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Enfermé depuis quelques jours pour une raison qui en dissimule une autre, les minutes paraissent bien longues au sino qui s’adonne au jeu de l’indécision.  Cette fin d’année a pour lui très mal débuté puisqu’il ne peut jouir que des sons de sa télévision, sujet à un mal bénin mais suffisamment handicapant pour le clouer dans son appartement. Devenu entièrement dépendant de son vieux majordome, ce dernier inquiet pour son jeune maitre le veille de temps à autres depuis le couloir entre deux taches ménagères. Le vieillard a bien remarqué un changement s’opérer tout doucement chez lui mais il n’a rien dit, question de respect. « Encore à me surveiller hein… » L’héritier n’a même pas eu le besoin de bouger la tête pour le remarquer, la respiration du vieillard trahissant sa présence. Sur lui aussi le poids des années fait lentement son ouvrage, se rapprochant de plus en plus du naufrage, mais l’étudiant se refuse d’y penser. Tel un fils il espère le voir encore longtemps à ses côtés. C’est d’ailleurs ce père improvisé qui a prévenu la jeune Whitaker qu’un peu d’animation ne serait pas de refus, l’incitant à les visiter sous prétexte qu’il n’a pas vu son sourire illuminer cet appartement depuis longtemps. « Vous n’avez pas bougé de la journée. » Cette fois il a tourné la tête mais pas assez pour se dévoiler, se gardant bien par fierté de se montrer. Les coups durs, il les enchaine depuis quelques jours alors il a décidé d’envoyer chier son monde, foutant de coté les shootings et les dernières heures de cours de coté afin de se reposer, que personne n'ait à voir ses yeux injectés.  

Alors quand on sonne à la porte, qu’il ne s’attend à aucune visite, c’est d’instinct qu’il tend l’oreille afin d’écouter à qui le vieillard va ouvrir. « Qui est ce ? » Il tonne dans l’air un ordre et souhaite que la réponse ne se fasse attendre tandis qu’il n’a pas bougé de son fauteuil, sa main happant rapidement sur la table basse à sa droite ses lunettes fumées. « Si c’est Witter, dites-lui que je prends une douche, » voilà qui devrait la dissuader de venir l’incommoder.

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« Si c’est Witter, dites-lui que je prends une douche, » j’en roule des yeux, observant son majordome qui se tient devant moi. « C’est qu’il est de bonne humeur. » que je murmure d’un air rieur. Les hommes sont tous des râleurs. Secouant le visage avant de pénétrer dans son appartement, je pense même à me déchausser pour ne pas voir le dragon plus encore s’éveiller. Quand Manfred m’a prévenu de son état, j’avoue que je n’ai pas hésité une seconde, parce qu’il reste le seul meilleur ami que je possède en ce bas monde. Le genre d’amitié qui se décompte en années, en moments partagés, mais aussi et surtout en vacheries envoyées. C’est comme ça qu’on a choisi de s’affectionner, et j’adore le fait qu’il ne prenne pas avec moi de pincettes. Même si l’oublie de précision sur le compte à rebours du bon fonctionnement de ma raison gronde de plus en plus dans ma tête.

Les bras chargés de ce qui restait au Starbucks après ma matinée, j’avance dans son salon, fronçant mon expression en posant sur lui ma vision. « Désolée de te décevoir, ce n’est pas Witter. » je dépose la boite cartonnée sur la table basse à côté du canapé. « Mais t’as quand même besoin d’une douche. » Pas vraiment, on va juste dire que c’est pour la forme, d’ailleurs je vais tapoter son épaule et hésite à lui faire une bise et je me ravise dans la foulée, un brin dégoûtée. « C’est contagieux ton truc ? » Les yeux gonflés et le cafard qui va avec, parce que si c’est le cas, je vais me tenir à l’opposé. Je ne saurais même pas dire lequel des deux je préfèrerais éviter. « Alooooors, » j’amorce à m’asseyant en biais, sur l’un des fauteuils le plus éloigné, « t’avais la flemme de finir l’année ? » on commence en douceur, parce que l’égo de l’homme démesuré obligé d’être confiné, je le connais par cœur.



