tw ✧ drogue, auto-mutilation, délire  

Il ne fallait pas se voiler la face : William traversait actuellement un calvaire. Mais qui eut crût qu’à travers tous ces revers de fortune qui s’accumulaient l’un derrière l’autre dans ces derniers mois, celui qui lui pourrirait le plus le quotidien serait de se retrouver un nouveau dealer fiable d’amphétamine… Il dépassait ses limites considérables depuis un certain temps déjà, à vivre une double, voir même une triple vie. À tenter de tout calculer, de tout prévoir, de tout en mettre en œuvre pour battre le système. Sans ce support externe, il aurait déjà probablement implosé.

Mais voilà, quand on travaillait pour le FBI, se procurer des substances illégales comportait un niveau supplémentaire de complexité et du coup, trouver un fournisseur stable qui acceptait ses conditions également.

Ce soir, il en rencontrait un nouveau. Un premier échange de bon augure, sans tracas, sans question absurde, sans geste ou parole maladroite. Qui sait : il s’agissait peut-être du bon. Et alors qu’il traversait quelques ruelles pour regagner sa voiture, les mains dans les poches pour se protéger du froid extérieur, le rire d’une femme perça le silence.

Il hésita un instant, avant que sa curiosité ne prenne le dessus et le face bifurquer en direction du bruit. Il ne savait pas exactement ce à quoi il s’attendait. Probablement un jeune couple en train de s’amuser, ou un groupe un peu bourré en transit. À la limite, une jeune femme à qui la vie n’avait pas encore enseigné les risques supplémentaires que la vie lui avait attribuée en même temps que ce deuxième chromosome ‘X’.

Pas quelqu’un complètement défoncé en train d’invoquer Satan dans un rituel aussi bâclé qu’horrifiant.

Il manqua rebrousser chemin. Il n’était pas trop tard – dans son état, elle ne l’avait certainement pas aperçu. Et puis, il ne jouait plus exactement le rôle de bon samaritain… Au contraire, même, il torturait sciemment un nombre grandissant d’individus qu’il aimait d’un amour véritable.

C’était peut-être pour ça, qu’il s’avança. Ça pesait combien, dans la grande balance karmique, un bon geste envers une inconnue peut-être un peu plus paumée que lui ?

Sans dire un mot, il s’avança jusqu’à ce qu’il estimait être le début du périmètre de la zone de verre brisé. Puis, il leva un pied et commença à délasser sa chaussure.

«Ça vous gêne si je me joins à vous ? », demanda-t-il doucement, sans arrêter. Comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde.

Il ne savait pas exactement à quelle profondeur elle naviguait dans son délire, et il préférait une intervention en douceur que de sa lancer immédiatement dans la confrontation.

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Témoin silencieux d’un drame indicible qui se déploie devant ses yeux, William se surprend à constater que ses fibres empathiques ne sont pas toutes dissoutes. Étonnant comment, malgré la souffrance qu’il générait en toute connaissance de cause, il parvenait encore à s’émouvoir de celle d’autrui.

Qui sait, peut-être que le vieux William n’était pas exactement aussi mort qu’il se plaisait à le croire, finalement. Il ne savait cependant pas s’il devait s’en réjouir ou non…

Toujours est-il que son arrivée amorça une sorte de demi-retour à la réalité chez la jeune femme qui semblait décontenancée par sa présence. Avec raison. Peu importe ce qui se passait dans sa tête, c’était probablement beaucoup trop précieux pour le partager avec un inconnu.

«Excellente question, » répondit-il, avant de commencer à retirer sa deuxième chaussure. Si la douleur personnelle suffisait à lui permettre d’expier ses crimes et d’effacer ses regrets, il en aurait un rayon à proposer. Contrairement à sa nature généralement réservée, il se permit un rare élan de candeur. Il craignait de ne pas parvenir à l’atteindre s’il ne s’ouvrait pas lui-même au préalable.

«J’ai menti à la femme de ma vie afin qu’elle me quitte, pour ne pas devoir lui révéler la vérité sur moi… Entre autre chose.»

Levant les yeux vers elle, il poussa un profond soupir. Dis comme ça, il était vraiment un idiot…

«Et vous ? »

Il regarda avec hésitation le sol devant lui, parsemé des quelques éclats de verre, avant de rapporter son attention sur la jeune femme.

«C’est drôle, on dirait que ça ne m’inspire pas exactement confiance, comme méthode… Ça a bien fonctionné pour vous ? Ça a restauré votre karma ? Parce que sinon, je me dis, peut-être qu’une séance d’acupuncture, plutôt… ? Ça me ferait peut-être… un peu moins peur ? »

Avec un peu de chance, en ramenant la chose à lui, il parviendrait plus facilement de la convaincre de cesser de se faire du mal ainsi…

Après tout, le plus grand tortionnaire, c’était la solitude.

tw ✧ drogue, auto-mutilation, violence, pensées suicidaires  

William inclina légèrement la tête face aux accusations qui lui étaient portées. Il connaissait la notion d’une sorte de solidarité féminine planétaire, mais ne s’attendait pas pour autant à en faire les frais au milieu d’une nuit un peu paumée. Alors qu’absolument rien ne suggérait qu’il devait le prendre personnel, il ne put s’empêcher de visualiser le visage de Victoria face à lui, lui balançant avec la même hargne les arguments que lui servaient l’inconnue.

