Corps en parallèle qui cherchent à se dépasser, regards qui s'échangent comme pour se déstabiliser. La course a toujours été une activité sympathique mais à deux, elle devient compétitive. Aller le plus vite, dépasser l'autre, l'insulter en retour que l'on perd ou gagne. Tout est permis - ou presque - quitte à suer plus que de raison. Un banc se dessinant au loin comme aire de repos devient l'objet parfait sur lequel je pose mon pied afin détendre et étendre ma jambe puis l'autre. Bouche grande ouverte, respiration forte et saccadée, reprendre son souffle n'a jamais été aussi difficile que lorsque nous sommes en pleine activité physique - certaines sont bien plus agréables sur la longueur que d'autre, et le mot "longueur" est bien choisi. ❝ T'sais que tu m'excites quand tu sues comme ça, on dirait un porc au four. ❞

L’corps suinté. Fraiche du printemps qui caresse ton derme brulant. Palpitant en feux, cœur d’un volcan prêt à l’explosion. Est-ce votre façon de vous motiver ou simplement celle de vous bouffer ? Impossible de vous empêcher, d’jouer, cette compétition éternelle. Ce banc qui arrive, sur votre chemin. Le temps d’un instant reprendre ce souffle perdu. Les mains sur tes hanches, le cœur qui sursaute à chaque respiration. Tu ricanes, un revers de bras sur le haut de ton front trempé. Mes ancêtres se retournent dans leur tombe que j’sois comparé à un porc là. Le pieds relevé contre l’assise du pends, le dos penché, torse collé à ta cuisse. Le lacet presque défait que tu renoues d’une étrange habilité avec tes gros doigts. Un instant où la respiration se coupe. Putain. J’ai cru que la bague était tombée bordel. Les yeux braqués sur le mauvais doigt pendant une seconde. Le corps qui se redresse et ta main relevée à hauteur de visage. C’bon, elle est là. Cette bague de fiançailles.

Ricanement retour qui sort de ma bouche, prolongé par une tact des plus familières. ❝ Tes ancêtres, ils sont arrivés au bon moment en Allemagne mon gars. Une génération au dessus et t'allais pas cuire au four. ❞ L'habituel jeu d'humour noir qui en dérangerait plus d'un mais qui nous amuse toujours. C'est ainsi qu'on s'est lié, c'est ainsi que nous continuerons à vibrer. Le coeur s'arrête subitement à ta remarque alors que déjà je gronde. ❝ Déconne pas sur les bagues stp. ❞ En moins de temps qu'il en faut pour dire "à genoux", tu te relèves et mets à notre niveau ta grosse main d'ours sur laquelle orne cette bague, synonyme de notre officielle union. Mon myocarde s'adoucit soudainement et je glousse de soulagement. ❝ Qu'elle bouge pas, tiens ❞ clame-je avant de saisir ta main, isoler ton doigt entre mes dents et chatouiller le bout comme pour te chauffer avant de te libérer dans un ricanement. ❝ Même ta sueur a goût d'épices, j'kiffe. ❞ Les rires s'effondrent en sourires alors que je te dévisage avec une tendresse sincère. ❝ D'ailleurs... En parlant de bague de fiançailles, t'as pensé à ce à quoi allait ressembler notre mariage ou tu t'es dit que j'allais me charger de tout comme un personnage de film ? ❞

Passants qui s’arrêtent un instant sur les paroles trop noires pour ce monde. Ce rire étouffé quand ton regard dévie celui des papys et mamie choquée pour le restant de leurs quelques jours à endurer. T’es un malade toi. Mine de réflexion quand tu le dévisages un instant. Tu serais mort aussi, t’as les yeux marrons et t’as l’air trop con pour être utile. Au bûcher. Vous n’auriez même pas eu la possibilité de vous trouver pour vieux vous intoxiqué aux gaz mortels dégagés de votre amour improbable. La bague toujours intacte à ton doigt, impossible que tu ne perdes celle-là. Celle de tes parents, leur union massacrée par cette vie malmenée. Bagues qui ont passées leur temps, loin d’une modernité parfaite. Pourtant pour toi, ce sont les plus précieuses de l’univers. Le souffle qui se reprend, vos allures suintantes et aux odeurs à peine masquées de sueurs masculines qui aiment se dissiper dans l’air, faire s’écarter les passants. Non j’ai pas pensé à ça. Pare que ça pourrait être autour d’un kebab dans un cave que ça serait parfait. J’men fou des cérémonies tu l’sais. Revers de la main qui essuis cette goutte menaçante de dégouliner le long de ta tempe. J’me suis mis à genoux, tu t’occupes du reste nan ? C’est ton deal.

