La situation m'échappe complètement. Je fais les cent pas comme un lion tournant frénétiquement dans sa cage et j'attends l'heure fatidique. Il y a une part de moi qui te déteste, actuellement. Toi, le si doux Kaidan, t'adonnant avec stupidité à des plaisirs auxquels je n'ai aucune envie de te voir succomber. Pourquoi ? Parce que je la connais cette sensation agréable qui se dégage quand on se fait du mal, dans les moments difficiles. Je connais aussi la sensation honteuse que l'on ressent après coup. Alors, en effet, je suis extrêmement mal placée pour juger, mais justement, je suis si bien placée pour faire en sorte que tu ne continues pas ainsi. Je sais mieux que quiconque que cette façon de gérer est destructrice quand on a pas l'habitude. Personnellement, je maitrise la situation, mais toi, peux-tu en dire autant alors que tu as affaire à d'autres personnes ? J'veux dire... Comment peux-tu t'assurer qu'il ne t'arrivera rien alors que ce n'est pas toi qui a ton destin entre tes mains ? Et puis, en dehors de ça, il y a la trouille qui s'installe au creux de mon estomac en imaginant que tu es en train de te faire tabasser gratuitement. La trouille que tu y restes, toi aussi.

Si bien qu'aujourd'hui, je n'ai pas réussi à avancer plus dans mes recherches. La chambre est recouverte de feuilles, volantes ou non. Et depuis, hier soir, j'ai mes nerfs à vifs. D'où les cent pas. D'où la porte qui se dérobe sous ton nez avant même que tu ne frappes. D'où l'air glacial du masque que je me suis construite. Il y a un léger recul en découvrant ton visage tuméfié et ma main attrape rapidement ton poignet pour te faire entrer. Referme la porte, pose le repas dans la cuisine et t'embarque en silence dans le salle de bain. " Enlève le haut " que j'ordonne en te tirant le bras pour que tu prennes place au bord de la baignoire. J'étais à la fois énervée (comme je l'étais contre le monde entier ces dernières semaines) et soulagée de te voir ici. Entre ces murs, dans notre bulle, tu es en sécurité. " T'es dans un état... " Pitoyable. Laisse échapper un soupir en attrapant de quoi désinfecter les plaies. C'est même étonnant qu'ils t'aient laissé prendre l'avion comme ça.

@Kaiden Winston

@Marla Witherspoon | Le Mexique avait été un exutoire comme un autre. J'aurais très bien pu le faire ici, mais je savais pertinemment que tu aurais trouvé tout un tas de moyens de m'en empêcher. Et je n'en avais pas envie. L'état dans lequel j'étais actuellement était celui dans lequel je voulais être. Sentir cette douleur physique constante plutôt que pleurer la perte de mon petit frère. Il était en vie, contrairement à Caprice. Je le sais et je n'ai pas à m'apitoyer sur ça. Je le reverrai. Mais cette colère qui m'habite, cette injustice dont j'ai fait preuve. C'était suffisant pour prendre le premier vol vers ce pays qui connait le chaos dans les bas quartiers de la capitale. Un chaos que je voulais maîtriser, embraser, ressentir par la même occasion. Alors quand j'avais finalement posé le pied sur le sol américain, j'étais à la fois soulagé et anxieux. Je n'avais aucune idée de comment tu allais réagir quand je serai face à toi. Après plusieurs courses et autres rendez-vous prévus, j'avais été récupérer mexicain dans le restaurant que je connais avant de débarquer chez toi. Je n'avais aucune idée de si on serait seuls ou pas, mais ça n'avait que peu d'importance. Ce n'est pas comme si j'allais passer la nuit à tes côtés. Nos derniers échanges étaient brefs et je ne pense pas que ce soir y dérogera. Je n'ai pas eu le temps de frapper que la porte s'ouvre. Sûrement stupéfaite par les quelques blessures présentes sur mon visage, t'as eu un mouvement de recul, avant d'attraper ma main pour me faire entrer. Tout s'enchainait, repas posé dans la cuisine et me voilà les fesses sur le bord de la baignoire, tandis que tu m'ordonnes de retirer le haut. Je le fais, sans broncher, me retrouvant alors torse nu à côté de toi. « Tout va bien Marla... J'ai pas mal, ou presque » Si, quand même. C'était le but de la manœuvre. « Ça a même commencé à cicatriser » Des croutes présentes là où le sang a coulé. « T'es pas obligée de faire ça »

Comment tu pouvais être aussi docile et imprévisible en même temps ? Comment c'était possible de dire de toi que tu étais naïf pour finalement te voir te dérober, toi le têtu devenu téméraire le temps de quelques jours. Quand tout foutait le camp dans ma vie, quand j'étais au plus bas, j'avais besoin de sentir de la stabilité à mes côtés. J'étais forcée de constater qu'elle ne viendrait pas de toi. Nos démons étaient trop grands, ils prenaient trop de place sous le lit, dans les placards. Ils assombrissaient chaque pièce, ils la rendaient oppressantes et étouffantes. Surtout quand c'était le sang qui se mettait à couler. Regarde-nous. Il n'y a plus rien de beau là. Même si je m'occupe de toi, essayer d'arranger un peu en pansant les plaies. Même si j'y mettais toute la bonne volonté du monde. J'avais la colère qui résonnait dans les tripes. Je t'en voulais, même si je n'avais pas le droit. C'était la peur qui prenait le contrôle. À voir ma vie partir en vrille, j'imaginais déjà le scénario catastrophe, celui où ça ne s'arrête jamais. J'te vois te faire aspirer à ton tour et disparaitre. Parce que t'auras beau dire le contraire, ça ne me fera pas changer d'avis : tu ne peux pas contrôler les coups. Un K.O. pourrait t'être fatal. Alors l'agacement, il est là et il en dit bien plus à qui s'attarde sur le sens de mes agissements. Je tenais à toi Kai. Assez pour vouloir te protéger, même si j'dois en passer par la colère.

« Tout va bien Marla... J'ai pas mal, ou presque » Ça faisait longtemps qu'on ne m'avait pas menti comme ça, de manière si effrontée. Il y a même mon rire nerveux qui résonne dans la pièce. Prends-moi pour une fille stupide. J'appuie un peu plus sur la plaie pour te faire grimacer. « Ça a même commencé à cicatriser » Si ce n'est pas nettoyé correctement, ton beau visage gardera les traces des moments difficiles et personne ne veut voir ça dans le miroir quand ça va mieux. L'air impassible, je contrôle le démon intérieur pour ne pas déclencher la prise de tête. Tu vois, je suis capable d'éviter certains obstacles sur le chemin. « T'es pas obligée de faire ça » Mais, certaines difficultés sont à peines visibles. Mes deux mains viennent accrocher tes épaules, comme si j'avais envie de te secouer pour te réveiller. " Si. Bien sûr que si. " Je dois le faire, parce que je ne peux pas me résoudre à te laisser comme ça, dans cet état. Pas quand toi tu étais là quand j'étais toute aussi misérable.