Lundi 17 Janvier. Maison Neakas.

« Amore tu n’as pas vu mes clés de moto ? » L’interrogation glissait entre mes lèvres alors que j’étais en train de retourner l’entrée pour trouver le bien disparu. Cette question n’avait rien d’anormal. Il m’arrivait de perdre mes clés comme le commun des mortels. Ce n’était pas bien grave. Cela ne m’arrivait pas souvent. Ce n’était qu’un oubli sans importance. Ce n’était qu’une perte de mémoire qui ne comptait pas. Ce n’était qu’un oubli auquel nous ne prêtions même pas attention. Mon mari ne tardait pas à arriver avec les clés en main. Le sourire se dessinait aussitôt sur mes lèvres alors que je le remerciais. Enfilant ma veste, je récupérais les clés avant de m’approcher encore plus de mon amoureux pour l’embrasser. Et, après ces quelques secondes délicieuses, je m’empressais de quitter notre maison pour prendre la route afin de me rendre au travail. L’oubli sans intérêt était déjà effacé de la tête. Ce n’était rien. Pourtant, c’était déjà le début de quelque chose.

Vendredi 21 Janvier. Lord Hobo.

J’attrapais le verre en mode automatique tout en écoutant la commande du client. Une commande des plus banales : une Margarita. J’en avais préparé des milliers depuis que j’avais commencé à travailler en tant que barman. Je gérais la recette parfaitement. Pourtant, là, soudainement, le bug était total. Je fixais le verre que je tenais me répétant la demande du client sans savoir ce que j’étais censé faire. Qu’est-ce que j’étais censé mélanger pour obtenir une Margarita ? Comment étais-je censé la préparer ? Je n’en savais rien. Le trou était absolu. L’inconnu était en première ligne dans ma tête. Reposant soudainement le verre, je me précipitais à l’extérieur dans la ruelle derrière le Lord Hobo. Le cœur battait trop fort, la tête s’affolait, la respiration déraillait… J’attrapais mon téléphone pour appeler mon mari. Cependant, avant même que je ne déverrouille le mobile, tout revenait. La recette de la Margarita était claire dans ma tête et je jurais à haute voix. Bordel, à tous les coups, c’était encore un contre-coup de cette panique qui savait me prendre au Lord Hobo à cause des mauvais souvenirs qui y étaient égarés. Soupirant tout seul devant ma panique si stupide, je rangeais le téléphone et retournais bien vite à l’intérieur accomplir mon devoir.

Mardi 25 Janvier. Lord Hobo.

Fermant la porte du Lord Hobo, je me retournais vers le comptoir prêt à faire les derniers rangements et nettoyages avant de quitter mon lieu de travail. Concentré dans ma tâche, je sursautais soudainement lorsque la voix de ma boss se faisait entendre non loin de moi. Elle lançait des mots sur lesquels j’avais du mal à me concentrer. J’entendais comme un brouhaha à mon oreille sans parvenir à en saisir le sens. Secouant la tête, je me concentrais sur elle pour l’écouter plus attentivement et mes sourcils se fronçaient. « Aurore ? » Le prénom glissait entre mes lèvres coupant soudainement ma boss dans son élan. Elle venait de souffler ce prénom et je n’avais pas la moindre idée de qui elle voulait désigner avec celui-ci. De qui parlait-elle ? Soudain, la réponse tombait. Aurore. Ma fille. Étais-je sûr d’aller bien ? Glissant une main dans mes cheveux, j’acquiesçais avant de marmonner « Ouais pardon. Ça doit être la fatigue. » Oui juste la fatigue qui m’avait fait oublier le prénom de ma propre fille. Juste la fatigue qui m’avait fait oublier une information aussi importante. J’offrais un sourire à ma boss pour ne pas l’inquiéter alors qu’elle me disait de filer me reposer. Je ne me faisais pas prier. Gamin qui commençait à s’angoisser de ces pertes de mémoires brèves et violentes. Gosse qui sentait la panique monter dans l’être face à cette réalité.


Samedi 29 Janvier. Maison Neakas.

