Jeudi 7 Juillet. 06:48 pm.

Le Summer Camp ne se déroulait pas vraiment comme je le pensais. Ces vacances ne se passaient vraiment pas de la manière dont elles s’étaient dessinées dans ma tête. Loin des contraintes du travail et du quotidien, je m’étais mis à imaginer des vacances paradisiaques en compagnie de mon amoureux. Je m’étais mis à dessiner au loin tant d’instants que nous pourrions partager juste lui et moi fermés dans une bulle délicieuse comme cela nous arrivait à chaque fois que nous quittions Boston. J’avais follement envie de profiter des vacances en compagnie de mon mari. Un mari qui saurait me garder sage et dans ma case tout en profitant pourtant de la vie et de ces semaines à venir. Un mari qui saurait m’aider à m’amuser en toute sécurité. Le programme qui s’était dessiné dans ma tête était foutrement alléchant. Des heures de repos à se prélasser l’un contre l’autre sans se soucier des aiguilles tournant sur l’horloge. Des heures de découverte d’un endroit où nous n’étions jamais allés. Des heures à se créer des souvenirs uniques avec des milliers de photos et de vidéos que nous pourrions conserver pour toujours et partager avec Aurore. Des souvenirs essentiels pour moi qui avait tendance à en perdre certains depuis des mois. Malgré l’arrêt des folies, l’arrêt du traitement et une surveillance médicale, les oublis étaient là. Parfois violents, parfois légers. Parfois courts, parfois longs. C’était bien trop instable. C’était bien trop incompréhensible. Alors, j’avais envie de garder des traces de chaque instant. Ouais, je m’imaginais ce Summer Camp empli d’aventures et de passions. Des heures entières à s’amuser comme des gamins. Des heures entières à s’abandonner l’un à l’autre. Juste nous deux. Neakas dans une bulle. Sur le papier, les vacances semblaient être parfaites. Néanmoins, la réalité était autre. La réalité ne correspondait pas à ce joli dessin qui s’était peint à l’intérieur de mon esprit. La réalité ne correspondait guère aux fous espoirs et aux douces illusions qui s’étaient dessinées dans mes pensées. Mon mari n’avait pas su lâcher prise pendant ces vacances. Il avait décidé de s’impliquer dans une compétition et de faire partie d’une équipe. Non… Il était même allé encore plus loin en décidant d’être le chef d’une équipe. Et tout ça, ça changeait la donne. Depuis le début du Summer Camp, Mio Amore courrait un peu trop dans tous les sens. Passer du temps avec moi, passer du temps avec son équipe, représenter son équipe, participer à des épreuves… La course était folle. Le repos n’était pas réellement présent. Et la bulle Neakas était bien trop éclatée. Parfois, elle s’envolait dans les airs pour quelques heures. Néanmoins, ces vacances ne seraient pas une bulle Neakas totalement intacte et éloignée du monde. Et, putain, je ne pouvais rien dire. Je voyais à quel point Mio Amore était heureux de s’occuper d’une équipe pendant ces vacances. Il aimait ça. Il aimait s’investir dans une aventure et faire quelque chose d’utile même pendant des vacances. Il prenait du plaisir à vivre cette histoire. Alors, je le laissais faire et j’acceptais tous ces longs moments où il disparaissait. Ces longs moments où je me retrouvais seul au final. Moi le gamin qui s’était bien trop renfermé sur lui au point de ne plus savoir où aller quand il était seul et sans travail à faire. Moi le gosse qui n’osait pas trop quitter la chambre de peur des conneries qui pourraient en découler. Alors, lorsque mon mari n’était pas présent, je restais sagement dans la chambre posé sur le lit. Je restais en place avec mes pensées qui tourbillonnaient et mes envies qui pulsaient. Je restais dans ma cage invisible malgré la voix qui poussait dans la tête. Cette voix qui allait finir par gagner. J’allais finir par craquer. C’était sûr et certain. J’étais trop loin de la maison et des règles si bien établies là-bas avec notre routine. J’étais trop loin de mon mari par moment. Alors, l’envie de tout foutre en l’air cognait. Je voulais vivre pleinement ce Summer Camp sans m’imposer les barreaux de la cage. J’avais envie de vivre pleinement avant de replonger dans ma routine quotidienne derrière mes barreaux imposées. Ouais, je voulais ça. Et, ça risquait bien d’arriver.