  

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Et si l’individu en question avait été celle qu’il redoutait tant, il aurait prétexté d’avoir mieux à faire ailleurs, quitte à se prendre la porte faute de bien distinguer les contours des objets. « Désolée de te décevoir, ce n’est pas Witter. » Non, ce n’est pas rousse associable mais bel et bien une petite brune à la tignasse frisée qui prend place à coté, s’installe sans faire fi du mobilier, déposant un carton sur la table basse jouxtant le canapé. « Mais t’as quand même besoin d’une douche. » Une plaisanterie de mauvais gout. Comme toujours il a son rituel particulier, une ritournelle à la mécanique bien huilée. Dès le levé ses pas l’ont conduit dans cette salle de bains qui en vu passer, y restant de longues minutes afin de se réveiller. Mais ce matin il n’a pris aucun plaisir à y rester, la pilule encore coincée dans sa trachée. C’est bien la première fois qu’il se fait larguer même si le terme n’est pas vraiment le plus approprié. Ni ses cours à l’université, ni ses leçons avec son maitre à penser n’ont pu lui changer les idées : il est resté à observer Boston dans toute sa vivacité  malgré cette partielle cécité.
La petite brune s’approche un peu trop rapidement de lui alors il se recule dans son dossier, refusant toute forme de politesse qui nécessite un contact charnel. Elle aussi d’ailleurs se ravise à la suite du bref regard qu’ils ont échangé. « C’est contagieux ton truc ? » Une conjonctivite virale ? Un peu mais que si elle s’approche suffisamment pour se frotter à lui. Dans le doute il préfère poser ses solaires sur son nez et ne plus lui faire profiter de cette image de lui qu’il lui renvoie, dénaturée. « Alooooors, » Elle fait comme chez elle, un genou enfoncé dans le renfort d’un fauteuil, pour le regarder encore et encore sous son meilleur profile. « T’avais la flemme de finir l’année ? » Un rire caustique s’échappe lorsqu’il décline son attention sur elle, caché derrière ses verres fumés. « A quoi bon ? » Au pire il se rendra peut-être les derniers jours dans le bureau de son responsable pour obtenir de lui quelques références pour son dossier, si son état ne s’est pas d’ici là empiré.

Alors puisque son majordome s’est discrètement retiré pour les laisser parler librement, il se montre courtois en se redressant pour se pencher en avant, ouvrant  l’un des tiroirs de sa table basse pour en sortir deux verres et un flacon à l’étiquette passée qu’il dépose à la surface de la pièce en bois. « Les exams terminés, j’estime avoir le droit de me reposer, » avant que ne commencent les prochaines compétitions de l’été. Ses doigts s’activent à dévisser le bouchon pour ensuite apposer le goulot de la fiole conte le premier verre, le remplir et s’attarder sur le second. « Tu roules toujours à l’eau où tu souhaites passer à autre chose ? »

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Avec deux doigts, je m’amuse à faire rebondir l’une de mes boucles, le gratifiant d’un regard qui cherche le sien, malgré la paire de lunettes qui cache à présent la moitié de ses traits. J’attends patiemment qu’il me réponde sans rien ajouter, j’attends un peu plus pour foncer dans le tas, je fais preuve de… parcimonie, n’est-ce pas ? Continuant à tortiller la mèche de mes phalanges jusqu’à ce qu’il se décide à la suite d’un rire las. « A quoi bon ? » Mes empreintes se glissent finalement sous l’ovale de mon menton, je souligne l’étonnement venu parer les traits de mon expression. A quoi bon ? Elle est très bonne cette question, car il est vrai que je ne saurai pas non plus l’expliquer. Sauf qu’il fallait bien la débuter, cette conversation. Ne pas évoquer directement, tous les possibles qui comportent les récents évènements.