Un bruit de désapprobation fait écho de ta gorge alors que tu ravales tes lèvres de déception. ❝ Mouais, tu m'as habitué à mieux niveau réparti mais vas-y. On aurait fait le show comme des cons, t'aurais été l'premier à dire "ça gaze ?" ❞ ricane-je bêtement en nous imaginant dans cette horrible situation. Entre nous, les limites de tout sont floues, la seule chose à laquelle nous ne nous adonnons pas est peut-être une envie réelle de blesser l'autre et c'est en ça que vous arrivons à durer. Notre envie de faire plaisir à l'autre est plus forte, mais si on s'agace un quart du temps. Pourtant, on se cogne l'épaule, on se cherche, on a envie de s'enlacer et gêner le monde autour. Nous évitent-ils car nous sommes bruyants ? Car tu es effrayant ? Non blanc ? Car nous agissons comme deux potentiels voyous prêts à emmerder quelqu'un ? Ou pire, cela se voit-il que nous sommes en relation homosexuelle ? J'aurais presque envie de l'embrasser à langue déployée juste pour entendre s'évanouir la première personne qui priera pour nos âmes ce soir. ❝ J'pensais que t'avais forcément une envie, un truc que t'aurais kiffé mais okay, tu t'en bats la race et j'vais gérer. En vrai, ça tombe bien, Emma en fait son truc des organisations d'évènements d'la sorte et elle rêve d'organiser notre mariage depuis qu'elle est au courant d'nos fiançailles. ❞ Tu soupires dans une sorte de rire avant de redresser la tête en la secouant de gauche à droite. ❝ Elle sera la bridezilla sans être la mariée mais t'inquiète, je la gère. ❞ Elle, elle risquerait de te stresser pour un rien. ❝ Par contre, j'écris pas tes voeux. Tu les prépares et pas un truc où tu dis juste "j'aime ton boule et le kebab et j'vous baise tous" S.T.P. ❞ lui ordonnes-tu dans une fausse colère qui se veut joueuse. Au moins, toi, tu sais déceler quand je joue le jeu, et tu sais répondre en retour ou juste être détendu et faire comme si j'étais un petit chien qui aboie. Il n'y a rien de plus rassurant que d'épouser son meilleur ami. Jamais nous ne nous ennuierons et à jamais je me sentirai en sécurité à tes côtés.

Tu l’sais qu’on te regarde. T’as pas la gueule la plus blanche du pays, et tu l’captes très bien, un p’tit nombre d’américains ne sont pas full fan de ton p’tit teint halé. T’es plutôt monsieur bombe prêt à se sacrifier. L’habitude que les regards soient braqués sur toi, mais maintenant, c’est supplément gay. Tu préfères éviter l’cocktail moustache et chambre à gaze dans l’humour noir, publiquement, au moins. Bouteille d’eau à tes lèvres, quand t’écoutes ses paroles. Billes pointées vers lui, manquant d’t’étouffer à la dernière gorgée. Comment ça elle rêve d’organiser ça ? J’ai dit que j’voulais un truc simple j’te jure que y’a pas intérêt à sortir des paillettes et des trucs super romantiques, moi j’te laisse tout seul sinon. Bouteille refermée, bouche essuyée d’un revers de main. T’es gars simple. Tu serais seul décisionnaire, le mariage finirait dans un kebab, en face de la mer et tu serais largement comblé. Une grimace dans un nouveau soupire de désillusion. Attends mais c’est aussi chiant de se marier ? Et j’dois écrire quoi dans les vœux là ? Crèves pas et j’t’aimerais ? J’trouve que c’est suffisant. Tu ricanes de ce ton.. franchement réel.

Les yeux roulent sans même que je ne m'en rende compte. L'exaspération se fait sentir alors que les accusations pleuvent. Les mots ne sont pas pris personnellement mais je sens de suite que tu te montes la tête bien trop rapidement. ❝ Détends ton string, bois et respire un coup. J'ai bien compris que tu voulais pas d'un truc qui pue le romantisme, c'est bon. J'vais la briefer, elle va faire un truc propre, s'occuper de l'organisation des invit', du personnel à contacter, de l'orga général. ❞ En réalité, je ne demande pas quelque chose de poussé, juste un moment où on se dévoile et où on montre publiquement notre engagement. Une dose d'amour affichée ne nous fera aucun mal, au contraire. Par miracle, le rictus revient vite à tes paroles qui n'ont de cesse de me surprendre encore. ❝ Ouais, ça m'plaît. Juste fais tenir ça sur plus de deux lignes word et on sera bon. ❞ Bref soupir que j'invisibilise aussitôt qu'il s'extirpe de ma bouche avant que je ne reprenne. ❝ J'suis vraiment heureux et choqué que ça nous arrive en vrai et j'avoue que c'est terrain inconnu mais ça m'excite. J'sais qu'toi non mais... J't'ai pas remercié d'avoir fait ce pas pour m'montrer qu'on est à la vie à la mort. Fin, c'était pas là qu'tu l'as plus prouvé mais j'suis putain d'heureux. ❞ Une faille de franchise vulnérable se fend au niveau de mon battant, l'envie de parler vrai pour une fois, découvert et sans peur.