C’est trop tôt, et j’ai la gueule de bois. Je ne sais pas, tu vois, je ne sais pas ce que je fous ici. Il n’y a personne dans tes locaux. Personne à ton bureau. Et ma tête, elle tourne encore trop. Mais le concierge, il a bien voulu m’ouvrir. C’est bien connu, non, qu’avec un sourire, on peut tout obtenir ?
Mon visage il est entre mes mains. Ma carcasse, elle est assise par terre, dans le couloir de cet immeuble qui porte ton nom. Celui auquel je me surprends à penser lorsque les choses ne tournent plus rond. Puis dans ma poche, il y a ces quelques mots, cette lettre de Joshua, cette lettre que j’ai traînée avec moi depuis hier matin. Que j’ai lu et relu, froissée et refroissée. Je les ai déjà usés, ces paroles. Elles m’ont brûlé de l’intérieur, partout dans le corps. D’une vague de rancœur, de remords.

Et je me retiens, je le jure que je me retiens, pour ne pas exploser, pour colmater les souvenirs, pour panser ses dires. Je ne sais plus où sont les limites, je crois qu’entre nous, entre Jasper et moi, il y a une infinité de choses non dites. C’est en train de me ronger, de me rendre tarée. C’est pour cette raison que je suis là, alors que le whisky ne s’est pas encore évaporé de moi. Si bien que je relève la tête lorsque j’entends des pas. Je me dis que je me sentirais bête, si ce n’est pas toi. Je balaie mes traits, je me cherche une candeur oubliée. Je crois d’ailleurs que je tente d’effacer deux trois larmes engendrées parce que j’ai ressassé. Je veux savoir où on va, qui on est. J’aspire à avoir des réponses à mes questions, en admettant que j’ai, en moi, le courage de nous pousser à cette confrontation.  

 

HARLEY-

J'confonds le jour et la nuit, j'sais plus vraiment les horaires de réunion, et celles d'ouverture du bureau. J'confonds l'un et l'autre. Y a Meredith qui me gronde comme le gosse qu'elle a jamais eu. Comme la mère que j'ai plus. Qui s'inquiète. Mais, ça avance. Puisque j'oublie de dormir, alors, j'avance. Quand le soleil tombe, quand il se relève. J'fuis ce qui se fait quand les gens sortent de chez eux. J'évite Alaska, j'évite Leandra, j't'évite toi. J'essaye juste de n'blesser personne, par quelques mouvements maladroits. Des messages envoyés rapidement. Pas suffisamment. Qui s'emmêlent eux-aussi, les pinceaux dans les lettres. J'crois que j'veux juste qu'on me foute la paix, qu'on m'oublie ; mais qu'on m'aime quand même. Alors, j'vais bosser à cette heure. L'heure, j'la connais même pas, j'oublie de regarder ma montre, qui vibre que j'ai fais largement assez de mouvements pour aujourd'hui. Boulot et sport. Cœur qu'on étire, dont on s'amuse à voir les limites. Une gorgée de café. Allez, prends-toi encore quelques battements supplémentaires. Un arrêt dans la démarche, quand dans ce couloir connu par cœur, y a une inconnue. Une silhouette assise sur le sol, qui rappelle à des souvenirs plus chaleureux. Qui m'rappelle déjà que j'suis un putain de tocard par foutu de gérer derrière. J'ferais bien marche arrière, armé d'un courage sans nom. Mais, le bruit de mes chaussures de ville m'ont trahis. Ca m'apprendra à refuser de débarquer en survet au boulot. La bouche qui se pince, et les joues, gonflées d'air, qui se dégonflent dans une expiration qui ne sert à rien. Connerie d'exercices de relaxation. Le sac de sport posé au sol, et le corps qui s'abaisse, accroupit à tes côtés. « Ella t'as viré de l’hôtel ? » T'as une sale gueule, Taylor. Et j'te jure qu'à ce moment, j'espère qu'un autre crétin est passé par là, entre toi et moi, pour être encore plus décevant. J'vois les yeux rougis, et les traits de celle qui a oublié de dormir. Quelques vapeurs d'alcool. « Elle a enfin compris que t'étais une furie capable de lui détruire une chambre ? » J'essaye, d'une tentative de sourire. Mes doigts tendus vers toi. « Allez, viens. » Le couloir n'est pas endroit pour se détruire. Il faut les faire comme des adultes, à l'abri des regards, là où les éclats de battant se font plus discrets sur les murs.