«À chaque instant… Mais vous avez tort. Si je ne pensais qu’à moi, j’aurais continuer de profiter de tout, en sachant pertinemment que ma contribution à l’équation n’était pas sincère. Et c’est pour ça que je suis partie.  »

Il releva vers elle des yeux qui s’étaient inconsciemment dirigés vers le sol.

«Parce que même si vous croyez que vous seriez heureuse malgré tout, nous ne le serions pas à n’offrir qu’une fraction de nous-mêmes. Je ne le pouvais pas, en tout cas. »

Elle en dévoila ensuite un peu plus sur les causes de son état. Ironiquement, Williamt s’était aussi retrouvé du même côté de l’abandon qu’elle. Il se remémorait encore vivement toute la souffrance engendrée par la demande de divorce initiée par son ex-épouse. Même maintenant, plusieurs années et une relation sérieuse plus tard, il savait que la plaie ne s’était pas complètement refermée encore.

Mais ce n’était peut-être pas exactement ce qu’elle avait besoin d’entendre présentement ?

«Je suis navré de l’entendre. Je ne le connais pas, ni lui, ni vous, mais une chose est certaine. Vous aviez raison : il a pris cette décision en pensant à lui. C’était son choix, à lui. Par le vôtre. Pourquoi vous faire du mal ? »

Il ne craignait pas forcément pour la vie de la jeune femme, et il n’était pas encore exactement dans l’urgence d’agir. Évidemment, le plus longtemps la scène s’étirait, le plus désagréable serait les conséquences. Presque comme s’il s’agissait d’une métaphore de leur situation respective.

«Frappez-moi, plutôt. »

Il la fixa du regard, en croisant les bras sur sa poitrine.

«Ce n’est pas juste. C’est moi qui ai décidé. Tout est de ma faute. Montrez-moi comment ça fait mal. Frappez-moi! Faites-moi comprendre! Ne me laissez pas gagner.»

Il haussa le ton, comme un défi.

Il questionnait sincèrement sa prise de décision… Et si elle sortait un flingue ? Une arme blanche ? Peu importe le niveau de violence qu'elle lui infligeait, ou qu'il s'inflige lui-même, cela n'absoudrai aucunement ses torts.

Mais au fond, serait-ce vraiment si dramatique que son histoire se termine anonymement au fond d’une ruelle, alors qu’il tentait maladroitement de tendre la main à une inconnue au cœur brisée ?

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«Peut-être…»

Assurément, en fait. Victoria l’aurait écouté jusqu’au bout. Avec un peu de chance, elle l’aurait laissé ensuite. Devenant un risque permanent pour lui. Porteuse d’un secret capable de mettre fin à toutes ses ambitions d’un claquement de doigts. Détentrice de son épée de Damoclès.

Ou pire encore : elle aurait osé braver tous les dangers. Une chaleur illusoire réchauffa son âme, alors qu’une vision fugace de l’avoir à ses côtés alors qu’il faisait face au monde entier, les deux majeurs levés vers un ciel d’azur, sous les tropiques.

Le libre arbitre. La capacité de déterminer son propre sort.

Mais où était cette pauvre jeune femme aux tendances autodestructrices lorsqu’il en avait besoin, quelques semaines plus tôt ?

«Peut-être…», répétat-t-il, un peu plus las. Comme si le bref brasier achevait de consumer le peu d’énergie de son être, avant de s’éteindre.

«J’ai effectivement fait le choix de ne pas me retrouver dans une circonstance où une femme que j’aime doive faire face à des souffrances et à des sacrifices conséquents à cause de moi. Lâche ? Lorsque les dés seront jetés et que le rideau se referma, nous verrons bien…»

Parce qu’il n’y avait absolument rien de facile dans sa décision de la pousser à partir non plus. La seule auprès de qui il trouvait la force d’être un homme bon.

Mais tandis qu’il renvoie la balle dans le camp de sa toute aussi éloquente que blessée rencontre d’une nuit d’hiver, il sent qu’il la pousse dans ses derniers retranchements. Une fois arrivée au bout de sa colère, elle reprend conscience du précipice au bord duquel elle se trouvait. Et elle craque.

Tout doucement, il se rapproche d’elle, balayant du pied avec prudence les quelques éclats de verre encore trop proche à son goût de cette dernière. Puis, il s’accroupit à ses côtés, tout son poids reposant sur la pointe de ses pieds. Et il entendit son large bras de grand frère autour des épaules frêles et tremblotantes de l’inconnue.

«Je comprends. Respire. Respire avec moi. Aussi longtemps qu’il le faudra. Et n’oublie jamais qu’avant d’être deux, tu étais toi. Ni ses perceptions, ni ses décisions, n’impactent ta valeur.»

Il demeura ainsi, immobile, aussi longtemps qu’elle le lui permit.

«Est-ce que… est-ce que ça t’embêterait que je te conduise brièvement à l’hôpital ? Juste pour que quelqu’un s’assure qu’il n’y ait pas un petit bout de Boston qui s’y soit infiltré ? Je pourrais attendre avec toi, si tu veux. Personne ne m’attend nulle part ce soir.»

Il se tourna vers elle, toute trace de sa feinte agressivité envolée.

«Je m’appelle William. Mais tu peux m’appeler Bill.»