les médecins sont confiants. pour eux, tu vas te réveiller, tu vas sortir de ce sommeil qu'ils ne peuvent contrôler. mais dans ce genre de cas, rien n'est jamais certain. une complication peut si vite arriver. pourtant, dans ton lit, les yeux fermés, tu as l'air si bien, si serein. tu ne veux pas faire souffrir ta famille, tes amis. et elle non plus, qui reste à ton chevet, qui ne veut pas bouger. mais tu ne peux rien y faire. t'es qu'un con alek, jamais prendre le volant avec autant d'alcool en toi, tu le sais pourtant. regarde maintenant la tristesse que tu apportes autour de toi. il faut sortir de là maintenant, il ne faut pas te laisser emporter vers le fond. remonte vers la lumière, tu peux le faire.

Les murs blancs, les longs couloirs, les patients. La vie, la mort, les absents. Personne n'aime les hôpitaux, et de mon côté, je t'avouerai que j'y ai jamais pensé. C'est plus une question d'habitude que d'appréciation. J'ai trop souvent accompagné mon frère, trop souvent vu pleurer mes mères. Les médecins sont tous les mêmes, tu sais, quand ils annoncent quelque chose. Ma chance a été que je connais une ou deux infirmières, les plus adorables de tout l'établissement, qui m'ont tenue informée. J'ai des bonbons dans une main, qui se porte à mes lèvres de temps à autre, un livre sur mes jambes, et l'autre main dans la tienne. L'habitude, je t'ai dis. J'arrive même à pouffer un petit rire, tu vois, d'une ligne insignifiante, j'ai lu à voix haute mais que j'ai pas assimilée. "Comme si elle allait se laisser faire après cette phrase de dragueur du dimanche !" que je commente, tout en continuant l'histoire, picorant de temps en temps des bonbons. "Comme par hasaaaard." que je dis, à un autre moment de l'histoire. "Pfff" parfois, et quand je ferme le livre, mes jambes s'étirent ; "Eh bah dis donc, c'était pas un chef d'œuvre. Je comprends pas pourquoi tout le monde en fait tout un truc." je regarde la couverture, grimace ; "En plus elle est blonde. Elles sont toutes blondes, c'est fatiguant." je jette le livre doucement sur la table à côté de moi. "Cendrillon, t'es décevante." je repose les bonbons sur le livre, me relève en te regardant et souris ; "Je l'ai trouvé dans le service des enfants.. j'avais pas mieux." et je te regarde, laissant passer quelques minutes. Longues minutes, silencieuse. Tu vois, même moi, parfois, j'arrive plus à faire semblant. C'est difficile, et honnêtement quitte à te voir dormir, j'aurais préféré que ce soit un matin près de moi. Pas là. Pas dans ces conditions là. J'inspire. Expire. Attrape ta main et pose un baiser dessus. Je sens l'émotion qui monte, alors je me reprends. Faire semblant. Être positive. Face à toi, pour toi. "Oook" pour faire échapper tout ça. "J'vais me prendre un petit truc à boire dans la machine du coin. Pince une fois si tu veux un truc, deux fois si tu veux rien, trois si tu-" je me pince les lèvres et souris, "Juste bouge pas, je reviens, d'accord ?" Tu fais remonter trop de souvenirs, Alek. Trop de mouvements habituel, trop de phrase que j'utilisais, trop de temps passé entre ces murs blancs.

tu n'as pas le droit de partir. trop de choses à voir, trop de choses à vivre. tu peux le faire, tu dois juste te battre, pour revenir. pour ouvrir tes yeux et refaire surface dans ce monde. le néant, ce vide absolu, perdu dans l'inconscience. ce n'est pas bon, tu ne peux pas te plaire là-dedans. tu as des gens qui t'attendent de l'autre côté, qui n'attendent que ça, de te voir de nouveau avec eux. baisser les bras, ce n'est pas une option. et ce n'est pas toi, tu n'es pas du genre à abandonner, alors tu as plutôt intérêt de ne pas le faire maintenant. cette lumière devant toi, de plus en plus forte, qui t'attire. il est temps alek, la vie t'attend, elle te tend la main. tu peux presque le faire, tu peux l'attraper, tu le sais. soudainement, un bourdonnement, désagréable, autour de tes oreilles. ce n'est pas un rêve, ce n'est pas dans ta tête. c'est bien réel. une voix, qui s'éloigne, que tu as du mal à distinguer. et du bruit, le bruit des machines. aucune idée de l'endroit où tu es. tes yeux, ils sont toujours fermés. mais attends, tu viens de bouger tes doigts de pieds non ?

