Si l’année dernière elle avait un peu rechigné lorsque c’était arrivé, ce n’est pas le cas pour cette fois. Elle s’est accordée avec elle-même pour ne pas le blâmer de ne pas se souvenir de ce jour où elle est née. Sheng, elle l’aime tel qu’il est, sans vouloir le changer, avec ses failles et ses qualités. Puis elle a cette impression qu’ils se sont un peu éloignés depuis qu’elle a décidé de garder le bébé. Même si elle a été infiniment soulagée par le fait qu’il soit resté. Que l’affection qu’il lui porte soit assez forte. Que même sans jamais ne l’avoir dit à haute voix, leur couple compte au point de vouloir se battre pour qu’il ne s’étiole pas.

Alors elle a accueilli la proposition pour ce weekend avec une certaine alégresse, le voyant comme un possible rattrapage de son oublie et l’occasion de pouvoir se retrouver avec lui, dans un lieu neutre, hors du temps, coupé du monde comme ils apprécient l’être, libres à l’image de toutes les escapades qu’ils se sont permis jusque-là.  

Forcément, il a conduit durant tout le trajet, et elle a regardé, pensive, les paysages défiler. Ce genre d’instants, si simples, si apaisant, elle ne peut que les aimer. Elle s’y sent à se place, à ses côtés. Et après plusieurs kilomètres avalés, ils sont enfin arrivés à la lisière de la forêt. Passage à l’accueil oblige, ils se sont annoncés, avant d’être guidés par le responsable de l’endroit, au cœur de bois et se retrouver face un hébergement qu’elle n’avait jamais encore vu auparavant.

Le visage incliné face à la tente que leur ouvre l’employée, elle réfléchit une seconde avant d’ouvrir ses lèvres et d’apostropher l’homme qui se tient à ses côtés, dont elle effleure les doigts avec une once de possessivité. « Y a un métier à tisser dedans, tu crois ? » une façon de lui dire que cet endroit, il a un goût de chez elle, qu'elle songe à la maison de ses parents, à ce tipi dans lequel il est venu la récupérer une nuit, qu'elle est heureuse d’être avec lui, d’être ici.

Ce n’est qu’après l’avoir prononcé qu’elle réalise du double sens de sa phrase, déjà qu’elle lui a un tantinet forcé la main pour l’enfant, il pourrait croire qu’elle lui propose le mariage… Ce qui n’est pas le cas, bien sûr qu’elle espère être liée à vie à lui, mais les choses ne se doivent pas d’être précipitées. Elle a déjà bien assez peur de le voir reculer. Même s’il est là, à ses côtés, la crainte de le perdre, d’être abandonnée, elle ne la quitte jamais. « Tu crains d’avoir froid ? » Elle pince ses lèvres faute d’une envie de sourire, comprenant qu’il opte pour le fait de ne pas relever ce qu’elle a mis une seconde de trop à penser. L’allusion possible passée sous silence, elle envisage de lui murmurer qu’elle n’aura jamais froid tant qu’il fera partie de son existence. Sauf qu’elle se sait un peu trop mièvre, alors elle garde ses réflexions pour elle.

Alors une fois les clés de la yourte récupérée, elle laisse Sheng prendre les devants, il s’avance, délaissant la paume d’Haiwee qui tenait la sienne, et elle reste en retrait, le temps qu’il ouvre et découvre l’endroit en premier. Puis elle s’approche aussi, juste assez rapidement afin de l’entendre commenter. « Pas trop mal. » Rustique, certes, mais ça plaît à l’esprit d’Haiwee et ses préférences depuis toujours des plus primitives. D’entre tous les hôtels dans lesquels ils ont pu tous les deux séjourner depuis ces deux dernières années, cet endroit se positionne parmi les premiers.

Elle avance encore, teste avec légèreté le lit des doigts, observe les détails, le temps d’un silence, « Tu réalises ta chance ? » elle le questionne, amusée par ce qui traverse en cet instant ses pensées. Une petite envie de s’encenser. Elle dépose son sac à même le sol, toute sourire ainsi qu’un peu taquine. « Certaines filles te demanderaient des hôtels cinq étoiles, spas et autres restaurants gastronomiques pour leurs anniversaires. » Oui, ce sont toutes ses anciennes conquêtes que quelque part, elles piquent. « Alors que moi, je trouve ça parfait. » Pas sûre que les mondaines apprécieraient, dans la boue, traîner leurs pieds. Lui et un lit, à elle, ça lui suffit.

Son sourire persiste encore sur la douceur de ses traits tandis qu’elle l’observe, il délaisse lui aussi ses affaires, prend ses aises petit à petit, se positionnant, allongé sur le lit. « Sauf que tu n’as rien encore demandé pour ton anniversaire. » Elle en crache une expiration égayée, c’est tellement loin de son caractère que de quémander quoi que ce soit. Pas en ce qui concerne les cadeaux en tous cas, elle préfère que ce soit naturel, que ça vienne de lui, s’il lui prend l’envie. « techniquement tu peux encore avoir quelque chose, » Mais forcément, à ses mots, c’est spontanément qu’elle y réfléchit.

Candide, elle se dit, que son plus beau cadeau, c’est ce qui en elle, grandit. Qu’elle ne peut rien demander de mieux que ça, d’une certaine façon, elle a tout ce qu’elle a toujours désiré, que son bonheur sera complet dans quelques mois. « balade à cheval, rando en forêt, initiation aux plantes sauvages. Sylvothérapie, … » Il énonce, comme un passage qu’il aurait appris par cœur, à la vision de ses paupières qui se ferment, elle se fond dans un sourire serein… Prenant place elle aussi sur le lit, fluette et tentant de ne pas le déranger alors qu’elle entend sa respiration ralentir. « Je peux pas avoir une rivière de diamants plutôt dans ce cas ? » Le timbre de sa voix évidemment plaisantin, elle craque en un rire doux et sibyllin.

Le murmure de sa blague passée, elle cale le rythme de son souffle sur le sien, à demi allongée, sa tête pleine de sa paume dont le coude est planté dans le molletonné. Sa main libre s’approche de son visage, le simulacre d’un mirage. De son index, elle s’aventure, à suivre la courbe de son nez, un effleurement aux frontières du réel, parfois, elle a encore du mal à réaliser que cet homme est à elle. Une propriété qu’elle n’ose même pas s’autoriser à prononcer à haute voix. Sa confiance en elle lui jouant des sales tours, encore et toujours. « On verra demain. » En ce qui concerne l’activité, ce qu’ils pourront faire de leur journée. A l’évidence, il est fatigué, et les envies de l’amérindienne peuvent attendre, elle a toujours su être patiente. Peut-être qu’elle ira faire un tour après dans la forêt, lorsqu’il aura totalement sombré.