SPIRIT IN THE SKY

Les trajets en voiture, surtout lorsqu’ils sont aussi longs, peuvent être une horreur pour n’importe quel quidam. Il faut avoir une certaine endurance pour parvenir à traverser les villes, les pays à une allure aussi vive. Les arrêts sont rarissimes, marqués par des objectifs stratégiques : Faire le plein d’essence, jeter un rapide coup d’œil à la mécanique, aux roues pour déceler le moindre problème pouvant rendre le voyage apocalyptique, se restaurer, dormir une ou deux heures grand maximum… Il n’y a jamais une minute à utiliser pour se détendre, pour simplement boire un café en discutant. Pas quand tu dois te taper quarante trois heures sur les routes pour arriver à un point précis. On pourrait le faire, j’imagine, mais il faudrait compter sur plusieurs semaines de vacances et, dans notre cas, je doute que Morgan soit disponible autant de temps. Pour le moment, je me suis arrêté sur un voyage d’une durée de sept jours, cinq jours complets au Mexique et deux nouvelles journées allouées à notre retour. Il pourra ainsi reprendre les cours et le boulot lundi prochain. Quoi ? Je suis un ami prévenant, même si j’ai joué la carte du road trip improvisé j’ai quand même anticipé sur une bonne partie des éléments essentiels au bon déroulé d’un voyage censé l’aider à faire le vide. J’ai dégainé la résidence secondaire, le trajet, les lieux d’intérêt… Tout ce qui pourra l’aider à s’amuser et à revenir du Mexique avec un grand sourire sur les lèvres. C’est tout ce qui m’intéresse à ce stade, le voir sourire sincèrement à nouveau. Le savoir malheureux, ça me pince la poitrine, ça m’étouffe de l’intérieur et je déteste cela. Mon bonheur, il me l’inspire par procuration. « Parce que bon… Toi, si tu ne bavarde pas, tu meurs… Mais moi j’peux très bien survivre en me la jouant carpool Karaoke et duos de légendes avec toutes les popstars de l’époque et du moment ! » Eh ouais, je suis toujours un excellent chanteur dans ma voiture, c’est à savoir. Mon partenaire ne m’aide pas à trouver ce vilain mot qui, peut-être, n’existe même pas. « Biquet, il existe littéralement un mot ou une expression pour tout et n’importe quoi. Les jeunes Stan tout et n’importe quoi, ce que je ne saurais même pas définir si tu me le demande… Plutôt que de se jeter par la fenêtre, on se défenestre alors bon… Quand tu sautes d’une voiture tu fais quoi, tu te dévoiturstre ? » Je devrais peut-être soumettre le terme au dictionnaire, histoire de gagner un peu de blé tout en enrichissant la langue de Shakespeare. L’enrichir… L’appauvrir plus tôt, il est loin le temps où la plupart de nos mots avaient un aspect poétique. Dorénavant, tout sonne faux et creux. Je suis un putain d’enculé, je le sais, si bien que je perds le fil de ma propre provocation lorsque j’insinue qu’il n’a pas l’endurance nécessaire pour enchainer un voyage aussi épuisant avec les nombreuses activités auxquelles je compte le soumettre. Mais son appel à la défiance m’inspire autre chose, un élément qui, et je le sais, le mettra instantanément mal à l’aise et m’offrira un moment jouissif. « Baisse ton pantalon et montre moi à quel point t’es endurant ! » Je le regarde volontairement de haut en bas, dans mon plus beau rôle d’acteur, celui d’un garçon en manque – ce que je suis actuellement, mais pas au point de me comporter de la sorte avec Morgan – prêt à tout pour s’en payer une tranche. Dans ma tête, les estimations du nombre de secondes qui lui seront nécessaires pour rougir s’enchainent. Je parie sur… Dix secondes, le temps qu’il comprenne de quoi je parle, tente de définir le degré de sérieux dans mon regard et que le doute l’accable. « Stop mon biquet, à partir du moment où des circonstances font que tu ne te fiche plus du regard des autres… C’est que tu accordes déjà beaucoup trop d’importance à tout cela ! » Pas de semi-victoire ou d’échec partiel, c’est tout ou rien avec les labels et la confiance. Ne pas être confiant dans deux ou trois situations, c’est ériger une cible en plein milieu de ta caboche pour indiquer à tes adversaires ou frapper. Je pouffe de rire lorsqu’il insinue que j’utilise mes talents d’acteur pour briser des cœurs et me rue sur le petit jardin à l’entrée de la maison pour attraper une rose et la lui tendre, la voix mielleuse au possible et l’allure d’un dandy parfaitement stéréotypé. « Si senor ! Des milliers de cœurs brisés par mes charmes délicieux ! » J’aurais pu me lancer en espagnol, ma deuxième langue maternelle, mais je préfère faire le con en adoptant un accent anglais-hispanique assez amusant. Règle d’or acceptée par Morgan qui m’impose une contrepartie que j’accepte sans réfléchir. « Une seule, c’est promis ! » Je tends la main, prêt à récupérer le fameux téléphone qui restera ici, à la barraque, avec le mien. « Il est déjà tard et j’ai les crocs, j’te propose d’aller faire un petit tour en ville pour manger local ! »     

(C) CANTARELLA.