BETTER THAN ME | XIVER

Elle n’avait pas voulu regarder. Ce n’est pas d’elle de fouiller. C’est sur la confiance en l’autre qu’elle préfère compter. Mais voilà, cette nuit, tout a basculé. Par la faute d’une insomnie. La prise en main du téléphone de Sheng plutôt que du sien pour regarder l’heure, et ses prunelles se heurtant à la notification portant de Wendy le prénom. Elle s’est d’abord énervée de constater que la rousse, en pleine nuit, est capable de quémander la présence de l’homme qui est censé être le sien. Bien sûr elle sait qu’elle n’aurait pas dû cliquer dessus. Refaire de son index la forme qu’elle l’a vu faire une centaine de fois, lorsque son empreinte ne suffisait pas était d’avance une mauvaise idée. Puis ouvrir cette conversation. Noter de son cœur, l’arrêt de ses pulsations. Elle a été dérangée par tous les mots, par tous les propos. Par les sous-entendus et la façon dont Sheng lui a répondu. Elle a été forcée de tout analyser. S’est essayée à comprendre une relation que son âme se refuse à entendre. Puis elle s’est convaincue une nouvelle fois, que leur histoire ne lui convient pas. Que l’envie de jouer sera toujours là.

Et malgré ses pensées, les tourments qu’elle éprouve, elle a pris le temps de leur commander un petit déjeuner, après tout, elle sait maintenant qu’il est expert en cette matière. Alors autant tenter de l’égaler. Elle aussi sait jouer. Elle est en train de se servir un café lorsqu’il sort de la chambre qu’ils ont partagé. Doucereuse, piètre menteuse, elle l’accueille avec un sourire qu’elle force, et porte à ses lèvres sa tasse fumante, prenant le temps de lui souffler avant de boire une gorgée, « J’aurais peut-être dû te l’amener au lit. » C’est après tout ce qu’il fait avec Wendy.

Derechef, il ferme ses paupières, comme s’il balayait la possibilité qu’elle connaisse leur secret. Car après tout elle est, et elle reste, sa si naïve petite copine qui accepte ses moindres faits et gestes. Une chose est certaine, on ne peut pas douter des talents de Sheng pour la faire passer pour une idiote. De son indéniable envie, aussi, de jouer avec le feu. Tout n’est qu’amusement, rien n’est sérieux. Et il s’en contrefout d’abimer son cœur amoureux. Il baille, attaqué dès le réveil, pauvre malheureux. « Non. J’aurais été capable de le renverser. » Peut-être qu’il est plus en forme lorsqu’il est avec elle.

Alors elle dodeline de la tête par la positive, approuve ses dires, et se contente de boire une autre gorgée pour le parapher. Elle avale, prend le temps de réfléchir à comment aborder le sujet. Jauge si elle se doit d’utiliser des pincettes ou bien opter pour directement le confronter. Hésitante à cause des réminiscences de leur dernière dispute… Elle inspire longuement avant de planter son regard dans le sien et de le soutenir avec fermeté lorsqu’elle articule le baptême de celle pour qui elle ne ressent que de la haine. « Wendy, » c’est donc le chemin brut et sans aucune ambiguïté qu’elle a choisi d’emprunter, « elle prend quoi au petit déjeuner ? » et malgré cette route dans laquelle elle s’est aventurée, elle se fait magnanime, accepte de lui laisser le bénéfice du doute, et de lui donner l’occasion de se justifier dès maintenant. De ne pas l’acculer trop rapidement. Ou peut-être qu’elle vient de lui donner de quoi s’enfoncer un peu plus. Et même si elle croit en lui plus qu’en n’importe qui, Haiwee est malgré tout intimement persuadée que ce n’est pas l’alternative des explications qu’il va se décider à prononcer. C’est la tangente qu’il va prendre, quoi qu’il se passe, quoi qu’il fasse, c’est la fuite qui restera toujours son option préférée.

Il s’étouffe de moitié avec sa gorgée de café, mais elle ne s’inquiète pas, elle se doute que c’est parfaitement qu’une fois la question ingurgitée, il ira. « De ? » Elle se contente de faire battre les paupières sur ses yeux. Voilà donc son choix, faire semblant et jouer les idiots. Pendant qu’elle, elle bouillonne et rumine ses maux. « J’en sais rien. Tu veux que je lui demande ? » Elle se demande combien de temps il compte faire durer cette mascarade. De fait elle reste stoïque, impassible jusqu’à ce qu’il se décide, le regard las accroché au sien, quand il parle, son souffle, elle le retient, « D’accord. » Enfin. Elle incline la tête quand lui relève sa main, preuve de sa bonne foi. « Pour son anniversaire elle a voulu des fruits, un café et un yaourt. Voilà. » Tu mens Sheng, même lorsque tu t’aventures à énoncer la vérité, tu te parjures dans la foulée. « Je lui devais çà depuis le jour où elle est venue aider à la Adams. Après le saccage. » Une excuse pour s’essayer à éviter l’orage.

Ca la fait doucement rire, à l’intérieur, tellement qu’elle retorque, « C’est drôle, » non ça ne l’est pas du tout, et ça lui montre une énième fois, qu’elle sera toujours là, comme elle a su lui persifler, Wendy est née pour gagner, peu importe les combats, « tu oublies les miens. » d’anniversaires, cela va de soi. Depuis qu’ils se connaissent, il n’y a jamais pensé. Toujours en retard ou à être prié par la brune de lui montrer de l’intérêt. Mais il apporte à la Witter le petit déjeuner.

