"On dirait que ton téléphone en a pas envie." Effectivement. C'est le karma. Elle checke son écran. "2%..." J'ai pas le temps de trouver une solution que la solution se propose. "J'vis littéralement à deux pas." Ouais je reconnais le quartier où je l'avais déposée, y a presque un mois maintenant. "Oh tu sais j'veux pas m'imposer chez toi..." Je cafouille, plaque mes cheveux ébouriffés derrière mon oreille rougie par l'effort, agite les bras. "J'ai un lit confortable, une douche, des vêtements propres, et j'fais des supers petits-dej !" Elle attrape ma main, mon premier réflexe est de regarder par dessus mon épaule. Déstresse Numa, il doit être quatre heures du mat, y a personne. "J'ai assez d'place pour nous deux." Je hoche la tête, souris. "Ouais pourquoi pas." Réponse bien timide alors que ma tête entre en ébullition. Je sais pas, y a quelque hose de terriblement excitant à l'idée d'aller chez Tam. La troisième fenêtre à gauche. J'm'en rappelle. Doucement, pas brusque du tout, je dégage ma main d'entre les doigts de Tam, la glisse dans la poche de ma doudoune. Je suis une comique hein : y a quelques minutes je la touchais partout, maintenant j'approche plus sa main. "J'te suis alors." Petit sourire. On se met en route, et à chaque pas, mon coeur frappe plus fort. On marche en silence jusque chez elle et je reprends conscience de ma soirée. Putain, quelle soirée ! Je sais pas si je regrette, non, je peux pas regretter. J'en avais envie depuis des semaines, secrètement. Et Tam sait s'y prendre. Et... Je la regarde, discrètement alros qu'on marche jusque chez elle. Elle est belle, elle me fait rire, je l'aime bien ? Wehifzj. Stop. On arrive en bas de l'immeuble, en deux minutes, devant sa porte. "Tu m'invites au ciné, tu m'invites chez toi, faudra que je t'invite quelque part moi aussi." Je glisse alors qu'elle fait tourner la clé dans la serrure de sa porte. Je dis ça avec un ton léger, un sourire en coin. Mais je sais pas ce que ça veut vraiment dire, ces mots là. Boum, boum, boum. Je pénètre dans l'antre de Tam.

"Oh tu sais j'veux pas m'imposer chez toi..." Si je propose, c'est qu'elle impose pas vraiment. Numa, c'est des hauts et des bas. Beaucoup sans même offrir une transition entre les deux. Elle se rapproche puis s'éloigne. Elle est présente, puis disparaît. Elle est partante et d'un coup plus du tout. Je comprends que la moitié des choses, quand on est ensemble, pour être totallement honnête, et j'en arrive même à un point ou j'ai juste arrêter de comprendre, finalement. Je la laisse faire, je fais et j'agis en conséquence. J'ai pas d'autres solutions. Quand elle descends, je descends, quand elle monte, je remonte. Aussi facile que ça pour que ça marche sans accroche. Sauf que tu vois, Numa, à force de ne pas savoir où tu vas, c'est moi que tu vas perdre, dans le labyrinthe de tes démons. "Tu m'invites au ciné, tu m'invites chez toi, faudra que je t'invite quelque part moi aussi." J'ouvre la porte en souriant, secouant la tête, "J'ai hâte de savoir où tu vas m'emmener alors !" tout ce que j'entends, c'est qu'on va se revoir, et ça marche pour moi. J'entre chez moi, la laisse rentrer et referme à clef derrière. Je retire mes chaussures à l'entrée, retire ma vesteque je jette sur le canapé. "Fait comme chez toi !" d'un côté, à droite, la cuisine avec mon ilot centrale qui sert clairement de table à tous les repas. En face de nous, un canapé, une télé, qui donne plus ou moins sur la cuisine, en fonction de comment on le voit. Le tout est assez blanc et lumineux, parce que j'ai pas envie de me ternir dans une sorte de cave quand je rentre. Au bout de la pièce, deux portes, une à droite pour la salle de bain, l'autre à gauche pour ma chambre. L'appartement est assez grand, pour une étudiante, et beaucoup sont souvent surpris quand ils viennent ici. Je suis boursière, je suis clairement pas le genre de personne qui peut s'offrir ce type d'appartement. J'ai déjà de la chance d'avoir une pièce pour la chambre. Je me sens obligé de l'expliquer, "C'est l'appart' d'une amie d'mon père, donc j'le paie moins cher." Merci papa d'avoir des amies plutôt bien placé et avec une bonne situation, surtout. Je crois qu'en réalité c'est un couple et qu'ils l'avaient acheté pour leur fils, pour ses études. Ca a servit au second de leur famille, et maintenant à moi. C'est jamais perdu, l'immobilier. Je vais dans la cuisine, ouvre le frigo, "Tu veux quelque chose ?" je me sors une bouteille d'eau que je pose, et lui en sort une aussi. Après l'alcool, c'est toujours mieux. Je lui donne sa bouteille et lui souris, "j'vais te filer un pyjama." j'avance jusqu'à ma chambre ; "tu veux quoi ? un t-shirt ? un short ? pantalon ?" j'ai clairement tout ce genre de truc. Je dors juste avec un débardeur et une petite culotte, alors tout le reste, c'est de l'achat inutilisé. Tout le reste, c'est à emprunter.

