Il a beau essayer d’y mettre du sien, il ne voit pas comment se tenir sur un cheval pourrait être agréable. Ses cuisses sont grandes ouvertes, tirant sur des muscles qu’il n’a pas l’habitude de faire travailler, et dont il ignorait même l'existence, sans parler de l’inconfort même de la selle, dure au possible. Et ça, c’est au repos. Tout devient pire lorsque le cheval se met en mouvement, déséquilibrant légèrement le brun, qui se retient fortement de serrer les rênes pour maintenir sa position. Il se laisse balancer, certainement de la façon la moins élégante possible à chaque pas de l’animal, essayant de ne pas rester trop rigide sous les conseils de la brune qui l’a conduit dans ce guet-apens. Et dans l’indifférence la plus totale, elle prend légèrement les devants la brune, conduisant le cheval du New-Yorkais à la place de ce dernier qui pour le moment, se contente de tenir dessus sans se casser la gueule. Ce qui, après quelques mètres, se révèle être un succès. Un succès qu’il ne célèbre pas trop rapidement Lyssandre, préférant continuer de faire preuve de sobriété en sachant que l’animal pouvait l’envoyer valser à tout moment.

Alors qu’il continue d’observer la brune pour prendre exemple sur elle, il se méfie de l’entendre affirmer qu’il est un privilégié. Il se demande bien à quel moment il l’est devenu à ses yeux, d’autant plus qu’elle semblait prendre un malin plaisir à le faire souffrir. Et il comprend rapidement que, s’il est un “privilégié”, c’est surtout parce qu’il est le seul suffisamment con pour accepter les propositions de la brune sans savoir ce qui l’attend. « Les autres sont pas aussi masochistes que moi ? » A se demander, réellement, s’il ne prend pas du plaisir à souffrir Lyssandre, pour accepter de s’infliger de telles activités avec Miss jugement. Et elle le confirme lorsqu’elle lui rappelle combien il est ridicule dans sa situation, à galérer à faire ce qu’elle a sûrement su faire avant ses dix ans. « Surement mais bon, y a bien une première fois à tout. » Il n’essaye même pas de se défendre, parce qu’il se sent ridicule et qu’en quelques heures, il n’égalerait sûrement jamais la grâce que la brune a acquise en plusieurs années.  « A quel âge t’as commencé ? » Demande t-il alors, pour connaître le nombre d'années de souffrance qu’il lui faudrait pour espérer se mettre au niveau.

Il s’en doutait Lyssandre, quand il a reçu l’invitation de la jeune femme, que tout cela n’aurait rien d’une partie de plaisir. Pourtant, il l’a accepté sans broncher. Stupidité ou masochisme, il n’en sait rien, mais le fait est qu’il est là, à un bon mètre cinquante du sol, à se demander quand il va passer par-dessus l’animal et se faire piétiner. Oui, il l’imagine un peu à la façon des dessins animés, mais il ne doute pas que la douleur éprouvée, elle, serait bien réelle. C’est peut-être pour cette raison que les autres avaient l’intelligence de refuser les offres de la rousse. Finalement, il devait être stupide, et masochiste. Ce qui, visiblement, faisait rire la Witter.

Alors que le cheval avance à un rythme modéré, il continue de se sentir très gauche Lyssandre. Il n’a pas l’impression de faire les choses correctement ou de dégager la même élégance que la jeune femme qui adopte une allure royale, comme si elle avait fait ça toute sa vie. Et il y croit Lyssandre, qu’elle a fait ça toute sa vie. Il sait qu’elle a grandi dans le privilège, dans l’opulence. Ca ne devrait plus le surprendre, et pourtant, il reste surpris par l’information. Qui se faisait offrir un poney à cinq ans ? Elle avait appris à monter avant même d’avoir certainement appris à lire et à écrire. Impossible qu’il rivalise avec elle, et il le comprends vite, ne fanfaronnant pas outre mesure, comme il pourrait avoir l’habitude de le faire. « Excuse moi ton altesse, je prends note si j’ai une fille un jour. » Il ne sait pas s’il fera le choix d’avoir des enfants. Il aimerait, mais il n’a jamais eu cette conversation avec sa moitié, laissant pour le moment le sujet dans un coin de sa tête. « Tes parents doivent tenir énormément à toi. » Il le dit sans once d’envie ou de jalousie. Si les Wayne ont manqué d’argent, ils n’ont cependant jamais manqué d’amour. Il le ressent encore aujourd’hui Lyssandre, que leur père serait prêt à tout pour eux. Il avait protégé sa famille et su la garder uni, malgré les difficultés de la vie.

