Mardi 10 Octobre. Soirée.

Je jouais un jeu foutrement dangereux. Je m’aventurais sur un terrain fichtrement glissant. J’en avais conscience. Je ne le savais que trop bien. J’étais parfaitement au courant de ce que je foutais. Pourtant, au lieu de tenter de freiner ma chute pour m’empêcher de sombrer et remonter dans le droit chemin, je continuais à accepter de glisser. Je ne fuyais pas même si je risquais de tomber. Je me laissais aller sur ce toboggan de la déchéance quand bien même je savais que je pouvais le regretter. Ce n’était pas le chemin à emprunter. Ce n’était pas la route à prendre. Je ne devais pas me trouver là. Je ne devais pas m’aventurer sur ce sentier. Malheureusement – ou heureusement allez savoir – je m’y trouvais totalement. Ce soir, Hans devait venir au Lord Hobo pendant mon service. J’avais d’ailleurs du mal à me concentrer sur mon travail à cette pensée. Mon regard ne cessait de se poser sur la porte du bar à chaque fois qu’elle s’ouvrait avec l’espoir de voir apparaître celui que j’attendais depuis bien trop longtemps. Il ne m’avait donné aucune précision quant à l’heure de son passage. Je savais juste qu’il devait venir pendant mon service. Un service qui avait d’ailleurs été rallongé suite à mon absence d’hier. Hier où j’avais dû accomplir une nouvelle mission pour la Mafia. Hier où j’avais réussi ma mission même si j’avais fini blessé. Les marques ne s’étaient pas estompées quand bien même le sang avait cessé de couler. Ma lèvre et mon arcade étaient ouvertes de façon un peu trop visibles tandis qu’un bleu avait pris vie sur ma joue. Comme toujours, ma maladresse avait servi d’excuse à ces blessures aux yeux du monde. Il n’y avait que mon mari qui connaissait la vérité. Cette vérité qu’il ne fallait pas étaler. Cette vérité que je savais parfaitement taire. Gamin aux millions de secrets. Je servais un énième verre à un client. La porte du bar ne bougeait pas. Aussi, je finissais par m’appuyer sur le comptoir pour entamer une discussion avec le client. Juste parler et faire passer le temps. Juste parler pour attendre.

Emporté par ma conversation avec un client du bar, je ne faisais même plus attention à la porte du Lord Hobo. Je n’étais plus obsédé par l’arrivée tant attendue comme je l’étais depuis des heures. Je parvenais à passer à autre chose. Enfin… Non. Pas complètement. La venue d'Hans demeurait dans un coin de ma tête. Je ne l’oubliais pas. C’était impossible de l’oublier de toute manière. J’avais hâte de le voir débarquer. J’avais hâte de voir comment cette partie allait se jouer. Après tout, Hans venait sur mon lieu de travail pendant que je bossais. Ainsi, j’étais presque certain que cela ne pourrait pas déraper. N’est-ce pas ? Après tout, ça ne devait pas déraper. Être humain marié qui s’était un peu trop aventuré sur le terrain de l’interdit. Gamin qui n’avait pas pu s’empêcher de glisser sur ce chemin si foutrement tentateur. Les envies cognaient à l’intérieur de moi. Les fantasmes se dessinaient à l’intérieur de ma tête. Néanmoins, le contrôle devait être conservé. Il fallait que je reste sage et j’allais y parvenir. N’est-ce pas ? Je n’en savais foutrement rien. Les incertitudes flottaient. Surtout face à un être comme Hans. Mes prunelles se relevaient d’ailleurs soudainement lorsqu’une nouvelle voix se faisait entendre. Sa voix. Hans était là. Je ne l’avais même pas vu entrer. Je ne l’avais même pas vu s’approcher de moi. Je me redressais lentement du comptoir soufflant un « Bonsoir » avec un grand sourire. La douleur tiraillait la lèvre, mais ça ne me faisait même pas réagir. J’avais été habitué à tellement pire. Toute mon attention se portait sur Hans à présent. Je ne le quittais plus des yeux et ça devait être bien trop flagrant car le client faisait un signe de la main avant de disparaître. Avant même que je ne pose l’habituelle interrogation pour savoir ce qu’il désirait boire, Hans faisait sa demande. Je hochais sagement la tête me détournant aussitôt pour attraper un verre et une bouteille de whisky. Gosse docile. Gamin obéissant. Le verre était rapidement servi. Avec un « Voilà pour toi ! », je posais le verre devant Hans. Sourire joueur aux lèvres, je venais m’accouder de nouveau sur le comptoir face à celui avec qui j’allais entamer une partie ce soir. Et, comme une première provocation, ma langue glissait lentement sur mes lèvres tandis que mes prunelles sombres restaient ancrées dans celles d’Hans.

Verre de whisky posé devant Hans, je secouais négativement la tête lorsque son interrogation tombait. Non, je ne prenais rien moi. Non, je ne buvais pas d’alcool ce soir. Au-delà du fait d’être en service et donc de ne pas avoir réellement le droit de consommer pendant ces heures de travail, l’alcool m’était normalement proscrit depuis bien trop longtemps. À cause de la tête qui ne fonctionnait pas correctement. À cause de ce trouble qui me collait à la peau depuis des années. À cause de qui j’étais et de ces secrets que je me devais de garder. À cause de ce contrôle que je devais conserver pour ne pas faire trop de bêtises. Pourtant, cette rencontre était faite pour commettre une bêtise. Non ? Je l’avais cherché. Je nous avais poussé sur ce plateau de jeu parfaitement conscient de ce que je foutais. Je m’étais aventuré sur ce chemin en connaissance de cause et je n’avais pas envie de faire marche arrière. Pas avec cette tension dans mon être. Pas avec cette envie dans le corps. Pas avec sa présence de l’autre côté du bar. D’ailleurs, je ne tardais pas à m’aventurer sur ce sentier dangereux. Je détournais l’attention de l’absence d’alcool préférant ne pas m’y attarder. Je détournais l’attention en laissant ma langue glisser avec lenteur sur mes lèvres. Ça attirait le regard sur une des blessures de la veille, je le savais. Mais, je m’en fichais. Il n’allait pas me questionner sur mon état. Il n’était pas là pour ça. Et, la voix à l’intérieur de ma tête cognait pour me crier qu’il s’en fichait bien. Après tout, il n’avait rien dit en voyant mon état. C’était logique. C’était normal. Je n’étais rien. Juste un jeu. Simplement un corps. Son rire résonnait avant que les mots ne tombent. Des mots auxquels je répondais sans attendre « Et si je ne la range pas, qu’est-ce que tu vas faire ? » Je me penchais un peu plus sur le comptoir haussant un sourcil curieux. Je murmurais alors un « Me punir ? » avec un grand sourire amusé aux lèvres. Me redressant lentement, je l’observais lever le verre et porter ce toast qui me poussait à conserver mon sourire. J’hochais doucement la tête comme pour trinquer à ça moi aussi. À mon manque de contrôle et à ce qu’il allait bien pouvoir nous apporter.