Tu me demandes comment ça va et… je me confie. J’l’ai jamais fait. Pas à Agathe, pas à Davi, pas à Dylan, pas à Maël. Rien, à personne. J’m’étale pas sur mes sentiments. J’ai toujours eu la facilité de parler, de faire la conversation, ça m’a jamais dérangé et j’parle parfois peut-être même trop, mais quand il s’agit de parler sérieusement, et pire encore, de parler de ce que je ressens… c’est compliqué. J’ai du mal à m’ouvrir, c’est comme ça, j’le contrôle pas. Mais avec toi, je laisse tout aller, les mots traversent mes lèvres comme un doux souffle et j’ai l’impression de me défaire d’un poids. Je me contente d’hocher la tête à ta réponse. "T’es une bonne oreille tu sais." T’es bonne pour écouter les gens. J’sais pas si tu fais ça avec tout le monde ou si t’as juste pitié de moi. Que tu me vois comme un défi, un challenge à relever. ‘Tiens, et si j’essayais de guérir ce junkie?’ J’en sais rien. J’t’avoue que j’ai l’impression de perdre la tête parfois, je deviens parano, c’est insupportable. Tu plonges la main dans ton sac pour en sortir quelques trucs que tu m’offres, explications à la clé. "Merci… vraiment. C’est à prendre tous les jours? Combien de fois? Euh… y’a pas d’effet de… dépendance?" Je me racle un peu la gorge, j’suis mal à l’aise. J’aime pas parler de ça, j’en ai honte, et ça me coute beaucoup. Mais j’avais déjà été mis sous médocs et j’étais devenu dépendant de ceux-là, alors je préfère demander, histoire de réellement tenter de stopper la spirale infernale dans laquelle je me trouve.

Je ne regrettais pas d’avoir fais ce premier pas afin de reprendre contact avec lui car il semblait aller mieux et j’étais heureuse pour lui. Personne ne méritait de rester addict à un médicament car cela était beaucoup plus dangereux qu’ils ne le pensaient mais Elliot le savait mieux que personne. Notre rencontre se passait vraiment bien et j’étais rassurée de le voir aussi ouvert en ma compagnie donc j’allais tout faire pour que cela continue. « Tu mérites que je le sois. » Je ne voulais pas qu’il se retrouve seul ou perdu face à cette situation et si il arrivait à me parler alors j’allais l’écouter et lui donner quelques conseils qu’il pourrait suivre si il en avait envie. « Ce sont des vitamines et de l’homéopathie donc que des aides naturelles. » Je ne voulais pas l’aider à combattre son mal avec d’autres médicaments qui pouvaient le rendre accroc. « Les vitamines tu dois les prendre tous les matins et pour l’homéopathie tu en prends 1 fois par jour minimum mais tu peux en prendre dès que tu te sens plus faible. » Il n’avait aucune craintes à avoir sur ce que je lui avais donné car tout était bon pour sa santé.


« bla bla »  

