Écran verrouillé, le téléphone glisse au fond de ma pochette, alors que je me décide à me redresser pour aller vers le bar. J'ai probablement l'air d'une associable, comme ça, assise dans mon coin à envoyer des messages. Et pourtant, bon sang ce que le temps passe vite. Déjà une heure qu'on s'envoie des messages, tous les deux. Le barman toujours occupé, et la cliente qui observe, dans l'ombre des lumières rouges, prédatrice insoupçonnée. Je joue, je traîne, mais y a un moment où ma patience atteint ses limites, et forcément, j'en veux plus. Un talon, puis l'autre, je me hisse sur un des sièges qui borde le bar, un coude nonchalamment contre le bois parfaitement vernis, signe que l'établissement vient seulement d'ouvrir. J'attends. Peut-être une, deux, cinq minutes, j'en sais rien, j'ai juste les iris qui glissent sur sa carrure qui oscille de gauche à droite et sert les verres à tour de rôle. Quand enfin, il s'arrête en face de moi, y a un échange silencieux, un dialogue juste avec les yeux. Puis un sourire en coin, quand je tapote du bout des ongles contre le bar et demande : « Je vous laisse me conseiller, monsieur le barman. » Le sourire dans la voix, le regard qui pétille.

hello tinder
w/ @soo-jin min
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Bal des démons attendant leurs breuvages. Tu glisses d'un bout à l'autre du comptoir. Shaker, tamis, bouteilles dansent entre les verres, doses se veulent plus généreuses, ouverture oblige. Plus de vibration dans la poche arrière de ton jean, fin des négociations. Elle arrive. Concentré sur ses mots autant que sur leurs commandes, t'as l'habitude d'être ambidextre. Tant d'années le pied enfoncé sur l’accélérateur, un œil dans le rétro l'autre sur les notes de ton ouvreur et l'esprit figé sur la poudre qui dormait sous le tapis du coffre. Tu peux t'occuper d'elle et des autres sereinement, tout en ayant la tête à l’extérieur du bar. Deux cocktails et c'est à son tour. Pas un regard, tu sais juste qu'elle est là, trônante sur son siège de cuir. Un cocktail. C'était long l'asiat, trop long. Le whisky dégouline du doseur, tu penses aux vestiaires qui protègent encore les restes de son âme. Ambidextre. Billets récupérés, zéro cocktail. C'est plus l'écran que tu regardes, mais ses yeux noirs. Tu préfères. Elle est plus belle comme ça, plus réelle. Vos regards qui s'accrochent, s'attardent, se reconnaissent sous les néons. Le bout de ses ongles vernis qui pianote sur le bois laqué, son demi-sourire qui démange le tien et sa voix, enfin, sa voix. Ça dépend. Tes paumes s'appuient sur le comptoir, ton sourcil se relève. Quel genre de soirée vous voulez passer, madame la cliente ?

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Il jongle entre les cocktails et les bouteilles avec grâce, et moi, j'ai le regard qui décroche pas, qui s'agrippe, qui suit la trajectoire de l'alcool dans les verres jusqu'au tracé de ses tatouages qui disparaissent sous ses vêtements. Magnétique, mes iris le suivent, discrètement, jusqu'au face à face inévitable, la commande, mille mots qui passent de son regard au mien. Et si je joue du bout des ongles, c'est pour mieux masquer l'impatience grandissante que je me suis attribuée toute seule comme une grande à faire traîner les choses dans nos messages. Il répond, énigmatique, et moi je plonge tête la première dans le mystère, rejette une mèche brune rebelle en arrière d'un revers de la main, sans démordre de ses yeux chocolat. Et ses paumes se posent à plat, de part et d'autre de ma main, alors que sa question plane dans les airs, attend ma réponse, et avec, le lancement des hostilités. Le bout de mon ongle glisse, longe une de ses paumes, je m'improvise dessinatrice à suivre la ligne de chacun de ses doigts. « Pas une soirée jus de fruit, assurément. » Mes doigts cessent leur course à la naissance de son poignet, je hausse une épaule, appuie mes coudes contre la table en jetant un œil aux alentours, à cette ambiance électrique, bien différente du rez-de-chaussée que j'ai traversé pour arriver jusque ici. « On m'a dit d'abandonner mon âme avant de passer ces escaliers. » Le silence coule, avant que je ne finisse, un sourire léger qui trône sur mes lippes : « Je suppose que j'attends une soirée qui illustre ces paroles bien jolies. »

