Passage à l'université, pour retravailler le cours que je donnerai bientôt. J'interviens toujours ponctuellement auprès des débutants en médecine pour les initier à la médecine légale. Pas d'intervention plus développée, ma patience a ses limites et encadrer des internes sur mon lieu d'exercice est déjà un sacrifice suffisant selon moi. Concentré dans mes paperasses, j'en oublie la notion du temps. Rien n'est plus distrayant que le travail selon moi. Entendant la porte s'ouvrir, je n'y prête pas vraiment attention, persuadé que se trouve ici l'action d'un étudiant égaré qui ne tardera pas à prendre ses jambes à son cou en voyant le Loup que je suis, absorbé dans sa tanière improvisée. Mais une voix féminine résonne. Une voix familière et un rictus vient habiller furtivement mes babines. Orbes clairs qui se relèvent vers la Brune. Toujours aussi mystérieuse, toujours aussi douce. Brisée aussi. « Je n'ai jamais fait l'école buissonnière. Je suppose que toi non plus ? » Elèves studieux et appliqués. De ceux qui travaillent plus encore que les acharnés. Nous visions l'élite ou rien, nous avons ça en commun. Et sans doute que si les bancs avaient été communs à nos ambitions, nous aurions été des rivaux de choix. Finalement, la vie a choisi de nous allier et je ne vais pas m'en plaindre. « Une mission en Egypte. Je ne voulais pas inquiéter le peu de personnes qui pourraient s'en soucier. Mais voilà, je suis revenu. Et alors ton été ? » Je suppose qu'il a été parfois empreint de solitude si tu as pu constater le vide de mon absence. Je me relève, classant mes dossiers dans mon attaché-case. De ces résistants qui s'obstinent encore au papier. Mon regard se fait défiant, presque amusé. « Viens. On prend la poudre d'escampette, j'ai envie de découvrir ce que ça fait moi l'école buissonnière. » De quitter les limites. Pour une fois. Avec toi.

Obtenir un rictus de Jasinski c'est comme décrocher un ticket de loto. Tu l'as compris oui, que tu faisais partie des chanceux dans le rang de mes intimes, les convoités, les non-rejetés de ma tanière. C'est une sorte d'avantage même si j'estime que ta vie se passerait à loisir de mes ombres. Mais vois-tu, je suis trop égoïste pour m'en sentir coupable, vampire obstinément attiré par tes lueurs et tes quelques fragments de douleur. Parce que nos solitudes s'épousent de façon parfaite. Je te vois tiquer à mes infos et t'accrocher à cette proposition de fuite. Notant au passage que tu ne m'en dis pas davantage sur ton été tout de suite. Rien qui ne soit enviable pour nos deux silhouettes. Je me lève, te laissant me rejoindre à mes côtés tandis que nos corps se mettent en marche vers l'extérieur. « Je pars en mission tous les six mois environ, tu ne seras pas surprise la prochaine fois. C'est mon privilège de réserviste. » Ma façon de garder contact avec le terrain militaire mais aussi la traumato. Ça change du mortuaire, de le voir en action et non plus au stade seulement funéraire. « Demoiselle s'attacherait-elle ? » Je souris un brin moqueur mais un peu touché oui je dois l'avouer, l'attache est une chose que parfois je recherche mais que je fuis obstinément également. « Je te préviendrai si tu veux. » Histoire de ne pas te cueillir de surprise par mon absence, je suis un peu trop sauvage pour prendre soin comme il faut des quelques personnes qui m'entourent. Ainsi, tu es parti avec Miller. Je pince mes lèvres. « Je comprends t'avoir manqué alors... » Parce que ce mec est un boulet. Pire encore que moi sans doute, une énigme qui restera partagée entre positif et négatif selon moi. « Les rumeurs sont vraies, qu'il a disparu ? » Lui aussi. Maudite que tu es. « Moi je suis là. » Même si furtif, même si silencieux, une façon tacite de dire , que tout solitaire qu'il soit, le loup sait veiller sur sa meute.

