Si j’avais réussi à passer outre la première comédie qu’il m’avait servie, à la force d’un caractère que je m’évertue à contrôler, même si mes nerfs avaient été mis à rude épreuve face à sa théâtralité. J’avoue que les pupilles posées sur cette feuille qui était censée afficher ses résultats, je rumine ma prochaine sentence consciente de combien il peut se foutre de moi. Me prendre pour la conne que je ne suis pas. Je le jure, les envies que j’ai de le tuer, elles me provoquent une lancinante torture.

Alors lorsque je vois passer l’une de mes employées dans l’une des fenêtres qui borde les murs de mon bureau, je hurle afin de la voir débarquer. « Mademoiselle Witter ? » elle demande pour prendre les ordres que je m’apprête à lui donner. « La séance de Xian est terminée ? » Normalement ça devrait être bientôt le cas, mais parce qu’il adore contrer mes plans, je le sais capable de saborder son boulot seulement pour m’emmerder. Preuve en est ce papier sur lequel mes ongles sont en train de pianoter. Et parce qu’elle ne répond pas, je renchéris, au paroxysme de l’énervement, « Allez le chercher ! » comme si ce n’était pas évident.

Tandis qu’elle disparaît après avoir sursauté, je compte les minutes qui s’égrènent jusqu’à ce que sa carrure face son entrée. Accompagné de prime abord, pour que nous ne restions que tous les deux, sans pouvoir m’empêcher de le toiser. Lui et sa stupidité. « Je plaide non coupable. » J’en hausse les sourcils, hoche la tête quand j’articule, « C’est drôle que tu me dises ça. » Parce que coupable, pour le coup, il les deux fois. « J’ai  reçu tes résultats. » et celle avec laquelle il a voulu me berner, aucun doute, elle va être dans tous ses états. D’un mouvement lent, je fais glisser le feuillet le long de la table afin de lui donner. Patientant pour le voir les lire et se décomposer.

La suffisance qu’il affiche ne fait que d’autant plus m’agacer. Augmente mon envie de le blâmer en tant que patronne, et torturer sous couvert de notre semblant d’amitié. Un sourire dissimulé sur son facies, fier de sa connerie, de sa piètre supercherie. Certes, je suis plus jeune que lui, mais je ne peux que le comparer à un gamin lorsqu’il prend place dans le fauteuil en face de moi, après avoir lâché un simple « Ah. » Tu m’en diras tant, mais pour exploser, j’attends.

Il récupère le papier, s’évertue à le lire durant de longues secondes que je ponctue, toujours, comme un métronome, de mes ongles qui heurtent le bois. Et face à son manque de réaction, je n’ai pas de mal à constater qu’il ne sait absolument pas ce que peut signifier le taux d’hormones qui est, chez lui, élevé. « J’suis pas certain de comprendre. » J’en mords ma lèvre inférieure, trahissant mes desseins véhéments. Tandis que lui repose la lettre, et continue sur le chemin de cette mascarade qu’il a tenté de me servir. « Jamais entendu parler mais c’est plutôt bon non ? » Non content de ne s’être jamais plié à mes volontés de le voir se faire dépister, voilà maintenant qu’il annonce que c’est plutôt bon le fait que la pétasse qu’il a choisi soit pleine à craquer. J’en ai des volontés de gerber à m’imaginer celle qui a été assez stupide pour accepter de se faire passer pour lui, plus encore à la visualiser engrossée. Et oui, j’estime que pour être aussi encline à la débilité, ça ne peut qu’être celle qui se positionne en reine de la pureté.

Il me faut toute le contrôle du monde pour ne pas me mettre à hurler, les index sur les tempes, à malaxer des migraines factices qu’il pourrait pourtant bel et bien me filer. « Plutôt bon ?! » je crache plutôt que d’interroger. « Ok, » que je continue, déterminée, « puisque tu veux jouer aux cons, » on va jouer aux cons, « T’es enceint de cinq semaines environ. » et dans ce genre de rôle, je m’y fonds à la perfection, « Félicitations. » vraiment, sur l’échelle de l’idiotie, t’as la pole position.

A la vue de son mutisme, je sombre dans un énervement incontrôlé, un sentiment que je ne parviens absolument pas à maitriser. Elles sont rares les fois où je ne réponds plus, à ce point, de moi. Où j’ai de réelles envies de violence, sans plus aucune once de patience. Et le pire c’est que je le vois qu’il cherche de quoi répliquer, d’avance, je le sais que malgré la clarté des résultats il va essayer de se sortir de ce bourbier qu’il a lui-même crée.

Sur le fauteuil il se redresse, une reprise de contenance, ses prochaines paroles, je les appréhende avec méfiance. « Ça veut dire que…. Je vais bientôt être en congés. » J’ignore même pourquoi, mais j’en ai des envies de l’étrangler. Pas une question de jalousie envers l’idiote, mais parce qu’il trouve ça comique et me considère comme une sotte. Et comme si ce n’était rien, il se repose sur son assise, prend ses aises avant de poursuivre comme si de rien était. « Dis-moi… Dans ce cas, maternité ou paternité ? A combien de jours j’ai le droit ? » C’est spontanément que je me relève, guidée par un accès de colère, débordement émotionnel, clairement pas justifié ou bien intentionnel. Debout, je courbe l'échine, mes mains se plantent sur mon bureau, pas hystérique, mais presque. « Parce que vous comptez le garder ? » Comme si c’était mon rôle de le demander. Comme si j’avais un droit quelconque sur ce putain de bébé. Comme s’il n’allait pas en profiter pour me renvoyer en plein visage ce que j’ai fait en février.

