Pour réagir à ma phrase, il ne lui faut qu’une fraction de seconde, s’insurgeant d’un ; « Demain ?? » ça va, on se détend, comme si j’étais un esclavagiste en herbe, après trois mois de repos, je trouve la réaction un tantinet exagérée. Quand bien même j’étais sérieuse pour qu’il reprenne demain, il n’est pas en position de pouvoir se plaindre de quoi que ce soit. L’ensemble des patrons seraient beaucoup moins tolérants que moi. Alors je roule des yeux, forçant un brin l’exaspération tout en observant le médecin, spectateur de notre vaudeville déjà démodé.

Mais se rasseyant correctement, mon employé reprend finalement, « Un peu de zèle cet été, rien de bien méchant. » Un abandon de poste, un mannequin à la dérive, une perte de poids et potentiellement de masse musculaire en plus de cela. Je ne dirais pas que c’est rien de bien méchant. Manquerait plus qu’il ait ramené une saloperie durant ses expéditions, un virus inconnu et qu’il soit contagieux. Oui, de mon avis, le zèle n’y était pas qu’un peu. Même s’il me faut être honnête, elle ne semble pas abîmée sa silhouette. « Bon je passe à côté ? » Comme s’il était soudainement pressé, je suis quasiment déçue, moi qui lui aie réservé un créneau démesuré, lui veut se débarrasser de l’instant le plus rapidement.

Il s’apprête à se lever, les mains piquées sur les accoudoirs, décidé à se sortir de ce qu’il pense être un traquenard. Mais sans attendre la réponse de la part du médecin à sa proposition, je reprends un semblant de contrôle de la situation, articulant sans aucune hésitation, comme si je me tenais à côté d’un tout petit garçon ; « Tu veux que je te tienne la main pendant la consultation ? » prononce je en un sourire aussi vicieux que malin, l’enfer est toujours bourré des bonnes intentions. Le défiant du regard, je m’attends forcément à son rejet, mais sa verve j’ai l’envie de la tester. A quel point tu t’es ramollis Sheng, cet été ? Est-ce qu’elle t’a tant changé la Haiwee ? Ce rôle que tu t’évertues à jouer, c’est quand que tu vas le stopper ? « Allez. » que j’ordonne d’un mouvement de main sec enclin à l’autorité, il est temps de commencer comme si c’était moi qui n’avait pas envie de voir les choses traîner.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

La tension, elle est palpable dans le moindre de ses mouvements, et ça me satisfait, évidemment. Je gare le contrôle même lorsqu’il souhaite jouer les sales gosses ayant des envies de se rebeller. Et parce que je lui ai donné une directive, il finit par se faire docile, et se redresse malgré ses airs contrariés. Prêt à se laisser ausculter.

Caressant mon cou avec mes ongles parfaitement manucurés, je reste stoïque, car même si je lui ai proposé et que je suis un brin aliénée, je ne compte pas l’accompagner, je ne suis pas sa mère, faut pas abuser. Cela dit, avec ce qu’il ose lâcher, il est clair que de sa génitrice, j’en suis loin. « Pas la main mais autre chose si tu veux. » Accroché à mon fauteuil, son attaque, je n’ai pas su la voir venir, et l’irritation dans les veines, au moins, je me rassure en songeant que ça aurait pu être pire. Ce médecin ne reste qu’un sous-fifre, il est simplement plus diplômé et apte à faire une expertise. Il est aussi simple à éradiquer qu’un caillou dans mon soulier.

Alors je ravale mon aigreur tandis que je lui décoche un regard remplit de noirceur. L’observant se retirer derrière le rideau gardant le silence face à sa provocation, et je lance aussi une œillade en direction du médecin, à l’image d’une menace, inutile de l’aviser que tout commentaire pourrait l’amener à être radié. Mais cette menace muette, elle est avortée quand il se hasarde à évoquer un souvenir de mon passé. Un évènement sur lequel j’ai tiré un trait. « C’est ici que t’es venue y’a deux ans ? » Mes dents, je les entends grincer de l’intérieur tant je serre les mâchoires, il est sur le bord de mes lèvres, le mot connard. Le regret de ma faiblesse, d’avoir été vulnérable alors qu’il était chez moi. Une arme dont il s’est déjà servit bien trop de fois. Ca a beau faire deux ans, c’est toujours aussi emmerdant. Je ne bouge pas de ma chaise au moment de répliquer, « Qu’est-ce que ça peut te foutre ? » Mes bonnes manières misent à mal, pourtant je ne suis pas dupe, je sais pertinemment que c’était ce qu’il recherchait, me faire sortir de mes gongs afin de me faire payer l’emprise que j’ai sur lui faute de notre relation patronne – employé. « T’as prévu d’en planifier un ? » Qu’Haiwee et moi ayons, en plus d’avoir partager tes draps, un nouveau point commun.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

C’est toujours qu’il y revient, comme si c’était un vrai refrain. Parler de mon avortement quand jamais il n’aurait dû être au courant. Mais c’était plus fort que lui, à l’époque, il s’était senti obligé de venir fouiner. Wendy Witter ne pouvant pas être malade et prendre un congé. C’est toute ma vie que je vais le regretter, bien sûr que je le sais. « Tu sais ce que c’est » je l’entends d’avance, la justification à la con, presque j’attends entre elle et moi, une comparaison, « Le risque zéro n’existe pas quand on baise à tour de bras. » quasiment comparée, sauf qu’elle, ne le fait qu’avec lui quand c’est à une pute qu’il vient de m’associer, « Et elle est infatigable, » Je me serais volontiers passée de ce genre de détail. Visiblement dérangée par la vision de positions et des possibles couinements de la Haiwee. Il possède une marionnette, une poupée en chair, c’est bien, je devrais le féliciter peut-être.

Les dents serrées quand l’idiot continue derrière son rideau. « d’Ailleurs la bête de sexe est prête, » heureusement pour lui la prétention n’a encore jamais tué quelqu’un. Mon exaspération a son paroxysme, j’articule, « Toujours aussi humble. » sous-entendant qu’après tout je suis bien placée pour savoir qu’il abuse un tantinet. Loin d’avouer que j’ai un peu trop apprécié les deux fois où c’est arrivé. Néanmoins, je n’ai pas le temps de m’y pencher, de me rendre nostalgique ou je ne sais quoi, non, parce qu’il reprend, et me glace le sang. « C’était ton cas ? Planifié ? » Voilà, on y est à la question de trop, aux limites dépassées, à sa grande bouche qu’il devrait apprendre à fermer. Sa langue bien trop pendue que j’ai envie de couper.

Alors je me redresse et je pousse le rideau d’une main directive, les prunelles d’abord dans les siennes, surprises, pour les laisser descendre sur sa silhouette. Sa carrure est jugée en un silence qui prouve à lui seul combien je suis agacée. Après plusieurs secondes où même le médecin ne sait plus comment se comporter, j’annonce, « J’ai vu ce que je voulais. » C’est comme une bête - de foire pour le coup – qu’il est jaugé. « A samedi. » Pas une question, pas une possibilité, c’est un ordre et il le sait. Bien sûr, le docteur Parker finira de l’ausculter, vérifiera tout ce que je lui ai en amont demandé, mais pour l’heure, il est temps pour moi de sortir du Vaudeville dans lequel il adore me plonger.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.