Malgré la désinvolture marquée de l’étudiant et l’éruption de colère qui sévit en elle, elle reste impassible, le regard fixe dans le sien, une attente stoïque de ses pourparlers, curieuse de savoir comment cette fois il compte se dépatouiller de son propre merdier. « D’où tu sors çà. » Est-ce que c’est important ? Sheng, est-ce que ça l’est vraiment ? Tout ce qui compte, c’est qu’elle le sait. Elle est là, la finalité. Que la pilule est difficile à avaler, surtout avec ce qu’ils se sont dits et promis avant leur départ pour le SC.

Et la notification d’une application bidon sur le cellulaire d’Haiwee lui met la puce à l’oreille, « Ne me dis pas que t’as fouillé, » il l’interroge de façon détournée, après s’être positionné d’une manière des plus décontractée. Tout dans sa gestuelle lui prouve d’avance qu’il n’a absolument rien à se reprocher. Pourtant… elle digère amèrement. Parce que c’est Wendy, parce qu’elle passe son temps à la rabaisser, parce que même après trois ans, elle a toujours du mal à comprendre pourquoi ils semblent tant liés. Convaincue, à la vérité, que c’est avec elle qu’il aurait dû être si le destin ne s’en était pas mêlé. « Pas volontairement. » Au départ en tous cas, cela dit, si elle se sentait un brin coupable d’être tombée sur la conversation, elle note qu’il ne lui en veut pas, que contre elle, pour se dédouaner, il ne s’en sert pas. Preuve possible de sa bonne foi. « Bon sang. Et t’as cru tout ce qu’il y avait d’écrit, » Peut-être un peu trop vite, elle veut bien le confesser. Elle déraisonne facilement lorsque ce triangle amoureux est évoqué. Comme d’habitude, elle aimerait bien le voir, si elle le positionnait dans une situation inverse. Si c’était à elle qu’on avait proposé un lascif petit déjeuner. « Et de ce que t’as lu, j’ai accepté ? » La partie où elle devait lui manger l’entre-jambe, non, c’est vrai. « Elle sait que j’ai d’autres intérêts. » seulement ce jeu n’arrêtera jamais de t’attirer, « Et elle en a de nouveaux aussi. » comme si c’était possible pour l’obsessionnelle Wendy. « Sheng, ne te moque pas de moi. » elle articule, une pointe de douleur résonnant dans le ton de sa voix. Elle n’ignore pas qu’elle est toujours naïve parfois néanmoins elle peut affirmer que les intérêts de la Witter envers son petit-ami ne sont pas conjugués au passé. « J’appelle pas ça avoir de nouveaux intérêts que de demander à mon mec de la sauter. » Appuie sa possessivité au milieu de toute cette vulgarité que l’image de leurs corps entrelacés peut lui inspirer. « Tout comme lui demander de nous comparer. » Là aussi, ses réponses l'ont blessée.

La vérité, c’est qu’elle est épuisée de cette rengaine, elle a cette sensation qu’elle ne prendra jamais de fin. Wendy sera toujours présente sur leur chemin. Et si elle l’aime au point d’accepter un grand nombre de choses, la rousse, elle n’y arrive pas, c’est viscéral, combien ça la dérange. Ca la ronge de l’intérieur, un cancer qui s’étend jusque son cœur.

Mais lui, il prend tout cela à la légère, il ne réalise pas ce que l’amérindienne ressent, et conserve ce lien indéfinissable avec l’ancienne étudiante, le rendant – aux yeux d’Haiwee – trop important. En un sens, quelque part, elle se perd toujours à croire qu’il ne l’aime pas assez, alors qu’elle voudrait qu’il l’aime, peut-être pas autant qu’elle, simplement un peu plus. Ou plutôt qu’il l’aime mieux.
Pourtant, à peine, elle l’a pensé, elle baisse les yeux, elle s’en veut. Elle se sent quasiment ingrate de songer de cette manière-là. « C’est comme si, je te disais vouloir ta biscotte » d’un battement de paupière, elle relève les prunelles vers lui, soupire face à son explication, plus lorsqu’il récupère la tartine en question. « juste pour le plaisir de te la retirer alors que je n’en ferais rien. » Leurs règles, leurs foutus jeux… Ce n’est pas sa faute, elle n’y entend rien. Alors quand il repose le pain, elle se contente de le regarder. Ne parvenant à articuler qu’une expiration désabusée. « Tu crois que je l'ai fait ? » Une grimace de dépit passe sur le visage de la brune, elle n’a pas envie d’y croire, cependant elle ne peut pas effacer certaines parties de leur histoire.

Finalement, elle délaisse le petit déjeuner, elle n’a plus faim, ne désire même pas terminer son café. Elle se relève, l’esprit embué, quitte la table mais reste malgré tout à proximité, torturant ses mains entre elles, tandis qu’elle tente de s’expliquer, « Je crois que j’ai passé deux ans à t’attendre, à te courir après, à te partager, » elle sait que ça en valait le coup, elle ne regrette pas une seule seconde qu’elle a passé à l’espérer. « j’ai encore du mal à réaliser que maintenant tu n’es qu’à moi. » qu’il ne s’égare plus dans d’autres draps. « Tu ne peux pas m’en vouloir pour ça. » Ce n’est qu’après l’avoir prononcé qu’elle repose à nouveau sa vision sur toi, là aussi, c’est viscéral, l’affection ravage tout dans ses entrailles. « Non, je ne le crois pas. » murmure mal assuré, parce que tu n’as pas pu t’empêcher d’aller flirter avec le danger.