Et quand je m’apprête à articuler une plus ou moins bonne argumentation, je suis interrompue par ses mouvements. La sortie de deux verres et de leur futur contenant. Donc on en est à ce point-là, j’en pince mes lèvres, ne commente pas. Lorsqu’on me connaît, on sait, quel effort pour ce faire, d’effectuer, je me dois. Elles sont rares les fois où je me tais. « Les exams terminés, j’estime avoir le droit de me reposer, » Ca se tient, mais la mélancolie, ça le fait moyen. « Tu roules toujours à l’eau où tu souhaites passer à autre chose ? » Il propose, hésitant du goulot de la bouteille contre la porcelaine. « Je m’arrête au premier, tu le sais. » Toujours un seul pour ne pas sombrer, parce que les cocktails ne se mélangent pas correctement aux cachets. Le temps de le voir remplir celui qui m’est destiné, je soupire longuement, réflexionnant… « C’est pas trop tôt ? » Quelque part dans le monde, c’est la bonne heure pour boire autre chose que de l’eau. « T’es pas sous antibio ? » Je ne joue pas les docteurs, mais je suis plus calée sur le sujet. « Parlant de Witter, » parce qu’il semble n’avoir que l’ancienne petite chérie de l’Amérique en bouche en ce moment. « Si t’avais besoin d’une héritière avec laquelle te pavaner. » Bon, d’accord, j’avais une cavalière et je suis beaucoup moins médiatisée, mais ça, c’est parce que moi, je vais crever. Que l’anonymat – ou presque – ça me plaît.  



  

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J’en reviens donc à l’héritière citée lors de mon arrivée. Evocation qui semble, à l’évidence, le contrarier. « Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi. » Qu’on se le dise, d’une, je m’y mets si je veux, j’estime avoir le droit de connaître en tant qu’amie ses intérêts amoureux. De deux, c’est le « aussi » qui me fait redresser vers lui les yeux. Néanmoins, pour me permettre de relever ce point, je patiente. Préférant sur l’instant jauger l’agacement qui se cache dans ses mouvements quand il se remet sur pieds. Se cognant dans la table, le liquide marquant son mobilier, et mon visage qui se tord dans une grimace que je m’essaie à dissimuler. Chose futile, vu que je n’ai plus de quoi douter du fait qu’il est aveuglé. Potentiellement au sens propre comme au figuré.

Tandis qu’il se masse la jambe qu’il vient de heurter, je garde toujours le silence, assez longtemps pour qu’il soupire avec véhémence. « Je ne vois pas en quoi ça dérange. » Instinctivement, je me mets à rire, car je suis bien incapable de le contredire. « Rassieds-toi. » J’ordonne et je souris à la fois, « t’es en convalescence, détends-toi. » Je n’ai attaqué personne, c’est gentiment que je le questionne. « Moi, ça ne me dérange absolument pas. » Non, après tout, si je l’ai évoquée ce n’est que parce qu’il l’a fait le premier et que je suis carrément curieuse de savoir s’il s’est amouraché de sa majesté. « C’est plutôt toi qui parais l’être. » Dérangé. Je m’essaie seulement à déterminer par quoi. Je suis sûre que ce n’est pas dû qu’à sa cécité. Compliqué, que de toujours devoir lui tirer les vers du nez. « Ca m’a surprise, c’est tout. » Je ne me souviens pas l’avoir déjà entendu parler du fait qu’elle lui plaisait, si on en omet le jacuzzi en décembre dernier. J’en hausse les épaules, comme pour me déculpabiliser. « Mais si t’es heureux… » J’imagine que tout va pour le mieux, mise à part les yeux.   



  

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J’avoue que sa réponse directe, ainsi que ce rictus aussi nerveux que dépité, je ne m’y attends pas, comme si je l’avais piqué à vif avec mes propos, perturbé à la force d’un seul mot ; « Heureux ? De quoi ? » D’avoir trouvé chaussure à ton pied. De t’être casé, avec une fille de ton acabit. Le meilleur schéma de vie. Un truc comme ça, qu’est-ce que j’en sais ? Des relations sérieuses, moi, je n’en ai jamais. Je ne me contente que d’imaginer. Fronçant malgré tout mon expression en essayant de déterminer ce qu’il éprouve sur la sienne, une moue toujours aussi fermée, pourtant, je suis venue en paix. Si je me vante d’avoir appris par cœur les êtres humains, j’avoue que le masque qu’il porte au quotidien lui sied plutôt bien.