 

HARLEY-

Moi dans ce couloir, c’est la preuve qu’elle est déjà foirée, notre bride d’histoire. C’est la signification que ça n’apporte jamais rien de bons, de vouloir jouer aux plus malins, aux cons. De faire des comme si et être rattrapés par la vie. Je ne le vois pas ce soupir que tu tentes de maîtriser, je t’ai dit qu’avec l’alcool je ne suis pas des plus douées. Puis t’arrives à ma hauteur, ça fait sursauter mon cœur. « Ella t'as viré de l’hôtel ? » Mais je n’y suis pas allée à l’hôtel, Jasper. Je continue d’errer chez Trent, un peu à cause de toi, et surtout à cause de moi. « Elle a enfin compris que t'étais une furie capable de lui détruire une chambre ? » Le pire, c’est que c’est vrai. Je pourrais. Seulement, je ne sais plus si je suis capable de rigoler. Il y a un truc, en moi, trop déchiré, déchiqueté, et je pensais que tu étais en train de tout rapiécer. « Allez, viens. » Les yeux qui se posent finalement sur ta main. D’entre mes lèvres s’échappe un souffle succinct, et puis je m’y raccroche, mes doigts qui crochètent les siens. Bouée d’un sauvetage qui n’en est pas réellement un. « Je crois que je me suis perdue. » Moi aussi, je souris, t’as vu ? Alors je m’appuie pour me relever, tu vois combien les mots dans ma gorge sont bloqués, il n’y a rien d’autres qui veut s’ajouter ?  Je me force à ne pas tituber. Semblant de déchet. D’une Taylor qui ne sait plus danser.

Dans le couloir de la mort, les coupables sont toujours silencieux. Et les innocents s’évertuent à gueuler. Il me semble que je suis condamnée. Fautive de m’être attachée. Malgré tous les signaux, toutes les lumières clignotantes, tout ceux qui m’ont dit de reculer. Je voulais y aller dans ce mur, m’y éclater, m’éparpiller. Je souhaitais que tu m’abîmes. Parce qu’en s’y prenant bien, je croyais que nous deux ça pouvait être sublime. Lorsqu’on entre dans ton espace, la première chose que je remarque, c’est ce truc ridicule sur le bureau. A côté de l’ordinateur. Je ne sais même pas comment ça s’appelle, ces cinq billes suspendues, j’ignore même pourquoi mes phalanges vont les perturber, peut-être afin de métronomer notre aparté. Débuter un compte à rebours, surfait. « La panoplie du vrai chef d’entreprise. » Reculer avant de sauter. Peur de se noyer. « J’peux pas faire ça, Jasper. » oser dire les choses de moitié. Je ne peux pas faire semblant que je suis désinvolte, que ça ne me touche pas. Quand je reçois des mots de Joshua, que je me saoule avec un autre, et que je pense à toi.

 

HARLEY-

Raconte-moi des histoires, encore un peu. Dis-moi qu'on sait toujours jouer à cache-cache avec des morceaux de nos vies. Les dissimuler derrière le dos, et faire semblant qu'on les voit pas chez l'autre. Qu'on percoit rien de ce qui dépasse pourtant de partout. On s'accroche pas quand on est incapable de se porter soi-même. A quoi ça ressemble, deux noyés qui s'tiennent par la main dans les vagues ? Même dans les couloirs on tangue, d'un hôtel ou d'un immeuble. Y a sûrement pleins de trucs que j'aurais dû te dire. Y a surement, au moins, autant de trucs que j'aurais dû taire. Repousser d'une main, et te retenir de l'autre. La chorégraphie donne le mal de mer. On aurait dû se douter que ça se terminerait comme ça a commencé ; dans la maladresse. « Je crois que je me suis perdue. » Ne pas comprendre les sous-titres, les lire mais refuser la traduction. Y a forcément une langue où ça m'vise pas directement. Où ce lieu, tu l'as choisis par hasard. Peut-être même qu'à cette heure, t'espérais pas me croiser. Mes doigts qui tentent d'être stables, qui essayent de te rappeler combien ils peuvent être doux. T'es chancelante et j'marche pas franchement droit. A deux trébuchants, peut-être qu'on va finir par y arriver. Dans ce bureau qui a déjà vu trop de cœurs se déchirer. « La panoplie du vrai chef d’entreprise. » J'aurais dû le changer, y dégager les fantômes du passé, refaire la déco, au moins. C'est pitoyable, vu d'ici.  Un ordinateur, une pile de dossiers, et ces billes qui bougent. Au mur, encadré, des morceaux de réussite. Des pages de couvertures de bouquins d'entrepreneurs en quête d'ego. Le patriarche Ellington et son fils Jasper, en copie presque parfaite. Les actionnaires. Leandra en plein milieu d'eux. Du whisky sur une petite table. Cliché. J'suis un putain de cliché et j'le vois maintenant, en pleine nuit. Le plus personnel, l'éclat de rire de mon fils, bien caché dans un tiroir. Faudrait pas avoir l'être friable dans ce monde d'illusions. On devrait pas faire ça ici. Puisqu'ici, on me demande de garder le kevlar de ma peau. « J’peux pas faire ça, Jasper. » J'te tends une chaise, et j'entends rien. J'refuse d'avoir cette conversation à la con. « Attends-moi ici. » Tu vois, y a que les ordres que j'sais donner entre ces murs. Silhouette qui disparaît, pour remplir un verre à la cuisine, te le ramener, faire plonger dans notre mare un doliprane. Lâche, qui trouve captivant les remous formés par le médoc. Pousse le verre vers toi, relève les orbes. « T'es pas obligée de le faire. » Parce que j'suis crevé et que toi t'es instable.« Ne dit rien avant d'avoir bu ça. » Parce qu'il n'y a rien de bon qui se passe après minuit.