Mais, pas tout de suite. Non. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je venais de passer une agréable journée en compagnie de l’homme que j’aimais. Aujourd’hui, notre bulle Neakas s’était envolée dans les airs loin des autres et loin du monde. Nous avions juste profité de cette journée ensemble pour visiter la ville. Juste Lukas et Neal. Simplement Neakas. Perdus dans notre monde délicieux. Amoureux qui s’aimaient si fort. Gamins qui s’amusaient un peu trop. Cette journée avait fait du bien à la tête et à l’être. Elle avait su donner un peu d’espoir. L’espoir de continuer à passer des vacances sans faire de bêtises. L’espoir de tenir le coup même lorsque le mari n’était pas le paysage. Ouais, un espoir sans doute un peu fou. Mais, un espoir qui était présent aujourd’hui. La journée avait été foutrement agréable. J’aimais chaque seconde que je passais avec mon amoureux. J’appréciais chaque moment que je partageais avec lui. Encore plus lorsque nous étions éloignés de notre chez nous et que l’aventure prenait place dans notre vie. Les souvenirs étaient uniques. Les moments étaient exaltants. Et, après cette folle journée, j’étais heureux. J’étais bien. La voix dans la tête s’était éteinte. Je me sentais heureux d’être venait à ce Summer Camp et je me plaisais à penser que tous les jours pouvaient être aussi bons. La descente serait douloureuse sans doute. Ça ferait mal lorsque mon amoureux devrait me laisser à l’arrière pour remplir ses engagements. Néanmoins, je ne voulais pas y penser. Pas maintenant. Pas tout de suite. La journée de visite se terminait, mais la soirée ne faisait que commencer. Je rêvais d’un délicieux dîner avant de passer une nuit folle avec mon mari. Ouais, j’avais envie de manger et de faire l’amour avec l’homme que j’aimais. Le programme semblait parfait ainsi. Cependant, avant de pouvoir faire quoi que ce soit, une douche était nécessaire. Il avait fait trop chaud aujourd’hui. Nous avions bien trop marché. Tandis que Mio Amore s’échouait sur le lit entraînant mon rire, je me faufilais dans la salle de bain pour me glisser sous une douche très rapide avant d’enfiler d’autres vêtements. Je retirais mes vêtements rapidement jetant un regard derrière moi. Je m’attendais à ce que mon mari me rejoigne. Je m’attendais à ce qu’il vienne profiter de cet instant. J’allumais l’eau de la douche et il n’était toujours pas là. Rien. Personne. Haussant les épaules et pensant qu’il s’était peut-être écroulé de fatigue, je me glissais sous le jet d’eau fermant les yeux et soupirant de bien-être au contact de l’eau. Ça faisait foutrement du bien. Ça aurait été encore mieux avec mon amoureux avec moi, mais il ne débarquait pas. La douche était extrêmement rapide. Quelques minutes à peine. Gamin anxieux d’être seul. Gosse qui voulait se dépêcher pour profiter réellement de ce moment Neakas. L’eau coupée, j’attrapais une serviette en me glissant hors de la douche et je commençais à m’essuyer avec lenteur. Mes iris sombres rencontraient mon reflet dans le miroir. Et, soudainement, la douleur était là. Dans la tête. Dans le genou. Dans le cœur. Dans l’être. Je n’en savais rien. Je ne parvenais plus à situer. La vague me renversait. Elle me transperçait comme une lame. Je me pliais en deux sous la douleur qui faisait rage m’appuyant contre le