+ you won't forger my name.
J'aurai pu pardonner, il aurait pu être honteux. Il ne m'oublierait pas, plus, perdu dans sa mélodie macabre. Je n'étais plus un enfant de cœur, caché par ce piano étincelant, il me semblait familier, bien plus que dans mes souvenirs. Un air de ressemblance pour dévotion. Un sentiment de vide pour abandon. Mes yeux ne le quittaient plus, ses yeux à lui étaient fermés, enfermés. Je ne le récupérai jamais, trop tard, il ne m'avait pas laissé pour rien, sur le bord de la route, chez moi, chez nous. Sept ans, j'avais sept ans à l'époque. Ma mère est resté dans sa chambre des jours durant à se morfondre après son départ précipité. Je l'avais détesté pour ça, haut comme trois pommes, je le détestais peut-être toujours pour ça. Sa voix, lumineuse, me brûlait de l'intérieur. Un râle. Devais-je faire le premier pas ? La réconciliation. Le courage de lui faire face. En avais-je seulement la légitimité ? Dans quelques jours, je rentrerai à Harvard.
J'ai fait demi-tour sans un mot. J'ai brûlé sa voiture. La haine, elle était toujours au fond de moi. Un lâche est à jamais un lâche.

+ american history x.
Entre l'adoration et la répulsion, j'ai toujours souhaité, secrètement lui ressembler. Roy, mon demi-frère, plus âgé, plus timbré, fort de ses convictions. Dealer, antisémite, violent. Il avait tout pour déplaire, tout, absolument tout mais je m'en fichais, il représentait à mes yeux mon unique modèle, ma seule figure paternelle : la déviance. Il n'était pas rare de le croiser au poste de police, peut-être qu'il aurait été profitable pour lui de se méfier de l'eau qui dort. Autrement dit, la justice et les putains de flics qui vont avec. Un soir d'été, il a buté trois types sous mes yeux. Ce n'était pas des meurtres, c'était de la barbarie, le pire des films d'horreur. Un crâne fracassé à coups de pelle. Qui voudrait voir ça ?
Il m'a menacé, je l'ai dénoncé auprès de la presse locale, il m'a encore menacé. Case prison.
Malmené une fois sur place, il n'y tiendra que quelques mois avant d'y laisser ses jambes. Il est devenu paraplégique, il ne remarchera plus jamais. Il s'appelait Roy et c'est toujours ma putain d'idole, avec ou sans haine.

+ the funeral.
Une simple lettre, c'était une erreur, ce n'était pas possible. Un canular bidon, de mauvais goût. Harvard ? Ce n'était pas réel. Bien sûr, je me savais plus ou moins brillant, mais Harvard, c'était impensable pour moi. J'avais déjà prévu d'intégrer l'armée de l'air qui plus est, dans quelques années, tout comme mon beau-père. Qu'allais-je bien pouvoir y faire une fois là-bas ? Je ne me considérais même plus américain, moi, Joachim, d'origine allemande vivant au Canada, Ottawa. C'était trop, trop loin, grotesque. Pouvais-je refuser ? Certainement pas, ma mère ne méritait pas ça. Kitty non plus, Kitty, mon âme sœur, la plus belle peinture que la vie m'ait donnée la chance de croiser. Son amour, ma moitié. Pourquoi la vie était-elle si cruelle pour me laisser ainsi sacrifier ma plus belle fleur ? J'en deviendrai très certainement aveugle plus tard.
Je suis un branleur, je le sais, parce que tout le monde le sait, c'est un fait. Cependant je ne suis pas un connard hypocrite, encore moins un dégonflé. Je ne suis pas un lâche, je ne suis pas mon père. Je ne peux pas la laisser sur une putain de lettre, sur un e-mail, sur un texto à la con. Pourquoi ? Simplement parce que je l'aimais.

Une Cadillac magnifique, impeccable. Même pour un rêve, c'est surréaliste. Kitty n'étudie pas dans le même coin que moi, ses parents sont pétés de thune, elle est dans une école réputée, privée d'Ottawa. Je me gare près de la grille, c'est une décapotable, elle n'aura pas de mal à me reconnaître dans ce petit bijou. Je l'attends, impatient, anxieux. L'embrasser, une dernière fois et tout oublier. Elle porte une robe blanche légère, ses cheveux blonds baignent sa nuque avec grâce. Ses yeux se posent sur moi, je m'oublie quelques minutes devant son indescriptible beauté. Elle m'offre son plus beau sourire, je me perds joyeusement. Presque allongé sur la banquette, je lui offre en échange un bref sourire, fier de ma dernière trouvaille.
" C'est la voiture de mon père ou je rêve Joa ? " Je ris, elle rit. Je l'ai volé et elle le sait, tout comme elle sait que je n'ai pas mon permis de conduire, ni même mon code de la route. Je lui ouvre la portière avant de lui tendre la main. Elle hésite, elle sait pertinemment que cette mise en scène n'est pas innocente. Elle s'installe à mes côtés, silencieuse, je ne parle pas non plus. Le mutisme, nous n'avons pas besoin de mots pour nous comprendre. Je prends sa main, la caresse doucement, l'embrasse avant de reprendre le volant. Je tente un baiser, elle recule légèrement, gravement. Je ne peux décidément rien lui cacher. Je pose mon front contre le sien, attristé. " Je renonce à toi. " On s'embrasse face au vent, je ne comprends pas. Très vite on s'expose aux yeux d'une vingtaine d'étudiants, on s'enlace une dernière fois. J'embrasse son nombril une dernière fois. Son école est imagé, nous ne sommes que deux, Ottawa n'existe pas.
Je me sens volé, je me sectionne verticalement la langue, superficiellement. Pourquoi ? Je ne sais plus, mais je ne souffre pas, je suis invincible. Il est temps pour moi de partir sans me retourner, je suis trop vieux pour mourir jeune, trop jeune pour aimer si fort.