 

HARLEY-

C’est bizarre parce que j’ai la sensation que je suis en train de te quitter, alors qu’un nous on ne l’a jamais été. Je te quitte alors que tu n’as jamais été à moi. C’est un instinct de protection, de survie. Je ne veux pas souffrir, je n’en ai plus envie. Et t’es en train de me torturer. Mais tu ne vois pas combien c’est pêle-mêle. Il n’y a pas grand-chose, qui fait du sens. Et pourtant, je l’éprouve le fait que ça gronde en moi. Que c’est en colère contre toi. Je t’en veux de ton manque de mots. Je te hais d’avoir pensé qu’on aurait pu être beau. Exécrer le fait de ne pas savoir ce qu’il s’est passé. C’est où, bordel, qu’on s’est loupé ?

Il m’invite à m’assoir, c’est certainement mieux d’être posé pour broyer du noir. Alors je m’exécute, dodeline de la tête, pathétique marionnette. « Attends-moi ici. » Justement, je ne peux pas attendre après toi. Et pourtant, je ne bouge pas, parce que je suis paumée, je t’ai dit. Je ne sais pas ce que je fous ici. Je ne sais pas combien de secondes il disparaît, mais durant ce laps de temps, dans chaque battement de paupières, je revois un instant. Je voudrais réussir à les imbriquer, mais aux lego, je n’ai jamais su jouer. Mes constructions, elles finissent toujours par s’effondrer.
Et te voilà, tu reviens et tu pousses un verre qui fait des bulles devant moi. « T'es pas obligée de le faire. » Ah bon ? Tu crois ? Mais tu sais de quoi je parle, toi ? « Ne dit rien avant d'avoir bu ça. » La décoction, elle ne m’inspire pas. Et à l’image d’une gamine, je grimace lorsque j’ose y entourer dessus, mes doigts. « Erf. » articule dépitée. « A la tienne. » écœurée, mais j’envoie le liquide, dans ma gorge brûlée d’avoir bu trop d’alcool démodé. Je le retiens, mon renvoie, mon envie de gerber en mettant sur ma bouche le fébrile de mes phalanges. « Mission accomplie. » Fausse fierté. J’peux pas faire ça. Ca se répète. Plusieurs fois. Je pourrais le connaître par cœur, ce refrain-là. J’en croise mes bras. Pour me protéger. Un gilet par balle destiné à arrêter les plaies que tu vas m’infliger. « On est quoi ? » Là, toi et moi. On est quoi ?