lavabo pour ne pas m’échouer au sol. Ça ne durait que quelques secondes à peine… Peut-être une minute. Aussi vite qu’elle était venu, la douleur s’effaçait. Elle me laissait là un peu trop perdu. Elle me laissait là le cerveau en vrac. Le surnom résonnait soudainement derrière moi me poussant à me retourner comme si c’était moi qu’on appelait. Est-ce que c’était bien moi ? F*ck it. Je ne savais plus. Les sourcils froncés, j’observais l’homme qui s’approchait de moi. Silhouette connue, image ancrée quelque part. Je savais que je le connaissais. Je n’étais pas tendu. Je n’avais pas peur. Il déposait sa main sur mes hanches posant une interrogation sur mon état qui sonnait presque comme une affirmation. La panique montait dans l’être. Je m’éloignais soudainement du contact et du garçon. Je ramassais ma serviette rapidement manquant de tomber. L’enroulant autour de ma taille, je reculais pour mettre de la distance en marmonnant « Je… Je… Ce… Ma… Oh bordel… » Les mots ne venaient pas. Ils étaient là quelque part, mais ils ne franchissaient pas mes lèvres. Je ne les trouvais pas. Une de mes jambes s’agitaient sous le stress. Mes iris se fermaient. Une de mes mains tenaient fermement la serviette tandis que l’autre tapotait ma tempe comme si ça pouvait aider. Les aiguilles de l’horloge tournaient lentement. Le cœur cognait férocement. Mes iris sombres s’ouvraient de nouveau soudainement pour se reposer sur le garçon. Lukas. Mio Amore. Mon mari. Ça me revenait. Je savais qui il était. Soufflant un « Désolé Amore… », je me laissais lentement glisser au sol encore trop perdu. Et, je tentais de répondre aux questions simples qu’on me posait parfois. Mon prénom ? Je n’en savais rien. Où je me trouvais ? Je n’en étais pas certain. Le jour ? Je n’en avais pas la moindre idée. La seule chose qui semblait être revenue pour le moment était que l’homme qui se trouvait là était mon mari, mon Lukas. C’était le seul souvenir dont j’étais certain pour le moment.

Les vacances se révélaient être un peu trop catastrophiques avec cette solitude prenante due à l’absence de mon mari. Un mari qui était beaucoup occupé avec son équipe et sa compétition. Un mari que je voyais courir partout au point de s’en épuiser. Un mari qui ne semblait pas si malheureux de cette réalité. Ça semblait même lui plaire d’avoir un but, un objectif même durant ces vacances. Ça semblait lui plaire de ne pas rester à rien faire pendant deux mois. Il semblait heureux de rencontrer de nouvelles personnes et de passer du temps à participer à de folles épreuves. Alors, je ne disais rien. Je ne lui reprochais rien. Je laissais couler même si les vacances étaient loin d’être aussi idylliques et magiques que je l’avais imaginé en m’y projetant des semaines plus tôt. Je le laissais faire parce que j’aimais tant le voir rentrer avec le sourire aux lèvres prêt à me conter les aventures de sa journée. Je me plaisais à écouter sa voix qui me racontait à quel point il pouvait rire et s’amuser avec ces autres. J’écoutais toujours sagement le récit et ça chassait au loin les nuages qui planaient au-dessus de moi. Ces nuages qui s’installaient lorsque Mio Amore n’était pas à mes côtés. Ces nuages qui ne cessaient de s’intensifier au fil des jours. Je ne l’avouais pas. Je n’avais pas envie d’être le point noir de ces vacances. Je