tw ✧ Consommation excessive d'alcool  

« Joyeux neuvième anniversaire, my little London love. »

Il aurait dû le voir venir. Détecter certains des signes avant-coureurs. Anticiper qu’aujourd’hui constituerait la première véritable épreuve. Son filet social amaigri par ces longs mois d’isolation auprès d’inconnus attablés à la même dépendance que lui n’avait pas suffi à le prémunir. Ni les quelques séances d’alcooliques anonymes auxquels il se présentait depuis un peu plus d'un mois maintenant.

Le silence s’était fait plus assourdissant, en ce jour d'anniversaire. Et lorsqu’un collègue malavisé lui proposa de prendre un verre, il se dit qu’il parviendrait à gérer. Qu’il avait compris la leçon, maintenant. Qu’il ne s’agirait, après tout, que d’un seul petit verre.

Sans trop se souvenir du comment du pourquoi, avec un pourcentage incalculé d’éthanol dans le sang, il se retrouva dans cet Irish Pub où une bande de copines célébraient il ne savait pas vraiment quoi. Jeunes, jolies et en liesse, il ne lui en fallu pas plus pour participer à leur moment en leur offrant une tourné de whiskey. Une chose en entraînant objectivement bizarrement une autre, le voilà qu’il se retrouvait le plus naturellement du monde à recevoir les attentions très attentionnées d’une jeune femme aux allures de mannequin dont la date de naissance devait pratiquement coïncider avec le nouveau millénaire.

Ça devait être dans la résonance de leur sourire sincèrement faux.

« Je ne te crois pas du tout, mais si c’est le cas, c’est une véritable honte.»

Le fait qu’il ne sache pas vraiment ce dont elle parlait ne l’empêchait nullement d’en être outré.

« Je vais prendre le compliment, miss perfect ten. » répondit-il en se permettant de lui caresser la joue de sa grande main virile d’homme qui en avait vu d’autre. Parce que manifestement, ça lui ferait le plus grand bien.

Enfin, c’était ce qu’il en avait compris du fait qu’il y a trente minutes à peine (ou environ ?), elle roulait une pelle à un autre mec.

À moins qu’il ne s’agisse de l’une de ses copines ? Aller savoir…

« L’ambiance commence à flancher depuis que le chansonnier a accroché sa guitare. Qu’est-ce que tu dirais de poursuivre la soirée avec du champagne et un jacuzzi ? En plus, je suis renommé pour mon époustouflant tataki de thon au sésame et citron vert»

Honnêtement, juste pour parvenir à prononcer à peu près correctement ‘tataki de thon’ dans son état, il méritait clairement de ne pas rentrer seul ce soir.  

tw ✧ Consommation excessive d'alcool  

« Dans le doute, ne prenons donc aucune chance.»

Sourire malicieux aux lèvres, il se laissait guider par son pilote automatique. Vu le brouillard, de toute façon, il n’avait guère le choix. Heureusement qu’il connaissait bien ces eaux. Le fait qu’il ne puisse même pas esquisser l’ombre d’une explication sur le comment du pourquoi ils en étaient arrivés là ne rendait pas la chose moins tangible pour autant.

« Je me ferai un plaisir de t’expliquer en long et en large, même si ça doit prendre toute la nuit. Question que tu ne te sous-estimes jamais plus.»

Qui s’exprimait si bien, disait-elle ? Avait-elle la moindre idée des merveilles que lui susurrait en silence ces lèvres qu’il osait à peine embrasser, de peur d’en échapper ne serait-ce qu’une nuance ?

Il ne se fit pas prier pour suivre le mouvement initié par cette main dans la sienne, pouffant de rire lorsqu’elle expliqua le programme de sa soirée à ses copines tout en essayant de récupérer son téléphone de sa main libre pour appeler un Uber. Malheureusement, il surestima grandement ce qui lui restait de faculté et le téléphone chuta lourdement par terre.

