Nila et Ji-hun ne s'étaient pas vus depuis des mois. Il fallait dire que le rush de fin d'année et les vacances d'été n'avaient pas aidé. L'étudiante était partie dans le pays où elle était née, pour retrouver ses cousins et ses aînés, alors que le Nord-coréen s'était inscrit à une aventure organisée avant de reprendre le cours de ses journées. Ils ne s'étaient pas beaucoup contactés, le doctorant supposait qu'elle ne devait pas être libre de parler, peut-être même surveillée afin de ne pas déshonorer les valeurs traditionnelles de la famille à laquelle elle appartenait. Mais à chaque fois ça avait été avec grand plaisir que le plus âgé avait reçu un peu de ses nouvelles, et bien entendu il avait souri et ri à l'humour contagieux de la demoiselle. Il avait toujours de quoi la taquiner – sa bonne humeur commençait à manquer.

Lorsqu'elle fut de retour, Nila lui proposa de se rencontrer pour un dîner. Ils en avaient déjà parlé, c'était le bon moment pour le programmer. Elle présenta un petit restaurant italien sympa dans Boston, c'était bien, ils n'avaient pas besoin d'en faire des tonnes. Ji-hun fixa le jour puisque, contrairement à l'artiste, lui travaillait, et vendredi arriva plus vite qu'ils ne le pensaient. Petit détour effectué après avoir fermé la porte du laboratoire où il s'était activé, Ji-hun prit une douche, se changea et prit le temps de se coiffer, parce que même si ce n'était pas un rendez-vous galant, il avait à cœur d'un minimum s'apprêter. Regard furtif sur le reflet dans le miroir présent dans le minuscule couloir, il attrapa ses effets, sauta dans ses chaussures à lacets, et quitta l'appartement qu'il occupait.

Il emprunta l'Orange line pour vingt minutes annoncées de trajet, fit le reste à pied jusqu'à apercevoir la silhouette féminine qui, déjà, l'attendait. Évidemment, il pressa le pas. L'allure sportive, habillée d'un t-shirt aux lignes bleues géographiques, d'un chino écru et d'une veste marine légère, s'élança en direction de Nila. Ça fait du bien de te revoir, dit-il une fois qu'à sa hauteur il se stoppa. Le voyage en Inde avait très probablement raviver la beauté de sa peau foncée, éclatante à souhait. Est-ce que tu as réservé ou il va falloir prier pour qu'une table ne mette pas trop de temps à être libérée, lui demanda-t-il, sourcils levés ; y avait-elle pensé ? Comme c'était elle qui  « l'invitait » – pour sûr qu'au moment de payer, il placera les billets –, il ne s'en était pas chargé.

L'Orange line était bondée à cette heure de la journée, entre les habitants qui n'étaient pas partis cet été, ceux qui étaient de retour de l'endroit où ils avaient séjourné et les touristes qui ne s'en étaient pas encore allés retrouver leur contrée, Ji-hun n'avait pas trouvé de place où s'installer, dû faire tout le trajet sur ses pieds. Heureusement il n'avait pas passé la journée debout ou à courir partout, ça ne le dérangea absolument pas du tout. Vingt minutes passèrent alors jusqu'à ce qu'il se doive de marcher pour rejoindre la demoiselle qui, pour sûr, devait l'attendre devant l'un de ses restaurants préférés. Il la reconnut avant même qu'il ne soit à sa hauteur, petit signe effectué dans sa direction qui attesta de sa bonne humeur, avant que ne vienne s'échapper quelques mots de son sourire ravageur.

Il fut plus que surpris d'entendre qu'elle avait réservé, ce qui leur permettrait d'éviter la longue file d'attente qui n'en finirait jamais. À ce point, s'exclama-t-il lorsqu'elle avoua ne pas avoir répondu à son appétit, rien qui te tracasse, j'espère. Il voulut s'en assurer, car la première fois qu'ils s'étaient rencontrés elle avait avoué que ses parents avaient les traditions du pays bien ancrées. Elle n'avait probablement pas passé les meilleures vacances d'été, notamment à cause de ses cousins qu'elle avait décrits comme complètement excités, mais il aimerait être certain que ça n'avait pas été plus loin. Tu vas donc être obligée de prendre l'un des plus gros plats de la carte pour compenser, plissa-t-il les paupières avant de lui signifier d'un geste de la main de s'avancer vers l'entrée, afin qu'ils puissent être placés.

Le Nord-coréen la laissa gérer au comptoir, alors qu'il regardait les quelques décorations présentes sur un présentoir. Il leva ensuite les yeux sur l'ambiance générale de la salle, mais n'eut pas le temps de l'observer qu'ils furent aussitôt emmenés. Après toi, la pria-t-il de prendre place sur une chaise avant de prendre à son tour ses aises. Comment tu as découvert cet endroit, lui demanda-t-il, veste retirée pour être posée sur le dossier. À son arrivée, il avait été habitué à librement vagabonder des grandes rues aux plus petites allées, et ça avait été ainsi qu'il avait repéré quelques bonnes adresses où s'arrêter ; le hasard faisait bien les choses, il en était persuadé. Un verre d'eau leur fut apporté, il prit une gorgée avant de la questionner : qu'est-ce que tu as le plus apprécié durant ton voyage en Inde ?