n’avais pas envie de foutre en l’air les projets de mon mari. Je ne voulais pas l’obliger à être à mes côtés constamment. Gamin qui n’avait aucune envie de gâcher les vacances de l’homme aimé. Gosse qui était certain de pouvoir faire avec. Après tout, il était totalement normal de ne pas être collés tout le temps ensemble. Ce n’était pas ainsi que les couples – même mariés – fonctionnaient. Ce n’était pas de cette manière que le monde tournait. Mio Amore avait le droit d’avoir sa vie à l’extérieur même pendant les vacances. Il pouvait – et peut-être même qu’il devait – profiter de temps libre sans moi. Et moi… Moi j’avais ces droits aussi. Je le savais. Mio Amore ne m’empêchait pas de faire des activités ou d’aller voir du monde. Cependant, je me l’interdisais parce que je me connaissais. Je savais à quel point la possibilité de déraper était trop présente dans mon existence. Je savais à quel point je pouvais, à tout moment, sombrer là où il ne fallait pas. Alors, je préférais me renfermer dans cette cage parce que je refusais de déroger à mon mariage. Je ne voulais pas commettre de trahison. Je ne voulais pas tromper l’homme que j’aimais. Je ne voulais pas faire de conneries interdites. La solitude était donc préférable pour ne pas sombrer dans les méandres de l’Enfer. Cependant, elle était aussi destructrice. Elle était beaucoup trop fatale. Heureusement pour moi, même si la bulle Neakas ne pouvait pas être constante pendant les vacances, elle existait. Il y avait des jours, comme aujourd’hui, où cette bulle prenait le dessus sur tout le reste. Cette journée s’achevait après avoir été une journée entièrement Neakas. Nous avions visité les alentours comme deux amoureux qui profitaient pleinement d’un voyage. Nous nous étions amusés comme ces deux gamins que nous étions bien trop souvent l’un avec l’autre. Nous nous étions perdus dans notre monde à s’aimer à la folie, à rire sans hésitation, à profiter de cet instant qui n’était pas éternel. Aujourd’hui, ça avait été juste lui et moi. Simplement nous. Et, bordel, la journée avait été si délicieuse. Ça avait redonné de l’espoir. Ça avait chassé la totalité des nuages. Ça avait redonné du baume au cœur. Ça avait juste fait tellement de bien. La soirée s’annonçait tout aussi exquise alors que nous rentrions à notre chambre. Après une rapide douche, ce serait l’heure du dîner, d’une douce soirée et d’une folle nuit. Le programme sonnait si bien. Tout s’annonçait à la perfection. Je riais en voyant mon mari s’échouer sur le lit à peine rentré. Je riais bien trop heureux de l’avoir à mes côtés. Et, me faufilant dans la salle de bain, je rêvais déjà de la suite de notre programme. J’imaginais déjà comment les choses allaient tourner et le sourire ne me quittait pas. Je me glissais sous l’eau de la douche fronçant un instant les sourcils parce que j’étais seul. L’inquiétude ne restait pas. Elle s’effaçait bien vite tandis que j’étais persuadé que Mio Amore s’était assoupi sur le lit. Sourire aux lèvres, je m’imaginais déjà aller le tirer du sommeil agréablement. J’étais tellement pressé de donner vie à cette imaginaire que je coupais l’eau de la douche attrapant rapidement la serviette pour m’essuyer à la va-vite. Mon regard croisait mon reflet. Et l’Enfer reprenait le dessus. Soudain. Imprévisible. Désastreux.

