Ce soir, j’étais le deuxième avertissement pour un étranger. Ce soir, j’effectuais une nouvelle mission pour Rob, pour la Mafia Italienne. Plus le temps passait et plus j’avais des missions à accomplir. Il ne se passait pas une semaine sans missions. Il ne se passait plus une semaine en totale tranquillité. Ça aurait pu me déranger et peut-être même que cela aurait dû me déranger. Pourtant, ce n’était guère le cas. Plus les semaines s’écoulaient et plus j’attendais ces moments avec impatience comme un gosse attendait le Père Noël. Durant ces missions, je me sentais encore plus vivant. Pendant ces moments, je me sentais totalement à ma place. C’était comme si j’étais censé accomplir ce boulot. Plus le temps passait et plus Rob me confiait des missions plus dangereuses, plus violentes. Au départ de notre contrat, je me contentais de récupérer des informations à certains endroits ou encore de faire en sorte que certaines personnes se retrouvent dans certains lieux. Je n’entrais pas en contact avec les victimes, ou très peu. J’étais l’arme cachée. J’étais l’arme secrète. Néanmoins, au fil du temps, les missions avaient changé. Je devais toujours faire attention à mon identité. Je devais toujours tout faire pour rester secret et discret. Cependant, j’avais plus d’impact à présent. Quelques semaines plus tôt, je m’étais même présenté devant un inconnu pour jouer le rôle du premier avertissement. Ça n’avait été qu’une discussion avec un homme. Ce soir, c’était plus que ça. Ce soir, je jouais le deuxième avertissement et je sentais l’impatience parcourir mes veines. J’avais hâte que le feu vert soit donné. J’étais fébrile à l’idée d’accomplir ce travail. Planqué dans l’obscurité de la ruelle, j’attendais patiemment. Capuche soigneusement mise sur la tête, mon visage était couvert du menton jusqu’au haut du nez par un bandana. Il n’y avait que mes yeux de mes visibles. Aucun signe distinctif n’apparaissait. Je portais des vêtements banals qui couvraient la totalité de mon corps. Il ne fallait pas laisser apercevoir un bout d’encre noir sur la peau qui pourrait me trahir. Il fallait rester le secret parfait.

La porte s’ouvrait et je me redressais lentement restant planqué dans mon coin. J’observais l’homme qui avançait dans la rue pour fumer une cigarette. J’attendais quelques secondes pour être certain qu’il soit seul. J’attendais quelques secondes avant de souffler « Il n’est pas content… » L’accent italien était usé à outrance pour que ma voix ne sonne pas comme celle de tous les jours. L’étranger sursautait me poussant à sourire encore plus tandis que je me décollais du mur avançant vers lui. Prédateur qui s’approchait de sa proie. Je n’avais pas besoin de préciser de prénom. Je n’étais pas le premier avertissement. L’homme savait de qui je parlais. Ça se voyait à son air terrifié. Je percevais le mouvement de fuite et je réagissais au quart de tour plaquant l’homme contre le mur derrière lui. Sa cigarette s’échouait au sol tout comme mon innocence. Mon avant-bras gauche se déposait sur sa gorge. Mon corps se rapprochait de celui de l’étranger pour faire rempart. Mon regard captait le sien y lisant la peur. Une peur qui me filait des frissons bien trop agréables et agrandissait le sourire masqué derrière le tissu. L’homme tentait de s’expliquer. J’écoutais à peine les mots lancés. Ma main droite attrapait le flingue à ma ceinture. Un flingue que je déposais par-dessus le pantalon de l’étranger contre son membre. Ma voix froide résonnait alors « Il veut le paiement ce soir. Si demain, il me contacte pour me dire qu’il ne l’a pas reçu, tu pourras dire adieu à une partie de ton anatomie. » Je penchais doucement la tête observant l’homme qui hochait vivement la sienne promettant de le faire. Deuxième avertissement Neal. C’était presque comme si j’entendais la voix de Rob résonner dans ma tête. J’avais envie de faire plus que ça. Je n’avais pas le droit de faire plus que ça. Je n’étais qu’un avertissement. F*ck, faisait chier. M’éloignant lentement, j’observais l’homme détaler en vitesse de la ruelle. Je secouais la tête devant sa stupidité avant de reculer de nouveau dans l’obscurité. Faisant glisser le bandana qui masquait une partie de mon visage, je glissais une cigarette entre mes lèvres l’allumant rapidement. La mission était remplie. Juste une cigarette et je pouvais rentrer à la maison.

