Elle aurait préféré que l’annonce soit discrète, que cela ne se sache pas, ou tout du moins, pas rapidement, digérer la chose, qu’on lui laisse le temps. Mais dans ce monde, le répit n’existe pas, c’est un fait qu’elle a appris, à ses dépens. Cet échec personnel, ce n’est à personne qu’elle en a parlé. Elle n’a pas eu les épaules assez larges, le corps assez fort, le mental inébranlable. Plus une floppée d’autres détails, qui sont, même pour elle, difficilement énonçables. Alors oui, plus ou moins discrètement, elle a abandonné le poste auquel elle s’était engagée. Désireuse de balayer cette histoire, d’un revers de la main et s’essayer à penser aux possibilités que lui offrent ses demains. Mais quand il lui a écrit, elle a simplement eu envie de le retrouver. Naïve à penser que malgré tout, il reste son étrange point d’ancrage.

Le rendez-vous à peine donné, elle s’est redressée, hésitante à enfiler une paire de sandales, bercée par l’envie de revenir à ses habitudes de va-nu-pieds, filant dans le couloir, soucieuse qui ne laisse derrière elle que le bruit feutré du mouvement de sa robe d’été. Assise dans l’un des fauteuils, elle relève les prunelles pour voir sa silhouette se dessiner, c’est instinctif, comme un léger sourire sur ses lèvres, s’esquisse. « Alors... » Les paupières plissées, suspicieuse qui attend la finalité, « Prête à te mouiller? » son regard décline sur les serviettes qu’il tient si bien qu’elle se redresse, ses boucles brunes, elle les envoie sur le côté, d’un mouvement de balancier. « C’est la meilleure proposition que j’ai eue aujourd’hui. » Ou probablement depuis qu’elle est ici.

A la droite de l’étudiant, elle se place, se cale sur son rythme de marche, en essayant de se défaire du tumulte présent au cœur de ses pensées, elle aimerait avoir le pouvoir de les effacer, en un simple claquement de doigts. Que ce soit aussi facile que ça. Les empêcher de tourner en une boucle qui refuse de s’arrêter. « Et t’as eu beaucoup de propositions ? » en abaissant ses paupières, ses lèvres s’arquent en un fin sourire, fuyant son regard pour ne pas le laisser constater qu’elle est amusée. Mais elle n’a pas le temps de répondre qu’ils sont arrivés.

Ils se présentent à l’accueil, tandis que leurs chambres sont demandées. Il s’accoude, sous le regard de la Haiwee. « 37 B » il articule et elle vient le parapher de la sienne, soufflée, « Cinquante-trois. » sans le calculer, peut-être par possessivité, elle appose ses doigts sur son bras, quand ils sont invités à pénétrer dans le spa, tous les deux armés de la clef d’un vestiaire. Encore quelques pas dans un couloir afin d’y parvenir. Elle abaisse la poignée de la porte qui lui est destinée, celle de Sheng se trouvant à côté et s’aventure à souffler avant de disparaître de l’autre côté, « Des milliers. » de propositions, s’entend, le corps contre le bois, en souriant. Elle retire sa robe, la délaisse sur le crochet, ses chaussures et son téléphone… Pour ressortir  en sous-vêtements, quand lui aussi le fait. « J’ai oublié… » son maillot de bain, mais ca fera l'affaire, tout aussi bien. Cependant pour récupérer l’une des serviettes, sans rien ajouter, elle lui tend la main.

De son regard sur le hâlé de sa peau, dégorgeant de soleil, elle éprouve la brûlure, elle tente de ne pas lui montrer combien ça peut encore – toujours – la faire chavirer. Le silence qui les étreint quelques secondes a le don de laisser à son cœur le droit de s’emballer. Sa faiblesse traduite par sa respiration, un brin, coupée. Cette paume, elle la tend que pour lui permettre de se reprendre, de ne pas égarer sa piètre contenance. Au bazar qui se joue dans ses pensées, ne pas rajouter le fait qu’elle a envie de se blottir contre lui depuis qu’elle l’a vu arriver. Naïve que d’avoir besoin de ses bras pour se rassurer, comme s’il était présent afin de la protéger.

Et même s’il accède à sa requête de manière taciturne, dépliant le pelucheux de la serviette pour qu’elle puisse se couvrir, il s’amuse à lui notifier, « A moi, ça ne me dérange pas » c’est à demi, qu’elle en sourit. Entourant ses formes du tissu, elle aussi s’attarde sur la contemplation de sa peau nue, plus que ce qu’elle ne l’aurait voulu. Détournant son regard durant la continuité de leur marche, elle observe les différentes options qui s’offrent à eux, en un contact sur son bras réitéré, un acte manqué. Un automatisme qu’elle aurait aimé perdre en mai dernier ; Elle l’invite à aller se prélasser, dans celui qu’elle n’a jamais essayé, « Hammam ? » que la température élevée la plonge dans une torpeur, qu’elle vienne éradiquer ses faiblesses, regrets et erreurs. Parce qu’il ne dit rien pour la contredire, elle pousse la porte, accueille sur son derme derechef, la chaleur. Mais plus encore, c’est la mosaïque qui gagne son intérêt, régulière, de motifs ethniques mordorés que son index va souligner. Une Haiwee fascinée, avant de glisser sur le désigné rebord. Les paupières fermées quand elle repose sa tête sur le carrelage, elle en oublierait son naufrage. Elle se risque à un murmure, dans cette position, « T’avais raison. » pour expliquer qu’elle n’avait pas ce qu’il fallait pour en garder la direction.

