Bullet with butterfly wings [Xiver

De quelques pas l’amérindienne s’avance à la suite de son compagnon dans la chambre qu’ils s’apprêtent à occuper. Son regard s’égare ici et là, s’émerveille des détails et de la beauté de cet endroit … Lorsque ses doigts caressent l’un des pétales avec délicatesse, ses lèvres s’étirent en un sourire enclin à l’affection et la tendresse. L’hôtel dans lequel ils résident pour les prochains jours, elle n’y avait, évidemment, jamais mis les pieds, puisque c’est la première fois qu’elle vient en France. Alors ça ne peut pas être une simple coïncidence, ces fleurs… Ce n’est pas un simple bouquet. Elles viennent de lui, elle le sait, leur nature, leur couleur… révélant de Sheng le côté attentionné qu’il ne veut avouer.

« Prête à faire de l’ombre à toutes les autres ? » Un instant, elle reste encore muette, comme hors de sa propre enveloppe, à tenter d’assimiler les derniers évènements et comment ils peuvent à présent se retrouver là. Hier soir ils étaient encore au bal, à constater que tout avait été détruit, leur soirée gâchée, et seulement quelques heures après… Ils se sont retrouvés dans l’avion de Wendy, dans une ambiance étrange, sans comprendre le comment, le pourquoi, à s’observer avec méfiance. A s’envoyer des vacheries tout en gardant le silence. Aller à Cannes avec eux, elle en avait envie depuis plusieurs années, être la femme à son bras lorsque les objectifs tourneront vers lui. Sans pour autant prétendre à une certaine célébrité, les paillettes ne l’ont, après tout, jamais intéressée. Tout ce qu’elle désire c’est être aux côtés de l’homme qu’elle contemple, amusée. « Pas vraiment. » Inutile de préciser qu’elle ne possède pas de robe et autre tenue de grand couturier. « Peut-être que c’est ce qu’elle espère, en fait… » Qu’elle se plante en beauté au milieu de la haute société, cherchant – c’est plus fort qu’elle – à lire entre les lignes de la rousse et de ses arrières pensées. Néanmoins elle s’essaie à balayer ses tracas au sujet de la mécène de leur voyage en secouant le visage, ses suspicions mises sur pause quand elle s’approche de lui, le ceinture amoureusement avant de le taquiner, « T’as oublié de la carte qui va avec. » Celle sur laquelle il est habituellement couchés les sentiments éprouvés.  

Face à la menace de la tempête, Sheng est et restera son point d’ancrage, la personne à laquelle elle peut se raccrocher. Et ce n’est que dans ses bras qu’elle se sent en sécurité. Alors elle profite de quelques instants, rassurée par son emprise, les traits joueurs tandis qu’il ne tergiverse pas afin de répliquer à la taquinerie avec laquelle elle vient d’affectueusement l’attaquer. « Ils ne l’ont pas mise ? » Elle plisse les paupières, le regard planté dans le sien, faussement suspicieuse quant à cet oubli, alors qu’elle sait pertinemment qu’écrire des mots d’amour n’est pas de lui. « Bien sûr… » qu’elle articule en un souffle, accompagné d’un sourire contrit.

D’une œillade elle remarque qu’il observe le cadran qui habille son avant-bras, et elle en fronce son faciès, sans comprendre pourquoi il s’interroge sur l’horaire de la journée. Dans ses prévisions elle, elle ne voit, qu’un moment dans ce lit, avec toi. Les projecteurs, elle aspire à n’y penser que dans quelques heures… « Elle doit avoir une longueur d’avance, » Elle n’en doute absolument pas de la part de Witter. Elle a appris – à ses dépens – que Wendy sait toujours ce qu’elle fait. L’évidence est simple, si elle est à Cannes un peu grâce à elle, ce n’est que parce qu’une leçon se trouve à la clef. Persuadée que la rousse souhaite une nouvelle fois démontrer qu’elle n’a pas ce qu’il faut pour évoluer dans leur société, qu’elle aura beau porter tous les artifices, se fondre à la perfection dans le rôle, ça ne sera, pour ainsi dire, jamais assez. Wendy ne se fera pas prier pour le lui rappeler. Et sa drôle d’affection pour Dan… elle ne va pas l’adoucir, elle le sait. « On va d'abord passer voir quelqu’un qui souhaite te rencontrer. » Elle s’extirpe de ses réflexions, prête à en articuler d’autres à son intention mais se contente d’un ridicule « Pardon ? » elle se demande bien comment on pourrait vouloir la rencontrer alors qu’elle ne connaît aucun français. « Robes, accessoires, et demain mise en beauté…. » Elle assimile toutes les informations avec une once de difficulté. Elle éprouve cette sensation d’être à nouveau catapultée dans un univers à l’inverse du sien. Comme à Séville, l’air de rien.

Alors un soupir s’échappe de ses lèvres pleines, elle incline le visage, garde le regard fixe dans celui de son amant, « Mon charme naturel n’est pas suffisant ? » pour leur faire de l’ombre à toutes comme précédemment supposé. Elle sait bien que non, que tout n’est qu’apparences, paillettes et fioritures. Des caractéristiques qui ne lui vont pas, auxquelles elle n’est pas habituée et elle ne se fera probablement jamais. « Faut y aller là, maintenant ? » Remettre à plus tard ses envies de se reposer lascivement.

