Étouffante est la chaleur. Beaucoup moins qu’au Sénégal, mais assez pour le pousser à errer dans l’une des bibliothèques d’Harvard. Fin Août, le campus est presque désert. Ce qui lui laisse l’opportunité de profiter du silence des lieux et aussi, de ne pas être vu en pleine journée à jouer les ermites. Alors le voilà, terrer au fin fond des lieux. Affalé sur la vieille table en bois, l’étudiant dort dans un sommeil profond. Sous sa joue, une feuille de papier tâchée par son écriture. L’encre donne naissance à des mots qu’il n’aurait partagés avec personne. Personne d’autre que sa correspondante. Lié depuis plusieurs années, ils n’ont jamais fait le saut. Celui de se voir. De savoir à quoi il ressemble. Peut-être était-ce dû à de la pudeur. Après tout, leur échange était bien trop intime. A moins que ce ne soit de la peur. La peur d’être déçu. Préférant à la place vivre dans une sorte de fantasme. Etrange quand on savait que c’était tout, sauf le genre de Scott. Lui le mec qui se contre fou de tout et qui prend la vie comme elle vient. Toujours endormie, son ombre se fond dans l’obscurité. Celle qui devient de plus en plus présente à mesure que l’heure défile. Envahie par une flemme, l’agent de sécurité n’avait pas pris la peine de vérifié s’il restait quelques âmes errantes. Emeraudes luisantes. Soudainement en éveil, les yeux du brun s’entrouvrent. Il lui faut quelques secondes pour prendre conscience de son environnement et quand enfin il se rappel de l’endroit, son sixième sens s’anime. Putain. Le lieu est trop sombre. Trop silencieux. Jetant un coup d’œil à son portable, il repère l’heure. Bordel de merde. Plus de vingt-trois heures, déjà ?! S’empressant d’enfoncer la lettre dans sa poche arrière et de récupérer le stylo, l’homme se met en route vers la sortie. En espérant que ce ne soit pas fermé. C’est à ce moment-là qu’il la voit. La familière silhouette.

Elle jure la blonde. Même dans l’obscure bibliothèque, il peut parfaitement voir à quoi elle ressemble. La fille de la cafétéria. Celle qui lui avait ravie le dernier bol de céréale. Et pas n’importe quelle céréale. Des Lucky charms. On ne déconne pas avec ça. C’est un peu le truc bien sucré qui te donne envie d’affronter une nouvelle journée après une énorme cuite. Le seul truc indigeste que t’es sûr de pas recracher. Apparemment, il avait su marquer son esprit –quoi que ça c’est évident- étant donné le regard qu’elle braque sur lui. « Monsieur grognon ? J’suis sûr que tu pouvais faire mieux. » Les prunelles malicieuses, Scott affiche un sourire narquois. « Faut croire que c’est ton jour de chance. Le rêve est devant toi en chair et en os. Si c’pas merveilleux. » Ego ravagé. Alors que l’écho du rire de la jeune femme se répercute contre les ouvrages anciens, le brun ignore son insolence. Puis, se détournant d’elle, il se met en marche vers les doubles portes qui se trouvent à quelques pas. Sans grande conviction, il tente de les ouvrir, mais rien ne se passe. Cet idiot d’agent de sécurité avait été laxiste. Préférant surement profiter d’une bonne pause. Aller savoir quand est-ce qu’il allait pointer sa tronche ici ou jeter un coup d’œil sérieusement à ses caméras. Soupire. « J’crains que tu n’as pas d’autre choix que de partager un moment avec ‘’monsieur grognon’’. Ça te laisse le temps de me trouver un surnom plus convenable. »