Elle ne bouge pas, parce qu’elle éprouve le fait que si elle essayait, elle ne pourrait s’empêcher de remarquer combien par cette histoire, elle est écorchée. Douloureuse jusque dans son âme d’avoir échoué. Bien sûr, elle apprendra, de ses erreurs et elle ne recommencera pas. Si elle réitère, ce sera mieux, qu’elle fera. Même si pour le moment elle est amère, qu’elle se sent à l’envers… « Non, je ne suis pas d’accord. » D’un bref soupir fatigué, elle rouvre les yeux, cherchant son regard dans la fumée qu’il s’essaie, de la paume, à dissiper. Elle aurait dû s’en douter ; Elle a beau lui donner raison, Sheng saura toujours contrecarrer ses pensées. « Tu n’es pas tombée dans la bonne équipe, c’est tout. » Les lèvres de l’amérindienne s’arquent avec une déception qu’elle ne sait pas cacher. Entière dans ses réactions, l’honnêteté, même lorsqu’elle cherche à se dissimuler, gagne toujours sur son expression. Pas dans la bonne équipe, peut-être, oui, qu’est-ce qu’elle en sait. Il ne reste que l’évidence, elle a abandonné. « Mais un leader n’est-il pas censé…, » résister ? Tenir bon ? Peu importe les gens qui doivent naviguer à ses côtés ? « réussir à mener n’importe quelle équipe ? » Etre forte, faire face, avoir les épaules, oui c’est ce qu’elle aurait voulu, à défaut de n’être que cette petite fille perdue. Elle désirait faire ses preuves, ne plus être dépassée. Faire comme si elle avait toujours vécu dans cette société.
Puis elle ramène ses jambes à elle, pose sa bouche contre ses genoux, difficilement recouverts par la serviette, articulant avec peine, les mots étouffés. « Jvoulaistemontrer… » qu’elle était assez. Qu’elle possédait le courage, la volonté, qu’elle pouvait briller, malgré le fait qu’elle ne fasse pas partie de ceux qui sont bien nés.

Si elle se perdait dans la contemplation du vide, quand sa voix résonne à nouveau, c’est vers lui qu’elle relève les yeux, inconscient bourreau ; « A moi ? » A qui d’autre elle pourrait vouloir prouver quoi que ce soit ? Qu’importe ce qu’elle peut en dire, la manière dont elle essaie de se convaincre, il est celui qui compte le plus, et elle l’éprouve dans la moindre particule de son être. Il est partout, dans ses faits, dans ses gestes. Mais à la vue de la surprise qui a teinté son interrogation, elle ne peut que se sentir bête. Ne rien répondre sous peine d'être acculé par sa naïveté. Un éternel refrain, qui lui procure autant de mal que de bien.

Il change de posture, d’entre les volutes de fumée, elle incline le visage, afin de mieux l’observer, déchiffrer ce qu’ils pourraient bien lui dire, ses traits. Seulement ce sont les nuages qu’il s’essaie à chasser, alors pour la lecture, Haiwee se fait patiente, écoute ses paroles, malgré tout fuyante, « Puis… Conduire une équipe et faire du babysitting, c’est différent. » Il le sait bien il la connaît assez, pour savoir que la Haiwee, n’ira pas jusqu’à les critiquer. Ils sont ce qu’ils sont, et elle aurait dû s’adapter. C’est d’une main de maitre qu’elle aurait dû les mener. « Tu es la fille d’un chef de tribu. Tu l’es... capable » Alors elle est amère quand elle déglutit, pousse une inspiration, quasiment agacée d’être aigrie. « J’étais. » elle était fille de chef de clan, elle était promise à l'héritier, des hommes et une histoire à faire perdurer, elle avait un destin tout tracé, un avenir bien déterminé, une lignée à engendrer. Mais à présent, tout est différent. Maintenant, elle l’a oubliée, qui elle est vraiment, comme si elle se cherchait perpétuellement.

Et quand les vapeurs s’amenuisent, si bien qu’elle parvient enfin à décoder l'expression de son visage correctement, une esquisse de sourire lui échappant. « Tu n’aimes pas ça. » Pas le fait qu’elle ne soit plus présidente, mais qu’elle ait choisi de venir embuer vos esprits, ici. Et malgré ce qu’elle compte lui proposer, elle se relève pour, de lui, s’approcher. « On peut sortir si tu veux. » Tant qu’elle profite de ta présence encore un peu.