Ce qui la pesait était si insignifiant à mes yeux. Aimer des femmes, des hommes. Être libre et s'attacher à qui l'on veut, à tout le monde. Je ne sais pas. Tout cela, ça me paraissait plus que normal. C'était un discours étonnant de la part d'une jeune femme qui n'avait connu qu'un seul homme et qui était totalement amourachée à lui. Mais, je savais qui j'étais et ce que je ressentais. J'étais certaine qu'avec le temps, Numa comprendra que tout était si simple et qu'en réalité, elle n'avait pas à s'en faire autant. Peut-être même qu'elle se trouvera stupide en y pensant, qui sait ? On approchait du japonais et je comprenais que le sujet était clos. L'attention de mon amie fût happée par son téléphone et au regard qu'elle me lança dans la seconde suivante, je comprenais que quelque chose se tramait. « Hey, une amie vient de m'inviter à passer chez elle. C'est un plan posé, tranquille, t'inquiète pas. Puis si ça nous plaît pas, on est pas obligées de rester. » Je me mets aussitôt à pester. J'avais été clair à ce sujet ; je ne voulais pas sortir. « Alleeeez, y aura sûrement à manger en plus et je te promeeets qu'on se fera un jap bientôt ! » Numa était un véritable démon. Un être maléfique qui était en train de m'entrainer, sans le savoir, dans mes heures les plus sombres. Résignée, j'acceptais de la suivre. Un plan posé. Okay. On arrive rapidement au pied d'un immeuble où semble se jouer une fête tout sauf posée. Je n'aime pas ça. Je ne voulais pas de ça. « On regarde, si on aime pas, on s'en va ! promis, promis. » J'ai même pas le temps de me plaindre qu'elle est déjà sur le digicode pour entrer dans l'immeuble. « Je te déteste Numa » que je siffle dans son dos en la suivant tout de même. Est-ce qu'elle m'avait entendu au juste ? On entre et elle part retrouver aussitôt son amie. Je déteste tout ce que je vois. J'ai juste envie de repartir quand un jeune homme me colle un verre entre les mains. Great. Je le regarde avec désespoir et contre toutes attentes, je le bois d'une traite en grimaçant. Je ne sais même pas ce que c'est, mais rapidement, je ressens des effets jusqu'alors inconnus. Rien à voir avec l'ivresse. Des dizaines de minutes plus tard, je titube jusqu'à la première pièce où commence une longue bataille avec moi-même. Mes idées sombres me traversent à nouveau l'esprit et l'état dans lequel je me trouve ne m'aide en rien à me remettre sur le droit chemin. Être dans cette petite pièce sans rien autour de moi était une bénédiction car à cet instant, je savais que si je m'étais trouvée sur un pont, je me serais jetée du haut de celui-ci sans même y réfléchir une seconde de plus. Je déraille complètement. J'ai chaud. J'ai une vague froid qui me transperce en même temps. Je me lève et j'sors peu de temps après. Enfin, je ne sais même pas ça fait combien de temps que j'ai quitté Numa. Quand je la retrouve, je pleure presque et je m'affale sur elle maladroitement. « Sors-moi d'ici » que je la supplie de désespoir en la regardant dans le vide, les yeux humides.

"Je te déteste Numa." Boh, elle me déteste mais elle m'aime assez pour tout me pardonner. On arrive et oh ! Je vois Cassie, je vais lui claquer la bise, j'prends un verre. Grand sourire, rire très fort : l'art de faire croire que tout va bien quand tout va mal. J'me retourne vers ma meilleure amie avec un sourire, elle a déjà un verre entre les mains. Tiens ? J'veux aller la voir mais y a cette nana qui me saute dessus. Quoi ses cheveux ? Hein, son chien, que, quoi ? De quoi elle me parle elle ? Je comprends rien mais elle me laisse pas regarder ailleur c'te fille que je connais pas. Elle doit m'étouffer cinq minutes avant que je ne réussisse à m'échapper de son emprise démoniaque. Je tourne la tête, je cherche Marla. Je suis pas cool, je sais que c'est pas son truc ce genre d'endroit, j'devais rester avec elle. Mais, putain c'est qu'elle me rattrappe l'autre pouf ! Je l'esquive, hop, rond de jambe mais voilà, un type me tombe dessus puis y a tellement de monde, je tourne la tête partout, je la vois pas ma rouquine. "Marla ? Marla ?" J'appelle au milieu du salon, personne. Je vais taper contre la porte des toilettes, je sais pas peut-être qu'elle s'est réfugiée là. Mon bouchon est introuvable. "Marla ? Marla ?" Je la trouve pas et une main m'attrappe le poignet. Cassie, rayonnante. Puis elle a ce sourire enjôleur... Allez, je la suis jusque dans le salon, je danse, je bois. J'oublie Marla. J'suis une amie affreuse. [...] Peut-être une heure que je me déhanche. J'ai bu, je fais plus gaffe à rien, je m'égosille au milieu du salon, je saute en agitant la tête. Rire gras. Et puis je sens un corps qui s'affale sur moi, je tourne la tête et je vois d'abord une crinière rousse en pagaille. Puis deux yeux perçants qui hurlent. "Sors-moi d'ici." Je lâche un petit hocquet de frayeur. Putain, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Un truc grave, j'le comprends en un instant. Enfin, je sais pas, mais elle va pas bien, pas bien du tout. Sans déconner j'ai des sueurs froides rien qu'à voir son regard totalement désespéré. J'crois que j'ai peut-être fait une grosse, grosse bêtise en l'emmenant ici. Je hoche la tête : "T'inquiète, t'inquiète, je suis là, on y va." J'attrape son bras, je la traîne hors des gens, à l'écart. Je pose mes mains autour de son visage, je dégage ses cheveux de son front. Elle est brûlante. "Hé, hé, bouchon, je suis là. Tu... ça va ? Je... J'prends nos manteaux et on s'en va, ok ? Tu m'attends là, hein ?" Je la lâche cinq secondes, le temps d'aller fouiller sous une pile de vêtements, posés à l'arrache sur le lit d'une petite chambre.

