Corps juvénile, qui devrait porter son lot de promesses. Corps qui a déjà trop souffert. Des pertes, des angoisses, des colères, des privations, et des excès. La peau parle en plusieurs lieux, s'épanouit exsangue au gré de pétales mauves et bleus. Sourit hantée de ses sarcasmes en lignes blanchâtres, elle compte ses morts, elle compte les damnés sous le courroux de mes phalanges. Elle vient parfois parler d'autres traces, comme cet enfant promis aux enfers avant même de naître. Dans cette vie chétive, j'ai vu s'envoler ma jeunesse et se sceller le pacte avec un loup diabolique. Le corps ne s'occupait plus à vivre par la suite, exultant en tressautements de violences, en lascives danses tribales, accomplissant là les plus sombres desseins, les plus sourds désirs. Tu le sais, que mon corps, je l'ai conduit au précipice, noires abymes, le privant des nourritures essentielles, le gavant des herbes doucereuses et éphémères, il a protesté à sa manière, il m'a privé de ces gouttes carmines qui font femmes les filles depuis le berceau du monde. Et à contempler celui-ci, je ne sais pas si un jour, je pourrais honorer ce titre. C'est cet aveu, simple, blafard, un peu pathétique, que je te livre. Mon corps a trop souffert, sera-t-il capable de renaître ? Mon corps. Mon cœur. Le voile des paupières s'immisce sur les orbes alors que ces deux simples mots résonnent. Sens comme il palpite sous tes phalanges épaisses, organe chétif et pourtant noble, me rappelant que l'espoir réside ici entre mes côtes, ici au bout de tes empreintes, fil invisible qui nourrit la cause et la conséquence, le début et la fin. Le monde s'ouvre à nouveau, délaissant ce mobile pour revenir à ton regard, à la force tendre qui en émane. Le corps a trop souffert et pourtant le cœur lui, en redemande, s'affame. « Je t'aime aussi. » Phalanges qui s'invitent autour de ta taille plus massive, minois juvénile épris dans l'épaisseur de tes doigts. Mais ceux-ci ne s'arrêtent pas là, explorent de cette peau pourtant familière, s'invitent au relief marqué et pourtant discret à la naissance des entrailles, seul stigmate de cette épreuve. Perles salées qui viennent poindre, d'un mal que je n'ai jamais exulté. Et pourtant. « Je ne regrette pas. » Je suis ça aussi. Monstre angélique, fille promise aux ténèbres, je ne regrette pas les horreurs, je les apprivoise. « Avec toi oui. » Et peu importe. Le clair, l'obscur. Avec toi, tout ira bien oui.

Puisque nos âmes ont choisi l'éternité pour s'étreindre, elles ne connaîtront pas de secrets l'une pour l'autre, dans les recoins les plus sombres, les histoires les plus douloureuses mais aussi les moments simples et joyeux, voués aux lueurs. Si la question d'un enfant se pose à présent, si j'ose nourrir ce projet de futur, c'est parce que tu sièges à mes côtés, c'est parce que désormais j'ose imaginer de nouvelles couleurs à un paysage promis pourtant aux mornes grisées. Le Destin me fera peut-être payer cet affront mais je veux au moins essayer, ne pas avoir survécu sans rien tenter, sans avoir honoré cette part possible de bonheur. « Oui. » Ce n'était pas le bon moment et tout change, tout évolue, le temps chasse le temps et laisse entrevoir de nouvelles possibilités si toutefois on le laisse faire. « ça t'irait bien. » dis-je avec un petit sourire aux lèvres, juvéniles encore, de ces années de jeunesse qui se vouent à des responsabilités plus adultes. On a grandit trop vite alors pourquoi ne pas remplir ce rôle jusqu'au bout ? « D'être papa. » Je t'imagine sans difficulté, si toutefois, la vie a pour loisir de nous donner ce genre bénédiction. Jusqu'ici, nos phalanges se sont révélées plus douées pour ôter la vie que pour la donner. Etranges paradoxes qu'on incarne. Meurtriers volontaires pour célébrer la vie. Mon souffle s'apaise sous ta proximité tandis que mes mains évoluent contre les lignes de ton dos, un instant suspendu avant une nouvelle révélation. Un instant, mes ongles viennent marquer ta taille, joueuse. « Montre-moi. » Homme qui finalement cumule son lot de surprises, vient toujours m'en révéler davantage.