Bon, apparemment elle lui en voulait toujours. Et pour être honnête, Scott ne comptait pas arranger la situation. Pire, il la noircissait un peu plus en se livrant à un jeu avec une joie malsaine. « J’en attendais pas moins. » Les portes étant fermées, il n’y avait plus aucune raison d’espérer une issue de secours. Alors, autant occuper son temps en l’emmerdant. Ricane l’ombre. Appuyé contre le rebord d’une table, il se moque ouvertement de la blonde. Elle qui s’est ruée sur les portes. Heurter à un bouillant échec, elle se fait aigre avec une répartie qui glisse sur lui. Sans effet. Volontairement, il l’ignore. A la place, il se contente de l’observer. Nerveuse, elle s’agite avec l’espoir de trouver une issue, parce que c’était bien ça, non ? Agitées, ses prunelles analysent chaque recoin. Et lorsqu’enfin elle capitule, l’étudiante tente une nouvelle tacle. « Bête...» Il hausse les épaules. Son corps entier pue la nonchalance. Irritant garçon. « J’me suis toujours trouvé un point en commun avec la bête. T’vois, l’genre bestial. Ça à son petit effet.  » Sérieusement, ça se voyait qu’il se foutait d’elle. Le plus simplet des hommes le comprendrait. Se détournant de lui, la naïade trouve place sur une des tables. De son sac, elle en sort un papier. Comme si de rien n’était, elle l’emplie d’encre, tout en lui balançant quelques mots. Sauf, que Scott y prête peu d’intention. En réalité, il est piqué par la curiosité. Ses boots faisant craquer le sol ancien, le brun prend place sur la chaise de la table voisine. A présent, quelques centimètres le séparent d’elle. « Et toi ? C’est comme ça que tu comptes t’instruire ? » Se penchant vers elle, il tente un coup d’œil vers son papier. « T’écris tes états d’âmes ? Cher papier, un méchant homme m’embête à la bibliothèque » Voix théâtrale.

« J’espère bien. Sinon, je ne sais pas c’que je ferais ici. » Les lèvres narquoises, elles font naitre des étincelles dans ses billes vertes. La blonde était bien trop réceptive pour qu’il se taise. Sous son regard, elle clos la conversation en se débarrassant du papier. A cet instant, il aurait pu repartir sur une autre remarque énervante, mais les mots qu’elle prononce, attire son attention. Enigme. « Explique toujours. »[/color] Ravagé par la curiosité, il se contient d’aller récupérer la boule de papier. De voir ce qu’une femme comme elle, pouvait écrire. « On va faire un marché. » Quittant sa chaise, le brun se rapproche d’elle. Met un terme à la distance entre eux. La carcasse dominante, il l’observe d’en haut. Abaisse ses opales sur elle. D’ici, il peut mieux la regarder. Sa chevelure dorée, encadre un visage aux traits fins. Ses lèvres pleines se font boudeuses. Quant à ses prunelles, elles lui apparaissent comme étant d’un bleu pale, mais qui tire très légèrement sur le gris. A moins, que ce ne soit la luminosité de la bibliothèque qui leur donne cet aspect-là. « Explique-moi. Si je ne comprends pas, t’auras plus affaire à moi. » Elle ne le savait pas, mais l’offre était généreuse. Scott ne ratait jamais l’occasion d’emmerder son monde. Surtout quand l’adversaire plongeait dedans.

Silence entre ses lippes. La fente inexistante, sa bouche se fait gardienne de ses pensées. D’en bas, elle lève ses immenses opalines bordées par de longs cils. Autour d’eux, l’ancestrale bibliothèque respire le calme. Trop épais. Il s’insinue autour des deux âmes. Leur donnant plus de consistance. Faisant ressortir chaque petit détail. Comme la respiration plus forte de la blonde. Et cette manière qu’avait sa poitrine de se soulever. Elle va capituler. Il en est sûr. Peut-être qu’elle ne sera pas honnête, mais elle fera au moins l’effort de lui donner une réponse. Et ça, ça suffit à le satisfaire. un inconnu. Les mots dansent. S’élèvent jusqu’à son ouïe. Coïncidence ? Qui aurait cru qu’elle serait afférer à faire la même chose que lui. Le sort qui s’amuse. Y avait-il autant de monde qui possédait un correspondant ? Ailleurs, Scott pense à celle qui l’accompagne depuis de nombreuses années. Avec le temps, ils s’étaient abstenus de donner des détails trop parlant sur leur position. Leur université. Comme s’ils avaient peur de briser une certaine magie. Celle qui les assurait de pouvoir se livrer sans jamais interférer physiquement dans la vie de l’autre. « Intéressant. » Dans un dernier regard, le brun s’éloigne. Le dos tourné, il réfléchit à ce qu’il pourrait répondre. Pouvait-il –lui aussi- parler de son inconnue ? Après tout, ils avaient du temps à perdre et s’il continuait de la rendre dingue, elle finirait par ne plus rien dire. Et Scott détestait le silence. S’asseyant sur le bord de la lourde table de bois, l’homme lui fait à nouveau face. Une main dans une poche, il libère la parole : « Moi aussi j’ai mon inconnu. » Sourire malicieux. « T’vois, je sais écrire. »