Mon frère s'y était retrouvé, là. Pas comme toi, plus paisible, plus serein. Il dormait souvent dans les hôpitaux, parfois sans pouvoir parler, alors j'ai commencé ce code avec lui, quand j'allais chercher à manger. Pince une fois pour quelque chose ; qui donnait suite à une liste d'aliments, boissons, livres, jeux en tout genre. Deux fois si tu veux rien ; mais c'était rare, quand il pinçait deux fois. Trois si tu m'aimes ; et il le faisait souvent. Moi je souriais, et m'en allait. Tout ça me remonte alors que je longe le couloir jusqu'à la machine. Je me prends un jus d'orange, qui met un temps incroyable à descendre. Tu sais, quand les secondes sont des minutes et les minutes des heures ? C'était exactement la même chose. Je regarde sans cesse vers la porte de sa chambre, à l'affût d'une entrée de médecin, d'infirmière, ou d'un de ses amis. Le bruit de la bouteille qui chute me rappelle à la réalité, et j'attrape mon jus en prenant quelques gorgées, rentrant de nouveau dans la chambre. "Tu sais quoi ? Papy du 103 n'a toujours pas bougé, mais il a eu des ballons, lui." je te regarde en souriant ; "Tu vas me dire que t'es jaloux ?" j'avance jusqu'au lit, passe ma main sur sa jambe au niveau du tibia par dessus la couverture, juste pour avoir un contact, alors que de mon autre main, j'attrape mon téléphone pour ouvrir une page internet. "Bon si t'y tiens vraiment, je peux peut-être t'en prendre pour demain." Ma main remonte du tibia au genou, tendrement, jusqu'à la cuisse, avant de glisser sur la couverture pour reprendre ta main. J'ai à peine fait attention à si quelque chose avait bougé, trop concentrée. "Ooh regarde ceux-là, argent et or, certains en forme d'étoiles !" le téléphone se tourne vers ton visage, et j'inspire. "Tu sais quoi ? Je prends. Tu verra demain quand ça arrivera, je vais pas te gâcher la surprise." Tu sais pourquoi je parle beaucoup, Alek ? Parce que je me sens seule. Incroyablement seule. C'est mon moyen de m'accrocher à toi, de ne pas t'abandonner, de te dire de ne pas m'abandonner. C'est cette sensation d'être présente, d'avoir des moments à nous, encore malgré tout. Et peut-être que tu m'entends, et peut-être pas. Au moins si tu m'entends, tu sais que je suis là.

cette voix. elle revient. tu peux l'entendre, ce n'est pas un rêve. tu peux clairement l'entendre. une voix que tu reconnais tout de suite. tu peux même sentir sa main, le long de ta jambe, qui finit par attraper la tienne. est-ce que ça veut dire que... "non... pas argent et or... c'est trop kitch." les mots sortent lentement de ta bouche, difficilement. tout ton corps te fait mal, tu as l'impression que ta tête va exploser. tes yeux ne sont toujours pas ouverts et pourtant, tu es bien là. tu es présent. ton premier réflexe est de serrer sa main, avec le peu de force que tu as sur le moment. tu peux sentir sa présence, tout proche de toi et tu ne sais pas pourquoi, mais c'est réconfortant. et finalement, tes paupières s'ouvrent, laissant apparaître son visage. "salut toi..." depuis quand t'es comme ça, dans ce lit ? et depuis quand elle attend, à côté de toi. tant de questions qui arrivent subitement, un léger moment de panique quand tu te rends bien compte que tu es dans une chambre d'hôpital. tu ne peux pas bouger, encore trop faible pour faire n'importe quel mouvement. "qu'est-ce que je dois pas faire... pour attirer ton attention." et même dans ton état, tu ne changes pas, il faut trouver un moyen de plaisanter. mais le plus important, c'est que tu es de retour chez les vivants. tu as eu de la chance, peut-être même un peu trop. mais tu es vivant, c'est le plus important. et tu es si heureux de la voir, que ce soit elle, la première à être proche de toi. tu viens puiser dans toutes les forces qui te restent pour agripper sa main, encore plus fort. tu veux juste lui montrer que c'est la réalité, que tu es bien là, avec elle.