Mes prunelles sombres s’ouvraient et mes sourcils se fronçaient aussitôt. Mon mari s’activait déjà à mes côtés en me soufflant de me dépêcher et d’arrêter de faire la marmotte. Si je continuais comme ça, nous allions être en retard. En retard ? Mais où ça ? Qu’y avait-il aujourd’hui ? Je jurais dans ma tête sentant de nouveau la vague de perte de mémoire qui cognait. J’avais encore oublié quelque chose. Me redressant rapidement pour ne pas inquiéter mon amoureux, je marmonnais que je voulais encore dormir afin de donner le change. Ça me ressemblait. Ce ne serait pas inquiétant. Mes iris sombres observaient les bagages un bref instant toujours trop perdu. Je finissais par quitter le lit en vitesse pour ne pas provoquer d’angoisse chez mon mari et je disparaissais dans la salle de bain pour commencer à me préparer. Une douche, se sécher, s’habiller, manger un morceau, se coiffer, se brosser les dents… Et toujours rien dans la tête. Je ne parvenais plus à savoir ce qu’il y avait de prévu ce week-end. Je n’en laissais rien paraître pourtant. Je prenais mes bagages suivant mon mari et, là, soudainement, en sortant de chez nous, je me souvenais. C’était un week-end surprise pour l’anniversaire du Sun. Alors, un sourire se dessinait sur mon visage et j’envoyais au loin ces pertes de mémoire qui ne devaient rien gâcher.

Jeudi 3 Février. Holy Motors.

Planté devant une moto que je venais de réparer quelques heures plus tôt, je tournais en rond autour d’elle incapable de comprendre pourquoi elle refusait maintenant de démarrer. Je finissais par m’asseoir sur le sol face à l’engin triturant ma tête pour tenter de comprendre ce qui m’avait échapper. Pour essayer de trouver ce que je pouvais bien avoir oublier. Il y avait quelque chose. C’était obligatoire. Je balançais la clé que je tenais en main ramenant mes genoux contre mon torse et rageant tout seul. Ça devenait un peu trop handicapant. Ça devenait un peu trop agaçant. C’était peut-être bien de plus en plus anormal tout ça. Mâchouillant nerveusement ma lèvre, j’hésitais à appeler mon mari. J’avais envie de lui dire que j’avais l’impression de perdre la tête. J’avais envie de lui dire que je me sentais dérailler là-haut avec ces souvenirs qui se faisaient la malle violemment avant de revenir brutalement. Les pertes de mémoire duraient quelques minutes seulement à chaque fois. Et, cette fois n’y faisait pas défaut. Oubliant l’appel à passer, je me mettais sur mes deux pieds m’approchant de la bécane avant de secouer la tête. Bien sûr, il n’y avait plus d’essence dans l’engin. Il n’y en avait déjà pas beaucoup lorsque le mec l’avait déposé, mais après mes essais dans la cour du Holy Motors, il n’y en avait plus du tout. Le problème était alors rapidement résolu. L’engin fonctionnait de nouveau. Mais, la tête elle continuait de dérailler.

Samedi 5 Février. 03h45. Massachussetts General Hospital.

La soirée s’était bien déroulée au Lord Hobo. Il n’y avait pas eu le moindre soucis. Il n’y avait pas eu le moindre oubli. Il n’y avait même pas eu de crises de panique. Tout avait été à la perfection. Quittant le bar, je faisais le choix de marcher un peu avant de prendre un taxi pour rentrer à la maison. Marcher pour évacuer tout de même le trop plein de stress de cette soirée étouffante avec beaucoup trop de clients et de bruits. Marcher pour apprécier le silence et la nuit de Boston. Je laissais mes pas me guider sans trop réfléchir. Je suivais sans me poser de question. Je me retrouvais soudainement dans une ruelle qui me faisait froncer les sourcils. Elle me disait quelque chose cette ruelle, mais, en même temps, je ne savais pas d’où elle sortait. Mes iris sombres se posaient sur les quelques personnes se trouvant dans la ruelle. Des filles et des mecs bien trop dénudés qui avaient l’air de chercher… De chercher des clients. Oh f*ck. C’était une rue où je me prostituais avant ça. Reculant de plusieurs pas, mon dos percutait soudainement un homme. Un homme qui glissait ses mains sur moi sans perdre de temps. Un homme qui laissait passer ses mains à l’intérieur de mon pantalon. Je me débattais sans que cela ne soit utile. Il avait trop de force. Mes iris se fermaient devant cette réalité. Je cherchais une échappatoire lorsque, soudainement, tout contact prenait fin. Je me retournais aussitôt pour voir deux hommes en train de se battre. Et, dans mon envie de fuir, je me recevais soudainement un coup de poing en plein nez. Un grognement se faisait entendre. Un des hommes finissaient à terre. L’autre venait attraper vivement mon bras et me traînait hors de la rue. La prise était douloureuse, mais je ne disais rien. Et la voix se faisait entendre à mon oreille « File d’ici avant qu’il ne t’arrive malheur petit soleil ». Je connaissais cette voix. Je connaissais ce surnom. La main me lâchait soudainement. Des lèvres se déposaient aux coins des miennes. Et plus rien. Je me retournais pour voir mon sauveur n’apercevant que sa silhouette qui s’enfonçait de nouveau dans la ruelle. Rob. J’étais sûr et certain que c’était Rob. Gamin tremblant, je restais un moment planté sur le trottoir. J’avais l’impression de ne plus rien savoir. Tout se mélangeait dans mon crâne. Tout se chamboulait. Je me mettais alors à déambuler dans une avenue zigzaguant un peu trop à cause de coup reçu. Ce coup qui avait fait saigner mon nez. Les sirènes de la voiture de police se faisait entendre soudainement. Je m’arrêtais aussitôt. Et tout s’enchaînait bien trop vite. On me demandait ce qui s’était passé. On me demandait mon prénom. On me demandait ce que je faisais ici. On me demandait mon adresse. Et j’étais incapable de répondre à quoi que ce soit. J’avais alors été placé à l’arrière de la voiture de police avant d’être conduit à l’hôpital. Cet hôpital où on soignait mon nez avant de me placer dans une chambre pour attendre des examens à cause de mes antécédents. De quoi ils parlaient ? F*ck. Je ne savais plus moi. Je me souvenais juste qu’il fallait prévenir mon mari. Lukas Owen Spritz-Hood. Je me souvenais de ça. Je le soufflais. Et j’attendais sagement assis sur le lit.

