« Tu crois qu’un jour on brillera autant que les étoiles ? » Mon sourire qui se reflétait dans son regard en réponse à cette question qu’elle me posait dix fois par jour. Elle était belle Leana avec ses yeux verts et son rire innocent, elle me faisait frissonner Leana lorsque son bras frôlait le mien. Je pouvais rester allongé des heures sur le béton du trottoir à regarder le ciel avec elle, à apprendre les constellations qu’elle me nommait. A douze ans elle m’apprenait aussi ce que c’était d’aimer. Et je buvais chacun de ses mots, chacune de ses paroles sans rien dire, muré dans ce silence qui se créait lorsqu’elle avait fini de parler. « Peut-être ». Les commissures de ses lèvres se relevèrent légèrement et elle tourna à nouveau son regard vers les étoiles, vers l’infini.

« Eliam viens t’asseoir ». Ça c’était jamais bon signe. Déjà le ton doux de ma mère voulait dire qu’une connerie était arrivé. Autrement elle continuerait à me regarder comme si j’étais un objet, sa monnaie d’échange pour une vie simple. « Pourquoi ? » A quatorze ans on était insolent, on croyait que le monde nous appartenait, on croyait être plus grand, plus fort que tout. « Je dois rejoindre Leana, si t’as un truc à me dire ça attendra ce soir ». Coup d’œil à mon portable, pas de messages. Deux heures et elle ne m’avait pas répondu. Peut-être m’avait-elle demandé de la rejoindre pour me larguer ? Je savais pas, j’étais perdu. Alors je sortais de la maison en vitesse, enfilant un pull, fuyant cette conversation, fuyant ce monde. Ma mère me criait d’attendre, elle m’arrêtait, tenait mon visage entre ses mains. Elle répétait sa phrase plusieurs fois. Mais je comprenais pas, je voulais pas entendre. « Elle est morte Eliam, elle est partie ». Je me disais que c’était impossible alors je la poussais en arrière, j’appelais les parents de Leana, mes potes, tous les noms de mon répertoire. Mais il n’y avait qu’une seule phrase qui me revenait en tête comme le refrain d’une chanson qui revient sans cesse. Tu crois qu’un jour on brillera autant que les étoiles ?

« Et si t’as besoin d’argent demande à ton père ». T’inquiètes pas maman. J’avais compris depuis petit que tu ne me donnerais rien, lorsque tu m’avais révélé que mon père était PDG d'une grande entreprise et que si j’avais besoin d’aide un jour il faudrait que je m’adresse à lui. Je voyais l’argent que je lui demandais partir dans tes bijoux pendant que mes chaussettes continuaient d’être trouées, que mes camarades se moquaient de l’état de mes vêtements, qu’on vivait dans un appartement minable dans un quartier modeste de Boston. Et, lorsque je m’énervais, tu te plaignais d’avoir tout perdu : ta fierté, ton innocence, ton honneur. Mais maintenant c’était fini. Harvard m’éloignait de toi, de mes amis avec qui je coupais contact. Nouveau monde, nouvelle vie. Je n’emporterais qu’un seul souvenir avec moi. Leana. Parce que tout ce temps elle avait brillé plus fort qu’une étoile.