C'est l'histoire d'une fille banale expulsée des bas-fonds de New-York. Je ne vous la jouerai pas version mélodrame. Je n'ai pas manqué de grand chose enfant sinon de moyens. Mais quand on naît pauvre, on a pas vraiment conscience de la richesse des autres. Tous les autres étaient comme nous. On se serrait les coudes et on avançait malgré tout. Mon père était écossais, ce qui explique mon nom. Je voyais bien parfois que ses activités n'étaient pas recommandables. Je me souviens de l'ombre de ce masque, mais ça faisait partie du décor dirons-nous. De là où il vient, on ne dit pas sa condition, on ne clame pas son appartenance. On l'entrevoit dans les stigmates, dans les traces des luttes. J'ai passé nombre d'aiguilles et de fils sur sa peau sans poser plus de questions. Je sais qu'il ne voulait pas que je suive son chemin. Il a suivi celui du grand-père sans vraiment avoir le choix. Il ne voulait pas que ce soit pareil pour nous. Ma mère, je n'en sais pas grand chose. Hormis qu'elle aimait mon père éperdument et que d'ailleurs cela l'a perdu pour de bon. Elle était italienne, d'un milieu plutôt aisé, mais sa famille n'a jamais accepté son choix. Elle est devenue une paria et par la même occasion l'une d'entre nous. A eux deux ils se sont construit un semblant de cocon dans la misère, nous préservant de fins remparts contre la rudesse du monde, mes deux petites sœurs et moi. Je dois l'avouer, non sans naïveté, j'étais assez préservée de tout ça. Bercée dans la violence, c'est tout juste si j'en avais conscience. J'étais ce genre de fille à s'émerveiller d'une fleur qui pousse au travers du béton, à s'éprendre des rires plutôt que des pleurs, à vivre des passions en silence pour en recracher les pulsions dans le noir de mon encre. Je restais en dehors dans ma bulle. Et j'étais juste Lyra. La petite Lyra Bain. La fille de Darren. Celle qu'on ne doit pas toucher, celle qui émeut, qu'on veut protéger parce que trop frêle.

J'ai dû travailler rapidement puis j'ai trouvé un poste de serveuse dans ce cabaret du Bronx. J'y étais bien, finalement je suis de celles qui trouvent leurs empreintes dans la vie nocturne. J'y incarnais cette pâle lueur dans les ténèbres anonymes. Je vivais à l'inverse du monde et j'aime toujours qu'il en soit ainsi. J'ai noué des amitiés, soulever des regards, admirer les corps de femme que je ne serai jamais. Et puis il y a eu ce matin. La fin d'un monde, le début des enfers. Mon baiser mortel contre cette froide dame. Solitude. Je passe la porte près à crouler dans mon lit sans confort mais familier. Les traces de sang m'alarment sur les murs. Mon cœur martèle comme si il comprenait avant ma raison. Pas un bruit. Du silence. De celui de l'aube. Entre deux chapitres. Réalité et horreur. Ma silhouette hante le macabre, découvre les corps sans vie de ma famille entière. Ma plus jeune sœur n'avait que huit ans. Je balbutie, je panique, je récolte un souvenir sur chacun. Le poignard de mon père, le collier de ma mère, le carnet de ma cadette et l'ours en peluche de ma plus jeune. Je m'échappe. Je m'efface. Car je me doute qu'une sordide histoire vient expliquer ce meurtre de masse. Je veux comprendre mais je suis trop sonnée. Appelée par la rue, je deviens une anonyme. Une de celles qu'on oublie. Mon idée reste fixe. Trouver le repos dans la vengeance. Je gagne les remparts balbutiant d'un squat recueillant amitié et protection de membres de gangs qui n'ont pourtant rien d'agneaux. Mais j'y vois là un respect pour mon père. Je me retrouve sur une piste quelques mois plus tard. Deux noms, et notamment celui d'un gang bostonien qui aurait été rival à ceux qui ont tué ma famille. Quelques pistes, rien de palpable, mais assez pour me voir prendre la route avec mes maigres économies. Je n'ai toujours pas de toit. Encore moins de port d'attache. Mais cette soif de les venger qui reste tenace.