"non... pas argent et or... c'est trop kitch." Kitch c'est le mot oui, je relève les yeux vers lui, fronce les sourcils. Attends, t'as dis quoi là ? Je le regarde, mais ses yeux sont toujours clos. "Alek ?" que je demande, sans être sûre qu'il réponde. Peut-être que je l'ai halluciné, imaginé. Peut-être que c'est juste moi, ma tête. Je trouvais que c'était kitch aussi mais justement, c'est ce qui me faisait rire. Là, je suis prise d'un doute, les yeux sur lui. Je remarque des petits mouvements, léger, très très léger. "salut toi..." je souris, l'émotion qui s'empare lentement de mes yeux. Je pose mes mains sur son visage, un large sourire, les yeux luisants ; "Doucement, doucement.." te presse pas, on a le temps, panique pas, surtout. T'es entre de bonnes mains, et maintenant que tu es réveillé, ça ne peut qu'aller mieux. "qu'est-ce que je dois pas faire... pour attirer ton attention." je secoue la tête en lâchant un rire nerveux ; "Tu l'avais déjà avant mon attention.." fait plus ça, plus jamais jamais ça. Je prends sa main, la serre contre la mienne et lui dit tendrement ; "Je vais appeler une infirmière, être sûre que tout vas bien d'accord ?" trop nombreux sont ceux qui réjouissent trop vite. J'attrape la télécommande à côté de lui et appuie sur le bouton, celui d'appel de l'infirmière, avant de venir poser mon front contre le sien ; "Tu m'as fais tellement peur." c'était pas facile, tu sais ?

tu sais pourquoi tu as fait le con alek ? juste parce qu'en regardant ses yeux, tu peux comprendre qu'elle devait être terriblement inquiète. tu ne sais même pas depuis combien de temps elle est ici, à te surveiller. à attendre un léger signe de vie. cette peur que tu ne te reviennes jamais qui devait la bouffer à l'intérieur. tu n'as pas le droit de la faire souffrir comme ça, idiot. une infirmière ? depuis combien de temps t'es ici ? tout est encore très flou, même si des flash te reviennent d'un coup. l'engueulade avec jake, le crash. mais rien depuis. "je... depuis combien de temps.. je suis comme ça ?" tu vas sûrement avoir toutes les réponses que tu veux, maintenant que les médecins vont arriver, mais tu ne sais pas pourquoi, tu veux l'entendre de sa bouche. son visage qui se rapproche, ce contact qui vient te réchauffer le cœur, qui te fait sourire. et ta main, qui vient se poser sur sa joue, comme si tu voulais être vraiment certain qu'elle est la, que c'est bien la réalité. "je suis désolé. vraiment désolé." en soit, tu pourrais dire que toi aussi, tu as eu peur. peur de disparaître et perdre tout ce que tu as. peur de quitter ce monde et ne plus pouvoir passer du temps avec elle. "merci sofia... d'être resté pour moi." elle semble être si fatiguée, que tu sais très bien qu'elle a sûrement passé tout son temps ici. et au fond de toi, tu t'en veux. énormément.

J'ai loupé quelques cours, quelques heures à la caserne. Appels en absence sur mon téléphone qui prouverons que j'ai été là, toujours. Raconter des histoires, lire, parler avec les murs, parler avec tes amis. Ceux qui passaient, qui me demandaient qui j'étais, puis ceux qui devinaient. T'as parlé de moi, il paraît. "je... depuis combien de temps.. je suis comme ça ?" mon visage s'approche, je murmure lentement ; "Quelques jours." mais l'infirmière et les médecins te le préciserons, parce que j'ai pas envie de faire une erreur, de laisser échapper trop d'informations. Peut-être que t'es entièrement réveillé, mais peut-être que tu ne l'es pas complètement non plus. Je préfère ne rien risquer, surtout pas avec ta vie en danger. "je suis désolé. vraiment désolé." je fais oui de la tête en serrant sa main ; "C'est rien du tout, rien du tout." soit pas désolé, c'est pas comme si tu pouvais contrôler. T'as eu un accident, ça arrive, et t'es le dernier à blâmer. "merci sofia... d'être resté pour moi." je souris ; "Je suis surtout restée pour la nourriture." et je me recule en ayant un sourire sur les lèvres, surtout heureuse qu'il soit réveillé, laissant l'infirmière et les médecins faire leur travail, attendant hors de la pièce.