 

HARLEY-

T'es pas obligée. De venir, de te flinguer le sang et le corps qui tangue, de t'accrocher, de m'accrocher. T'es pas obligée de faire comme si tout ceci était tout d'un coup trop grave pour nous. Je fuis, et j'ai même pas remarqué que tu ne suivais plus. Mes pas trop rapides ou mes cachettes trop efficaces. J'fous quoi, à chercher les coins d'ombre ? Si j'savais pas que ce cap passé de ta peau sonnait le début de notre fin, pourquoi j'ai la gorge compressée ? Partage ton hémoglobine. Donne-moi un peu de ta légèreté, avant qu'elle ne pèse une tonne et appuie sur tes épaules : suffisamment pour te faire chuter au sol. C'était une mauvaise idée. Les vacances dans l'orage, le réconfort dans les rires. C'était une mauvaise idée, mes lèvres sur les tiennes. Les tiennes sur mon cou. C'était une mauvaise idée, mais j'sais pas, dis-moi, toi qui t'y connais, est-ce qu'on peut la qualifier comme telle, quand j'suis incapable de la regretter ? Culpabilité sourde de participer à notre chute. Gagner du temps, bloquer les aiguilles pour grappiller quelques instants. J'm'y connais en fin, et je la vois te souffler à l'oreille. J'veux bien me planter, pour une fois. J'accepte la défaite si elle signifie que c'est dans ma chambre d’hôtel que tu retrouves le sommeil ce soir. Si demain on se marre de ta grimace, à l'avancée du verre vers toi. « A la tienne. » Puis : « Mission accomplie. » C'est quoi qu'on a accomplit, au juste ? Qu'est-ce qu'on a réussi à faire ? Est-ce que tu l'as oublié, un peu, quand c'était ma respiration qui se calait sur la tienne ? Dis-moi que notre parenthèse n'était pas aussi irrespirable que mon bureau actuellement. Parce que tu fais n'importe quoi. T'assembles des mots que tu maîtrises pas. « On est quoi ? » J'ai le regard qui part ailleurs, alors que les lèvres s'ouvrent pour n'en sortir aucun son. Elles aident davantage à décoller les parois des poumons, comprimés depuis la vision de ta silhouette. « Me dit pas que t'es là pour ça. » Pour ça, pour nous, pour mettre des mots alors que j'ai essayé de virer tous les écriteaux. « Taylor, on.. » J'ai besoin de mon pare-balle, moi aussi. Parce que j'ai le sang presque sain. Et qu'il n'y a rien de plus maladroit, qu'un Jasper en pleine possession de ses moyens. « On fait s'qu'on peut, on.. se soutient, on.. » Les épaules, haussées depuis toute ma lâcheté. Ce qui fait haut, croyez-moi. « ça marche bien, non ? » Ouais, j'ai le culot de sortir ça, armé de mes cernes et de mon corps en voie de panne, j'ai l'audace de relancer cette balle, alors que c'est le bureau qui te soutient, plutôt que moi. Tableau d'un truc qui marche super bien, effectivement. Doigts, courageux, qui glissent sur ta joue, avec une douceur maîtrisée.


 

HARLEY-

Face à ton silence, je me décompose, spectatrice d’une pellicule qui n’est pas à l’eau de rose, j’en baisse le noisette de mes prunelles pour observer le sol de ton bureau, je le jure, je cherche de ma personne, les morceaux. Ceux qui étaient mal rapiécés et dont les coutures viennent de céder. Puis… Puis tu te décides et tu viens m’achever. « Me dit pas que t'es là pour ça. » Te moque pas Jasper, parce que si tu le fais, je vais me sentir bête, et je vais avoir cette impression de suffoquer. J’en viendrais à te dire des choses pas très belles et le retour en arrière ne pourra pas s’envisager. Aucune chance d’appuyer sur le bouton rembobiner.

Mais la prose encline à la laideur, c’est toi qui la déballes. Tu dégueules un sacré merdier. Tu prends place sur la planche, et tu appuies dans le but de me faire couler. Tu le vois quand je déglutis, que ça y est, je suis en train de me noyer ? J’ai de l’eau dans mes poumons, le palpitant est amoché. Quand je t’écoute articuler. « Taylor, on.. On fait s'qu'on peut, on.. se soutient, on.. » On se soutient… La baffe, je ne l’avais pas vu venir, putain. Je me demande comment tu les mesures, ces soutiens-là. Si je te maintenais comme il se doit, lorsque tu tapais en moi. Quand tes râles ont réinventé de mon derme, les nuances. Comme tu essaies de le faire à l’aide de tes doigts, si bien que je n’ai plus qu’un seul besoin, les éloigner de moi. Et c’est ce que je fais, de mes ongles qui vont s’y accrocher. Je m’étais juré de ne pas me risquer à souffrir encore une fois, après Joshua, et bordel, je suis là. A maintenir ta main dans la mienne, sans aucune délicatesse, dans notre relation, il y a trop de faiblesse. Aussi fort qu’il y a cette colère qui se mélange à l’alcool, et ton cachet, il n’a servi à rien, comme tes paroles lorsque tu me demandes si ça marche bien.