« Ohhh shhiiit…»

Sur des jambes chancelantes et tanguant comme par un soir de tempête, il parvint tant bien que mal à le récupérer, avant de retrouver le contact du feu follet qui l’attirait vers l’extérieur. Il l’observa avec bonheur aspirer l’air de la nuit. La regarder était un charme. Lui parler, une bénédiction. La toucher, une félicité. Peu importe ce qui viendrait ensuite, il n’était pas certain de posséder de mots pour le décrire

« Han han, no way. Non et non. C’est clairement moi le vainqueur de cette histoire. Mais si jamais, je suis prêt à négocier pour que l’on accorde la couronne au premier des deux qui noiera le thon dans le champagne sur le tatami. »

Quelque chose clochait dans cette histoire… mais ça ne le troubla qu’une vingtaine de secondes tout au plus avant qu’il ne vienne se rapprocher de…

Merde, comment elle s’appelait, déjà ?

Vraisemblablement pas Skylar, mais…

Jesus F***ing Christ, George…

La prenant aussi délicatement dans ses bras qu’une fleur en chute libre, il la fit lentement pivoter vers lui par cette chaude nuit d’été pour profiter de la beauté stellaire de ses yeux. Privé de verre et d’alcool et attendant le véhicule qui les conduirait une douzaine de blocs plus loin, vers son appartement du centre-ville, il dût trouver une autre façon d’occuper ses mains.

Et sa bouche.

Tout doucement. Sans se précipiter.

tw ✧ / 

« Tu n’auras qu’à me poser des questions qui se répondent par ‘oui’, pour équilibrer la donne. »

Il leva trois doigts de sa main gauche pour accompagner ses paroles, avant de réaliser que le compte n’y était pas exactement et d’en lever gauchement un de plus. Dans le doute, il laissa même son pouce participer. Jamais trop prudent. Et parce qu’il ne fallait pas se mentir – il dirait oui aussi souvent qu’elle le voudrait.

Il ne se fit d’ailleurs absolument pas prier pour rejoindre le magnifique podium qu’elle leur érigea.

« Tu possèdes une vision tout à fait charmante de la compétition, mais… »

Il étira délicatement ses doigts, posées sur la taille dénudée de la nymphe qui l’accompagnait ce soir, afin de l’attirer encore un peu plus contre lui.

« Je crois que tes talons dépassait. Ça m’aurait gravement embêté que tu te retrouves disqualifiée pour une faute technique… »

Pour chaque millimètre de l’espace qui les séparait qui disparassait, il sentait ses soucis en faire de même. Exponentiellement. Une chaleur incroyablement réconfortante naissait de la résonnance de leur corps et son âme trouvait un apaisement sans nom au fond de ces iris azurés qui emplissaient son champ de vision. Jusqu’à ce qu’il ne les ferme à moitié, enivré cette fois par l’expérience multisensorielle de ses paroles murmurées.

« Il n’y a rien à pardonner… »

Il s’interrompit pour embrasser finement, par accident ou inéluctabilité, sa lèvre supérieure.

« Je l’ai pris pour un nouveau compliment, votre altesse. »

Son visage s’illumina d’un sourire alors qu’il accorda le même traitement à la lèvre délaissée.

Libérant sa main droite pour replacer avec soin une mèche de cheveu rebelle, il lui caressa la joue à quelques reprises du revers des doigts.

« Profite de la manière qu’il te plaira. Il n’y a pas de mauvaises réponses.»

Quelques minutes de lente et minutieuse exploration tactile plus tard, leur carrosse noir s’avança. George manqua lui adresser son majeur pour avoir brisé le moment, mais il réalisa rapidement qu’il s’agissait d’un mal nécessaire. On pouvait dire ce que l’on voulait, mais la vraie difficulté de ces rencontres impromptues ne résidait pas dans le fait de sortir du bar au bras de quelqu’un, mais bien de réussir à se rendre dans un endroit privé sans que les bonnes intentions ne s’estompent ou ne soient rattrapée par la raison, alors que l’alcoolémie perdait lentement du terrain.

À contrecœur, il se sépara à moitié de celle contre qui son cœur battait, n’ayant pas le courage de la laisser complètement aller. Il craignait tellement qu’elle ne se dissipe en volute de fumée entre ses bras, comme un mirage au cœur du désert. Le laissant alors seul avec ces oppressants souvenirs d’une vie à deux qu’il n’avait pas su maintenir.