hello tinder
w/ @soo-jin min
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Des messages, trop de messages. Des appels de phares, des provocations subtiles, d'impatience mal maquillée. La plupart de tes échanges sur tinder sont habituellement courts, bien qu'efficaces. Pas celui-là. Pas avec elle. C'est ni moins, ni plus, c'est autre chose. C'est elle qui ne peut pas attendre demain, qui traîne dans l'ombre du bar et toi qui ne peux pas attendre pour la voir enfin de plus près. Vos regards qui se racontent et vos lèvres qui, elles, n'avouent rien. T'es tenté de les baisser, tes yeux à toi, pour suivre l'habile tracé de ses doigts, ceux que tu sens effleurer les tiens, mais c'est de l'amande de ses yeux à elle dont tu peines à décrocher. Chinoise, coréenne, japonaise.. t'en as pas grand-chose à secouer, toi tu veux passer ta nuit à remplir ses verres, ta nuit à remplir ses futurs souvenirs. Fausse innocence quand ses coudes prennent appui sur le comptoir, que son regard balaie à nouveau la salle. Non, tout le reste n'a pas disparu Soo-Jin. Si on vous l'a dit alors.. Tes iris qui s'attardent un peu et puis qui l'abandonne quand tes paumes glissent sur la table, tiennent la distance. Hissé sur la pointe de tes jordan's pour avoir une vision plus large de sa tenue, du corps que tu t'es inventé derrière ton écran tout en faisant tournoyer un verre vide entre tes doigts. Très peu de tissu, élève appliquée. T'aimerais bien jeter ton tablier, écourter l'ouverture et la faire passer au tableau, c'est toi qui t'appliquerais pour l'élève. Tu la lâches pas du regard, silencieuse, jusqu'à ce qu'elle te laisse le contrôle. Tu sauras quoi en faire. Tu mords à peine ta lèvre pour chasser le sourire en coin qui voudrait les étirer et aussitôt tu remplis son verre de vodka, sans un mot tu prépares son mélange pimenté. Un rapide coup d’œil à gauche, à droit, le comptoir qui se remplit trop vite quand tu glisses son cocktail entre ses paumes. Un bloody mary, sans âme. Tu disparais une seconde le temps de t'accroupir derrière le comptoir et puis réapparais avec une demi-rondelle de citron que tu accroches au sommet de son verre. Et un croissant de lune. Un bon barman tient toujours ses promesses. Tes yeux glissent spontanément sur ses lèvres que tu imagines déjà tatouées dessus avant de glisser à ta gauche pour servir tes autres clients.