Cette soirée, je n'ai pas envie d'y mettre les pieds. Je sais très bien que c'est une très mauvaise idée. Je ne suis pas faite pour ce genre d'événement. Je ne suis pas faite pour ce qu'on y trouve, ce qu'on y pratique. Tout ça, c'était bien trop pour moi. À peine je mettais un orteil ici que Numa s'échappait et qu'on me donnait un verre d'alcool. Un seul et unique verre et pourtant, le verre de trop. Rapidement, je ressens des effets jusqu'alors inconnus. Je suis au plus mal. Tellement mal physiquement. Je me sens lourde par moment, complètement dans les vapes à d'autres. Mes cheveux roux me collent aux tempes. Le pire, ce sont toutes mes pensées qui entrent en échos dans ma tête. J'ai mal. J'ai mal partout. À la tête, au cœur. Et puis, je suis effrayée par mes pensées. J'ai l'impression que le seul échappatoire qui me reste est la mort, comme si c'était ma destination, la résolution de tous mes problèmes, de mon mal-être. Je parviens à me mettre debout malgré que tout tourne autour de moi. Je sors de là où je me trouve et je gagne la pièce principale pour retrouver ma meilleure amie entrain de danser. Je m'écroule lourdement sur elle et lui lance un appel à l'aide. Je ne calcule même pas l'angoisse dans son regard. Numa panique parce que c'est la première fois que je ressemble à ce que je ne suis pas. Un déchet. « T'inquiète, t'inquiète, je suis là, on y va. » Mon bras autour de son cou, elle nous traine vers la porte d'entrée en un rien de temps. « Hé, hé, bouchon, je suis là. Tu... ça va ? Je... J'prends nos manteaux et on s'en va, ok ? Tu m'attends là, hein ? » Je ne pouvais pas bouger de toute façon. Je marmonne, me cale contre le porte jusqu'à ce que mon manteau me couvre mes épaules. « J'ai chaud » que j'me plains de ma bouche pâteuse. Je râle comme une enfant malade. Je ne suis vraiment pas bien, j'ai jamais ressenti ça. On sort tant bien que mal et l'air me saisit rapidement. Ça fait du bien. J'ai l'impression que mon corps va pouvoir se réguler d'ici quelques minutes. « Ce type... Le verre... Il y avait un truc dedans » que je bredouille à ma meilleure amie en commençant à pleurer. « Je vais mourir Numa » que j'affirme peu de temps après de manière décousue. « Je suis désolée. Je vais abandonner » Je serrais sa main si fort qu'au fond, peut-être bien que je n'avais pas envie de partir.