Parfois – et c’est passablement stupide, il faut bien l’avouer – elle oublie qu’ils ne viennent pas du même monde, et que celui dans lequel ils vont baigner durant les prochains jours est le sien. Elle met de côté leurs différences parce qu’ils ont su trouver leur entente. Elle se complait dans cette idée que ça ne saurait pas les séparer. Comme la rousse doit probablement l’espérer. Mais là, à le voir prendre ses distances dans le but de pianoter sur son téléphone, l’amérindienne se heurte à nouveau à leurs dissemblances de naissance.

Il sait ce qu’il fait, il est déterminé quand elle, elle se contente de tâtonner, d’être la femme qui le suit et espère ne pas être considérée comme un boulet. Vouloir être à la hauteur, c’est compliqué, et à l’intérieur, la brune se bat contre sa propre peur. « Oui. Maintenant. » alors puisqu’elle n’a pas le choix, que d’un mouvement furtif il l’invite à sortir de la chambre dont elle voulait profiter, elle craque un soupir, regardant une dernière fois les lys avant d’accéder à ses désirs. Dans le couloir de l’hôtel, elle l’entend souffler, « un relooking pour la haute…, » ce qui la fait sourciller, inspirant en longueur avant de se retourner vers lui, tout en marchant à reculons vers la sortie, elle s’arme d’un sourire de contenance pour l’indexer et articuler, « J'ai la sensation que ça te fait un peu trop plaisir, tout ça. » à l’imaginer en train d’essayer des robes, à se faire maquiller, à entrer dans un rôle, une panoplie de princesse pour se contenter de monter des escaliers et s’enfermer dans une salle de cinéma. Enfin… Peut-être qu’il faudra qu’ils se rendent à une soirée après ça.

Alors après un tour en ascenseur durant lequel elle s’est fait violence pour ne pas se plaindre, lui dire à haute voix, qu’elle n’est pas prête pour ça, ou encore ne pas avoir les mains trop baladeuses, à se tenir correctement, elle commence déjà, les voilà qu’ils traversent le hall de l’hôtel, et elle ne peut se retenir de s’exprimer sur ce qui l’attend, « On dirait le début d’un mauvais film romantique. » Pourquoi mauvais ? Parce qu’elle garde en elle cette impression que ce n’est pas la gentille fille mais bel et bien la méchante reine qui va gagner.

Elle ne serait pas capable de les compter le nombre de fois où dans un scénario, dans l’un de ces films romantiques précédemment cités, l’héroïne s’adonne à des séances d’essayages, de lèche vitrine ainsi que de relooking. Et bien qu’elle reste malgré tout amusée par ses propres songes édulcorés, elle bat des cils lorsqu’il tranche avec fermeté ; « Tu en regardes de trop, » oui, peut-être, mais c’est un piètre péché par rapport à tout ceux que l’on peut lister si l’on regarde d’un peu plus près l’humanité. « C’est pas çà, la réalité, » contre toute attente, et peut-être parce qu’elle est fatiguée par le rythme qu’ont imposé les derniers évènements, elle le prend comme un reproche. Comme s’il voulait lui rappeler que leur vie n’est pas toute décidée.

Mais elle préfère se taire, ou plutôt prendre le temps de ruminer, et en attendant se comporter avec ce caractère de petite amie parfaite à ses côtés. Docile et silencieuse tandis qu’ils marchent rapidement pour rejoindre ce rendez-vous si impatient. Puis ils ralentissent et lui prend le temps d’observer une voiture et la jeune femme qui en sort d’un pas assuré. Cette fille, elle l’a déjà rencontrée, elle s’est même retrouvée avec elle dans un espace réduit, à se moquer gentiment d’elle et à parler de lui. Dolores, Lola pour les intimes et amis, la sœur de Manny. « Fait chier. » qu’une de ses nombreuses conquêtes soit de la partie ? Ca ne fait qu’à Haiwee une silhouette féminine de plus à supporter. C’est plutôt comique à y penser pour évoluer dans son monde, il faut qu’elle se heurte à son tableau de chasse passé. Cette même liste qui lui rappelle qu’elle ne sera jamais assez et que sur la sienne il n’y a que le prénom de Sheng de calligraphié.

Alors après un soupir, un court temps d’arrêt, l’amérindienne finit par balancer, « Peut-être que j’en regarde trop, c’est vrai, » mais elle persiste à penser que ce n’est pas un défaut à proprement parlé, « mais je ne me berce pas d’illusion pour autant. » sa place, elle sait où elle se trouve. Cet univers ne sera jamais le sien. Et elle ne ressemblera jamais aux femme vers lesquelles penchaient sa préférence. A se demander pourquoi il est aujourd'hui à ses côtés. Aussi fort qu’elle l’affectionne, elle a conscience que c’est son propre attachement qui n’aura jamais de fin. Ce qu’elle éprouve pour lui ce sera toujours plus qu’hier et bien moins que demain. Tandis que lui, lui a toujours en quelque sorte soufflé qu’un jour, il la quitterait. Ou plutôt que jamais il ne pourrait assumer à la vue de tous que son choix se soit porté sur la sauvage sortie de sa forêt. « Je devrais pouvoir survivre. » A ce moment à huit clos, à ce séjour dans son entièreté même si le ton de sa voix est un tantinet désabusé.