Mio Amore et moi avions dit qu’il ne fallait pas retourner à l’hôpital sauf pour une bonne nouvelle. Ça avait été écrit quelque part il me semblait. Ou peut-être que ça avait simplement été dit à haute voix allez savoir. J’étais bien trop incertain pour affirmer les choses. Quoiqu’il en soit, le destin avait choisi de jouer autrement avec nous. Il avait choisi de jouer son mauvais coup comme il aimait le faire un peu trop régulièrement. Notre bulle privée Neakas était sans doute beaucoup trop parfaite aux yeux de ce destin qui se plaisait à me détruire comme si le bonheur ne m’étais pas permis. Je n’avais pas le droit à ce bonheur absolu. Moi, le gamin malade et ancien prostitué. Moi, l’espèce de mafieux qui avait ôté des vies et commis des actes horribles. Lukas et moi étions mariés. Nous avions une famille, une fille et une maison à nous en bord de mer. Depuis quelques mois, mon mari et moi avions tout pour être parfaitement heureux au sein de cette nouvelle vie faite de nouveaux rythmes et de nouvelles délicieuses habitudes. Ça me plaisait grandement. Je m’épanouissais pleinement quand bien même beaucoup était à dire que je me renfermais sur moi. Je changeais. Je mûrissais. Peut-être pas comme tout le monde l’aurait aimé. Néanmoins, moi ça me convenait. Le foutu destin n’aimait pas ça lui. Ça lui déplaisait. Alors, il venait s’amuser à chambouler notre existence ce soir. Non… Il chamboulait notre existence depuis plusieurs semaines sans même que nous le voyions. Enfin… Ce n’était pas tout à fait vrai. Je m’étais aperçu des soucis. Je savais que quelque chose clochait. Je savais qu’il y avait un truc qui déraillait quelque part et qui ne fonctionnait plus correctement. Mais, je n’avais rien dit. Gamin qui avait le fol espoir que ça allait juste disparaître en un claquement de doigt. Gosse qui espérait ne pas foutre en l’air une existence délicieuse et heureuse que mon mari méritait pleinement. Il y avait eu des semaines d’oubli et de silence. Sur le coup, les clés perdues ne m’avaient pas inquiétées. Ça pouvait arriver. Avec mon trouble, la panique un peu trop présente et le déménagement, il n’était pas fou que j’oublie cela. J’avais ressenti une pointe d’inquiétude lorsque la recette de la Margarita s’était effacée de ma tête. Une inquiétude bien vite rangée au placard lorsque j’avais pris le temps de souffler et de laisser le cerveau s’enclencher pour de vrai. Le Lord Hobo était un endroit qui me mettait sur les nerfs depuis l’accident et oublier une recette un bref instant de pression n’était peut-être pas aussi dingue que cela. N’est-ce pas ? J’avais cherché à me rassurer de cette manière en tout cas. Cependant, les choses n’avaient fait qu’empirer avec le temps qui filait. Les événements étaient devenus plus réguliers et toujours aussi violents. J’oubliais des choses importantes même si ce n’était que bref. Le prénom d’Aurore, la destination d’un week-end de fête, la raison du refus de démarrer d’une moto alors que je l’avais noté dans un coin de ma tête plus tôt… Il n’y avait pas que ça bien sûr. J’avais oublié le code de ma carte bleue un matin où j’étais allé chercher le petit-déjeuner tant et si bien que j’avais été obligé de payer en espèces. J’avais oublié la présence d’un tatouage sur ma peau jusqu’au moment où j’avais sursauté dans le miroir en apercevant une trace noire sur ma peau. J’avais oublié avec quelle main j’étais censé écrire lorsque j’avais dû rédiger une facture à la main pour un client. J’étais certain qu’en m’y penchant encore plus, je pouvais trouver des milliers d’autres exemples de choses oubliées brutalement et revenues plus ou moins rapidement. Néanmoins, le pire arrivait aujourd’hui. En ce samedi matin, je marchais tranquillement dans la rue pour évacuer le stress après mon service au Lord Hobo. Je marchais appréciant le silence et l’obscurité avant de prendre un taxi pour rentrer à la maison. Je marchais et j’arrivais dans cette ruelle qui faisait écho dans ma tête. Cette ruelle qui n’était autre qu’une de ces ruelles où je me prostituais avant. Cette ruelle où j’étais soudainement fait prisonnier par un homme qui laissait ses mains glisser dans mon pantalon. Heureusement pour moi, il n’allait pas plus loin puisqu’un sauveur débarquait. Un sauveur qui se battait. Un sauveur qui grognait lorsqu’un coup venait me toucher violemment le nez. Un sauveur qui me tirait hors de cette ruelle soufflant des mots à mon oreille avant de disparaître aussi vite. Rob ? Était-ce réellement Rob qui venait de me sauver ? La silhouette avait disparu trop rapidement. Mais, les mots et le surnom ne pouvaient pas mentir. Tremblant sur le trottoir, je m’étais mis à avancer sans plus trop savoir où aller. Le destin s’invitait de nouveau lorsque la voiture de police s’arrêtait pour me questionner et que je me retrouvais incapable de répondre aux interrogations. Gamin paumé qu’on croyait saoul. Gosse perdu qu’on conduisait à l’hôpital et qu’on enfermait dans une chambre pour attendre des examens. J’étais perdu sur toute cette réalité et j’en venais à demander le seul à qui je pouvais me raccrocher. Lukas. Mon mari.