Elle pousse la porte, mes pupilles se dilatent comme deux culs de bouteille. "J'ai hâte de savoir où tu vas m'emmener alors !" Je souris en haussant les épaules. Je sais pas, pas encore. Je sais que j'ai envie de la revoir, que ce silence après le ciné ça m'avait bouffé, et en même temps ça me fait peur. Je pénètre dans l'antre de Tam. Je l'imite, enlève mes chaussures, ôte ma doudoune que je pose sur la sienne. "Fais comme chez toi !" Erm, facile à dire. Je suis plantée près du canapé, à reluquer l'intérieur sans trop oser mettre un pied de travers. "Il est chouette ton appart." Ouais, chouette, c'est le mot. A côté de ça, ma chambre à la Cabot c'est l'enfer du claustro. "C'est l'appart' d'une amie d'mon père, donc j'le paie moins cher." Tam s'enfuit dans la cuisine, je reste plantée au milieu du séjour. Elle revient avec deux bouteilles d'eau. Bien vu, les jambes en l'air, notre fuite d'espionnes, j'ai l'impression d'avoir décuvé mais que nenni ! Je sens déjà le mal de crâne qui s'annonce demain. Je dévisse le bouchon et bois comme une assoifée, glouglou, en moins de deux, je descends la bouteille de 50 cl. Tam s'enfuit encore, vers sa chambre ce coup-ci. Mais c'est qu'elle a la bougeotte ! J'ai posé mes fesses sur son canap, la tête qui tourne un peu, j'ai un bon coup dans le nez mine de rien. "Tu veux quoi ? un t-shirt ? un short ? pantalon ?" Depuis le salon, je tourne la tête vers le couloir de sa chambre. Dilemme : couverte ou pas trop ? "Donne moi ce que t'as de plus seyant." J'me lève et la rejoins devant un tas de fringues mal rangé. Tam me tend un tee-shirt et un vieux pantalon de pyjama. Couvert de petite pâquerettes multicolores. "Et tu t'es permise de critiquer mes Crocs ?" je ris en brandissant le bas de pyjama. J'le relance en boule au milieu du tas d'affaires. "J'me contenterai de ça, t'inquiète." Excuse toute pourrie pour dormir les jambes à l'air, indeed. Je sais pas si je suis totalement consciente de ma propre stratégie. Je jette un petit coup d'oeil à l'horloge pendue en face de moi. 5h et quart plus ou moins. "Je vais enfiler ça du coup..." et on se couche. Enfiler ça dans une salle de bain, comme si je devais de nouveau lui cacher mon corps. Mon corps qu'était complétement nu plus tôt dans la soirée, allez savoir... Je cherche la salle de bain, laisse la porte entrouverte mine de rien, enfile le haut de Tam. Un drôle de dessin dessus, peut-être un truc de jeux vidéos. Il me tombe sur le haut des cuisses, on peut deviner la courbe de mes seins à travers, mes boucles emmêlées me tombent dans le dos. Et je souris devant le miroir, je me sens belle. Je pousse la porte et me glisse dans la chambre sur la pointe des pieds.

Je m'étais pas amusée comme ça à une soirée depuis très longtemps. Je me tenais occupée, la plupart du temps, je faisais au mieux pour ne penser à rien, avoir l'esprit toujours quelque part, ça marchait bien jusque maintenant. Ce soir, c'était différent. Je le faisais presque sans effort. "Il est chouette ton appart." Il est pas énorme mais c'est mieux qu'une chambre dans un dortoir, vraiment. J'y suis tranquille, j'y ai mon confort, c'est le changement d'une vie. Je lui propose un pyjama, "Donne moi ce que t'as de plus seyant." je lui tends deux, trois trucs, comme ça. "Et tu t'es permise de critiquer mes Crocs ?" je ris et hoche la tête, "ce truc était à la mode en 2002 ! Maintenant, un peu moins..." hors les crocs ont jamais été à la mode, jamais. "J'me contenterai de ça, t'inquiète." juste un t-shirt, moi ça me va. C'est même plus que ce que j'aurais pensé. "Je vais enfiler ça du coup..." j'hoche la tête et me change rapidement dans ma chambre. Il m'en faut peut aussi, je n'ai qu'un haut de débardeur en guise de pyjama, et j'y suis très à l'aise, en réalité. Il est pas rare que je dorme même sans rien, quand je suis seule. Je fais un effort parce qu'elle est là, que je la devine pudique, du moins pour le moment. Je m'installe et je la vois qui passe la porte. Je souris en la regardant, probablement trop longuement. Elle est belle. "ça t'va bien." j'ai rien trouvé de mieux, sur le coup. J'attends qu'elle vienne près de moi, je regarde le plafond, souris, et ose demander ; "t'a pas envie que ça se sache.." je souris un peu, "ton attirance pour les filles." parles-en, on est que nous, il y a personne pour te juger, entre ces quatre murs. Juste pour que je sache à quoi m'en tenir, que je te plaque pas au mur en plein couloir à l'université, que je t'envoie pas des compliments, des messes basses ou te draguer en soirée. Ce genre de connerie, parce que moi tu vois, je m'en fous des gens.

