En ce mercredi, le ciel s'était partiellement découvert, comme s'il savait que Ji-hun s'était autorisé à aller prendre  « un verre ». C'en était plus ou moins terminé de ceux alcoolisés, alors il privilégiait les sorties caféinées pour ne pas trop se laisser tenter. Il arriva à Gufo à l'heure qu'il avait indiquée, hésita entre l'intérieur et l'extérieur, puis ce fut sur la terrasse qu'il décida de s'installer. Les rayons transperçaient assez les nuages pour le réchauffer, et si Flora était frileuse ils pourront toujours en changer. Ça faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas vus, la demoiselle Dudley avait comme disparu. Ça avait été une publication dans son fil d'actualité qui lui avait fait penser qu'elle était enfin rentrée. Il n'avait pas posé plus de questions, ne se sentait pas légitime d'en connaître la raison ; après tout, tant qu'elle allait bien, ça suffisait au brun.

Veste retirée, un verre d'eau lui fut apporté et il prit son téléphone pour patienter, fit tourner les pages plus qu'il ne les regardait, un œil vigilant sur ce qui se passait, ainsi il put aussitôt la remarquer. Salut, fit-il après s'être levé, j'ai pensé que ce serait plus simple pour toi de me repérer; si c'était dehors qu'il restait, et puis le temps d'automne allait se dégrader, il fallait en profiter. Je t'en prie, assieds-toi, l'invita-t-il avant de reposer lui-même son fessier, tu n'avais pas cours ? Elle avait vite accepté, il espérait qu'elle n'avait rien loupé pour venir le retrouver.

Le pouce narguait l'écran tactile de caresses furtives qu'il maîtrisait. Photographies et autres publications ne retenaient guère son attention, regard dirigé plutôt vers l'entrée, là où Flora finirait par apparaître puisqu'il l'avait invitée. Quelques brunes passèrent les portes de l'établissement, mais lorsque ce fut elle, il la reconnut sur le champ. Sourire affiché, il finit par se lever et attendit qu'elle vienne se rapprocher. Si ça allait ? On n'allait pas se mentir, il y avait bien quelques trucs qui le chagrinaient, mais pas au point de les mener à elle en sujets. Il hocha la tête d'une traite, les lèvres allongées du mieux qu'elles le pouvaient ; il était heureux qu'elle ait pu se libérer. Il l'invita galament à s'asseoir avant d'en faire autant, histoire de ne pas surplomber trop longtemps tous les clients du café/restaurant.

Je suis fan de vrais cafés, avoua-t-il presqu'à en être passionné, du coup j'ai pris le temps de répertorier les bons endroits où s'arrêter. Où inviter les demoiselles pour les impressionner, ou les potes pour les voir limite baver devant le menu qu'on leur présentait. Ça fait très italien apparemment, toi qui viens d'Europe, t'as dû forcément le remarquer, demanda-t-il son avis, parce que lui n'avait jamais bougé des États-Unis. Si tu veux en changer..., réfléchit-il avant de lui proposer : J'aime beaucoup faire des latte, donc je te dirais de tester leur matcha latte pour voir ce que ça peut donner. En matière de dessin inanimé, fait de crème de lait déversée, il était curieux de savoir s'ils géraient aussi bien que lui le faisait. Il leva la main pour interpeller un des garçons de salle qui se trouvait dans le coin.

Je nous prends un morceau de gâteau à la banane et pépites de chocolat et une mini tarte de pommes/cannelle, interrogea-t-il l'étudiante, au cas où elle voulait goûter ce qu'ici ils savaient pâtisser.

C'était peut-être un peu déplacé de croire que tous les méditerranéens pouvaient reconnaître un café italien décoré avec soins, mais Flora ne sembla pas lui en vouloir, elle n'opposa aucune résistance à le croire. Le brun apprécia la confiance qu'elle lui accordait, ne put réfréner un sourire largement satisfait. L'option supposait du thé plutôt que du café, mais il savait pertinemment que les saveurs y étaient pour y avoir déjà goûté. La couleur verte pourra peut-être la dégoûter, mais le goût sera raffiné – il y mettrait sa main à couper. Pour accompagner le tout, il proposa quelques gourmandises à l'étudiante qui trouva l'idée fort alléchante. Le serveur appelé, Ji-hun finit par commander avant d'être questionné sur ce qui s'était passé dans sa vie depuis la dernière fois qu'ils s'étaient croisés. Trop de choses à énumérer, il lui faudra résumer.

J'ai attaqué mon avant-dernière année, affirma-t-il, confiant d'y arriver même si c'était un pari risqué, si tout se passe bien, je pars au Royaume-Uni pour un stage doctoral au printemps prochain. Il en profitera pour visiter une partie de l'Europe qui l'intéressait. Je suis en attente d'une réponse à ma demande de résidence permanente, la mit-il au courant – la fameuse green card que beaucoup d'étrangers convoitaient tant, je ne sais pas si tu sais... Qui il était vraiment. Ji-hun était un réfugié politique qui s'était fait très discret, qui n'avait jamais avoué son identité, pourtant depuis quelques mois il avait décidé de ne plus se cacher, d'œuvrer aux yeux de tous pour la liberté. Quand on s'y intéressait, c'était assez médiatisé et il apparaissait en tant que conférencier. Enfin, j'ai des journées toujours aussi chargées, conclut-il.

Ils furent servis, il quitta des yeux Flora pour dire  « merci ». Je saurai quand même trouver du temps quand tu seras décidée à m'emmener à l'une de tes sorties, fit-il ; ce sera quand elle en aura envie.

Les mots de Flora étaient vrais, il n'avait aucune raison d'en douter. De ce fait, il l'en remercia avant de continuer à livrer ce qu'elle avait bien pu louper. Le mois de mars avait été compliqué, car il avait appris que la réponse à sa demande de résidence permanente serait donnée plus tard dans l'année, c'était long, assez pour qu'il vienne à flipper qu'on puisse lui refuser et le renvoyer. C'était une peur justifiée, parce qu'il savait ce qui l'attendait s'il retournait au Nord de la Corée. C'est vrai qu'on n'a pas eu le temps de discuter quand on s'est rencontrés, dit-il, le sourire prêt à se marrer. Le reste n'avait été que séduction jusqu'à ce qu'un homme ne devienne son addiction. Plus trop de nouvelles après ça, mais il n'était pas contre le fait de se rattraper. Je suis Nord-coréen, ajouta-t-il seulement, et pour lui faire comprendre, ça suffisait amplement. Il n'avait pas envie de la terrifier ou de quérir d'elle de la pitié, alors il changea de sujet.

L'envie de découvrir le monde qu'elle lui avait un jour décrit, celui qu'elle explorait et dont il ne faisait pas partie. Il ne savait pas s'il sera réceptif à ce qu'il verra, mais la curiosité et le besoin de s'évader le poussaient à tenter. Content que tu apprécies, fit-il après qu'elle ait goûté. Il prépara une cuillère et la mit de côté pour qu'à ses lèvres elle puisse la porter, pendant que lui buvait une gorgée de son café. Tu as des projets pour cette nouvelle année, l'interrogea-t-il plutôt que de se concentrer sur ce qui avait bien pu se passer. Puisqu'elle avait été peu claire sur ce qui lui était arrivé durant ce silence-radio imposé, selon lui il valait mieux ne pas en parler. Tu n'as pas décidé de faire mannequin depuis le spring break, plaisanta-t-il, rapport à la photo de Punta Cana qu'elle lui avait envoyée, sensualité sans scrupule exhibée, ciel bleu et sable chaud présentés – de quoi l'avoir dégouté de ne pas y être allé.