Je hoche la tête, opine à tes paroles, comme sonnée, « On se soutient. » Je m’entends cracher, je les répète afin de les minimiser. Pour les ancrer. Parce qu’ils font encore plus mal que la première fois. J’ai ce rire nerveux au moment où je lâche ta main, je plaque la mienne sur mon front, tête embuée baissée, « On couche ensemble et t’appelles ça un putain de soutien ?! » je pensais, je croyais, qu’on était pas un simple pansement dont l’autre a besoin, « Ôtes-moi d’un doute, des femmes, t’en soutiens combien ? » Je ne sais pas pourquoi c’est ce qui, en à la finalité, me vient. Peut-être parce que j’éconduis les autres en pensant que toi et moi, on essaie de faire un bout de chemin.

 

HARLEY-

J'ai tord ? Est-ce que si on regarde le début de notre alliance – ou disons, le milieu, après les maladresses et empoisonnements, est-ce que si on nous regarde, à danser sur les souvenirs de ceux qui sont partis avec nos espoirs, est-ce qu'on avait pas l'art de se soutenir ? Pour avancer mieux. Plus droit. J'sais pas quand j'ai lâché ta main, ou quand j'ai oublié justement, de la laisser vivre seule. Parce que j'sais pas ce que je fais de ma vie, Taylor. J'suis pas très fiable, pas très solide quand il s'agit d'y abriter des sentiments. J'ai fermé les portes, et j'aurais sûrement pas dû t'y aimer tout contre. Je multiplie les messages contradictoires, j'oublie de trier ; j'pensais que tu t'en foutais que ça veuille tout et rien dire. J'pensais que toi aussi, toutes tes portes étaient fermées. J'aurais dû mieux regarder. Et, comme toute balle renvoyée sans s'y attendre, elle est maladroite et peu habile. Elle tourne mollement, s'écrase misérablement. On fera pas de nous de bons joueurs. Tu bouillonnes quand je cherche l'eau claire et stagnante. Je rêve de repos et tu m'offres un réveil, aux bulles de ce doliprane. Alors les paroles s'emmêlent, puisqu'on a pas le droit de demander une pause pour étayer ses arguments. J'serais meilleur si tu me donnais une feuille et trois heures pour bosser sur la meilleure manière de contourner ta colère. Ta déception. Et mon incompréhension en insulte première. De tes serres dans ma chair, et de mon ego qui censure le juron à l'orée de ma gueule. « On se soutient. » Dans ta bouche, ça tranche, y a aucune syllabe qui s'arrondit. Retourne en arrière, écoute mieux, tu verras qu'entre mes lèvres c'était presque beau. « C'est pas.. » Gamin à la voix mielleuse, qui tente, qui refuse de se mettre à genoux mais lève les mains en l'air. Coupé :  « On couche ensemble et t’appelles ça un putain de soutien ?! » J'l'entends désormais, la manière dont ça sonne. Je perçois le rugueux. « Ôtes-moi d’un doute, des femmes, t’en soutiens combien ? » Les doigts qui s'enfuient sur le bois, eux qui ne cherchaient que la douceur. Et la tête qui se secoue, elle qui ne cherchait que la sérénité. « Parce que c'est ça le problème ? » La langue, pas suffisamment tournée, le menton relevé. Le soucis avec la colère, c'est qu'elle est contagieuse, surtout quand j'ai plus d'argument. « Tu viens ici juste pour savoir si j'couche avec d'autres filles ? » J'ai zappé tout le reste, et je n'y vois que l'expression d'une jalousie mal exprimée. Autruche fier, tape comme un bœuf dans sa raquette pour t'empêcher de voir la tendresse du côté à découvert. « J'sais pas, t'as combien de mains dispos pour compter ? » Envahi dans son propre royaume, roi qui cramerait une ville juste parce qu'on a osé le faire reculer. La vérité se suffirait à un compte rapide ; t'es la seule. Sauf que des promesses, j'ai dis que j'arrêtais d'en faire.
 