Mes iris sombres observaient la fumée qui s’envolait dans les airs. Je la fixais disparaître tout comme ma vie bien rangée s’était effacée au fil des semaines. À force de travailler pour Rob, j’avais bien vite compris que je ne pourrais pas rester dans ce moule. J’aimais mon mari et ma fille, j’aimais notre vie tranquille ensemble, j’aimais jongler entre cette vie de famille et la vie d’un mécanicien barman. Mais, bordel, c’était bien trop tranquille et j’avais toujours eu la sensation qu’il manquait quelque chose. J’avais toujours ressenti ce vide en moi. Ce vide que Rob avait su combler. Avec ce travail pour la Mafia, le manque s’était effacé. Ce n’était pas si surprenant en réalité. Ça avait presque toujours fait parti de ma vie. Ça avait presque toujours fait parti de mon être. Je ne pouvais pas juste me passer de cette existence dangereuse et délicieuse. J’avais tenté de le faire pendant des années. J’avais pris la fuite pendant longtemps. Néanmoins, le manque ne s’était jamais éteint. C’était peut-être comme la drogue en fait. Il n’était pas si aisé que ça d’en sortir tandis que replonger était facile si nous cédions une seule et unique fois. Vouloir continuer était indispensable. C’était ce que je voulais faire à présent. C’était ce que je faisais de ma vie. Mafieux dans l’âme, pour toujours et à jamais. Ce soir, je me retrouvais à accomplir cette mission qui me faisait frémir de plaisir. Je me retrouvais à plaquer cet homme contre le mur et à ne plus être l’innocent de l’histoire. J’étais l’oppresseur et ça me faisait frissonner de délice. Je posais mon flingue contre ce mec. Je sifflais les mots appris. Et… Quelque part, je regrettais de ne pas pouvoir faire plus. Est-ce que Rob m’autoriserait à frapper un jour ? Est-ce qu’il m’autoriserait à tuer un jour ? Cela me tentait diablement. Gamin ayant déjà bien trop de sang sur les doigts. Gosse qui avait déjà franchi la ligne par le passé. L’homme détalait bien trop vite me laissant à ma solitude. Le bandana quittait mon visage. Je m’enfonçais dans l’obscurité glissant un bâtonnet de nicotine entre mes lèvres pour profiter de l’instant.

Un instant dont je n’allais pas pouvoir profiter en vérité. Des bruits de pas se faisaient entendre. Ça me poussait à me redresser aussitôt en jurant. Est-ce que l’inconnu revenait ? Est-ce qu’il venait pour payer ou pour attaquer ? Est-ce que c’était quelqu’un d’autre ? Est-ce qu’il y avait un danger ? Les interrogations tournaient dans ma tête. Pourtant, je restais de marbre. J’avançais de quelques pas dans la ruelle quittant l’obscurité agréable. J’étais prêt à attaquer le premier. L’une de mes mains s’était posée automatiquement sur le flingue rangé à ma ceinture. J’étais prêt à dégainer si cela se révélait nécessaire. Un homme me faisait soudainement face. Il me toisait. Je le fixais. Et f*ck… Cet homme ne m’était guère inconnu. Bear. Les souvenirs se bousculaient dans la tête. Il m’avait soigné par le passé. Cela datait d’un moment déjà. Ça remontait à l’épisode avec le père de Côme. Un frisson désagréable glissait sur ma peau à ce souvenir. J’avais rencontré Bear lorsque j’étais encore de l’autre côté de cette barrière et que ma vie frôlait la normalité. Je l’avais rencontré lorsque j’étais encore la victime. Me détendant légèrement en posant mon regard sur lui, je conservais ma main posée sur le flingue. Après tout, peut-être qu’il ne venait pas en paix dans cette ruelle. Peut-être qu’il travaillait pour cet homme que je venais de menacer et que cet homme me l’envoyait. Néanmoins, il n’y avait pas d’attaque. Les mots tombaient entre nous me poussant à froncer les sourcils. Vraiment ? Il venait juste faire la conversation ? Une partie de mon être me soufflait de me méfier parce que ça pouvait être une distraction. Mes iris balayaient la ruelle. Je restais silencieux écoutant si d’autres bruits survenaient. Rien. Reposant mon regard sombre sur lui, je me permettais alors de lui répondre « Effectivement je suis en forme, je vais bien. Et toi ? » Je retournais la question simplement poli. De ma main libre, je portais ma cigarette à mes lèvres tirant dessus une fois avant de rire aux nouveaux mots. Secouant négativement la tête, je rétorquais « Je suis marié alors je ne couche qu’avec mon mari. » Les propos étaient lancés sans hésitation. Ma langue glissait sur mes lèvres avant que je ne rajoute « Je ne vend rien. Je n’achète rien. » Vérité absolue qui m’échappait. Je répondais sagement aux accusations sans pour autant lever le voile sur mes actions. Mes prunelles glissaient sur Bear. Je finissais par faire un signe de tête pour désigner les mains cachées de l’homme en demandant « Tu as quelque chose dans tes poches ? » Question qui voulait sonner innocente. Question qui, pourtant, était loin de l’être. Gamin sur la défensive. Gosse qui gardait la main posée sur son arme à sa ceinture. Être humain qui conservait son regard sur celui qui venait de troubler la tranquillité.