Assis sur le lit de la cage blanche, j’étais un peu trop perdu dans mes pensées lorsque, soudainement, la porte de la chambre s’ouvrait vivement. Je sursautais devant l’ouverture inattendue fronçant à peine les sourcils. Avaient-ils trouvé quelque chose de grave ? Est-ce qu’un médecin débarquait soudainement parce qu’il venait de voir que je n’allais pas bien et que ma vie était en jeu dans les minutes à suivre ? Est-ce qu’une urgente opération devait avoir lieu à cause d’un simple coup dans le nez ? Je n’en savais rien moi. Mâchouillant ma lèvre, je m’autorisais un soupir de soulagement lorsque mes iris sombres tombaient sur mon mari qui venait de pénétrer dans la chambre. Un mari qui lançait ce surnom dans l’air et qui me faisait sourire. Un mari que je tentais de rassurer avec ce léger sourire comme pour dire que j’allais bien et qu’il ne devait pas s’inquiéter. Stupide mensonge. Je n’allais pas bien. Quelque chose déraillait quelque part. Quelque chose ne fonctionnait plus correctement. Et il fallait sans doute s’en inquiéter. Mio Amore s’approchait de moi prenant mes mains. Je m’autorisais à lier mes doigts aux siens fermant brièvement les yeux lorsque ses lèvres se posaient sur mon front. Les questions tombaient alors me poussant à baisser la tête comme un peu trop coupable. Je mâchouillais nerveusement ma lèvre avant d’hausser les épaules comme si je n’étais pas en mesure de savoir quoi répondre à tout ça. Gamin paumé qui ne savait plus ce qu’il était censé souffler. « Je… » Le silence s’invitait alors que mes sourcils se fronçaient. J’étais en train de réfléchir à comment raconter toute cette histoire tant elle me semblait dingue. J’étais en train de laisser mon cerveau se triturer pour savoir comment lui raconter tout ce silence. Ma langue glissait sur mes lèvres et, fixant toujours le sol, je reprenais « Je… J’étais en route pour… Pour rentrer… Mais je… T’sais… Avec le monde et le bruit du… Du… » Oh f*ck j’avais carrément oublié le nom du bar au sein duquel je travaillais. Fermant les yeux, je soupirais longuement avant de relever la tête pour planter mon regard dans celui de mon mari. Un regard qui appelait au secours. Un regard un peu trop perdu qui prouvait que les choses n’allaient pas vraiment. Un regard qui hurlait que les choses déraillaient. « Je… Il y a eu trop d’bruit au travail alors je… J’ai marché un peu… Suis… Suis arrivé dans une ruelle sans l’chercher ou l’faire exprès et je… Un… Un mec m’a attrapé… Touché… Avant d’être dégagé par quelqu’un d’autre… Quelqu’un qui m’a fait sortir de la ruelle après que ce mec m’ait frappé lorsque j’ai cherché à partir… Je… J’crois… J’crois que c’était Rob… » Ou peut-être que ce n’était qu’une hallucination ? Rob ne pouvait pas être à Boston. Je n’en savais rien putain. Côme ne m’avait rien dit. Rob ne m’avait rien dit. J’avais sans doute juste halluciné Rob, sa voix et ce surnom. Mais pourquoi ? Serrant un peu plus les doigts de mon amoureux, je reprenais « Le… La sirène d’la police a résonné quand j’ai repris la route et ils… Ils m’ont posé plein de questions… Mon nom, mon adresse, c’que je faisais là… Et