HARLEY-

Je le sais, que je suis en train de perdre le contrôle, que je n’ai plus aucune emprise sur mes propres paroles. Une Taylor, heurtée, un peu folle. Je devais crocheter nos cœurs, te prouver qu’on ne fait pas d’erreur. Il y a moyen de rembobiner ? De revenir à cette plage, cet été ? A la pièce, à sa légèreté ? Ta chambre d’hôtel, et nous deux, en train de danser. Et je le vois, peut-être pas assez, que tu ne sais plus où te foutre, que tes doigts évidés sont vexés. Seulement je le suis aussi, putain. Ce soutien, ce qu’il veut dire, ce n’est rien. « Parce que c'est ça le problème ? » Je l’entends, qu’elle a pris un nouveau virage, ta voix. Que finalement tu n’as pas plus envie de rire que moi. Et je n’arrive pas à déceler mes lèvres, à te souffler que je désire simplement savoir où on en est. « Tu viens ici juste pour savoir si j'couche avec d'autres filles ? » Non. Il y a mes prunelles, qui se lèvent au ciel, consciente qu’on a basculé dans un moment irréel. Que l’alcool et la fatigue vont appuyer. La colère va s’accentuer. « J'sais pas, t'as combien de mains dispos pour compter ? » Je le prends comme un coup, si bien donné que je m’entends cracher un soupir dans le but de l’encaisser, un truc laid, étranglé. Je m’étouffe et je me refuse à pleurer. Je ne suis plus une petite fille, je sais encaisser.

Tu vois, le problème, à la finalité, c’est que les règles du jeu, on ne les a pas déterminées. On n’en était pas capables, mais t’en fais pas, je vais les garder pour moi, mes regrets. Je brûlerais sa lettre et j’oublierai tes caresses. Tes rires aussi, et notre presque. « Comme ça, c’est clair. » Entre les dents serrées, expectoré, puis le corps qui tangue, qui se relève de ce fauteuil. J’aurais peut-être dû préciser à gorge déployée, lorsqu’on a commencé, que je n’avais plus envie d’être blessée. Je pensais que de manière taciturne, ça suffisait. Qu’on se comprenait. C’est douloureux, de s’être trompé. C’est bizarre malgré tout ce qu’on pourrait croire, on ne finit pas par s’habituer.

 

HARLEY-

Combien on a l'air cons, là ? J'crois que j't'en veux de nous gâcher, sur l'autel d'une jalousie dont je retiens la laideur. J'vois pas les contours, ni ce que ça cache, j'arrive pas à lire les sous-titres et j'y mets aucune bonne volonté. Buté. Crétin. Crétins. Jusqu'alors, on savait communiquer, on avait apprit dans un langage qui fonctionnait. Cette langue des corps qui se soutiennent dans les tempêtes, qui oublient combien ils sont friables. On avance, on oublie à peine, trop peu, pas assez pour être solides en retour. On perd plus vite qu'on ne répare. Et voilà que le vaccin se retourne contre la victime, contamine le sang, On a mal dosé, hein ? Le support, l'aide, l'amitié, l'attachement, le cœur qui s'habitue, la peau qui demande et le téléphone qui veut encore une dose de messages. Le jeu. La légèreté. On en a mit des louches entières. Et maintenant, on se demande pourquoi ça nous fout la gerbe. Trop généreux, ou pas assez prudents. Faut pas laisser des débutants en cuisine avec des ingrédients aussi précieux. On a tout renversé dedans et ça devient compliqué de faire le tri, de rééquilibrer. Alors cuistot au bord de la crise de nerfs, agite ses doigts, compterait des compagnies imaginaires pendant des heures, leur inventerait des noms, si ça pouvait constituer une répartie suffisante. La provocation, saupoudrée sans discernement. « Comme ça, c’est clair. » Tu tangues et je le fais aussi, à l'intérieur de ce corps stoïque. J'devrais te contredire, te retenir. En confidence, souffler que t'es la seule depuis longtemps, désormais. Mais, je me prendrais les pieds dans le tapis, je continuerais en te contant combien nous sommes en direction d'un mur. Mon passé, le tien, et mon adn dans un être haut comme quelques pommes, qui te terrifie. Le fait que j'en veuille encore, des pommes. Dans mon récit, je serais celui qui endosse le mauvais rôle, pour nous sauver de fêlures à venir. Dans le tien, je serais seulement celui qui, laconique, accuse :« C'est clair que tu ne sais pas poser les bonnes questions. »  Et comme je triche seulement quand ça m'arrange, j'te soufflerai même pas la bonne réponse. J'vous regarderai, toi et ta démarche de femme abîmée, en simulant que ça ne m'écrase pas le sternum.

 

HARLEY-