Putain. Ce n’était pas censé se produire aujourd’hui. Les oublis… Les pertes de mémoire… Les pertes de moi-même… Les chutes dans l’inconnu… Je ne savais pas exactement comment nommer ces instants qui se produisaient de temps à autre. Ils arrivaient plus fréquemment lorsque l’angoisse cognait dans mon être et que le manque de sommeil était élevé. Ils s’invitaient plus réellement lorsque je commettais des faux pas et que je voulais les noyer. Et, parfois, ils débarquaient sans raison et sans prévention juste dans le but de venir foutre mon Paradis en l’air. Ce soir, il y avait de la fatigue c’était certain, mais il n’y avait aucune autre raison de me pousser à sombrer comme ça. Ce soir, il n’y avait aucune raison pour que je flanche de cette manière. Pourtant, cela arrivait sans que je ne puisse l’en empêcher. Ça arrivait sans que je ne puisse le contrôler. La douleur me transperçait tandis que j’étais incapable de la situer. Elle était partout et nulle part à la fois. Elle venait soudainement comme une lame de couteau qui me transperçait et elle repartait aussi sec. Il ne restait plus de douleur. Il ne restait plus qu’un gamin dont la chute était certaine. Le cerveau en vrac, je peinais à replacer les choses. Je peinais à remettre de l’ordre. Le surnom se faisait entendre derrière moi. Est-ce que j’avais hurlé au point d’alerter quelqu’un ou bien n’était-ce que le planning du destin pour me foutre encore plus bas ? J’avais l’impression que le surnom me correspondait, mais, en même temps, je ne pouvais plus en être certain. La silhouette approchait sans déclencher la moindre peur en mon être. L’homme m’approchait et je n’avais pas peur parce que, quelque part, je savais que je le connaissais. La main se posait sur ma hanche avant que l’affirmation ne tombe. Et, quand bien même la sécurité semblait être présente, je m’éloignais du contact effectuant des gestes simples que je pouvais maîtriser. Je ramassais la serviette pour l’enrouler autour de ma taille avant de mettre de la distance entre l’homme et moi. Je marmonnais des mots sans sens comme perdu dans un mélange de mots que je ne parvenais pas à saisir. Gamin balancé dans une marmite sans pouvoir rien saisir. Gosse qui avait les mots sans les avoir réellement. La jambe bougeait sous le stress que je ne savais pas masquer. Cette situation me déplaisait. J’étais trop faible. J’étais trop pitoyable. J’étais bien trop vulnérable. Mes iris sombres se fermaient comme si j’avais l’espoir que cela pourrait m’aider alors que l’une de mes mains venaient tapoter ma tempe comme pour m’aider à mettre du clair dans mon crâne. Le cœur cognait trop vite. Les souvenirs revenaient lentement. Les yeux s’ouvraient et les excuses glissaient aussitôt. Je m’excusais auprès de l’homme qui se trouvait là. Je m’excusais auprès de mon mari qui s’approchait pour me soutenir pendant que je me laissais glisser au sol. Je déglutissais difficilement. Je sentais la culpabilité tordre mon ventre sans comprendre d’où elle venait ou pourquoi elle s’était invitée comme ça. Est-ce que j’étais en train de gâcher quelque chose ? Est-ce que je foutais en l’air un truc ? Les sourcils froncés, je ne parvenais pas à répondre à ces interrogations. Je sentais la main de mon amoureux glisser sur moi puis dans ma main. Je tendais le bras pour attraper le verre d’eau qu’il me tendait. Je le portais aussitôt à mes lèvres et les questions s’enchaînaient. Les mêmes à chaque noyade. Mon prénom, je n’en savais rien. L’endroit et le jour, je n’étais pas certain. Le silence s’invitait un bref instant avant que mon amoureux ne souffle des mots en Italien. C’était rassurant. C’était agréable. Ça faisait du bien dans l’être ça. Ça faisait du bien dans la tête. Hochant doucement la tête, je l’observais s’installer face à moi et m’aider dans cet instant. Sa main libre venait chercher ma main libre pour la poser sur son genou et m’ancrer totalement dans le moment présent. Gosse qui ne devait pas se perdre dans sa tête. Gamin qui devait rester concentré sur le présent. Mio Amore inspirait profondément et, les yeux plantés dans les siens, je faisais de même. Je me calais sur sa respiration pour continuer à penser à respirer. Je le copiais pour tenter de détendre l’être. Finalement, les questions tombaient et j’haussais doucement les épaules un peu trop incapable. Ma langue glissait sur mes lèvres sèches. Je portais de nouveau le verre d’eau à mes lèvres prenant le temps de vider la totalité de son contenu avant de relever les yeux sur Mio Amore pour lui répondre « Je… J’sais que… Tu es Lukas, Mio Amore, Mio Marito… Je… On… On est en… En vacances je crois… L’été… Je… J’sais pas où… J’sais pas depuis combien de temps… Mais tu... T'es... Tu diriges une équipe ici... » Déposant le verre sur le sol, je venais glisser ma main libre dans mes cheveux avant de venir tapoter ma tempe de nouveau comme pour débloquer les choses. Le soupir m’échappait avant que je ne continue « Je… On était ensemble… Aujourd’hui… Toute la journée… Mais je… J’étais tout seul sous la douche… » Les mots glissaient hésitations. Ils sonnaient presque comme des interrogations à chaque fois. Les prunelles se baissaient et je murmurais « Je… J’mal à la tête… Un peu… Pas beaucoup… Et je… Sinon ça va j’crois… » Ouais, je croyais. Je n’étais pas certain de la réalité. Je n’étais pas certain de mon état. Relevant le regard sur mon mari, je reprenais « Je… Suis désolé… Je… C’était une bonne journée il me semble… Juste toi et moi… Une journée à nous et je… J’viens de tout gâcher la suite non ? » L’incertitude était présente, mais la culpabilité était là et je devais la laisser s’exprimer. Caressant doucement le genou de Mio Amore, je restais silencieux à présent et je tentais de respirer de nouveau calmement en suivant le rythme de mon mari. L’angoisse était bien trop proche. La chute pouvait revenir. Il ne fallait pas. Je ne le supporterais pas.