je… Ce… C’était… Le trou noir… J’savais pas quoi répondre… Je… J’pense qu’ils ont cru que j’étais saoul et ils m’ont emmené là en voyant mon nez… Je… Ils attendent dehors ? » Yeux rivés dans ceux de mon mari, j’attendais une réponse sentant mon corps trembler à l’idée que les flics attendent derrière cette porte. Je ne voulais pas me retrouver enfermé quelque part. Pas maintenant. Pas comme ça. Pas alors que la tête déraillait ainsi et que j’aurai été capable d’avouer les meurtres commis. Déglutissant difficilement, je reprenais sans attendre la réponse finalement « Parce que je… J’ai rien bu j’te jure… J’ai pas bu du tout… » Je le suppliais de me croire détachant mes mains des siennes pour les glisser dans mes cheveux dans un geste un peu trop nerveux. Et soudainement, je m’exclamais en hurlant « LORD HOBO ! » Mes mains se portaient à ma bouche comme si je n’étais qu’un gamin qui n’avait pas le droit de crier comme ça. Coupable, je baissais les yeux avant de marmonner « Le… L’travail c’est le Lord Hobo… » Et si j’avais envie de continuer à faire croire que ça allait, j’étais bel et bien foutu car je venais moi-même de me griller et de prouver que les choses n’allait pas. Soupirant, je tendais la main pour attraper celle de mon amoureux. Jouant nerveusement avec ses doigts, je murmurais « Amore… Il… Il y a quelque chose qui ne va pas… » C’était sûr et certain. Il fallait l’avouer. Il devait le savoir de toute façon maintenant. Les yeux toujours baissés, je reprenais « Je… Ce… Ça fait plusieurs semaines que je… J’oublie des trucs quelques minutes… Des trucs importants parfois… Je… Ça a commencé avec les clés de moto, mais t’sais avec le déménagement et tout ça, je me suis pas inquiété… Puis j’ai oublié la recette de la Margarita au travail… Je… J’me suis dit que ça venait de l’angoisse que je ressens au travail parfois alors pareil m’suis pas inquiété… Puis j’ai oublié le prénom d’Aurore… Le pourquoi on s’est levés le week-end dernier… Le fait que j’avais plus d’essence dans une moto à réparer… Je… Il y a eu d’autres trucs… Comme le code de ma carte bleue ou je… Un tatouage sur ma peau… Et un tas d’autres choses sans doute… Enfin je… Ce soir, je… J’me souviens… Souvenais pas notre adresse, mon prénom ou je… Ni même pourquoi j’étais dans la rue à marcher… » Les larmes me montaient aux yeux et je plantais mon regard dans celui de mon amoureux avant de lui murmurer « Je… Suis désolé d’avoir rien dit… Mais je… J’voulais pas ce soit vrai et je… Si… Si j’en parlais pas c’était pas vraiment vrai… » Gamin mal à l’aise, je mâchouillais ma lèvre avant de continuer sur ma lancée « Je… Le… Les médecins doivent regarder je sais pas quoi… À cause de mes antécédents… » Les mots étaient hésitants. Les mots étaient interrogatifs. Je n’étais plus qu’un gamin perdu qui, pour l’instant, ne parvenait plus à remettre la main sur les antécédents. Un énième oubli passager. Un premier oubli passager que j’exprimais si clairement face à l’homme que j’aimais tant. Cet homme que j’avais fait venir jusqu’à l’hôpital ce soir. Et nous n’étions pas ici pour une bonne nouvelle. Pas du tout non.