T’es une oreille attentive, et honnêtement? J’ai été vraiment peiné de notre engueulade, de notre manque de contact. J’avais pris l’habitude de me reposer sur toi, de me confier à toi sur ce problème d’addiction que j’ai. "Je sais pas si je le mérite alors je vais juste me contenter de te dire à quel point je suis reconnaissant." Parce que t’es pas obligée de faire ça. Pas du tout. Tu me donnes même des moyens naturels de palier aux effets négatifs du sevrage sur mon corps et sur ma tête. Tu me donnes la posologie et j’écoute bien, pour ne pas faire de conneries, puisque ça semble être ma spécialité. Et puis, je laisse le silence s’installer un petit peu, regardant le stade qui s’étend à perte de vue. Et puis, doucement, je viens glisser ma main dans la tienne. C’est pas un geste ambigüe, c’est pas sensuel, c’est pas sexuel. J’ai juste… besoin d’un contact. De sentir que quelqu’un est là. Est réellement là, je veux dire. Sans jugement, sans pensées négatives, dans le simple but altruiste de m’aider à aller mieux. J’ai du mal à y croire dernièrement, alors j’ai besoin de le sentir de façon concrète. "J’ai une question pour toi…" que je souffle doucement en tournant à nouveau la tête vers toi. "Tu crois que certains sont prédisposés à être accros? Genre, dans les gênes, écrit dans l’ADN. Parce que… j’ai l’impression que peu importe ce que je teste, ce que je prends, j’ai l’impression que je finis accro à tout. Tout le temps. Et quand je quitte une addiction, je la quitte seulement pour la remplacer par une autre. Ça peut être des substances comme la morphine, ou avant les amphétamines, la cigarette, l’alcool — mais c’est pareil avec les relations. J’m’accroche à quelqu’un au point où ça en devient obsessionnel, toxique, et dès que quelque chose cloche, je passe à autre chose. C’est pareil pour les objets. En fait, j’essaye pas de réparer les choses, j’trouve ça plus simple de les jeter, de les remplacer, de recommencer de zéro, à chaque fois." C’est triste, tu trouves pas? Et pourtant, j’sais pas faire autrement. Toute ma vie, j’ai eu ce fonctionnement. Et j’arrive pas à le changer, dès que j’essaye, le naturel revient au galop.

Je lui souris lorsqu’il me remercie d’être là pour lui et je ne sais pas quoi lui répondre parce qu’à mes yeux c’est normal car je le fais avec mon coeur. Il a l’air d’être une bonne personne et j’aimerai qu’il puisse s’en sortir avec la tête haute. Il est bien entouré alors il finira par trouver le bon chemin à suivre, je n’en doute pas une seule seconde. Il pose sa main dans la mienne et je baisse doucement mon regard vers nos mains. Je suis étonnée et surtout mal à l’aise à l’idée de sentir une main sur la mienne. Je ne lui dis rien mais je sens déjà mon coeur battre de plus en plus vite et je ferme les yeux quelques instants pour me ressaisir. Je ne veux pas que ce contact déclenche une crise d’angoisse car j’essaie de les calmer depuis quelques jours. Je relève mon regard lorsqu’il me pose sa question et je l’écoute attentivement avant de capter son regard. « Je ne pense pas que ça soit écrit dans tes gènes mais certaines personnes sont plus faibles face aux addictions et s’accrochent plus facilement que d’autres. Des fois ça peut venir de ton passé, de tes relations avec ta famille ou même d’une situation que tu as vécu. » Je ne connaissais pas son passé mais peut-être qu’il y avait une explication à tout ça. « Tu penses que quelque chose aurait pu déclencher tout ça ? » lui demandais-je avant de lui sourire légèrement.

« bla bla »  

J’me pose sincèrement la question. Est-ce que certains sont plus enclins que d’autres à développer des addictions? Parce que bon, j’crois que j’suis pas mal dans mon genre. Que ce soit aux substances illicites, aux personnes, aux objets. J’ai l’impression que mes addictions sont là pour combler un vide. Pouf, dès qu’un truc disparait, j’suis obligé de combler le trou par quelque chose d’autre. Ouais, c’est ça, t’as compris : je m’accroche. Je m’accroche à tout ce que je trouve. J’ai besoin de me raccrocher à quelque chose pour ne pas perdre pied. Je lâche un petit rire nerveux. "Mes relations avec ma famille? Ça fait un an que mes parents ne m’ont pas adressé un mot, même s’ils continuent de me verser de l’argent chaque mois sur mon compte bancaire. Durant cette même année de silence, j’ai appris que j’avais une demi-soeur et un grand frère biologique que mes parents ont abandonné à la naissance." Pour ce qui est de la famille, voilà où on en est. "Quel genre d’évènement d’après toi aurait pu déclencher ça? J’sais pas trop quoi te dire, j’ai plutôt une vie de merde alors des trucs traumatisants, j’pourrais t’en citer pleins…"