Sans y prendre garde, le rythme du cheval s’accélère légèrement, laissant Lyssandre dans une panique de néophyte. « Qu’est ce qu’il se passe là, qu’est ce que je fais ? »

Il n’imagine pas un instant le fossé qui existe dans leurs enfances Lyssandre. Il n’imagine pas un instant que Wendy ait pû grandir avec tout l’or du monde tout en étant si seule. Lui, il ne l’avait jamais été, déjà parce que sa naissance elle-même n’avait rien d’unique, mais en plus parce que par la suite, il avait eu deux autres adelphes, et par dessus tout, leur père avait toujours été présent pour eux. Que ce soit pour leurs anniversaires, les spectacles de danse, d’école, ou n’importe quelle activité dans laquelle un enfant Wayne s’était lancé, il avait été présent, toujours. Il ne doute pas instant Lyssandre, tous les sacrifices que son père avait pour ses adelphes et lui-même. Et bien que certaines époques furent compliquées financièrement, il n’aurait jamais échangé cet amour pour un quelconque bien matériel. Il n’imagine donc pas ce que cela peut faire de grandir avec des parents absents, toujours aux quatre coins du monde, cherchant à faire oublier leurs absences par des cadeaux démesurés. Il est assurément niais et peu clairvoyant Lyssandre, quand il affirme à Wendy que ses parents devaient énormément tenir à elle. Peut-être qu'il a raison, mais dans cette situation, il ne pourrait blâmer Wendy de ne pas l’avoir vu.

Alors que l’évocation du passée s’efface pour les ramener dans le présent, il sent le brun, son cheval accélérer le pas, gagner en vitesse. Une attitude qui lui déplaît, alors qu’il ne comprend pas pourquoi cela se produit, ce qu’il a pu faire pour entraîner une telle réaction. Paniqué, il se tourne vers sa professeur du jour, tente d’obtenir un conseil efficace et censé mais n’obtient qu’à la place une phrase vide de sens à ses yeux. S’accrocher, comme s’il ne l’avait pas déjà fait jusqu’à maintenant. Le cheval de la jeune femme accélère également, et bientôt, ils se détachent du groupe prennent de la distance. Les premières minutes de panique sont remplacées par l’excitation, la quête de la vitesse, l’appréciation de la liberté. Il n’aurait jamais cru qu’on puisse éprouver tant de choses. Malgré tout, il ne maîtrise rien, se laisse porter par son cheval, sans le moindre contrôle sur ce dernier. Il le constate douloureusement quand le cheval s’arrête et cambre brutalement, effrayé par un animal passé devant lui. Sans rien voir venir, il se fait renverser Lyssandre, tombe et roule sur le sol pour prendre ses distances avec le cheval qui bat le sentier des sabots. « Ah putaiiiin. » Qu’il râle, les dents serrées par la douleur, alors qu’il se redresse doucement, tout en s’assurant de n’avoir rien de cassé. « Sa mère la hmmmmm… » Il ne termine pas sa phrase, tire doucement ses bras devant lui pour tenter de dissiper la douleur de ses épaules. Il se retient de lancer un regard noir à Wendy, de l’accuser d’avoir provoqué ça. « La prochaine fois trouve mieux comme conseil quand même… » Il époussette ses vêtements, le visage fermé. Pour une première balade à cheval, il aurait espéré moins d’émotions.