Je suis terrorisée. Marla, ma meilleure amie, la fille la plus brillantissime que je connaisse, expirant sur mon épaule. Je la traîne loin des corps ivres, son bras autour de mon cou, comme si je l'écartais d'un champ de bataille. Je la cale contre la porte, file chercher nos manteaux et je reviens aussi vite que je peux, je veux plus la laisser seule une seconde. "Allez, allez, ça va, on y va." Je souffle en lui couvrant les épaules de son manteau. "J'ai chaud." Elle a chaud et moi je tremble, des sueurs froides le long de mon dos. J'ai merdé, vraiment merdé hein ? Je la laisse s'appuyer contre moi alors qu'on sort dehors, à l'air libre, c'est bon, c'est bon, on est parties, on est loin. Quelques pas, histoire de nous éloigner encore et je la fais s'assoir sur le bord d'un trottoir, je m'accroupis en face d'elle. "Ce type... Le verre... Il y avait un truc dedans." Oh merde, oh merde. Je vois rouge. Un type ? Quel type ? "Comment ça un truc ? Il t'est rien arrivé, ce type, ce type il t'a rien... fait ?" On file au commissariat, on va leur donner le nom de ce connard, son portrait robot, tout ce qu'il faut. Marla commence à pleurer, je viens plaquer mes mains glacées contre ses joues, essuie ses larmes de mes pouces. "Oh, oh, ça va, ça va, je suis là." Je répète ces mots en boucle, comme si ça pouvait changer quoi que ce soit. Il est arrivé un truc grave et j'étais pas là pour elle. Pire, il est arrivé un truc grave par ma faute. "On va aller voir la police, d'accord ?" Parce que c'est ce qu'il faut faire dans ce genre de situation non ? On peut pas laisser le méchant s'en tirer ? Je sais pas. Je sais pas ce qu'il faut faire dans ce genre de situation, j'suis impuissante, j'suis coupable. "Je vais mourir Numa." Des mots qui me frappent en plein coeur. Non, non, non. "Je suis désolée. Je vais abandonner." Elle se cramponne à ma main, je sens ses ongles s'enfoncer dans ma paume. Ok, ok, on oublie la police. Je veux juste te garder en vie, maintenant, te protéger. "Marla, tu dis quoi ? Non, non, dis pas ça, bien sûr que non tu vas pas mourir, eh, j'suis là ok ?" Depuis la rentrée, j'ai déjà eu deux personnes qui ont failli filer entre mes doigts. Sous mes yeux. Je veux plus jamais frôler la mort d'aussi près, parce que je sais ce que ça fait de la heurter de plein fouet. Un choc monstrueux, on s'en remet jamais vraiment. "Si tu t'en vas là, je m'en vais aussi, tu comprends ça ?" Parce qu'il faut plus grand chose pour m'ébranler complétement, j'ai beau cacher tout ça sous un éternel sourire de façade, y a un truc en moi tout cassé. "Je vais te guérir, ça va aller, je vais te guérir." Je glisse mon bras sous le sien, attrape sa main, je me cambre pour porter le poids de son corps sur mon flan. Je la porte, la traîne dans la nuit noire. Je suis à bout de souffle au bout de quelques mètres. Pourquoi je fais ça ? Pourquoi j'appelle pas une ambulance ? Je sais pas, je réfléchis pas, puis je sais pas si je leur fais confiance aux toubibs. Ils étaient où pour sauver Kibwe ? Je nous traîne comme une dératée jusqu'à la Dunster, Marla qui vacille sur mon dos. On y arrive finalement, dernier petit effort pour nous hisser jusqu'à la chambre de Marla. Je viens l'allonger sur son lit. Et je fais quoi maintenant ? Je fais quoi hein ? Comment je gère moi, je sais pas faire.  

Parfois, j'avais chaud, à d'autres moments, j'avais froid. C'était certainement l'effet de la drogue sur mon corps, un effet qui m'était complètement inconnu jusqu'ici. J'étais vierge de toutes ces sensations et j'aurais aimé ne jamais les ressentir tellement je me sentais hors de contrôle à ce moment précis. Une chance que Numa soit là même si c'est elle qui m'a attiré dans cet Enfer. Une chance qu'elle puisse me tirer de cette misère aussi rapidement. À peine le temps pour moi de comprendre que je sens l'air frais hivernal me saisir. Ça fait un bien fou, mais ce n'est que minime par rapport à toute la négation que je ressens à côté. Je m'affale sur le trottoir où Numa nous arrête et j'essaie de lui raconter au mieux ce qu'il s'est passé ; le garçon qui m'a donné un verre. « Comment ça un truc ? Il t'est rien arrivé, ce type, ce type il t'a rien... fait ? » L'idée me glaçait le sang et je planais tellement que je ne pouvais pas lui répondre. Est-ce qu'il était arrivé quelque chose ? non. Mais en fait, ce n'était pas ça qui me traversait l'esprit, non, je pensais à autre chose, quelque chose ne bien plus important et surtout, de plus grave. J'étais effrayée par mes pensées à tel point que j'en pleurais sous le regard impuissant de ma meilleure amie. Elle faisait de son mieux pour me consoler la pauvre. Oh oui, elle faisait de son mieux, mais malheureusement, ça n'avait rien à voir avec tout ça. Non. Si je pleurais ce n'était pas à cause de ce que ce type aurait pu me faire ou non. Si je pleurais, c'est parce que j'avais juste envie de mourir. « Marla, tu dis quoi ? Non, non, dis pas ça, bien sûr que non tu vas pas mourir, eh, j'suis là ok ? » Et bien sûr qu'elle ne comprend toujours pas. Qui pourrait le croire ? J'étais droguée et ça pouvait simplement s'apparenter à de la peur. « Si tu t'en vas là, je m'en vais aussi, tu comprends ça ? » - « C'est ridicule » que je souffle enfin d'une petite voix. Elle ne pouvait pas disparaitre comme ça parce que je choisis de le faire. Sa vie ne dépendait pas de la mienne. Je vrillais totalement et j'avais beaucoup beaucoup de mal à rester éveillée. « Je vais te guérir, ça va aller, je vais te guérir. » Je ne proteste pas, je me laisse faire et j'crois bien que j'arrivais surement pas à me rappeler de tout le lendemain. Par je ne sais quel miracle et quelle force, Numa arrive à me ramener jusqu'à mon lit. Je m'affale complètement et de ne dis plus rien. Je m'endors difficilement et péniblement, cédant totalement à la fatigue.

FIN DU RP