Je ne veux pas mettre de couteau sous la gorge de Elliot mais je veux qu’il arrive à se questionner sur son passé afin de trouver une situation qui aurait pu le faire changer et devenir plus facilement dépendant de tout. Je ne suis pas une psy mais j’essaie de mettre en pratique des choses que j’ai appris et acquis au court de ma jeune vie. « Je suis désolée d’apprendre tout ça...je...excuse moi d’avoir posé cette question...» Il me parlait de sa famille mais surtout sur le silence qu’il y avait entre eux et je me sentais coupable de remuer le couteau dans la plaie car je n’aurai pas apprécié qu’on me le fasse. « Il y a pleins d’évènements qui auraient pu déclencher tout ça mais c’est peut-être dû à un manque d’affection.. Je..euh..tes dépendances ont commencé quand ? » Je ne parlais pas seulement des médicaments mais de tout car je voyais qu’il voulait essayer de comprendre et j’allais tout faire pour l’aider en essayant de ne pas lui faire de mal...


« bla bla »  

Je te parle donc de ma situation familiale qui est plus que bordélique. Le silence de mes parents, la découverte de mes frères et soeurs. Et encore, je passe sous silence le fait que ma demi-soeur soit un de mes anciens plans cul. Ouais, tu m’as l’air trop innocente pour savoir ce détail. "C’est pas grave tu sais, je vis avec." J’me suis fait à l’idée que mes parents étaient trop cons. Mon manque d’affection… Ouais. "Bah… euh…" Je me racle un peu la gorge. "J’ai toujours touché à la drogue, j’vais beaucoup en soirée depuis que je suis ado, ça a toujours tourné… J’ai commencé à prendre de la MDMA quand j’avais à peu près vingt ans, j’en prenais souvent en soirée, mais j’étais pas accro… enfin, j’pensais pas. Avec le recul et l’expérience j’crois que je l’étais quand même, à un moindre degré cependant. Et après… je me suis crashé en hélicoptère. J’ai perdu la mémoire, entièrement. J’savais même plus qui j’étais." Dur souvenir, le plus grand traumatisme de ma vie. "J’ai recommencé les pilules, j’avais une amie qui adorait ça et je la suivais à chaque fois. Et puis mon psy m’a prescrit des somnifères et des calmants pour mes crises de panique et mes insomnies dues à mes cauchemars. J’suis devenu accro à ça aussi. Un soir, j’ai pris le volant en ayant consommé de la MDMA et un rail de coke. J’ai failli tuer ma passagère. J’ai passé quelques jours en prison. Ma soeur est une bonne future avocate alors elle a réussi à me tirer de là, elle m’a évité trois ans. Et suite à ça, j’voulais plus jamais toucher à la drogue, jamais. J’ai tout arrêté, du jour au lendemain. C’était en février de l’année dernière. Et puis… j’ai touché à la morphine cet été, après une énième peine de coeur qui concernait ma meilleure amie, mon âme soeur. J’ai pas supporté, j’avais besoin de faire taire la douleur." Et voilà comment l’addiction à la morphine est venue. Tu sais à peu près tout maintenant.