quelques jours ? vraiment... mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête, c'est pas possible. si c'est le cas, c'est que ça devait sûrement être grave. léger moment de panique qui s'installe, un coup de chaud dans ton thorax. la conversation avec jake qui remonte, tu commences à te souvenir maintenant. tu fermes tes yeux un instant, passe tes mains dessus, tu veux cacher cette envie de fondre en larmes, sans pouvoir l'expliquer. un choix totalement inconscient, proche de te coûter la vie. "et toi, depuis combien de temps tu es là ?" depuis le début ? depuis ton arrivé ici ? tu t'en veux encore plus. tu peux comprendre pourquoi elle est comme ça maintenant, elle devait être plus que terrifié en te voyant dans cet état. "non c'est pas rien... comment je peux être aussi con !" tu t'énerves, contre toi-même, c'est tout ce que tu peux faire. tu n'avais aucune envie de voir tes proches comme ça. c'est de ta faute, peu importe ce qu'on va te dire. mais tu vois très bien qu'elle est juste heureuse à présent, tu es réveillé et c'est ça le plus important. "je sais très bien que la bouffe ici est affreuse." en lui souriant. elle veut te changer les idées et cherche à plaisanter. tu sais que tu as de la chance d'être en vie, mais encore plus de chance de l'avoir elle. c'est à présent au tour du chirurgien de faire son apparition dans la chambre. il commence par t'ausculter, voulant vérifier que tout va bien. puis il t'explique ce par quoi tu es passé. deux arrêts cardiaques, une blessure à la tête et une hémorragie à l'abdomen, joli palmarès pour un jeune de ton âge. mais d'après lui, tu es maintenant sorti d'affaire. "je vais repasser un peu plus tard pour faire des analyses, reposez vous en attendant." te reposer ? c'est pas comme si tu venais de dormir pendant trois jours entier... mais il faut croire que t'es bloqué ici pendant un petit moment. "merci docteur." avec un oui de la tête. il quitte la pièce, ton regard ne quitte pas la porte en attendant de la la voir revenir vers toi.

J'y crois plus tellement, tu sais. Aux hommes respectueux. Je pense qu'ils ont tous un démon en eux, petit ou grand, et ce petit démon, bien qu'il soit souvent endormi, parfois il se réveille. Il est piqué et redevient ce que la société lui a appris des hommes : au dessus. Au dessus, les hommes. De tout. Des autres hommes, des femmes, des êtres, des animaux, de tout. Cite n'importe quoi, et l'homme sera au dessus. Rare sont ceux qui n'ont pas de démon. Rare sont ceux qui sont au même niveau. "et toi, depuis combien de temps tu es là ?" je souris ; "Presque autant de temps, moins les douches et les heures non ouvertes aux visites." J'ai envie d'y croire. Envie de croire que t'es l'exception, que tu respectes, que tu sais faire, que tu sais être sain. Envie de croire que quand tu me regardes, tu vois une femme, un humain. Envie de croire que ça peut fonctionner, qu'aucun démon n'est encore entré. "non c'est pas rien... comment je peux être aussi con !" je le regarde, "C'est bon, c'est fini et tu vas bien, c'est tout ce qui importe, d'accord ?" la seule chose qui importe. "je sais très bien que la bouffe ici est affreuse." je rigole sans rien dire de plus. Tu sais que la bouffe est horrible, alors tu devinera bien vite que je suis restée pour toi. Quand tu me regardes, c'est différent. Quand tu me regardes, j'ai envie d'y croire. On verra avec le temps. Le médecin sort de la pièce et je rentre de nouveau, mon téléphone à la main ; "J'ai prévenu Jake que tu étais réveillé, je le laisserai prévenir les autres." je reviens, reprends ta main, caresse le dos de celle-ci de mon pouce. "Alors ?" c'est grave comment ?