Encore agacé par le récipient légèrement déversé, il tâtonne en direction de sa cuisine, comme un véritable infirme, et j’en bascule la tête sur l’accoudoir, à l’envers, à réfléchir – parce que c’est plus fort que moi – à ses histoires. Et revient dans mon champ de vision armé d’un torchon. Mes lèvres scellées, toujours en pleine réflexion, je l’observe de biais, commencer à essuyer, maniaque à souhait. « J’ai jamais été aussi heureux de ma vie » Un sourcil arqué à son intention, je le jure, je le retiens mon « mais bien sûr », la chute des lunettes paraphant ma pensée. Affichant une mine désolée, tout en me retenant d’exprimer une réelle pitié. Il n’est pas du genre à apprécier être rabaissé. J’avoue simplement avoir des élans de prise en charge de sa santé. Je déteste le spectacle auquel je suis en train d’assister. « Si c’est ça être heureux. » que je me décide enfin à commenter. « Rappelle-moi de ne jamais l’être. » Celle-là, je l’accompagne d’un sourire malin, me redressant pour aller ouvrir la boite apportée de la main. Un donut entre les doigts, je croque dedans pour reposer mes prunelles sur toi. « Cela-dit, » je débute amusée d’avance, « je comprends, » le choix de Witter, « j’ai aussi couché avec. » la rousse toujours, prononcé en riant de bon cœur.   



  

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A la suite de mes paroles, je l’avoue intérieurement, je rigole. Surtout lorsqu’il marque cet arrêt, comme si ça pouvait le surprendre qu’elle et moi on se soit amusées. Après tout, la Witter n’est pas connue pour être un véritable modèle de vertu. Et je possède le compte en banque nécessaire pour lui plaire. Cependant même s’il en esquisse un sourire, je ne peux nier que sa bonne humeur peine à repointer le bout de son nez. Heureux qu’il disait… « Et même pas tu m’invites » Un rire s’échappe pour encore de mes lèvres, cette fois. Les hommes et ce mythe du plan à trois. Tous les mêmes, n’est-ce pas ? J’en roule des yeux, presque malgré moi. « Pense aux copains, » l’intérêt est ravivé, au moins, ça, c’est certain. Mon regard le couvant aussi bienveillant que taquin, ce que je l’aime bien, ce crétin.

Il achève finalement sa besogne, redressé et escampe le tissu imbibé de l’autre côté. Sa silhouette mal équilibrée faute de ce dont il peut souffrir, je détourne finalement mes yeux, parce que ça me touche plus que ce que je ne peux me permettre de le dire. Soucieuse par sa faute, je ne vois donc pas la suite des évènements arriver. « La prochaine fois, tu m’préviens ,» qu’il paraphe en me retirant la nourriture de la main. Les sourcils froncés, par instinct, je râle d’une grimace, dégoutée par le fait d’avoir perdu mon encas, et par la vision d’une partie de jambes en l’air entre lui et moi. « L’inceste, je ne pratique pas. » Parce qu’entre deux amis aussi proches, j’imagine qu’il doit bien y avoir un contrat. Un truc qui dit que le sexe est une mauvaise idée. Ajoutant à cela le fait que je ne comptabilise pas beaucoup de ses critères de beauté. Aucun, à dire vrai. A force de voir les femmes avec lesquelles il se pavane, je peux d’ailleurs l’assurer. « Puis tu m'invites, toi ? » Ja-mais. « Avec l'amérindienne, j'aurais bien participé. » Juste balancé pour le piquer.

Je me rassois correctement, attrape l’un des récipients. « On trinque à quoi ? » A ton foutu bonheur, c’est ça ? Amenant le verre à mes lèvres… « Bon. » J’hésite avant de boire, tapotant la chose de mon index, « Si t’as envie de vider ton sac, je ne jugerai pas. » Voilà, c’est dit, pour ce que ça vaut, craintive de son égo. Mais je ne suis pas parfaitement conne, j’ai assez observé le monde pour savoir quand, justement, ça déconne. Mimant le geste du ‘a ta santé’ avant de boire une gorgée.