Je ne connais pas Elliot et pourtant il me parle à coeur ouvert de sa situation familiale ainsi que des épreuves qu’il a dû affronter durant sa vie. Je l’écoute attentivement et je suis vraiment sur les fesses car je n’aurai jamais pensé qu’il aurait vécu autant de choses. Il ne laisse rien paraître sur sa manière d’être si ce n’est sa dépendance aux médicaments mais je commence à comprendre pourquoi il est si faible. « Pour commencer je suis désolée de tout ça et sache que ce n’est pas de la pitié car je déteste ça. » Je le regardais avec beaucoup de sincérité et j’espérais qu’il me croit car la pitié était une émotion que je détestais ressentir chez quelqu’un donc l’avoir en moi était inadmissible. « Je me rend compte qu’à chaque fois que tu te retrouves dans une situation où tu deviens faible tu te laisses aller et tu t’engouffres dans une nouvelle addiction. C’est à partir de ce moment que tu sombres. » C’était ma conclusion et cela n’engageait personne d’autre. « Tu n’as pas vécu que de bonnes choses et c’était ta manière à toi de demander de l’aide sans le formuler mais maintenant tu vas pouvoir faire les choses différemment car tu es entouré. » Sa petite amie actuelle semblait connaître un rayon sur la drogue même si le sevrage n’était pas sa spécialité. Cependant c’était le signe qu’elle serait toujours à ses côtés et c’était une très belle preuve d’amour ou tout simplement d’affection. « Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire mais tu vas devoir demander de l’aide la prochaine fois car tu n’arriveras pas toujours à t’en sortir...» Aujourd’hui il était vivant mais la prochaine fois il pourrait mourir.


« bla bla »  

J’t’ai dit, j’sais pas ce que t’as, la magie noire que tu pratiques là, mais c’est facile de te parler. De me confier à toi. Alors que j’le fais avec personne d’habitude. Vraiment. Pas même ma copine ou mes frères et soeurs. Je hoche la tête quand tu m’assures que ce n’est pas de la pitié. Tant mieux, j’déteste ça. Mais j’te crois. T’as l’air sincère, toi aussi. Puis ton analyse, elle est plutôt bonne en fait. Dès qu’un truc tourne mal, j’me réfugie dans quelque chose, j’ai besoin d’oublier plutôt que de faire face aux choses. "C’est le déni." Que je lâche, de but en blanc. C’est comme une révélation, tout est plus clair. "J’suis toujours dans le déni en fait. Dès qu’un truc va pas comme prévu, que je souffre, je bloque toutes les émotions par la drogue, notamment. Par un truc qui me permettre d’oublier. Le sexe, la MDMA, la morphine, l’alcool. Des addictions nocives mais qui me permettent de garder mon esprit occupé, voire embrouillé, pour pas faire face à la douleur." Et c’est pour ça que le sevrage est si compliqué. Parce que la non-prise de morphine par exemple, ça fait revenir toute la douleur que j’ai enfermé au loin, que j’ai jamais géré, les problèmes que j’ai jamais voulu affronter et régler. Par peur d’avoir tellement mal, que j’saurais pas me relever. "Ça a toujours été le déni…" Et le pire, c’est que j’le sais. Au fin fond de moi, j’l’ai toujours su, que j’étais le roi du déni.

Nous ne sommes pas si différent lui et moi car nous avons une histoire familiale très complexe mais moi j’arrive à gérer mes émotions sans me laisser prendre par des addictions. Je ne le juge pas car nous sommes tous différent face à nos peines et avoir ma sœur dans ma vie doit m’aider à ne pas flancher. « Je comprends ce qu’est le déni car il m’arrive d’éprouver ce sentiment. » Céleste tais-toi on ne parle pas de toi. « Des fois il faut savoir affronter ses douleurs en mettant des mots dessus ou même ses émotions car c’est en les laissant s’exprimer que tu arriveras à affronter le reste. » Je le regardais dans les yeux avant de souffler je baissais le visage. « Récemment j’ai vécu quelque chose d’horrible et on m’a appris à lâcher prise en laissant couler des larmes mais surtout en me poussant à danser pour que mon corps parle. » La danse était ma passion et grâce à elle j’arrivais à m’exprimer et mon amie avait vu juste en me poussant. Je relevais mon visage vers le sien alors que mes yeux étaient légèrement humides. « Il faut que tu trouves la meilleure façon pour t’exprimer même si ce n’est pas avec des mots. » Il se connaissait mieux que personne pour trouver et je savais qu’il allait arriver à le faire même si il lui fallait du temps.


« bla bla »