrait dire à la jolie blondinette qu'il avait du travail et qu'il ferait mieux de reprendre. Ses yeux passèrent vers elle et il se dit qu'il pourrait bien prolonger la pause encore un petit peu. Ses doigts quittèrent le livre et allèrent glisser derrière sa nuque.

-Dis-moi, Bambi, pourquoi venir à Harvard et y étudier l'archéologie? Ce n'est pas un des grands centres d'études de l'archéologie après tout.

Harvard est reconnu pour exceller dans bien des domaines, mais pas tellement l'archéologie et pourtant, elle paie sûrement la facture à grand frais. C'est plusieurs dizaines de milliers de dollars la session vous savez. Alejandro était bien curieux de connaître les raisons de ce choix. Curieux l'Espagnol? Bien il était intrigué avant tout et une lambda qu'il ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam était venu à sa rencontre, alors la moindre des choses, c'était de se montrer intéresser et de poser des questions.

Bambi ne savait que trop bien à quel point le Monténégro restait un pays jeune pour y être née et y avoir grandit mais elle n’en n’était pas moins fière de ses origines, à plus forte raison en sachant qu’elle devait être la seule monténégrine à des kilomètres à la ronde. Au sein d’Harvard, on voyait de tous : américains bien évidemment, anglais, espagnols, italiens, français, suisses même… mais jamais de personnes originaires de ce bien beau pays au si nombreuses richesses. De toute manière, la belle blonde avait toujours particulièrement aimé la rareté et ce n’était pas elle que cela risquait de déranger, pas alors qu’elle parlait plusieurs langues, dont l’anglais couramment. « Je te remercie pour ce compliment et te retourne la chose, on croise plus de brésiliens que d’espagnols souvent mais je préfère ton accent, nettement plus intelligible » avoua-t-elle pour avoir passé de nombreuses semaines au Brésil puis vers l’Espagne. Bambi ne se risquerait sûrement pas à parler la langue natale d’Alejandro, même si elle la baragouinait, tout en sachant qu’il serait sûrement de ceux à lui faire la réflexion en cas de faute. Elle supporterait mal la critique pour la critique, si d’aventure tel était son réflexe… « Je pourrais te perdre dans une explication fumeuse afin de prétendre que c’est parce que j’aime ça mais pas du tout. Mon père est un ponte de l’Archéologie ici, à Harvard. Disons que ce choix n’a pas réellement été le mien et que je fais avec » avoua-t-elle sans même savoir pourquoi elle lui répondait avec tant d’honnêteté. Sûrement parce qu’elle était surprise par ses questions si pointues… « Et toi, pourquoi t’attaquer à un morceau comme le droit ? »

On sentait tout de suite, ou presque, que Bambi était une originale, quelqu'un qui vit en dehors des conventions. Pourtant, même les plus anticonformistes n'échappent pas à certaines règles, par exemple, à la famille. C'est fort la famille. D'ailleurs, probablement qu'elle aimerait faire autre chose de son temps qu'étudier.

Si Alejandro venait de la complimenter sur son accent, elle faisait de même à son tour et cela anima chez lui un petit sourire narquois. Disons qu'elle n'était pas la première, sûrement pas la dernière, à le complimenter sur son accent. Raison de plus pour ne pas le cacher et de toute façon, peu probable qu'il en serait capable. Quand elle décrit son accent comme plus "intelligible" que celui des Brésiliens ou d'autres, le jeune homme eut un léger rire amusé et son sourire resta affiché, même après. Ces cousins latinos venaient de prendre un coup dites donc!

-Probable, si, c'est bien possible. Mais c'est toi qui le dit, pas moi. Moi, je dois respecter mes camarades et éviter de leur dire qu'ils ont un accent affreux quand ils parlent anglais.

Non, Alejandro n'oserait jamais vexer personne voyons. Il ne perdait pas de vue par contre qu'au Brésil, on parle portugais et non pas espagnol, mais les deux langues se ressemblent tout de même.

Trêve de langues et d'accents, l'Espagnol lançait de nouvelles questions à son interlocutrice. Elle parut un brin embêtée, mais répondit avec franchise. Son père était chercheur à Harvard et elle s'arrangeait tout bonnement pour rester dans l'ombre de papa. Ah, les filles et leur père. Alejandro a deux petites sœurs, il sait ce que c'est. Une des deux a suivi l'exemple de son frère, un fils modèle, l'autre, la plus jeune, n'en fait qu'à sa tête. Ses yeux s'attardaient sur le regard de Bambi tandis qu'elle s'expliquait et il marqua une brève pause et sembla pensif tandis qu'elle venait d'admettre que ce choix n'était pas le sien.

-Ce qu'une jeune femme est prête à faire pour ne pas décevoir son père...

Et lui, pourquoi le droit? La question se renvoyait si naturellement. Il eut un léger sourire, quasiment mystérieux, haussa les épaules et ses traits de visage se détendirent comme pour afficher une certaine modestie tandis qu'il se redressait contre sa chaise.

-Connaître la loi, c'est utile tu ne crois pas?

« Qui a dit qu’ils avaient un accent affreux ? J’ai juste souligné qu’on les comprenait moins bien, ce qui est tout à fait objectif et non un jugement de valeur » fit-elle remarquer non pas froidement mais en haussant les épaules, preuve qu’il pouvait bien le prendre comme il le voulait, Bambi n’était pas du genre à s’intéresser à ce genre de détail. Après tout, elle ne possédait pas elle-même un accent espagnol, ou à tout le moins latin, et se moquait tout à fait des gens pouvant penser qu’elle n’articulait pas ou possédait une façon de parler étrange. Le jour où elle s’intéresserait au quand dira-t-on… les poules auraient des Nike et seraient armées de lance-roquettes. « A vrai dire, à nouveau tu as raison ou tort. Ce n’est pas parce que je me plie à ses désidératas que j’ai à cœur de lui plaire, ça n’a strictement rien à voir » reprit-elle en mettant bien en avant son peu de sentimentalité en règle générale. Disons que Bambi ne savait que trop bien qu’elle perdrait son père, dernier membre de sa famille, si elle refusait de poursuivre ses études d’archéologie. C’était bien au-delà du contentement, il s’agissait davantage d’un ultimatum mais loin d’elle l’envie de s’appesantir dessus, cela risquerait de casser tout son beau travail sur elle-même et sur sa colère pour tâcher d’avoir une discussion presque normale avec ce damoiseau. « Ça peut être utile… mais ça ne t’empêchera pas de vivre si tu ne connais pas tout sur tout je pense, non ? Quel type de droit tu étudies d’ailleurs ? » C’est fou ce que cet Alejandro pouvait être sérieux. Trop au goût de Bambi, c’était l’évidence même !