Je la sens cette attache qui grandit entre nous, je n'apprécie pas forcément ce genre d'évolution car je ne suis pas doué dans le domaine mais parfois c'est inévitable et surtout comble de l'horreur, c'est une chose qu'on ne maîtrise pas le moins du monde. Quelque part, c'est presque une malédiction. Mais une voix me murmure que les choses seront peut-être plus douces avec toi, que tu as trop souffert pour imposer la béance, que toi et moi, on ne se lâchera pas. J'ai toujours un mince espoir même si il est plutôt silencieux, il semble s'éveiller davantage à ton contact. « Je le ferai. » Acquiesçant de ma manœuvre, si tu peux être rassurée par cette information, alors je ne nourrirai pas inutilement tes angoisses. J'ai tendance à oublier que des personnes peuvent s'inquiéter de mon sort, la solitude est ma plus fidèle compagne et mes parents ne se sont jamais souciés de moi, alors je me suis construits ainsi, seul. « Je prends. » dis-je plus affable. T'avoir manqué même un chouilla, ça vient réchauffer un peu le marbre qui me sert de myocarde. J'ai pensé à toi en Egypte, plus encore lorsque j'ai perdu cette jeune compagne. J'avais songé à te proposer de venir avec nous et finalement, je n'ai pas regretté de ne pas l'avoir fait. Je ne prendrai plus ce risque effronté de perdre des personnes auxquelles je tiens. Comme Trent par exemple, ce mec est complètement dingue, mais je m'étais habitué à l'avoir dans le paysage. Bénédiction maudite dans mon sillage. Ce qu'il y avait entre vous, je ne l'ai jamais vraiment compris, mais je sais qu'il se passait quelque chose de suffisamment fort pour que tu aies de meilleures informations que les miennes. « Tu n'as pas réussi à quoi? » Le retenir ? Je ne sais même pas pourquoi il est parti, mais il est ainsi Miller. « Il est tout à fait capable de se repointer demain, tu le connais. » Il est inconstant, trop bavard, trop volage, trop électrique. Trop tout simplement. Et moi je suis là oui. Mes sourcils se froncent à ta réponse. Je grimace. « ça va pas ou quoi ? » Une fiancée mais quelle horreur. Autant me pendre directement. « Je suis présent pour toi Taylor, n'est-ce pas suffisant ? » De se dire que l'autre restera encore, qu'importe les départs, les fiancés, les ennemis et le reste.

Silencieuse, observatrice, ce n'est que lorsque je réagis à tes idées de fiancailles, que tu répliques. Je te regarde posément lorsque tu me dis de me détendre, écoutant et attendant de voir ce que tu as à dire. J'avoue que sur ce point, tu m'as un peu perdu. « Même quand c'est faux ? De quoi tu parles Taylor ? » Clairement, mon escapade en Egypte a provoqué le manquement d'un épisode entre Foster et Miller. Il lui a toujours tourné effrontément autour, mais il tournait autour de beaucoup de femmes. Je ne parle pas du nombre de fois où je l'ai surpris avec internes, infirmières, aides-soignantes pendant nos internats et même au delà. Pourtant, je suis loin d'être un modèle de sagesse dans le domaine, mais je ne lui arrivais pas à la cheville. Alors sans doute que je n'ai jamais pris au sérieux, le petit jeu qui se tissait entre eux. Mais à observer ton visage aujourd'hui, je comprends que la perte est plus difficile qu'il n'y paraît. Plus vulnérable aussi depuis le départ de Joshua, c'est une certitude. Toi et moi, on ne veut plus vraiment s'accrocher mais toi, tu as encore du cœur, des lueurs à donner. Je souris cette fois à ta deuxième phrase, adouci. « Je ne voudrais juste pas t'abîmer. Mais si j'étais à ta hauteur, je t'épouserai sur le champ Taylor. » Ce n'est pas toi, c'est moi qui suis trop bancal, je n'ai pas cette prétention de te mériter. Je suis trop sombre et tu mérites de briller. Tout simplement.

Mes yeux s'écarquillent sans doute un peu plus que de raison face à tes révélations. Parti en Egypte, j'ignorais tout de vos dernières frasques. Pensant avoir loupé certains épisodes, je réalise que j'ai manqué l'entièreté d'une saison vous concernant. « Tu es amoureuse de lui ? » Mon regard sonde le tien, car j'interroge certains failles sous-jacentes à la nouvelle. Tu n'as pas ce genre de femme à adopter le mensonge, et peut-être que dans la manœuvre, tu as su glisser une certaine part de vérité. Perdant quelques plumes supplémentaires au passage. « Miller est un inconscient. » Pour ne pas dire autre chose, je sens une sourde colère à son égard parce qu'il est ce genre de type qui n'honore aucune de ses promesses. Il connaissait tes blessures et il t'en inflige sans crier gare de nouvelles. Tu mérites l'attention, l'amour que tu donnes en échange et l'idée ne me répugne pas, au contraire. Je suis tout simplement incapable de te donner ce que tu mérites et contrairement à lui, je m'abstiens pour ton propre bien. « Bien sûr qu'elle l'est, ne te dénigre pas. » Ton autoritaire et appuyé. Tu ignores tes lueurs et plus encore ta force. A quel point, tu peux semer le bien dans une humanité trop malmenée pour se relever, tu es de celles qui y croient toujours et tu ne te rends pas compte à quel point c'est précieux. « Parce que je ne sais pas aimer. » Je n'ai pas connu l'amour, la tendresse. Seulement l'autorité et les coups, je suis un être qui a été brisé dès l'enfance. « J'ai trop de fragments pour te compléter. » Lorsque tu es unique et rayonnante de tes bontés, je suis trop éparpillé pour simplement briller à tes côtés, mais trop égoïste pour tout simplement me retirer. Loup vorace de tes lumières, de cette douceur dont tu as su m'entourer. « Je détruis tous ceux que j'aime. » Ils s'enfuient ou adoptent des ombres similaires. Et je ne veux pas provoquer cela dans notre relation.