Mes paumes s’en deviennent griffes quand mes ongles éraflent mon bureau, je le sais, que je n’ai pas mon mot à dire, que je suis mal placée pour le, les, juger. Mais je me refuse à le croire aussi con, qu’importe si ce n’est pas à moi de lui faire ces réflexions. Je me donne tous les droits à cause de notre relation. « Et je peux savoir qui c’est ? » La future vache qui se prépare à allaiter. Là encore, j’outrepasse les limites, mais au point où on en est, nous ne sommes plus à ça prés. Après tout, vaut mieux ça plutôt que de céder à mes envies de lui faire ravaler son sourire niais.  

Je débloque, je le sais, en pleine perte de mes moyens, de ce si précieux contrôle que je m’évertue en permanence de conserver. Alors que ça ne me regarde en rien. Mais parce que je l’estime, même si je préfère m’arracher la langue plutôt que de le dire, je n’arrive pas à penser qu’il ait pu être aussi crétin. A vouloir élever un putain de bambin. Et il me tape sur le système nerveux son rire presque malsain. « Je n’vois pas qu’est-ce qui te dérange. » Le délire complet. Dois-je prendre la peine de lui remémorer mon mois de février ? Il faut savoir agir avant de se retrouver bloqués pour dix-huit années. « Ah, oui. Nous deux. » Non, il ne peut pas être sérieux. Je pourrais m’en arracher les cheveux.

A défaut de lui répondre sur cette supposition d’un nous deux, je m’égare et j’ai conscience de m’enfoncer plus encore au moment où je lui demande qui est l’idiote qui va enfler durant neuf mois. Même si je sais d’avance qu’il ne me répondra pas. Que la révélation sera erronée puisque je lui offre sur un plateau, pour me planter le couteau. « Avec un peu de chance tu pourras l’adopter. » Au secours, je vais gerber. « Pour que n’aies jamais à en porter un. » Mes dents si serrées que je les entends de l’intérieur grincer. « C’est ce que tu voulais non ? » Un rictus m’échappe, un soupir qui avorte l’insulte se trouvant au bord de mes lèvres à son intention. De tous les scénarios possibles, dans ce factice contrat évoqué cet été, la pétasse engrossée n’était pas une option.

J’en secoue le visage par la négative, j’en suis même – pour le spectacle qu’il assure – tentée de l’applaudir, et ne dissimule pas le dépit qu’il m’inspire, le dégoût aussi, c’est même peu de le dire. Il y a ma langue qui passe sur mes lèvres, le temps d’une piètre réflexion, bouillante d’énervement et d’envie de dissiper, sur ce qu’il vient de me proposer, le brouillard, cinglante par ; « J’veux pas d’un batard. » Et ça, tu devrais le savoir.

Mais le mot n’a pas l’effet escompté si bien qu’il me renvoie la balle et on en vient dans le vif du sujet épineux. Ces accords sur lesquels, justement, on ne parvient pas à se mettre d’accord. Sur lesquels aucun de nous ne veut rien lâcher. Cette hypothèse qui a germé cet été. L’alliance et la descendance. « Je t’ai déjà dit que je ne ferais jamais dans un gobelet. » Je crois que tu ignores à quel point je sais être patiente, alors que tu es probablement l’un des mieux placés, pour connaître mon caractère acharné. Quand je désire quelqu’un ou quelque chose, rien ne peut m’arrêter. Je ne suis pas de celles qui acceptent d’abandonner, surtout lorsque je suis convaincue des biens faits de mes idées. Puis vraiment ? Glaner que tu ne le feras pas ? Après ton dernier spectacle ? Essaie d’en convaincre une autre, tu te trompes clairement de cible, tu peux même essayer avec celle qui joue en ce moment même les réceptacles.

Seulement il met un terme à mes délires mentaux, à cet énervement que je ne contrôle pas. Mes ressentiments partant à vau-l’eau. « Rassure-toi. Ce n’est pas le mien. » J’en crache un soupir, succinct. Mon soulagement, je n’arrive pas à le cacher, putain. Son regard déviant finalement du mien … Mes humeurs se calmant, par un naturel instinct. « Mais. Notes bien, que je me rapproche du but à chaque fois, » Parce que je sais lire entre les lignes de notre lien étriqué, le but factice auquel il fait référence, il me semble limpide, je crois que je l’entrevois directement, comme une évidence. Et parce qu’il était à mes côtés en février, il sait d’autant plus combien cette idée peut me débecter. Celle d’enfanter, même si je ne ferais pas l’impasse sur mes héritiers, voulant que le nom Witter perdure pour de nombreuses années. Elever la WW.

Pour ma part, j’en fixe mes prunelles sur toi ; Qui de nous deux joue le mieux, Sheng, dis-moi ? « Et je frôle le mien. » Détenir nos avenirs communs entre mes mains. « Faut voir le bon côté. » Comme si bon, le côté pouvait l’être vraiment, je le jure, ces pensées ont un pouvoir urticant. C’est mon corps dans son entièreté qui est brûlant. « On le signerait encore plus vite ce foutu contrat. » Car même si ça me donne l’envie de dégobiller - ou carrément de me flinguer – je sous-entends bel et bien que si ça devait arriver, je n’avorterai pas une seconde fois. Si tant est que l’on partage une nouvelle fois nos draps.