Fichu cerveau en vrac. Foutue existence en morceaux. Je haïssais ces pertes de mémoire qui s’invitaient de plus en plus au sein de ma vie. Malgré tous mes efforts pour tenter de les réduire, malgré mon suivi de toutes les recommandations pour qu’elles s’estompent, elles demeuraient présentes. Elles s’intensifiaient même par moment. Elles me heurtaient. Physiquement. Elles me blessaient. Mentalement. Et, putain, dans le fond, je savais qu’elles faisaient mal aussi à l’homme que j’aimais puisqu’il était l’un des seuls à être réellement témoin des moments où cette mémoire flanchait. Ce n’était sans doute pas agréable de se retrouver face à moi et de se demander si on se trouvait encore dans mes souvenirs. Ce n’était sans doute pas agréable d’être là à s’interroger sur ce qui pouvait manquer au puzzle de ma tête. Il y avait tout de même un point légèrement positif dans cette histoire. Heureusement pour moi, pour nous, mes oublis n’étaient pas aussi violents que ma grosse perte de mémoire après l’attaque du Lord Hobo. Cette perte au cours de laquelle des années entières de mon existence m’avaient été arrachées. Cette perte qui avait été foutrement difficile à vivre. Au jour d’aujourd’hui, les pertes de mémoire étaient certes toujours aussi douloureuses et embêtantes. Néanmoins, elles n’étaient plus aussi imposantes. J’oubliais des moments. J’oubliais des informations à droite et à gauche. Je me sentais parfois perdus le temps que la connexion se fasse de nouveau. Néanmoins, je ne perdais plus des années de souvenirs. Ce n’était jamais autant. Ce n’était jamais aussi impactant. Ce soir, après une sublime journée, la vie semblait décider que c’était le bon moment pour me foutre en l’air. Nous foutre en l’air. Mio Amore et moi. Ce soir, alors que je sortais de cette douche, ça me frappait. Vivement. Douloureusement. Réellement. Et, putain, c’était assez logique en soi. La fatigue de cette journée devait peser sur la tête alors que j’avais pris l’habitude de ne rien faire la plupart du temps. Gamin fermé dans la chambre qui préférait la solitude au dérapage. Gosse qui n’osait pas aller profiter des vacances de peur de rompre la promesse de fidélité du mariage. J’avais passé la journée avec mon amoureux. Une journée mouvementée. Une journée fatigante. Une journée au cours de laquelle j’avais mis ma tête sur pause. Les pensées douloureuses n’avaient pas eu le droit de s’inviter. La noirceur n’avait pas pris le pas sur le reste. Aussi, ce soir, elle débarquait. Le coup de fouet de la vie. Le coup de massue du destin. L’horreur prenait place alors que j’étais seul dans cette salle de bain. Ça arrivait soudainement et je subissais sans pouvoir prévoir. La douleur s’invitait dans tout mon être et, si je n’avais pas été habitué à pire avec la Mafia, nulle doute que j’aurai sans doute hurlé tant ça faisait mal. Elle repartait aussi vite qu’elle était arrivée, mais le cerveau lui restait en vrac. Les souvenirs ne s’imbriquaient plus correctement. La bouillie de la mémoire était là. Je me détestais soudainement encore plus lorsque l’amoureux pénétrait dans la salle de bain. Les sourcils se fronçaient dans un premier temps tandis que j’étais un peu trop incertain. Je me sentais suffisamment en sécurité pour ne pas partir en courant. Mais, je me sentais encore trop perdu pour accepter de faire confiance. Je m’éloignais du contact ramassant la serviette pour m’enrouler dedans et masquer ma nudité. Moi le gamin un