Il ouvrit la portière arrière de la main gauche, tout en maintenant son bras droit enroulé autour de sa taille fine. Puis il l’invita à le précéder dans la voiture d’un cordial « Mademoiselle de la Beauté Festive, »

Dans une dizaine de minutes tout au plus, ils seraient devant l’entrée du bâtiment abritant son penthouse au centre-ville, dont le highlight ne serait temporairement plus la vue imprenable qu’il offrait sur la ville. Mais le temps ne suivait plus aucune convention.

tw ✧ / 

« Oui, » répondit-il d’un air moqueur qu’il ne parvint à maintenir que quelques secondes avant de s’esclaffer aussi brièvement qu’un homme qui a trop bu peut le faire et de poursuivre, pour tenter de se rattraper :

« Mais ça aurait été la seule défaite que j’aurais embrassé de bon cœur. Très littéralement, même…»

Il survendait sa compétitivité. S’il y avait cependant un prix pour lequel il aurait été prêt à mettre tous les efforts nécessaires, ça aurait été pour sa pleine attention.

Lorsqu’elle lui offrit son nom, après qu’ils eurent pris place dans le taxi, il sentit que quelque chose venait de changer. D’une part, il se réjouissait intérieurement de ne pas l’avoir oublié, puisqu’il ne l’avait vraisemblablement jamais su avant maintenant. D’une seconde part, il ouvrait un nouveau degré d’intimité à leurs échanges. N’y avait-il pas cette vieille croyance populaire qu’il ne fallait jamais donner son nom à une fée, de peur qu’elle ne prenne le pouvoir sur soi ?

« George,» mumura-t-il à son tour. Parce que si quelqu’un devait l’ensorceler, il préférait de loin que ce ne soit pas Abdul, le chauffeur d’Uber…

Il serra la main de sa tout aussi magnifique qu’inespérée rencontre, dans une curieuse mais pleine de sens remise à zéro de leurs étapes de familiarisation. Il la porta ensuite à ses lèvres pour déposer un baiser sur le dos de celle-ci.

Lorsqu’elle lui demanda s’il prévoyait les emmener dans un gymnase, il faillit répondre ‘Non’ d’office, mais parvint à se retenir en grinçant des dents à travers un sourire.

« Je ne crois pas que ce sera nécessaire. Maintenant que nous avons déterminés que la compétition s’était terminé par un match nul, il ne nous reste plus qu’à laisser place aux célébrations.»

Il espérait sincèrement que cette petite pause dans l’intensification de leur relation naissante ne lui mettrait pas un terme prématuré. Le passage régulier et fort plaisant des doigts de la belle sur son bras le rassurait, mais il savait ô combien de rêves ces trajets en taxi avaient brisés, alors que la surconsommation d’alcool, la fatigue ou un relent de bon sens venait briser le rythme des plus ambitieuses promesses de félicité. Lui-même sentit la tête lui tourner, mais parvint à toujours retrouver le focus grâce à ce visage angélique qui illuminait la noirceur de sa nuit. Et à ce corps de rêve qui ravivait constamment une soif qu’aucun d’alcool ne pourrait étanche.

Ils arrivèrent finalement à destination. George descendit le premier et aida Maze à en faire de même. Il l’examina tandis qu’elle levait les yeux sur la tour d’habitation vitrée d’une vingtaine d’étage de haut.

« T’es pas la seule à ne pas dire des trucs qu’elle ne pense pas…»

Ravi qu’elle ait choisi à la base de le suivre sans vraiment croire ce qu’il lui proposait, cette fois, ce fut lui qui vint chercher sa main…

… tout en remerciant le ciel qu’elle ait oublié cette histoire de thon. Cuisiner pour quelqu’un le passionnait certes, mais il craignait vraiment d’y perdre un doigt, ce soir.

« Viens, nous sommes presque arrivés.»

Avec une grande retenue, il l’entraîna à sa suite. Il déverrouilla la première porte et la tint ouverte pour lui laisser le passage, la guidant de sa main gauche. Puis il ouvrit l’ascenseur et demanda le 18ème étage. Lorsque les portes se refermèrent, il se permit de la prendre par la taille et de la ramener contre lui. Pas qu’il tenait à tenter quelque chose à la va vite dans les quelques minutes qui le séparait de son domicile, mais bien parce qu’il ne voulait voir et ressentir qu’elle, alors qu’il traversait ces mornes étapes de son quotidien généralement sans vie.

« Tu es vraiment spectaculaire, Maze...»