Il sent la douleur dans tout son corps Lyssandre comme des centaines de petites piqures dans chacun de ses muscles. Malgré tout, il se relève, se remet sur ses pieds, le noir d’une effroyable rage mais aussi de détermination. Il a mal, très mal, et il pourrait assurément insulter Wendy pour cela, mais en même temps, il est en colère contre lui même, de ne pas avoir su tenir bon, d’être tombé, de ne pas avoir été à la hauteur. Pas des attentes de la rousse, mais des siennes, de celles qu’il possède envers lui-même. Il avait envie de se surpasser, envie de se prouver qu’il était capable de le faire, qu’il ne valait pas moins que Wendy parce qu’il avait grandi dans une famille aux revenus plus modestes. Envie de prouver que l’argent ne faisait pas tout. Certes, Wendy avait surement vingt ans de leçons d’équitation, Lyssandre dix minutes, mais qu’est ce qui différenciait leurs qualités de cavalier ? L’élégance de Wendy ? Oui. Sa maîtrise du cheval ? Oui. Le fait qu’elle ne venait pas de se ramasser honteusement ? Oui, et encore oui. Mais ça ne voulait pas dire qu’il en avait fini avec tout ça Lyssandre. D’un regard mauvais, il toise la rousse à sa question ? Monter avec elle ? Plutôt crever. « Ni l’un ni l’autre. »

Une dernière fois, il s’époussette avant de tendre la main pour reprendre les rênes de son cheval. S’éloignant de quelques pas, il inspire un bon coup avant de remonter dessus, de se mettre en position. Sur le cheval, il a encore plus mal dans chacun de ses muscles, mais ce n’était pas grave. Il aurait toute la nuit pour se remettre de cette journée. « On repart ! » Qu’il ordonne à Wendy, de son mauvais caractère, en espérant qu’elle réussisse à faire repartir son cheval, au pas. Il aurait pû s’arrêter là pour aujourd’hui, après tout, pour une première fois, ce n’était pas si mal, mais il n’arrive pas à lâcher prise Lyssandre, il ne sait pas abandonner tant qu’il n’a pas obtenu ce qu’il désire, et ce qu’il veut, aujourd’hui, c’est montrer à Wendy Witter qu’il peut être aussi bon qu’elle, dans n’importe quel domaine, même si cela résulte d’une part d’ego mal placé. En attendant, il était prêt à chevaucher de nouveau, même si c’était plus en douceur.

Dans le genre acharné, il se posait là Lyssandre. A sa place, nombreux seraient ceux qui auraient renoncé, ceux qui n’auraient osé s’approcher à nouveau du cheval, mais Lyssandre, lui, il n’est pas comme ça. Il n’est pas de ceux qui abandonnent à la première difficulté, il n’est pas de ceux qui font demi-tour au moindre obstacle. Lyssandre, il est de ceux qui s’obstinent, s’acharnent, inconscients du danger et des difficultés. Et pour quoi ? Simplement pour se prouver qu’il en est capable. Déterminé, bien qu’un peu inquiet pour la suite des évènements, il remonte sur le cheval, adresse un regard dédaigneux à Wendy dont il venait de refuser l’aide sans la moindre gêne pour s’apprêter à repartir. Un comportement qui ne semble pas impressionner la jeune femme, au contraire. Avec la chute qu’il venait de faire, elle le prenait sûrement pour un abruti d’avoir refusé son aide.

La posture droite, il attend que Wendy se décide à avancer en espérant que cette fois encore son cheval se contenterait de suivre à un pas raisonnable. Mais alors qu’elle saisit les rênes, il comprend Lyssandre, qu’ils n’iront pas plus loin. Elle fait demi-tour et incite le cheval de Lyssandre à faire de même sans demander son avis au jeune homme. Outré, il l’est un peu, mais après quelques mètres, il l’est bien moins, ressentant des douleurs encore plus vives dans chacuns de ses muscles à chaque pas du cheval. Il serre les dents, prend sur lui pour ne pas geindre et jouer les bébés, mais elle avait vu clair Wendy, il aurait été incapable de continue beaucoup plus loin.

Inactif, laissant son cheval être guidé par les mains plus expertes de la bostonienne, il se contente de regarder le paysage qu’il n’a que peu admiré sur l’aller, trop concentré sur la manœuvre de sa monture. « En tout cas, tu auras quand même réussi ton objectif… T’avais promis que j’allais souffrir, j’ai souffert. Bravo ! » Il est presque convaincu que ce n’était pas ce qu’elle avait en tête quand elle lui avait dit qu’elle avait besoin d’un souffre-douleur pour la journée, mais d’une certaine façon, elle avait réussi à le faire souffrir, et sans même avoir besoin de le toucher.