Ce n’est pas vraiment que je joue les crédules, au sujet des cas que représente les membres de sa famille, c’est simplement que je ne veux pas me prononcer. Dire des choses qu’on aurait pu ne pas lui confier. Et puisqu’ils ne font pas partis des patients dont je me suis occupée, je ne veux surtout pas m’avancer et lui souligner quelque chose qui se pourrait être faussé. “Qu’ils ne peuvent pas se prononcer.” Oh. D’accord, personne ne s’est mouillé, alors. J’en serre ma mâchoire, ayant presque peur d’abimer son histoire. « Je vois… » je me contente de souffler, plutôt que de lui confier encore que je suis désolée. J’ai perdu, moi aussi, des gens qui comptaient. Mais l’agonie n’a pas duré, elle, j’imagine qu’elle a simplement envie de recommencer à respirer. « La médecine évolue vous savez. » Le pire, c’est que je ne sais même pas ce que j’essaie de lui faire comprendre en lui sortant une banalité merdique comme celle là. Je sais bien que dans son cas, on a tout envie d’entendre, tout sauf ça.

Alors la conversation revient à nouveau sur ma personne, et je me dis que même si je n’aime pas forcément parler de moi, c’est possiblement mieux que de gratter encore les malheurs de Rebecca. “Combien de temps allez-vous rester ici ?” Trop longtemps, forcément. “En tant que patiente évidemment.” Un sourire étreint mes lèvres à la suite de la seconde partie de sa phrase. Car il est vrai que je suis bien partie pour rester ici des années. A noter que c’est le poste de chef de chirurgie que je vise pour mon chemin de vie. Mais en ce qui concerne ma jambe… « Une dizaine de jour. » Car le gros souci c’est que « Je ne peux pas poser la jambe, pour l’instant. » Même sans être une douillette, il faut avouer que la douleur se pourrait me faire perdre la tête. Heureusement que la morphine a été inventé. « Alors je subis un peu le lit, et après je pourrais rentrer. » A béquille, forcément, mais c’est toujours mieux qu’un fauteuil roulant. « Donc je n’en ai plus pour longtemps. » Et c’est un sacré soulagement.    

“Peut-être bien...” Je n’espérais rien, en lui disant ça, je voulais juste essayer de faire au mieux, d’être celle que je suis depuis toujours. Je tente de mon mieux d’arrondir les contours. Et apaiser cette peine qui la suivra encore pour plusieurs jours. J’imagine en tous cas, lorsque j’ai perdu mon père c’est resté bien des mois. Et encore aujourd’hui, quelques fois.

Alors elle me demande quand je vais partir, pour ma réponse de quelques mots la finir ; “Au moins, vous avez une date.” Oui, c’est vrai, j’ai eu beaucoup de chance et je ne peux le nier. Surtout quand on sait ce qui l’amène ici en premier. “J’espère que vous vous rétablirez vite.” Un léger sourire que j’accompagne d’un « C’est gentil. » avant que notre entrevue ne soit coupée par une personne à laquelle, toutes les deux, on ne s’attendait.

Toutes les deux, on observe mon collègue de travail, qui, je pense, venait me rendre visite, ou quelque chose dans ce goût là, à l’origine… Mais change d’expression en voyant Rebecca. “Je ne pensais pas vous voir ici avec ce qui vient de se passer.” Et quand elle me regarde je ne saurai comment l’aiguiller. “Se passer ?” J’en déglutis, mal à l’aise car j’ai cette impression qu’il n’y a plus aucune bonne onde ici. “Que se passe-t-il ?” Mes yeux vont à nouveau se poser sur la tierce personne, l’autre médecin. Je n’ose prononcer aucun mot, car je ne peux pas quémander les informations à la place de Rebecca, parce que je ne serais pas à la mienne, de place, si je faisais ça. De ce fait je me contente de rester sans mot dire, à essayer de sourire, avec une envie de lui souffler ; Respire.
    

Une seconde, dans la vie, une simple et unique seconde, et tout peut basculer. En tant que médecin, je suis bien placée pour savoir que cela peut arriver. C’est une chose que je sais gérer, qu’habituellement, je parviens même à appréhender. Mais ici et maintenant, je suis totalement impuissante face à tout ça. Et je n’ose même pas imaginer ce qu’elle peut ressentir. Ce qu’elle doit commencer à souffrir. « Je … euh … » et dans le fond, je pense exactement comme elle. C’est un moment qui défie un peu le réel.

Elle tourne sur elle-même, et je m’en veux de ne pas pouvoir me lever, afin de l’enlacer, lui dire de se calmer. Essayer de faire en sorte de l’apaiser, bien que rien au monde ne le pourrait. Et au cœur de sa détresse, elle fait preuve d’une chose qui fend le mien, cette incroyable gentillesse. « J’espère que vous vous rétablirez bien. » qu’elle ne s’inquiète pas, que tout ira bien pour moi. « Merci. » je souffle sans pouvoir dire autre chose que ça. Pour ajouter… « N’hésitez pas, » à venir vers moi, « au besoin. » Je serais là. Qu’importe l’heure ou le jour, je fais partie de celles qui conjuguent amitié avec le mot toujours.

FIN DU RP PETIT CHAT