peu trop vulnérable. Moi le gosse un peu trop pitoyable. Ma jambe s’agitait sous le stress qui s’emparait de moi. Il fallait que je me souvienne. Il fallait que tout se remette en place. Maintenant. Je n’étais pas seul. Il fallait que ça revienne. Tapotant ma tête, je fermais les yeux pour tenter de parvenir à me repérer dans la marre de souvenirs. Il fallait que je parvienne à nager. Il fallait que je revienne à la surface. Les secondes s’écoulaient. Et, lentement, ça se mettait doucement en place tandis que la culpabilité s’intensifiait. Une culpabilité qui me poussait à m’excuser avant de me laisser tomber au sol pour boire le verre d’eau offert par le mari. Et, comme toujours, les mêmes interrogations revenaient. Après chaque oubli, c’était toujours les mêmes questions comme pour savoir où nous nous situions sur l’échelle de l’oubli. Mio Amore se plaçait face à moi et je me concentrais sur son contact. Je me calais sur sa respiration avant de lancer mes souvenirs. Je visais parfaitement juste d’ailleurs. Mon amoureux ne tardait pas à confirmer mes dires. Le lieu changeait souvent, mais aujourd’hui oui ça avait été tous les deux à visiter Louxor. Lui s’était allongé sur le lit en rentrant et il s’était assoupi pendant que je me trouvais sous la douche. Hochant doucement la tête, j’acceptais cette réalité et je restais juste silencieux. Les souvenirs étaient là. Les souvenirs étaient bons. Et, pourtant, je me sentais encore un peu trop bancal dans cette réalité.

Comment je me sentais ? C’était aussi la grande question après ces vagues d’oubli. Je ne savais jamais réellement comment répondre à cette interrogation. Je ne parvenais pas à mettre des mots corrects sur mon état. Comment expliquer cette culpabilité qui me bouffait les entrailles ? Comment expliquer cette douleur qui me tailladait tout l’être quelques secondes avant de s’évanouir et de me laisser comme mort derrière ? Comment expliquer cette souffrance de subir ces pertes alors que je faisais tout bien pour qu’elles disparaissent ? Je ne trouvais jamais les mots. Je ne savais jamais comment exprimer ces réalité. Alors, je me contentais d’exprimer des choses plus simples. Je me contentais de souffler des douleurs plus claires. Comme ce soir. Ce soir, j’avouais avoir mal à la tête et c’était la vérité. Il y avait comme un marteau tapotant à l’intérieur de mon crâne. C’était supportable, mais ça demeurait douloureux. J’avouais cette faiblesse avant de dire qu’elle était la seule. Que j’allais bien sinon. Enfin… Je ne le disais pas réellement de cette manière. Mes mots étaient plus hésitants. Mon incertitude était plus grande. Je n’étais pas certain d’aller réellement bien. Après tout, si j’allais absolument bien, je ne subirai pas ces événements non ? Mio Amore captait mon attention lorsqu’il prenait de nouveau la parole pour me proposer d’aller sur le lit dès que je me sentirais prêt. J’hochais simplement la tête en toute réponse pour lui signifier mon accord pour ce programme. Dès que je m’en sentirais capable, je viendrais lui confier pour quitter le sol de la salle de bain. Je ne le soufflais pas maintenant. Je n’étais pas prêt. Je n’avais pas envie de quitter le sol sur lequel j’étais installé. Il était froid. Il était stable. Il était réel. Et, à l’instant, c’était ce dont j’avais besoin pour rester ancré au sein de la réalité. Le contact de mon mari m’aidait aussi à rester présent dans le moment. Je sentais le bout de ses doigts