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On m'a dit, on m'a dit, je savais toujours pas trop à quoi m'attendre en arrivant ici. Mais y a ce goût du risque et de l'inédit que j'avais pas eu depuis trop longtemps, qui agit sur moi comme un carburant. T'es dangereux, Ariel, je sais pas encore trop comment, mais y a ce magnétisme déjà dans nos messages qui me plait presque trop, et que je retrouve dans ce regard chocolat rivé sur moi, qui me sonde, me détaille sans gêne. Moi, je me contente de hausser un sourcil, d'esquisser un sourire en coin à sa remarque. « Je sais me montrer minutieuse quand je veux.. je voulais pas prendre le risque de ne pas passer l'entrée.. » Prendre le risque de rentrer chez moi, frustrée, à devoir me contenter d'un profil Tinder et de plus de messages volés. Ca aurait été que retarder l'échéance, j'en ai bien conscience, et ça se devine là, tout de suite, maintenant, dans chaque regard volé, chaque sourire en coin échangé. Je baisse les yeux sur le verre qui se remplit habilement, limpide puis rouge sang. Bloody Mary. Le verre froid glisse entre mes doigts, et la touche finale parvient même à m'arracher un rire franc. « Bien joué. Très bien joué. » Que j'admets, la lèvre inférieure qui glisse entre mes dents, retient un nouveau rire étouffé. Mais déjà le devoir l'appelle, les clients affluent. L'ouverture, c'est pas forcément le plus calme des moments. Il navigue, et moi je le suis des iris, paille entre les lèvres, l'alcool qui brûle ma gorge et brûle les restes de ma bonne conscience qui pourraient être tentés de s'accrocher. Sans âme. Quand il passe devant moi à nouveau, j'ai la tranche de citron entre les doigts, le verre vide que je lui tend avec quelques billets, quelques uns pour le cocktail, et quelques uns en trop pour le pourboire du barman. « Je pars en visite. N'en profite pas pour m'oublier à ta pause.. » Le croissant de lune entre mes lèvres, picote ma langue alors que mes talons se tournent et s'éloignent pour mieux partir à l'aventure. Après tout, j'ai bien dit que j'étais venue curieuse aussi des lieux.

hello tinder
w/ @soo-jin min
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Minutieuse.. Toi non plus t'avais pas tellement envie de prendre le risque que la brune se fasse recaler aux portes de l'Enfer. Pas certain de ce à quoi tu pouvais t'attendre, pas à l'abri de voir débarquer une presque chinoise, un bandeau hello kitty flanqué au-dessus du crâne. T'as misé, t'as gagné. Un carré d'as sous les coutures de ta manche, prêt à faire rouler ton gain sur le tapis. Elle est belle de loin, exquise de près. C'est l'attrait de vos regards qui se cherchent, se trouvent pour mieux se quitter. Pas encore, pas tout de suite. L'impatience née de vos vices, votre jeu malsain baignée dans l'eau stagnante et impure de l'évidence.T'as bien fait.. Parce que c'est mieux de ne pas vous rater. J'ai pas encore mis un pied sur le terrain, Soo-Jin. Soudjine, tu le prononces comme elle te l'a apprit, ça s'échappe de tes lèvres, résonne comme une mélodie entêtante même quand tu t'éloignes. T'es beaucoup moins ambidextre Gray, quand elle joue avec sa paille à l'autre bout du comptoir et que ton regard noir peine à s'empêcher d'y glisser. Glisser, d'un client à l'autre. Tu enchaînes les commandes, encaisse les clients, secoue ton shaker. Au beau milieu de la musique lascive, des gloussements ivres et des corps qui ondulent entre les fauteuils, toi ne penses qu'à la lune, pendue entre ses canines. Tu la sens à nouveau, l'impatience brûlante, l'insatiabilité qui gronde. Un rapide coup d’œil à la montre qui entoure ton poignet : dix minutes avant ta pause. T'as jamais été ponctuel, toujours en retard. Pas ce soir, le temps qui passe c'est un temps qu'on perd et toi t'as jamais eu l'âme d'un perdant. Un mot soufflé à l'oreille de ta collègue et tu profites du grand rush pour enjamber le comptoir, te fondre dans la masse des clients impatients. Toi aussi tu l'es, d'elle. Viens. c'est glissé dans son dos comme un secret ou comme un ordre, sans même prendre le temps de t'arrêter à sa hauteur. Le temps qui passe. Un autre coup d’œil pour vérifier que ni Camila ni Alaska ne sont dans le coin et déjà tu disparais derrière une porte noire, près du bar. Le temps qu'on perd. Tu sais qu'y entrer chacun à votre tour sera plus discret, que dans l'euphorie de la soirée et l'ignorance des nouveaux visiteurs, personne ne se posera de questions sur sa légitimité à passer de l'autre côté. Ton côté. Un entrepôt de bouteilles, d’accessoires et autres cartons encore à peine déballés. Une autre porte que tu pousses et l'air que tu retrouves enfin à l’extérieur. La cour privée des employés.
 

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