Malgré son domaine d'études, Ji-hun n'aurait jamais imaginé que ce genre de résultats pourrait tomber, et pourtant c'était ce qui s'était passé. Inconsciemment, il se doutait probablement que quelque chose se tramait, puisqu'il avait arrêté les boissons alcoolisées le mois dernier, mais jamais au point de devoir radicalement changer le quotidien qu'il vivait. Son rein unique, déjà endommagé par sa longue traversée, commençait à montrer des signes de fatigue qui devait l'alerter. On lui avait conseillé d'y aller doucement sur les entraînements de combat qu'il suivait, parce qu'un choc brutal pourrait lui priver de l'organe qui lui restait, mais la reprise de la natation n'était pas une mauvaise idée, dans son cas c'était même recommandé. Il devrait penser à arrêter de fumer, mais allez dire ça à une personne pour qui la cigarette était un moyen comme un autre de décompresser des journées de folie qu'il avait. Le plus simple, disait-on, c'était de commencer par avoir un régime alimentaire adapté, mais le doctorant n'était pas bon cuisinier, et raffolait des plats bien salés.

Le nutritionniste l'avait donc inscrit à des cours de cuisine pour l'y initier et lui prouver que ce n'était pas si compliqué de faire des efforts pour préserver sa santé. Il fallait cependant réussir à prendre conscience qu'on entrait dans un processus de ralentissement de la progression d'une maladie tout juste annoncée, information qu'il peinait à croire, – si ce n'était à avaler. Il s'était tout de même rendu dans le restaurant où était programmé l'atelier, mais aux autres patients il ne s'était pas mêlé. Il avait suivi le groupe et respecter les règles d'hygiène avant de se retrouver devant les ingrédients à utiliser. Il observa le plan de travail, puis quelque chose finit par le chiffonner : excusez-moi, il n'y aurait pas un souci avec la viande ? Ça paraissait bien moins que ce qu'il avait pour habitude de manger, mais dans le cas des insuffisants rénaux soixante grammes suffisaient. D'ordinaire bon élève, le déni le poursuivait.

A des années lumières de ma to-do list, cuisine et escapade rimaient très agréablement dans mon esprit. Pas d'émotions fortes, pas d'adrénaline pure et dure, mais une paix intérieure alors que j'éminçais légumes et choisissais épices. Comme toujours, première arrivée, première servie. Je devais être l'animatrice d'atelier la plus assidue chez les étudiants, et en particulier chez ceux qui, comme moi, jonglaient avec un emploi du temps de ministre dans le cadre de leur internat. A cette seconde précise, pas de vie en jeu, pas de stress indescriptible... juste de la technique, de la précision et, bien sûr, une pincée d'imagination. En bref, tous les ingrédients d'une recette intéressante et d'un moment à part. Après tout, cet atelier ne ressemblait à aucun autre : rigoureusement préparé pour adhérer aux problématiques de santé de chaque participant, je m'étais fait un récapitulatif de chaque obligation diététique histoire d'être en mesure de répondre aux éventuelles interrogations de l'assistance. Cela ne traîna d'ailleurs en aucune façon : à peine les inscrits arrivaient et s'installaient devant leurs plans de travail respectifs - après application des mesures d'hygiène en rigueur - qu'une voix masculine me fit lever mes yeux émeraudes de ma propre recette. J'arrive ! Ma voix enjouée parlait pour moi et laissait pleinement entendre ma bonne humeur du moment. Après tout, quitte à devoir respecter mon propre régime alimentaire, autant bidouiller une recette qui donne un tant soit peu envie. Après lavage de mains, j'entrepris de m'approcher du jeune homme, armée de mon récapitulatif papier. Alors... normalement j'ai pesé les ingrédients en fonction de chacun, et sauf erreur de ma part, la portion de viande ne soit pas excéder soixante grammes. Votre diététicien vous a donné des informations différentes ? L'erreur est humaine, je le sais mieux que quiconque mais là, tout de suite, je préférais m'assurer d'être en possession des bonnes infos.

Dans la salle de cuisine Ji-hun fit son entrée, et il se mit dans le rang derrière tous ses coéquipiers de l'atelier pour respecter les règles d'hygiène préconisées. Mains lavées et essuyée, il s'approcha du plan de travail sur lequel son nom était indiqué. Recette rapidement survolée, aiguillettes de poulet au miel présentées sur un lit de champignons, haricots verts et pommes de terre poêles, il tourna son regard sur la portion de protéine qui lui était dédiée de laquelle il ne fut pas satisfait. Sourcils froncés, il s'exclama et une jeune femme qu'il ne connaissait pas arriva. Elle se présenta à lui toute enjouée, prit le temps de vérifier ce qui était noté sur son papier et lui posa une question à laquelle il peina à trouver une réponse adaptée ; de quelles recommandations était-elle entrain de lui parler ? Il resta sans voix, autour de lui il regarda ; mais qu'est-ce qu'il fichait là ?

Les participants semblaient être à fond dedans, s'étaient déjà occupés de la viande qu'il fallait découper en petites bouchées pendant que les pommes de terre cuisaient dans de l'eau bouillante à peine salée. Ils respectaient à la lettre la recette qui leur était donnée, quand pour lui tout ça n'était que nouveauté. Il ne savait pas cuisiner et faisait encore moins attention à ce qu'il mangeait. Je pense que je les ai égarées, finit-il par avouer, parlant bien évidemment des informations qu'elle avait mentionnées. Sa salive peina à être avalée ; son quotidien allait changer et c'était compliqué à accepter. De vous à moi, je trouve que, tout ça, c'est du grand n'importe quoi, lâcha-t-il en regardant les oignons émincés, avant de continuer, Je fais beaucoup de sport, je ne vois pas comment je vais pouvoir compenser l'énergie que j'aurais dépensée avec ce genre de repas.

Et puis, la viande avait parfois manqué au Nord de la Corée, aux États-Unis ils en avaient bien assez pour qu'il puisse en bénéficier – qu'il puisse en profiter avant de, peut-être, être viré et retourner dans le pays qui, pour lui, n'aura aucune pitié. Enfin, maintenant que je suis là... , conclut-il en rapprochant sans conviction la planche à découper. Le problème était qu'il n'était pas très adroit, parce qu'il n'était pas habitué à faire ça, les tranches trop épaisses – aucun effort réalisé à ce niveau là.