qui caressaient mon visage. Je sentais le doux contact qui m’empêchait de m’enfoncer de nouveau dans les méandres douloureux. Je sentais l’agréable sensation qui me permettait de rester dans le moment présent face à l’homme que j’aimais. Cet homme que je me mettais à fixer avant de m’excuser. Gamin désolé de faire subir ça une nouvelle fois. Gosse désolé de venir gâcher une bonne journée. Au lieu de s’en prendre à moi et d’augmenter la culpabilité de l’être, mon mari tentait juste de me rassurer. Les mots qu’il soufflait étaient là pour ça. Les propos qu’il lançait étaient là pour tenter d’apaiser cette vague qui voulait me submerger. Et j’aurai aimé que ce soit aussi simple. J’aurai aimé que ça suffise à enterrer cette négativité que je ressentais. Malheureusement ça ne l’était pas et je ne parvenais pas à la chasser. Je ne parvenais pas à effacer cette ombre noire du tableau. Alors, je restais juste silencieux bien trop incapable de parvenir à répondre. Je restais silencieux alors que les pensées chahutaient dans ma tête. Je gardais la bouche close et je restais ancré dans le présent grâce à ces doigts qui remontaient le long de mon bras. Le contact était apaisant. Le contact était agréable. C’était sans doute la seule chose qui m’empêchait de perdre de pied de nouveau. Mio Amore posait soudainement une question et je m’empressais de secouer négativement la tête. Non. Je n’étais pas encore prêt à me lever. Je n’étais clairement pas prêt à bouger. Je n’avais pas envie de quitter le sol pour rejoindre le lit. Je ne voulais pas. Pas encore. Ma respiration s’emballait un instant sous la panique qui s’insufflait dans mon corps. Mais, bien vite, je parvenais à en reprendre le contrôle en fixant l’homme que j’aimais. Cet homme qui faisait tant pour moi. Cet homme à qui je faisais subir trop de choses. L’envie d’éclater en sanglots me prenait vivement aux tripes tant et si bien que je m’empressais de baisser la tête et de fixer le sol. Gamin coupable. Gosse à la souffrance trop grande. Ma langue glissait sur mes lèvres avant que je n’ose murmurer « On… On devait aller au restaurant ce soir… Non ? » Est-ce que c’était vraiment prévu au programme? Est-ce que je visais juste encore ou est-ce que ma mémoire me jouait des tours ? Attendez… Est-ce que j’avais dis à Mio Amore que nous allions au restaurant ? Ou est-ce que c’était une surprise que je lui avais préparé ? Bordel. Je ne savais plus. Je ne parvenais plus à trier les informations. Je ne parvenais plus à distinguer le faux du vrai, l’irréel du réel. Glissant une main dans mes cheveux, je finissais par relever les yeux sur mon mari pour lancer « Je… Suis prêt à me redresser… Je… On… On peut aller sur le lit… » Ouais, nous pouvions bouger pour rejoindre un endroit plus confortable que ce sol. Nous pouvions rejoindre la chambre pour se poser à un meilleur endroit. Nous pouvions rejoindre le lit pour aborder la suite de cette journée. Cette journée qui risquait de se terminer beaucoup plus vite que je ne le pensais. Je bâillais soudainement avant de me frotter les yeux. La crise de perte de mémoire m’avait épuisée tout autant que cette journée en compagnie de mon amoureux. Je rêvais de m’allonger sur le lit pour dormir jusqu’au lendemain. Mais, quelque part au fond de moi, je ne pouvais pas me résoudre à accepter cette fatigue. La culpabilité était trop imposante. Je n’avais pas envie de foutre en l’air la fin de cette journée. Notre journée Neakas.