Mes mains allaient me trahir avant même que je ne tente de formuler une phrase compréhensible. Je le savais en voyant la manière dont elles tremblaient quand j'essayais de mettre de l'ordre dans les affaires que j'avais déposé à droite et à gauche. Ranger n'était pas une tâche que j'aimais réaliser au quotidien. D'ailleurs, le seul domaine où j'étais ordonnée c'était dans le travail et les études. La maison était à mes yeux synonyme de cocon chaotique - n'en déplaise aux personnes qui me subissaient tous les jours ou presque. Toi, par exemple, qui à l'instant vient de gagner l'embrasure de la porte de la chambre. _ Salut mon cœur ! La voix vacille à cause du stress et un raclement de gorge éclaircit aussitôt cette dernière pour la rendre plus claire. _ Je range. Je sais que tu le sais ; tu me vois sur le fait. Je sais, aussi, que la première question sera pourquoi ce rangement et cette nervosité palpable. Peu encline à me jeter dans la gueule du loup trop vite, je te laissais prendre les devants en continuant maladroitement ma tâche, les joues rouges de honte.

Si y'a bien une chose sur laquelle je me sentais bien dans ma vie, c'était cette relation qu'on construisait, toi et moi. Une brique par une brique, un pas après l'autre. On s'attendait mutuellement quand on avait un blocage et c'était beaucoup d'écoute et de communication. Pour moi, on était sur la bonne voie. Tu vivais quasiment ici et on avait un rythme qui était bon à mon sens. Sacs de courses dans les bras, je rentrais poser tout ça dans la cuisine, avant de te chercher. C'était dans la chambre que tu te trouvais... en train de ranger ? « hey bébé » Sourcil arqué, tandis que tu justifiais ton acte. Sûrement parce que ça n'arrivait jamais... que tu ranges. « je vois ça. une occasion particulière ? » Possiblement la visite de quelqu'un ou... j'en sais rien. C'était tellement peu probable que c'en était bizarre. Même si j'avais dit l'inverse, j'crois bien que je m'étais habitué à ton bordel mine de rien.

J'entrais dans une nouvelle phase depuis quelques jours. Sur ma longue balade dans les montagnes russes, après une longue montée, je commençais à redescendre peu à peu. C'était toujours le même schéma. Difficile à suivre, lassant pour ceux qui ne me connaissent pas très bien. J'étais habitée par des centaines de réflexions en tout genre qui se percutaient sans relâche dans ma tête, jusqu'à l'épuisement. C'était ce moment que j'étais en train d'atteindre. Des angoisses grandissantes qui, pour être maitrisées, me demandaient de prendre du recul sur l'instant présent. Voyez cela comme une retraite, un retour réflexif de quelques semaines. Le problème, ce n'était pas tant que ça arrive, mais plutôt de l'expliquer aux proches, de le faire accepter. _ Je... Séchais déjà dès la première question, le rouge me montant aux joues très rapidement. Je n'avais aucune idée de comment bien aborder le sujet et mon anxiété commençait à transparaitre. _ J'angoisse beaucoup en ce moment. T'es le premier au courant, j'en suis consciente. _ Et... Je crois que j'ai besoin d'un temps pour moi. Seule.

Vivre ensemble, ça s'était fait naturellement. Ca avait commencé par venir à la maison de temps en temps, puis tous les jours. Puis la brosse à dents ainsi que quelques affaires par ci par là. J'avais pas la sensation d'avoir poussé le truc, au contraire. Toi et moi, c'était assez fluide depuis le jour un. Mais là, te voir ranger, alors que c'était loin d'être dans tes habitudes, ça me faisait monter une certaine angoisse. Je tentais de la taire, pour ne pas sauter aux conclusions qui n'avaient pas lieu d'être. « un temps pour toi pour ? » Pas sûr de vraiment comprendre. En même temps, t'étais loin d'être très explicite dans tes propos alors j'avais du mal à capter la subtilité du message.