Il adorait la façon dont son prénom glissait entre ses lèvres, en se reposant au bout de se langue.

tw ✧ / 

« Presque,» répondit-il avec un sourire en coin lorsqu’elle lui demanda son opinion sur le destin. Il n’allait pas se cacher qu’il y avait définitivement quelque chose de surnaturel à toute cette soirée. Une profonde rechute dans l’alcool le soir de l’anniversaire de feu son mariage mise en branle par un nouveau collègue l’ayant conduit dans les bras d’une femme tirée tout droit de ses fantasmes les plus sains. Le destin ? Ce mot signifiait probablement quelque chose de différent pour chacun, mais pour lui, c’était plus que ça.

Il prit le temps de savourer pleinement le baiser qu’elle vint déposer dans son cou, même s’il menaça de sublimer absolument toute activité cérébrale non directement impliqué dans la perception de cette sensation. Grands dieux que la nuit promettait… Il parvint à reprendre, avec un peu de mal.

« Je crois surtout aux bonnes personnes,» commença-t-il en glissant sa main droite dans la chevelure de la jeune femme, caressant du pouce l’extrémité latérale de son front, tout en maintenant sa main gauche contre la peau exposée de son dos. Son regard, lui, ne quittait pas le sien.

« Que par leur bienveillance, leur intrépidité et leur créativité, ils créent leurs propres opportunités que les autres appellent ‘de la chance’. Alors si jamais tu te sens chanceuse, ici et maintenant, n’oublie de te remercier, toi, d’être la personne que tu es. Rien de tout cela ne serait arrivé autrement…»

Malgré son envie, il n'osa pas l'embrasser. Il craignait de ne plus pouvoir s'arrêter.

La sonnette annonça leur arrivée, et la porte s’ouvrit. Cette fois-ci, ce n’est pas en lui tendant la main, mais bien en la tenant par la taille qu’il la guida, un peu gauchement, vers la porte de son appartement.

« Nous y voilà… »

Il déverrouilla la porte d’entrée. Elle s’ouvrit sur une vue de la pièce centrale d’environ 100 mètres carrés qui passait successivement de la cuisine à la salle à manger et au salon. Moderne et élégant, deux des quatre murs étaient vitrés de haut en bas, offrant une vue plus qu’intéressante sur la ville brillamment éclairée à cette heure. Il referma derrière lui, puis alla récupérer un verre à la cuisine qu’il remplit d’eau au réfrigérateur et qu’il déposa sur le coin de l’îlot.

« Bienvenue chez moi. Je t’en prie, met-toi à l’aise. Je m’occupe du champagne.»

À contrecœur, sa main gauche rompit le contact. Ses doigts ne voulaient cependant rien entendre, et ils s’étirèrent pour frôler aussi longtemps que possible l’espace tout juste à la frontière de ses pantalons blanc. Il s’échappa par le salon, prenant à droite vers son bureau. En chemin, il sortit son téléphone pour lancer une playlist d’ambiance et tamiser les lumières. Depuis son célibat, il avait à de nombreuses reprises trompé son ennui en installant des petits gadgets à travers son appartement. Le système de son qui diffusait un volume constant à travers toutes les pièces constituait sa petite fierté.

Sobre depuis le 6 mai, trouver une bouteille de champagne n’était plus aussi simple… Heureusement, un petit cellier contenant une demi-douzaine de bouteilles avait survécu à la purge pour des raisons purement sentimentales. Le Don Pérignon de 2014 qu’il empoigna aurait dû souligner la naissance de leur premier enfant, à lui et Skylar. Il n’avait pu se résoudre à l’envoyer dans l’évier. Ce soir, au moins, il disparaîtrait dans l’allégresse.

Il revint vers la cuisine avec le sourire et récupéra deux flutes qu’il disposa à nouveau sur le comptoir. Puis il ouvrit la bouteille d’une main experte. Probablement l’un des deux seuls gestes qu’il maîtrisait peu importe son niveau d’alcoolémie. Avec un ‘pop’ des plus satisfaisant, il emplit à moitié les deux flutes, avant d’en tendre une à Maze.

« À la tienne, ma ravissante invitée…et au destin qui nous a réuni.»

Au lieu de se rapprocher, il choisit de se reculer de quelques pas en direction de la fenêtre, sans jamais cesser de la regarder. Jusqu’à ce que son dos soit presque appuyé contre celle-ci.

« Alors, le jacuzzi est par là…»

Il tendit la main gauche, pointant dans la direction de la salle de bain.

« Et moi, je suis juste ici…»

Sa chaleur lui manquait déjà cruellement…