Je passe ma tête par le cadre de la porte, fais un petit pas penaud dans la chambre. Tam est pas super couverte non plus, de toute façon je l'imaginais mal en combinaison intégrale, pas le style. "ça t'va bien." Ouh alerte, alerte : ça veut dire quoi ça ? Parce que le tee-shirt Star Trek je sais pas si ça me sublime particulièrement. Et normalement elle parle pas de ma culotte en dentelle que je planque sous le haut qui me retombe sur les cuisses. "La plus belle pour aller dormir." Je souffle en riant. Parce que c'est bien de ça dont il s'agirait cette fois, dormir ? Je m'assieds doucement sur le bord du lit, je regarde Tam, les yeux au plafond, allongée sur le dos. "T'a pas envie que ça se sache... Ton attirance pour les filles." Je croise mes bras, je voudrais me planquer sous l'édredon mais je pourrai pas faire l'autruche indéfiniment. "Non, j'veux pas." Je murmure. Y a que nous deux mais même elle, j'ai peur qu'elle l'entende cet aveu. J'ai aucun courage, voilà ce que ça veut dire. Je suis lâche. Je m'allonge sur le dos, pose ma tête sur l'oreiller, ma tête juste à côté de la sienne. Et je suis son regard, vers le plafond. "Mais je crois que je veux être avec toi." Ouais, j'en suis sûre même. Ma tête elle veut pas, elle voudrait que je sorte avec le major de la promo ou le capitaine des Harvard Tigers. Mais mon coeur, mon corps, ils la veulent elle. Ma main glisse sur le drap, tatonne pour trouver la sienne et je glisse mes doigts dans les siens.

Je sais pas ce qu'il en est, pour elle. Je sais pas où elle se situe, je sais pas si elle veut parler, c'est le flou total. Je me rends bien compte qu'elle non plus, elle sait pas où elle en est. J'hésite, mais je pose la question, je demande, parce que jongler entre deux états d'esprits, me retenir quand j'aurais envie de l'embrasser, je sais pas si je pourrais résister. "Non, j'veux pas." Je souris et hoche la tête. Je peux comprendre, totalement. J'ai toujours eu beaucoup de chance avec ma famille, mes amis et même dans la vie de manière générale, mais c'est vrai que j'ai déjà eu affaire à des blagues pas forcément drôle, à des critiques, à des mots mesquins. "Mais je crois que je veux être avec toi." D'accord, celle là, j'la sentais pas venir. J'étais même loin de m'en douter. Je sens sa main, ses doigts qui s'accrochent aux miens. Je serre sa main dans la mienne, souriant. En réalité, c'est le bordel. Est-ce que je suis prête pour ça ? Cette notion de couple ? Je sais que je le suis, j'ai pas de soucis avec ça, mais je sais qu'on va finir dans un mur, j'le sais parce que j'ai déjà fini dans de nombreux murs. Numa, je sais pas faire, les relations. J'y arrive pas, je les gère pas, je me plante. Constamment. J'apprends pas, je refais les mêmes erreurs, j'arrive pas à être fixe. Je suis un jour à gauche, le lendemain à droite, qui sait où je serais dans une semaine ? Je reste silencieuse, me tourne vers elle, tout en gardant sa main. "Je saurais rester discrète alors, à l'avenir." je noierai même bien des poissons. Mon visage s'approche du sien et je pose un baiser sur sa mâchoire, tendrement. Mon bras vient encercler sa taille, la collant contre moi. Je sais où on va, cette fois, Numa. Droit dans le mur, et autant j'aimerai freiner la voiture, autant.. tu vois, tristement, je vis pour ces instants. Ceux avant l'impact.

Du temps. Peut-être que c'est ça dont j'ai besoin. Un jour ça sera peut-être pas si difficile à dire : je suis gay. Allongée près d'elle, je me dis que j'aurai le courage, un jour. Ma main aventureuse se glisse entre ses doigts. Est-ce qu'elle sent mon coeur battre dans ma paume ? Sa main qui se recroqueville sur la mienne. Je souris dans l'obscurité de la chambre. Sa tête tourne vers la mienne, j'abaisse mon menton pour trouver ses yeux. "Je saurais rester discrète alors, à l'avenir." Je souris, hoche la tête. J'suis désolée d'être comme ça. Y a plus belle, plus cool, plus libérée que moi, qu'est-ce que tu fous avec moi Tam ? T'es folle. Reste-le, alors, dingue pour toujours. Parce que si je fais le grand saut dans le vide, j'ai besoin que tu me rattrapes à l'arrivée. Elle approche, dépose un baiser sur ma mâchoire, je frémis. Ses bras encerclent ma taille, je remonte ma main jusqu'à son épaule, entortillent mes jambes le long des siennes. Mes paupières se font lourdes, ma tête embrûmée. Je suis tellement bien ici, contre sa peau, je m'endors au son de sa respiration, profonde.