La solitude prenait fin dans cet endroit que je détestais tant. La porte s’ouvrait et je savais que je n’allais plus être seul au sein de cette chambre blanche que je haïssais. Je n’aurai jamais dû me retrouver au sein de cette chambre d’ailleurs parce que Mio Amore et moi l’avions décidé. Enfin non… Il n’était guère possible de prendre une telle décision. La vie ne nous laissait pas faire. Nous n’étions que des pions sur un plateau bien trop grand et bien trop compliqué à gérer. Néanmoins, mon amoureux et moi avions tant espéré et peut-être même tant prié pour ne pas se retrouver à l’hôpital une nouvelle fois. Pas pour une mauvaise chose en tout cas. Et, pourtant, cette nuit c’était une mauvaise raison qui m’avait conduite à l’hôpital. C’était une mauvaise nouvelle qui avait poussée mon mari à se précipiter jusqu’ici pour venir me retrouver. Putain de merde ! J’aurai dû parler tellement plus tôt pour peut-être éviter cette case désastreuse. J’aurai dû ouvrir la bouche et souffler à mon amoureux que quelque chose n’allait pas à la seconde même où je m’en étais aperçu. J’aurai mieux fait de lui dire que je sentais que quelque chose déconnait à l’intérieur de ma tête et que ça ne venait pas d’ELLE. J’aurai dû lui confier que ça n’allait pas vraiment et qu’il y avait un problème. Je l’avais senti. Je l’avais pressenti. Nous aurions pu aller dans la cage blanche ensemble sans la moindre urgence. Nous aurions pu agir avant qu’il ne soit trop tard. Malheureusement, je ne l’avais pas fait. J’avais gardé la bouche close sur mes soucis. J’avais fermé les yeux sur ces sombres événements qui semblaient planer au-dessus de moi. J’avais préféré ignorer tous ces soucis et rester dans ma douce bulle d’amour. Stupide gamin qui avait eu tant d’oubli. Gosse idiot qui se retrouvait ici à présent et peut-être qu’il était trop tard à présent. Stupide gamin qui avait poussé son amoureux à trop d’inquiétude en si peu de temps. ELLE hurlait un instant dans ma tête. ELLE avait envie que je m’éclate la tête contre un mur tant j’étais idiot et source de problème. ELLE voulait que je disparaisse pour cesser de faire souffrir toutes ces personnes merveilleuses qui m’entouraient. Ouais, ELLE le voulait tant. Face à la solitude, nuls doutes qu’ELLE aurait pu gagner en un rien de temps et que mes blessures n’auraient fait qu’empirer parce que j’aurai suivi ce qu’elle disait. Purement. Simplement. Néanmoins, ELLE n’avait pas de chance à cet instant. Mio Amore était à mes côtés. Il était présent au sein de cette chambre et il était proche de moi. Suffisamment proche pour que je n’entende la voix qu’en sourdine. Suffisamment proche pour que je parvienne à noyer les mots qu’ELLE me balançait pour me concentrer sur autre chose. Je m’empressais d’ailleurs d’ouvrir la bouche pour l’empêcher de gagner du terrain. J’ouvrai la bouche et je me mettais à conter l’histoire à mon amoureux. Je lui contais les événements de cette soirée. Le départ du boulot, la marche dans la rue, le mec qui m’avait touché, Rob qui m’avait sauvé… À ce soudain aveu un peu trop imprévu, mon mari s’installait tout contre moi. Je mordillais ma lèvre un instant foutrement incertain de cette réalité. Est-ce que Rob était réellement à Boston ? Ou bien est-ce que ça n’avait été qu’une hallucination ? Mais comment expliquer cette hallucination ? Comment expliquer que mon sauveur soit Rob et non mon amoureux si ce n’était qu’une hallucination de sauveur ? Ce n’était pas possible. Alors, cela voulait sans doute dire que ce n’était que la réalité. Une réalité où Rob était à Boston. Une réalité fichtrement effrayante tandis que je me demandais ce qu’il pouvait bien faire ici. Je ne m’attardais pas sur cette question peu désireux de donner vie à des angoisses trop grandes. Je ne me perdais pas dans ces pensées qui auraient su redonner de la force à la voix dans ma tête. Je préférais continuer mon récit. Je parlais de la police, des questions qui m’avaient été posées et auxquelles je n’avais pas su répondre. Je parlais de ma conduite à l’hôpital et nous étions à jour pour les événements de cette nuit. Mes iris sombres se relevaient sur mon mari et je l’interrogeais sur la présence des forces de l’ordre à l’extérieur. Mon corps tremblait à cette idée qu’ils m’attendent pour aller m’enfermer quelque part. Je ne pourrais guère le supporter. Je ne pouvais pas être laissé seul. Ma tête déraillait trop. Le risque était trop grand. Les choses se mélangeaient tant. Il y avait trop d’aveux qui risquaient de tomber hors de mes lèvres et ce n’était pas bon. Si je me mettais à avouer des meurtres, ma belle vie serait sans doute fini. Je devais garder la bouche close alors qu’ELLE voulait m’envoyer au fond du précipice. Heureusement pour moi, Mio Amore secouait négativement la tête pour me faire savoir que les policiers étaient partis et il me confiait des mots auxquels j’acquiesçais. Je marmonnais un « Je… Oui… Je… Ok… Il faudra le faire… » Mais, surtout, il ne faudrait pas oublier de le faire si je désirais éviter les ennuis. Ce qui n’était pas gagné au vu des dernières semaines. Déglutissant difficilement, j’hésitais un bref instant. Est-ce que je pouvais vraiment me reposer entièrement sur mon amoureux ? Oui je le pouvais bien sûr. Je savais que cela ne le gênerait guère. Néanmoins, à l’intérieur de mon être, la bataille faisait rage. Je ne voulais pas être ce boulet à la cheville de mon bien aimé. Je ne voulais pas être ce poids dans l’existence de l’homme que j’aimais tant. Alors, je n’avais pas le droit de me reposer entièrement sur lui. Je n’avais pas le droit de le laisser tout gérer. C’était trop pour une seule personne. Relevant les yeux, je croisais le regard de mon amoureux et je jurais que je n’avais rien bu. Après tout, la question aurait pu se poser au vu de mon état. Je le jurais suppliant pour qu’il me croit. Et il me croyait. Encore et toujours. Envers et contre tout. Amoureux un peu trop parfait qui me faisait confiance. Amoureux si doux qui était si bien pour moi. Amoureux que je risquais de blesser encore et toujours parce que je n’étais que cet horrible gamin qui taisait les choses en essayant de se noyer dans une autre réalité. Je n’étais que ce poids bien trop lourds qui apportait des tas d’ennuis.

