6 mars 1996 – Moscou. C’est le jour où Mikhail Fridman regardait son nourrisson à travers la baie vitrée. Vadim avait l’air si paisible dans son berceau, alors que son père fronçait les sourcils : il avait de grands projets pour son fils. De très, très grands projets. Cet éclatement de l’URSS très récent, Mikhail Fridman avait bien l’intention d’en tirer profit au maximum et il ferait en sorte que son fils soit son digne successeur. Il était son fils, mais depuis ses premiers cris, c’était aussi son plus fidèle collègue, celui qui aurait à charge de faire briller leur nom de famille quand l’étoile Mikhail Fridman se serait éteinte.

Mais qu’on se rassure, elle ne s’éteindrait pas de sitôt. Au cours des dernières années, Fridman a sorti la Russie de l’ombre à l’international. Se roulant dans les billets, Mikhail a su dès les années 1980, quand il eut droit à son premier compte en banque, le faire fructifier… avec une agence matrimoniale. Bien qu’elle soit rapidement fermée, jugée immorale par le gouvernement, Mikhail se tourna alors vers les énergies, et notamment le pétrole, dans lequel il amassa une fois encore une grosse fortune. Il intégra le groupe des « sept banquiers » et devint proche de Boris Eltsine, liant dès lors la famille Fridman à la politique russe. Aujourd’hui encore, leur famille est régulièrement consultée par Vladimir Poutine.

Depuis, ça n’a pas changé. Vadim est né à Moscou et bien qu’il ait énormément voyagé et traversé son pays en long, en large et en travers afin de connaître ses racines au plus près, c’est un moscovite pur et dur, un russe patriote aux racines profondément ancrées dans la neige des rudes hivers de chez lui. Richissime ? Certainement. Avec une cuillère en argent dans la bouche ? Pas du tout. Il a trimé. Son père lui a mis des raclées. Il a ciré des pompes pendant des heures, il n’avait pas de majordome comme certains autres, il a réparé des objets tellement vieux qu’on les aurait oubliés, il a sué, déneigé les routes l’hiver et travaillé sur les chantiers l’été pour se faire de l’argent… pour qu’il sache la valeur du travail. Son père est parti de rien et voulait que son fils sache. Que son fils n’oublie jamais. Alors Vadim n’oubliera pas d’où il vient et d’où son père a démarré : de rien. De la poussière du communisme et des cendres de la Russie, leur famille n’était rien, ils n’étaient personne et se posent aujourd’hui comme la 40ème fortune du monde. A la sueur de leur front, à la multiplication des talents, débrouillardise et réactivité sont les maîtres mots.

Vadim est parti pour les États-Unis, à contre-cœur. Ce pays, il ne l’aime pas, et les gens là-bas, il ne les aime pas non plus. Ce pays qui a écrasé sa Russie natale pendant la guerre froide, qui l’oppresse, l’accuse de tous les maux. Il en rit jaune quand il en parle : dans les films américains de toute manière, les méchants, ce sont les russes ou les arabes. Ça le fait chier d’être là, il n’en a pas envie… mais pour les affaires, c’est bon. Il y a les meilleures universités du monde ici, il se doit d’y aller. Il y a New York et son légendaire Wall Street, il se doit d’y mettre les pieds. Wall Street, c’est bien le seul endroit au monde qu’il aime aux Etats-Unis. La finance, les chiffres, l’argent, il est comme un poisson dans l’eau : c’est son élément.