SPIRIT IN THE SKY

Avant de rencontrer Morgan pour la première fois, j’étais persuadé d’être un véritable moulin à parole. Du genre à redonner le sourire à la première partie des personnes qu’il croise tout en tapant sévèrement sur le système de la seconde catégorie. Je n’ai rien d’un mec très bavard finalement, parce qu’il faut quand même un sacré niveau pour parvenir à se hisser à celui de Morgan, il a élevé les bavardages au rang d’art si vous voulez mon avis. Loin d’être du genre à m’en agacer, bien au contraire, j’apprécie ce trait si particulier de sa personnalité. Il est une source permanente de culture, il maitrise également le déballement d’idioties et sait comment s’y prendre pour me faire réagir, pour me faire rire ou pour me provoquer. Le petit a su m’apprivoiser au fil des semaines, il me connait plutôt bien et il n’y a rien de plus perturbant. J’ai horreur de me sentir percé à jour, il est bien trop difficile de dissimuler ses véritables émotions lorsqu’elles sont trop à fleur de peau quand la personne en face de toi est capable de lire à travers ton regard. Une chance que mon moral soit au plus haut depuis plusieurs mois et qu’aucun nuage ne semble sur le point de venir assombrir mon paysage. Je détesterais me présenter sous un tel angle face à mon ami… Je déteste la tristesse. Je la supporte parfaitement bien lorsqu’elle provient des autres, mais lorsqu’elle me touche directement… Non, je me fais pitié et je me recroqueville sur moi-même pour éviter d’inspirer cette même pitié aux autres. A défaut de papoter, j’aurais très bien pu passer d’une radio à une autre sans interruption à la recherche des tubes qui font la différence, ceux qui permettent à ton voyage de prendre une autre ampleur, d’être un véritable succès. Je balance sans aucune honte mes plaisirs coupables, de Queen à Céline Dion, de Mariah Carey en passant par Anastacia… Tout est bon à prendre dans un road trip à partir du moment où tu peux largement t’égosiller en repoussant les limites de tes propres capacités vocales. A bien y repenser, ce doit être un massacre. Heureusement que les témoins ne sont pas légion et que je roule lorsque je « reprends » tous ces titres, vous imaginez le truc sinon ? Le mec, à l’arrêt, des musiques kitschissimes à fond dans la voiture, la voix passablement éraillée massacrant les plus hautes notes de musique interprétées par des chanteuses à voix, de véritables techniciennes. J’imagine plutôt bien le tableau, en tant que spectateur je serais le premier à me bidonner, à m’amuser de cette situation. Morgan m’amuse, et j’attends de le voir à l’action sur le chemin du retour, saura-t-il me surprendre en faisant ressurgir quelques-uns des titres que je viens de lui citer au sein de sa playlist ? J’aurais clairement tout oublié de cette conversation en ce qui me concerne, les bêtises se seront enchainées d’ici là, après tout. « Okay, je dispose donc d’une dizaine de jours pour préparer ma voix et te présenter la meilleure prestation que tu entendras sur tous ces titres. T’auras trop envie de devenir mon producteur après cela, j’suis une star du Carpool Karaoké mon p’tit. » Au moins tout cela oui, toujours dans l’exagération Delarosa. « Hmmm… Bon choix, autant te dire qu’il y aura un double massacre Whitney Houstonien au retour ! » Parce que l’on va forcément s’y mettre à deux, et les you aigües risquent de piquer les yeux, les oreilles surtout. Quitte à rester dans l’extrême, dans le jeu, dans l’arrogance… Je rebondis sur l’une de ses réponses et me retrouve dans une composition très ambigüe, à la limite de l’aguichage. Je dégaine mes armes les plus solides, mes regards les plus langoureux sans pour autant chercher à trop en faire. La simplicité convainc généralement davantage que l’excès, surtout quand tu essaies de faire passer un truc aussi gros. Il doute, je vois le doute s’immiscer dans son regard déjà peu confiant en temps normal. Parfait, il me donne suffisamment d’éléments pour aller plus loin encore dans le bluff. Je me redresse légèrement pour me rapprocher de lui, à quelques millimètres à peine de sa peau, de son corps que j’effleure du bout des doigts. « T’es sûr que j’suis pas sérieux, que je plaisante ? Parce que je me sens très sérieux soudainement ! » Je me mordille la lèvre et pousse le bouchon un peu plus loin en allant directement affronter son regard du mien. Putain ce que j’ai envie de rigoler, force et honneur à moi pour la retenue dont je fais preuve. Place aux choses sérieuses, je l’emmène là où j’ai mes habitudes, là où les souvenirs sont riches et nombreux. « Tu sais que cette semaine, tu vas pénétrer dans mon intimité… C’est toute mon enfance que je retrouve, des souvenirs… En partageant tout cela avec moi, tu te fais une place particulière dans ma vie. » Putain, je me suis rarement connu aussi nostalgique et cheesy. Ce n’est pas du tout mon style en temps normal, je préfère largement taquiner et faire des blagues moi… Difficile de ne pas reconnaitre l’évidence cela dit, il est vraiment à part, je ne suis jamais venu ici avec quelqu’un d’autre. « Tu sais quoi ? Tu me fais confiance ? Je nous commande les deux et on partagera, d’acc ? Je t’expliquerais en quoi consiste chacun des plats une fois que tu les auras goûtés tous les deux. » Mes lèvres s’étirent en un large sourire lorsqu’il me parle de mon espagnol, lorsqu’il confesse trouver cela sexy. J’apprécie, et m’amuse de l’image que m’inspire Morgan en pleine démonstration de chinois. « Tu n’as pas besoin de parler pour être sexy, mais vas-y, parle moi en chinois… Tu vas peut-être parvenir à le rendre plus attrayant à mes yeux ! » Je me mordille la lèvre, les bras croisés, prêt à l’entendre, à le voir à l’œuvre.   

(C) CANTARELLA.