Secouant la tête pour chasser les sombres pensées qui tentaient de se faire une place dans ma tête, je détachais mes mains de celles de mon amoureux pour les glisser nerveusement dans mes cheveux. Geste pour tenter de reprendre contenance. Geste pour essayer de noyer les sombres pensées. Geste qui ramenait autre chose dans la tête. Soudainement, le nom du bar où je bossais revenait en vitesse sur le devant de la scène et il sortait vivement de ma bouche sans que je ne sache le retenir. Je m’exclamais trop fort et trop soudainement. Si soudainement que j’agissais comme un gamin qui aurait hurlé une réponse en classe alors qu’il fallait lever la main avant de parler. Mes mains se posaient sur ma bouche comme pour me pousser à me taire. Ma tête se baissait comme le gamin coupable que je me sentais être. Un soupir glissait entre mes lèvres tandis que je tendais de nouveau les doigts pour attraper la main de mon amoureux. Je me mettais à jouer nerveusement avec ses doigts. Je tentais de gagner du temps. Je tentais de trouver les mots. Je tentais de repousser l’instant fatidique où il faudrait que la réalité résonne. Je le tentais vraiment. Et j’aurai sans doute pu tenir des heures entières. Après tout, j’avais été habitué et entraîné pour me taire. Au sein de la Mafia Italienne, je savais garder ma bouche close pendant des semaines entières. J’aurai peut-être dû le faire là. Non. Putain non. Enfin… C’était ce qu’ELLE disait. ELLE pensait que j’aurai dû le faire pour ne pas entraîner mon mari dans mon Enfer brûlant. Néanmoins, moi je savais que je ne pouvais pas me taire. C’était mon mari bordel. C’était l’homme que j’aimais par dessus-tout et avec qui je partageais ma vie. Il fallait que je lui parle. Il fallait que je me confie à lui. Sinon à qui ? Personne n’était mieux placé que mon amoureux pour tout savoir. Lorsque Mio Amore m’attirait vers lui, je craquais presque aussitôt. C’était ce geste qui me poussait à céder si aisément. C’était ce geste qui surpassait la voix de la tête. Alors, je murmurais que quelque chose n’allait pas et mon amoureux me serait contre lui. Sentait-il ce courant d’air froid s’abattre sur nos existences ? Sentait-il l’Enfer cogner à notre porte ? Les mots glissaient lentement entre mes lèvres. Le récit se faisait entendre. Les aveux tombaient avec lenteur. J’avouais la totalité des derniers événements. Je parlais de ces oublis incessants qui pulsaient à l’intérieur de moi. Je parlais de ces oublis bien trop importants dont j’aurai dû parler avant. Les larmes aux yeux, je trouvais le regard de mon amoureux pour m’excuser de n’avoir rien dit. Je m’excusais d’avoir gardé ces problèmes sous silence. Je m’excusais d’avoir eu envie de croire à une belle vie sans problème et sans douleurs. Je m’excusais d’avoir voulu m’enfermer dans notre bulle au point de refuser de faire face à la réalité qui s’imposait. Une réalité beaucoup trop vraie à présent. La voix de mon amoureux ne tardait pas à raisonner après mes propos. Je l’écoutais souffler ces mots pleins d’espoir et de douceur. Je l’écoutais me dire ces propos qui auraient dû me rassurer. Ces propos qui, pourtant, ne me rassuraient guère. J’étais bien trop effrayé de ce que les médecins pouvaient trouver. J’avais bien trop mal à l’idée d’avoir blessé mon amoureux même s’il prétendait ne pas m’en vouloir. Je