C'est vrai que la scène était peu habituelle. Le rangement n'avait jamais été l'une de mes passions alors quand je m'y mettais, c'était généralement parce que j'avais besoin d'occuper mes mains et faire taire le flux de mes pensées. Même quand tu arrives sur le pas de la porte, je suis incapable d'arrêter mes mouvements quitte à plier et défaire trois fois le même t-shirt frénétiquement. C'était aussi un moyen de trouver le courage d'expliquer ce qui se tramait ; tu en avais besoin. _ Réfléchir. Prendre du recul. Appelons un chat un chat, tu n'étais pas stupide. Je tournais la tête pour ne pas voir la panique prendre possession de tes traits. _ J'ai simplement envie d'être seule pour réfléchir. Penser à la fin de mes études, à ce qui viendra ensuite. Ca parait simple présenté ainsi.

Un mauvais pressentiment m'habitait en cet instant, à te voir ranger tes affaires, les plier de façon stressée. Je ne captais pas tellement ce qui se passait mais tu allais très vite m'expliquer ce qui se passait par ta tête. Enfin, en espérant que ce ne soit pas sous forme d'énigme, j'étais pas tellement enclin à capter ce genre de messages. « être seule... loin de cet appart ? » C'est ce que je comprenais partiellement entre les lignes et c'était pas tellement ce que je voulais. Seulement, j'étais qui pour t'en empêcher. Ce que je ne captais cependant pas, c'était pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu en viennes à vouloir partir d'ici quand tout ce que j'ai fait, c'était aller à ton rythme. Je suppose que la réponse, tu ne l'as même pas, complexe comme tu es. Je n'ai qu'à attendre et voir ce que tu vas dire.

Me dépatouiller avec des situations comme celles-ci, quelle galère. Disons qu'habituellement, j'étais celle qui était à ta place. J'étais celle que l'on fuit à cause de son amour grandissant et de sa dépendance inquiétante. Pauvre petite Marla a bien changé. Maintenant, j'étais celle qui freinait des deux pieds parce que mon propre rythme de filait le tournis. _ De tout. Pas juste de cet appartement, pas juste de toi. De tout. _ J'voudrais juste prendre du temps pour moi, pour réfléchir. Et j'ai besoin de me recentrer sur moi-même pour ça. J'ai besoin, égoïstement, de réfléchir sans le faire en pensant à quelqu'un d'autre.

J'étais complètement perdu, pensant que les choses se déroulaient de façon calmes et posées entre nous. Rien ne semblait mener à cette discussion totalement invraisemblable. Et pourtant, j'étais bel et bien sur le pas de cette chambre que je ne peux plus vraiment appeler “notre” chambre. C'était la mienne et tu décidais de t'en aller pour penser à la vie, réfléchir à autre chose. J'sais pas tellement ce qui se passe par la tête donc en vrai, je n'avais pas vraiment de vision du pourquoi du comment. C'était quoi "prendre du recul" ? « je... okay » C'est pas comme si je pouvais t'empêcher de quoi que ce soit, t'étais libre de tout faire. Et si quitter les lieux était ce que tu voulais, ainsi soit-il.

L'incompréhension se lit sur ton visage que j'ose à peine regarder. Mes joues sont si rouges que je crois même que des plaques sont en train d'apparaitre dans ma nuque. Rien que là, j'étouffe. J'ai besoin d'air. J'ai besoin de faire quelques pas en arrière et de méditer sur la suite. Il y a eu déjà tellement de merde que j'crois que j'arrive à un objectif de mon voyage où il y a écrit : te réconcilier avec toi-même. _ Je ne te quitte pas Kai. Ca j'en étais certaine. J'avais juste besoin de temps, rien de plus. Aussi étonnant que cela puisse être, il me fallait mettre de l'ordre dans tout. Un bon gros ménage pour m'alléger.

“Je ne te quitte pas Kai”. Ces mots résonnent dans ma tête et pourtant, j'avais l'impression d'assister à un tremblement de terre. Une fracture entre deux morceaux de terre si bien liés. Une fracture qu'il m'était impossible d'empêcher. Alors je te laissais faire. Je hochais simplement la tête à tes mots, un soupir s'échappant avant de m'éclipser dans le salon. J'avais pas envie de voir ça, pas envie de te voir t'éloigner de moi. C'était peut-être pas une rupture pour toi, mais c'était un peu tout comme de mon côté. Ce changement d'habitude, ça m'ébranlait. Et c'était loin d'être ce qu'il me fallait. Si j'avais bien appris un truc dernièrement, c'était bien le fait que j'avais besoin d'équilibre dans ma vie. Et ça, c'était loin de le préserver.