La surprise peint sur son ovale. « Surprenant hein. » Il rit de lui-même. Si désinvolte qu’il donne l’illusion d’être hors de tout. De ne rien prendre au sérieux, mais tout ça, n’était qu’apparence. Aussi futile que peut être sa légèreté, son âme est en réalité, habitée par plusieurs nuances. Mais d’une certaine manière ça l’arrange. Il est apprécié pour ce qu’il est. C’est-à-dire quelqu’un avec qui on peut s’amuser. Ne pas se prendre la tête. Vivre. Quelqu’un qui peut parfois être craint pour ce qu’il représente. Et tout ça, ça lui convient. Le reste, il préfère l’enfouir. Perçant ses réflexions, les mots s’écoulent des lèvres de la blonde. Deux questions, mais bien visé. Léger ricanement. Du genre qui est presque imperceptible. « Pour la raison la plus logique. » Se redressant, il s’approche à nouveau d’elle. Tourne autour comme un félin autour de sa proie. « Y avait un programme dans mon lycée. En correspondant, je pouvais gagner quelques points en plus. » C’était l’unique chose qui l’avait motivé et puis, il avait fini par se prendre au jeu. Plus que ça, il s’était lié à elle. Celle avec qui il correspondait depuis plusieurs années. Elle qui connaissait les facettes qu’il s’évertuait à enfermer dans des cases de son esprit. « A ton tour. » Il s’arrête. De nouveau immobile devant elle. « Qu’est-ce que ça t’apporte de lui parler ? »

Les yeux papillonnent. Revient au présent, la blonde aux opales azurs. A quoi pensait-elle ? Lui qui rôde autour, s’arrête. Patiente pour une réponse. Qu’est-ce que ça lui apporte de parler à un inconnu ? De le transformer en une personne de confiance ? Quelqu’un à qui l’on raconte des choses intimes. Sinon, pourquoi correspondre ? Les futilités lassaient vite. Il y avait forcément quelque chose qui donnait envie de continuer. Et elle tombe enfin, sa réponse : elle ne sera jamais jugée. Etrange comme il se retrouve dans ses mots. Il ne l’a pas dit, mais la véritable raison est identique à la sienne. Par celle qui partage sa vie sans en faire partie vraiment, il ne se sent pas jugé. Elle ne voit pas en lui l’étudiant d’Harvard –qui en plus de réussir ses études- se retrouve rapidement collé avec l’étiquette du gars sans prise de tête. Seulement, jamais personne ne s’est demandé pourquoi est-ce qu’il agit comme ça. Qu’est-ce que cache un comportement si léger qui même dans les pires situations, trouvent de quoi rire. Un pas. Plus proche encore. Entre leurs deux ombres, la lumière tamisée de la bibliothèque s’immisce. « Donne-moi un exemple. » Le culot. Celui qui le caractérise. Sans doute qu’elle ne répondra pas, mais il ne se gêne pas pour demander. Pour oser se le permettre.

Paupières closes. Elle s’absente. Perdue dans une réflexion qu’il ne peut saisir, mais il a tout son temps. Et lorsqu’enfin elle rouvre ses yeux, Scott sait. Il sait qu’elle lui répondra. Ce qu’elle lui révèle, le laisse silencieux. Un correspondant pour se livrer. Comme il le faisait avec celle qui partageait ses lettres depuis plusieurs années. « Et tu lui en a parlé. » Il ne fait pas le lien Scott. De ce qu’elle lui raconte. Il voit une similitude avec ce que sa correspondante lui a racontée, mais ce n’était pas assez pour comprendre qu’entre elle et l’autre, il n’y avait aucune différence. « Pourquoi ? » Les questions continuent d’affluer, mais pas sans raison. C’était aussi une manière d’en savoir plus sur elle et accessoirement de passer le temps sans trop en dire sur lui. « Qu’est-ce qu’il t’apporte ? » A nouveau, il s’éloigne d’elle pour reprendre sa place. De cette distance, il a une vision globale de sa gestuelle. Dans ce décor poussiéreux, elle semble ressortir. Sa blondeur fait contraste avec le vieux bois des bibliothèques. Et le bleu de ses prunelles est perçant. Même d’ici. Il ne l’avait pas remarqué la première fois. A vrai dire, il était trop concentré sur le fait qu’elle lui est volée ses céréales, mais ce soir, il la voit différemment. « J’veux dire, ok il t’juge pas, mais tes proches sont censés faire la même chose. »

Un rire s’échappe des pulpeuses de la jeune femme, alors qu’elle se livre presque facilement. « Je vois. » C’est ce que lui-même ressentait vis-à-vis de sa correspondante. Plus il lui parlait et plus il avait envie d’en savoir plus. Comme une sorte de dépendance. A son tour. Elle lui renvoie l’une de ses questions et il n’a pas d’autre choix que de lui répondre. Il lui devait bien ça. Qu’est-ce qu’il lui avait dit ? Beaucoup de choses. A commencer par sa famille. Son père surtout. Ils n’entretiennent pas de bon rapport. Il est tout l’inverse de sa mère ou de lui. Très à cheval sur la conduite à tenir. A porter de l’attention aux regards des autres. Son père était un homme d’affaire qui avait perpétué la tradition en travaillant dans l’entreprise familial. Il s’agissait de vente et de productions d’armement. A ses yeux –et celui du grand-père paternel- Scott était une déception. Et s’il a toujours dit qu’il n’en avait rien à faire, on était loin de la vérité. L’étudiant donnait toujours l’impression que rien ne l’atteignait. Usant et sur usant d’auto dérision. « Ruby.. –parce que c’est comme ça qu’elle s’appelle. - .. disons que c’est facile de parler de sa famille. » C’est franchement vague comme réponse, mais s’il se confie à une parfaite inconnue par écrit, ce n’est pas pour rien.

Scott. Son prénom s’élève. Traverse la barrière de ses lippes. La surprise peint les traits de la blonde. Contamine l’homme. Hébété, il garde le silence. Ne sachant –finalement- pas quoi dire. Trop surpris par cette révélation. Parler à une personne sans savoir à quoi elle ressemble ni les choses superficielles comme savoir ce qu’elle faisait de sa vie, était une chose. Ça rendait la confidence plus simple. Cela avait fait partie de leur accord. Les lettres étaient transmises via un service de boite postale anonyme. Ce qui permettait de ne pas avoir accès à des informations personnelles, mais aujourd’hui, l’anonyme confidente, lui faisait face. La voleuse de céréales. Sa Ruby. « La coïncidence serait trop forte pour que ton correspondant est le même prénom. » La voix enrouée, il parle enfin. Inspire silencieusement une goulée d’air. « On avait un accord. Celui d’rien savoir de l’autre. Pas d’identité complète. Pas de photo. » Il marque une pause. Fixe la jeune femme. Elle. La personne qui le connait mieux que personne. « Si ça t’parles. Alors c’moi. » Ironie. « Surprise. »