Née le 13 décembre 1989, Thea est la prunelle des yeux de ses parents qui ont du se battre beaucoup trop pour parvenir à, enfin, mener une grossesse à terme. Elle était l'embryon de la dernière chance, et la chance s'est réalisée. Ils ont considéré qu'elle était leur porte-bonheur et c'est une position que la fillette adorait : il n'y a rien de plus flatteur, de plus enorgeuillant non plus. Le business fleurissant, les parents de Thea peuvent tout lui offrir et la fillette ne se gêne pas pour tout réclamer : elle a la dernière poupée à la mode, toutes les robes qu'elle veut et tous les jouets derniers cris, même ceux qu'elle abandonne à peine après avoir ouvert le paquet. Elève d'une école privée, elle est élevée avec des gens "comme elle" : les apparences prévalent, l'argent aussi et surtout celui qui lancera l'après-midi d'anniversaire le plus mémorable. La mère de Thea, Diane, est partagée ; elle aime profite de ce statut de "nouveau riche" que le business de son mari lui a ouvert, mais elle a l'impression de manquer quelque chose dans l'éducation de sa fille qui semble penser que tout cela est du pain béni.
Le pain noir ne tarde pas pourtant à entrer dans la vie de Thea, car c'est pour ses 12 ans, le 13 décembre 1999, que son père est arrêté, là, devant ses yeux, et devant les yeux de tous à la sortie de l'école. En larmes, elle ne comprend pas ce qu'il se passe et du haut de son immaturité, ne peut s'empêcher d'en vouloir à son père de gâcher son anniversaire. Quand elle comprendra vraiment ce qu'il se passe, c'est d'avoir gâché leur vie qu'elle ne lui pardonnera pas. Oscar Lockhart est condamné dix-huit mois plus tard pour détournement de fonds, corruption et blanchiment d'argent. Grâce à un plea deal, il ne prendra que quatre ans de prison quand les montants détournés feraient pâlir qui que ce soit (et permettent de s'interroger sur ce qu'il a réellement pu faire de cet argent). Libéré deux ans et demi après sa condamnation (la période de détention provisoire étant prise en compte), il retrouvera femme et enfant, mais rien ne sera plus jamais pareil.
Thea a vu son monde s'effondrer du jour au lendemain : les comptes vidés, sa mère obligée de travailler, elles de déménager, Thea de changer d'école, perdre tous ses amis, son père qu'elle admirait... Les dents serrées, elle attendait de retourner dans sa chambre pour s'effondrer en larmes dans sa chambre, entendant parfois sa mère faire de même dans la pièce accolée à la sienne. Continuant à porter ses belles robes aussi longtemps que possible, Thea a appris à coudre pour pouvoir customiser ses vêtements et réutiliser au maximum les tissus : il n'était plus question de porter le moindre uniforme et évidemment, qu'elle n'avait plus les moyens de s'acheter des aussi beaux vêtements, ou les derniers jouets à la mode.
Thea est passée d'une vie de luxe à une vie de précarité du jour au lendemain, d'une vie où elle était aimée, appréciée de tous (en apparence, tout du moins) à une vie où elle était paria, que ce soit auprès de ses anciens amis, de ceux de ses parents ou même de sa famille, comme si elle y était pour quelque chose et si aujourd'hui, c'est une situation qu'elle accepte, il lui a fallu des années pour l'accepter. Des années pendant lesquelles elle n'a pas adressé un seul mot à son père, autre que les formules de politesse ; des années pendant lesquelles elle a supplié sa mère de divorcer, de partir ; des années pendant lesquelles elle ne soupçonnait pas toute l'aide que Yomiko, sa tante, épouse Lockhart elle aussi, a pu apporter à sa famille, et à quel point la situation aurait pu être pire. Des années aussi où sa tante lui a permis de voir ses cousins, de grandir comme si la famille n'était aussi déchirée qu'elle l'était. Des années pendant lesquelles elle a appris à cacher le moindre sentiment, à voler les produits nécessaires mais trop onéreux comme les protections hygiéniques, les préservatifs, et les cadeaux qu'elle ne manquait jamais de faire à sa mère. Des années où elle a construit peu d'amitié mais l'une plus forte que tout, de quelqu'un sur qui elle n'aurait jamais posé les yeux auparavant, et des années où elle s'est promis de ne plus jamais vivre avec la peur au ventre de ne pas pouvoir manger le lendemain.
Quand elle a seize ans, Thea est déterminée : il lui faut un travail à la sortie des cours, elle tient à finir son cursus mais veut pouvoir contribuer aux besoins du foyer, et de sa mère. Contrairement à ceux de ses parents, son salaire sera intouchable et ne contribuera pas à rembourser la dette de son paternel. Elle trouve un petit job de serveuse dans un bar à la sortie des cours et dit avoir dix-huit ans pour être embauchée sans avoir à renoncer à ses études. Elle est fatiguée, épuisée mais mets précieusement tout ce qu'elle peut de côté dans l'espoir de pouvoir faire des études une fois son lycée terminé. Thea a toujours rêvé d'être médecin mais comprend, autour de ses quatorze ans, que cela ne sera pas possible. Le rêve continue de lui trotter dans la tête, mais ça reste un rêve, et c'est donc tout naturellement qu'elle se tourne vers les études d'infirmière. Elle les réussit avec brio, et avec l'aide de l'argent que sa mère a mis de côté secrètement pendant toutes ses années, et à 21 ans, elle commence à travailler.
Thea enchaine les gardes de jour et de nuit, tombe amoureuse d'un médecin marié, se fait briser le cœur mais continue de travailler d'arrache-pied jusqu'à se faire virer, pour ses vingt-six ans, parce que la femme du médecin a appris une liaison qui n'a pu lieu d'être depuis trois ans. Vous l'aurez compris : Thea déteste ses anniversaires. Elle les passe désormais sous un plaid, à la limite en compagnie de Ryo, sans gâteau, sans cadeau, et avec juste une pizza et des bières. Il faut savoir accepter les signes du destin.
Quelques semaines plus tard, elle tombe amoureuse puis trouve un travail, fait cette fois les choses dans le bon ordre. Elle retrouve un semblant de stabilité et espère même d'ici deux ans, acheter son premier bien immobilier avec l'argent qu'elle a pu mettre de côté quand un matin, en rentrant d'une garde de vingt-quatre heures, elle tombe sur un appartement presque vide et une note : "désolé". Pas d'explication en plus, pas de signe précurseur à moins qu'elle les aient tous ignoré. Thea soupire, s'assoit et tire le test de grossesse qu'elle a fait en quittant l'hôpital sans avoir osé regarder le résultat : positif. La jeune femme s'effondre en larmes, connaissant les décisions qu'elle va devoir prendre, face à ce numéro de téléphone qui semblait avoir été tout simplement supprimé. Elle avorte quelques Son regard se pose sur le calendrier qui affiche la date du 14 novembre : pour une fois, ce n'est pas pour son anniversaire.  Elle avorte quelques jours plus tard, et le 13 décembre, pour son anniversaire, elle déménage à Boston sur un coup de tête, ne sachant pas vraiment combien de temps elle restera ; c'est la seule décision irréfléchie qu'elle ait prise de toute sa vie, et peut-être la meilleure. Rejoignant son meilleur ami, une partie de sa famille, elle trouve rapidement un poste d'infirmière dans l'un des hôpitaux de Boston, et sur un autre coup de tête, décide de postuler à Harvard, au cas où. Elle est admise et fait sa rentrée universitaire à 30 ans passé, prête à réaliser le rêve auquel elle avait renoncé : devenir médecin.