restais cloîtré dans le silence pourtant. Trop faible pour tenter une bataille verbale qui pourrait durer des heures à cause de cette voix dans mon crâne. Les doigts de mon amoureux effaçaient mes larmes et son sourire rassurant me poussaient à légèrement sourire. Un sourire bien vite éteint alors que je mâchouillais ma lèvre parlant de ce que j’avais entendu. Les médecins qui devaient regarder quelque chose à cause de mes antécédents. Les mots étaient hésitants. L’oubli était réel. Mio Amore assistait à ce premier oubli exprimé à haute voix. C’était une épreuve. Peut-être l’épreuve de trop pour lui alors qu’il passait ses mains sur son visage en inspirant. Il soufflait des mots face auxquels j’étais prêt à simplement acquiescer. Me comporter sagement et silencieusement, ça je savais le faire. Cependant, avant même que je n’esquisse un mouvement, mon mari posait sa main sur ma tête. Sur cette zone qui avait été opérée suite à la perte de mémoire de l’an dernier qui était elle-même due à un autre évènement. Les sourcils froncés un bref instant, je marmonnais un « La balle… » pour prouver que je savais de quoi il parlait. Je le savais oui. Je me souvenais de ça. C’était donc ça qu’il fallait regarder. La main de Mio Amore remontait sur mon visage pour essuyer mes larmes. Il s’était approché de moi soufflant ces mots qui me rassuraient et qui réchauffaient mon cœur. Il soufflait ces mots qui venaient brûler la voix de la tête. Il soufflait ces mots qui m’apaisaient réellement. J’hochais à peine la tête face à ces mots comme pour dire que je savais et j’accueillais avec plaisir les lèvres de mon amoureux contre les miennes. Un baiser court, mais si réconfortant. Un baiser qui faisait du bien et qui effacé pendant un temps l’horreur que nous étions en train de vivre. La tête de mon amoureux se posait sur mon épaule. Il soufflait de nouveaux mots et, laissant mes doigts caresser la jambe de mon mari, je répétais « Pour le meilleur et pour le pire… » Même si le pire semblait être à venir devant nous. Le pire qui durait bien trop longtemps d’ailleurs. La nuit avait été longue à l’hôpital. Elle avait été parsemée de moments d’angoisse et de moments de calme où le sommeil était là. Elle avait été faite d’attente. Une attente qui me semblait interminable. Une attente qui avait pris fin bien plus tard lorsqu’on était venu me chercher pour passer des examens. Des examens que j’avais dû affronter tout seul parce que mon mari n’avait pas le droit de m’accompagner. J’avais eu l’impression que ces examens avaient duré des heures entières et peut-être que c’était le cas. Peut-être que mon amoureux avait attendu des heures seul lui aussi. Après ces examens, l’attente avait repris. Ensemble cette fois. Tous les deux. Enlacés. Mieux. Réunis. Et, finalement, le médecin s’était pointé dans la chambre avec les résultats. Une réalité bien noire. Un hématome sous-dural présent dans la tête. Un hématome qui venait d’on ne savait pas trop où en vérité. Un hématome qui venait bouleverser notre existence. Un hématome qui allait changer notre vie pour les mois à venir et peut-être même plus. La réponse était là. Les habitudes allaient changer. La vie pouvait reprendre son court. D’une autre manière. Mio Amore et moi empruntions ce nouveau chemin incertain et instable. Pour le meilleur et pour le pire. Ensemble.